|
Brève histoire du
xiaoshuo et de ses diverses formes,
de la nouvelle au roman
VIII. 20ème
siècle : nouvelles courtes et moyennes contre roman
VIII.2a La nouvelle moyenne ou
zhongpian xiaoshuo : définition et histoire
par Brigitte Duzan, 7 mars 2018,
actualisé 26 février 2024
La nouvelle
chinoise dite zhongpian xiaoshuo (中篇小说),
ou nouvelle "moyenne"
,
est celle qui, en termes de longueur, se situe entre la nouvelle
courte et le roman. Occupant une place croissante dans les
grandes revues littéraires chinoises,
elle a joué un rôle important dans l’évolution de la littérature
chinoise moderne. Ces nouvelles sont en outre très populaires
auprès des lecteurs, mais elles restent difficiles à définir.
·
Préambule : Tentative de définition
Entre
nouvelle courte et roman
La
nouvelle chinoise moyenne est en fait longtemps
apparue comme une sorte d’hybride entre les deux
formes bien établies, et reconnues en Occident, de
la nouvelle courte et du roman ; la première
nouvelle qualifiée (a posteriori) de zhongpian
xiaoshuo n’est apparue qu’au début des années
1920, sous la plume de
Lu Xun (魯迅) :
c’est « La
véritable histoire d’AQ » (《阿Q正传》).
Mais ce n’est que lors des deux premières éditions
du prix Lu Xun (鲁迅文学奖),
en 1996 et 2000, que les distinctions entre nouvelle
courte, nouvelle moyenne et roman ont été
précisément déterminées, en fixant la longueur de la
nouvelle moyenne d’abord entre vingt et cent mille
caractères, limites qui ont ensuite été quelque peu
assouplies pour étendre la longueur limite de la
nouvelle courte à 30 000 caractères et celle de la
nouvelle moyenne à 130 000. |
|
La véritable histoire d’AQ, avec
le célèbre dessin de Feng Zikai (丰子恺) |
Ces limites,
cependant, sont bien sûr flexibles, et surtout elles ne
définissent pas les caractéristiques essentielles des trois
genres, en termes de narration, de style ou d’esthétique. Bien
plus que la longueur, ce qui importe, c’est en quoi la nouvelle
moyenne constitue un genre distinct, et un genre si populaire en
Chine.
Forme
courte avec développement narratif
En fait, la
nouvelle moyenne a l’avantage d’être adaptée, en termes de
vitesse de lecture, au rythme de la vie moderne, mais elle a en
outre sur la nouvelle courte l’avantage de pouvoir développer
une narration attrayante pour le lecteur, ce qui fait aussi la
supériorité du roman, car c’est la raison pour laquelle beaucoup
de lecteurs préfèrent lire des romans même très longs.
D’où l’on
déduit la raison de la popularité de la nouvelle moyenne : sa
longueur relativement réduite, qui permet une grande qualité
d’écriture, voire une forme élégante, tout en offrant une
histoire intrigante ou divertissante. En termes de style, la
nouvelle moyenne se rapproche donc de la nouvelle courte ; en
termes de contenu narratif, elle est proche du roman et, en ce
sens, on peut parfois la considérer comme un court roman.
Cette
popularité se retrouve dans le domaine du cinéma si l’on en juge
par le grand nombre d’adaptations cinématographiques ou
télévisées chinoises de nouvelles moyennes. Ce genre de nouvelle
est en effet idéal car il offre une ligne narrative relativement
peu complexe, avec peu de personnages, donc ne nécessite pas
autant de travail qu’un roman sur le scénario.
C’est
d’ailleurs au début des années 1980, en même temps que la
nouvelle moyenne était définie et encadrée, qu’un grand nombre
de cinéastes chinois ont commencé à en adapter : Xie Jin (谢晋)
a adapté « La légende du mont Tianyun » (《天云山传奇》)
en 1980,
puis Cen Fan (岑范)
celle de
« La
véritable histoire d’AQ » (《阿Q正传》)
en 1982, deux chefs-d’œuvre de la période.
Ce qui est
intrigant, ce sont les origines, soudaines, du genre, vers 1920.
D’un développement récent, certes, la nouvelle moyenne n’est
cependant pas née en Chine par une sorte de génération
spontanée au début du 20e siècle : elle a une
histoire plus ancienne qui a ses sources dans la littérature
chinoise elle-même, mais a été aussi quelque peu influencée par
la littérature européenne.
·
Petite histoire de la nouvelle moyenne chinoise
o
Origine et développement en Europe
Selon J. A. Cuddon
,
le genre italien de la novella était une
narration en prose telle que développée au milieu du
14e siècle par Boccace dans le
« Decameron ». D’autres recueils de telles nouvelles
furent publiés en Italie aux 15e et 16e
siècles, et les dramaturges Tudor vinrent y puiser
des sources d’inspiration pour les intrigues de
leurs pièces. Cependant, selon Cuddon, les nouvelles
anglaises qui pourraient être considérées comme
relevant de ce genre sont plutôt des romans
embryonnaires.
C’est en Allemagne, vers la fin du 18e
siècle et au tout début du 19e, qu’est
apparu l’avatar allemand de la novella dans
une forme répondant à des critères spécifiques : non
en termes de longueur (les récits allant de quelques
pages à deux ou trois cents), mais en termes
narratifs, la narration étant limitée à un événement
ou une situation unique, et possédant une certaine
« qualité épique ». En outre, selon August Schlegel,
cité par Cuddon, l’un des points importants de la
narration devait être « un tournant inattendu
ménageant une surprise, bien qu’étant logique. »
Goethe est généralement reconnu comme l’initiateur
du genre en Allemagne, qu’il a défini comme narrant
« un fait sans précédent, mais qui s’est réellement
produit »
(eine
sich ereignete unerhörte Begebenheit).
Selon Charles Laughlin
,
sa première novella en date serait « Les
Souffrances du jeune Werther » (Die Leiden des
Jungen Werthers) ; mais, initialement publiée en
1774, l’œuvre est plutôt un roman épistolaire. Selon
Cuddon, la première novella allemande, écrite
par Goethe, serait en fait les « Entretiens
d’émigrés allemands » (Unterhaltungen
deutscher Ausgewanderten)
dont la publication date de 1795 et dont la forme
est dérivée du recueil de novelle de Boccace
auquel il a emprunté le concept de récit-cadre : des
récits de voyageurs ou conteurs divers, rapportés
par un narrateur. Ces
« Entretiens » se composent de sept récits et se
concluent par un conte, « Das Märchen »
,
considéré comme un modèle du conte fantastique.
|
|
Boccaccio, le Decameron, 1ère édition
1573
Goethe, Unterhaltungen
deutscher Ausgewanderten |
La Mort d’Ivan Ilitch, éd. 1895 |
|
Le
genre s’est ensuite développé en Allemagne tout au
long du 19e siècle, avec Kleist, mais
aussi Hoffmann, ainsi qu’en Russie, sous la plume de
Tolstoï en particulier : « La mort d’Ivan Ilitch » (Смерть
Ивана Ильича),
par exemple, est une nouvelle moyenne publiée en
1886, généralement présentée comme longue nouvelle
ou court roman ; elle aurait été inspirée d’un fait
réel, donc correspond bien à la définition de
Goethe, mais le genre s’est développé aussi dans le
domaine du fantastique, avec, par exemple, les
contes d’Edgar Poe.
Le
but de la nouvelle moyenne telle qu’elle a ensuite
évolué – et pour laquelle les Anglophones ont
conservé le terme de novella - est avant tout
de conter une histoire centrée sur un personnage,
et ses relations avec un ou plusieurs autres. Des
souvenirs du passé peuvent intervenir sous forme de
flashbacks ou de digressions, mais, dans l’ensemble,
la narration est assez linéaire. Quant à la
conclusion, elle peut |
être
brutale, mort, accident ou catastrophe historique, mais,
très souvent, la narration s’achève sur une simple
séparation, un départ, ou encore plus simplement la
résolution du conflit central, mais en laissant l’avenir
ouvert, donc avec une certaine marge d’irrésolution. C’est
très souvent le cas, aujourd’hui, des nouvelles moyennes
chinoises en particulier.
o
Origine et développement en Chine
Ø
Prémices
En Chine,
traditionnellement, toutes les formes de fiction dérivent de
l’art du conteur et de la littérature orale, le roman classique
étant à l’origine une série de récits courts formant des
épisodes structurés en longues sagas
.
La structure narrative restait épisodique, et le lecteur n’en
attendait pas une intrigue élaborée à la manière du roman
occidental ; en fait, ces narrations étaient publiées par
épisodes successifs dans la presse, et jouaient de la curiosité
du lecteur comme le conteur d’une séance à l’autre.
Théoriquement,
dans ce contexte, un récit plus long que celui que pouvait
dérouler un conteur le temps d’une soirée au coin du feu ou sur
une place de marché n’avait pas de raison d’être. Il a donc
fallu attendre les développements de la littérature, de pair
avec les progrès de l’édition répondant aux besoins d’un public
urbain, pour que se développent des nouvelles pouvant déployer
une narration plus élaborée, mais sans atteindre la complexité
ni la longueur du roman.
Les premières ébauches de récits un peu plus longs
que le chuanqi classique apparaissent dès les
Tang, sous la forme de contes fantastiques. Il
existe en particulier, à la fin des Tang, une
version de l’histoire du « Voyage vers l’Ouest »
centrée sur le moine Sanzang, sans le singe ;
celui-ci n’apparaît que dans un récit des Song du
sud dont on ne connaît pas l’auteur : « Comment
Sanzang de la grande dynastie des Tang est parti à
la recherche des sutras » (《大唐三藏取经诗话》ou《大唐三藏法师取经记》).
C’est le modèle, dans ses grandes lignes, du grand
classique des Ming « Le Voyage vers l’Ouest » (《西游记》)
qui donne une part privilégiée au personnage du
singe. Mais ce texte des Song du sud est en trois
volumes, divisés en 17 brefs chapitres
;
il est généralement considéré comme le premier
« roman à chapitres » (zhanghui xiaoshuo
章回小说),
en particulier par
Lu Xun. Mais
d’autres y voient une ébauche de nouvelle moyenne
avant l’heure.. |
|
Comment Sanzang de la grande
dynastie des Tang est parti à
la recherche des sutras (vol. 2) |
Le récit de
type
chuanqi,
initialement court par définition, a en fait peu à peu évolué
vers des formes plus élaborées, donc plus longues, quand il a
été couché sur le papier et édité. L’évolution a mené au roman
dit « à chapitres », mais avec quelques cas précurseurs de
véritables nouvelles moyennes sous les Ming, dans un registre
différent.
Ø
La nouvelle romanesque aux 17e et 18e
siècles
Li Yu |
|
Ces textes précurseurs sont des récits romanesques,
écrits et publiés en particulier sous la plume de
Li Yu (李漁),
au 17e siècle, à la fin des Ming.
L’époque est celle d’une floraison de pièces
romantiques et poétiques se rattachant au genre «
histoires de lettrés et jeunes beautés » (caizi
jiaren
才子佳人), en
vogue auprès des lettrés. Une cinquantaine de ces
romans sont apparus à partir du milieu du 17e
siècle et jusqu’à la fin du 18e.
Comparés aux romans historiques, ces récits
romanesques sont beaucoup plus courts, ce qui a
incité certains critiques à les appeler zhongpian
xiaoshuo (中篇小说),
ce qui serait l’origine du terme.
Beaucoup n’ont que six à huit chapitres, voire trois
ou quatre pour certaines nouvelles de Li Yu. Les
auteurs sont peu nombreux. D’après Robert E. Hegel
,
beaucoup de ces récits ont des préfaces rédigées par
un dénommé |
Tianhuazang zhuren (天花藏主人),
pseudonyme signifiant « maître du sutra des fleurs
divines », et on lui attribue même certains d’entre eux. Il
devait être du Zhejiang ; Robert Hegel en déduit que ce fut
probablement un phénomène régional avant de devenir
populaire dans toute la Chine.
Ce sont des
récits où le personnage du lettré est dépeint en des termes
généralement utilisés pour les jeunes beautés féminines dans les
romans classiques de caizi jiaren ; il a été qualifié de
« pseudo-caizi » ou « lettré fragile », évoquant le thème de
l’homosexualité masculine qui est celui de plusieurs nouvelles
de Li Yu, justement du genre
zhongpian
.
C’est le cas d’une de celles du recueil des « Opéras
silencieux » (Wusheng xi《无声戏》) :
« Un homme telle la mère de Mencius protège son fils en
déménageant trois fois » (《男孟母教合三迁》).
De manière
générale, ces nouvelles moyennes sont des récits pleins d’humour
qui se jouent des tabous sociaux et des conventions littéraires.
Il est donc doublement intéressant qu’elles soient écrites, en
outre, dans une forme elle-même hors norme, ni nouvelle courte
ni roman. Un chercheur de l’Université chinoise de Hong Kong,
Richard G. Wang,
leur a consacré tout un ouvrage, publié en 2011,
où il étudie leur importance en termes socio-culturels.
Pour lui,
elles forment une transition entre les chuanqi des Tang
et le roman vernaculaire des Ming : elles sont en langue
classique comme les premiers, mais comportent des développements
typiques du roman, en particulier des descriptions, voire des
dialogues, en style direct, et sont en outre divisées en brefs
chapitres qui anticipent la structure du roman. Dernier point,
mais non des moindres, la nouvelle moyenne Ming introduit dans
la littérature de fiction chinoise, et ce dès le 15e
siècle, le thème du qing (情),
l’amour comme force cosmique liant toutes choses, thème qui
existait déjà dans certains récits antérieurs, dont, à l’époque
Yuan, le Xixiangji (西廂記).
Le
lien avec le chuanqi est d’ailleurs souligné
par certains chercheurs chinois qui se réfèrent à
l’évolution de ce genre sous les Yuan et parlent de
« nouvelles moyennes de type chuanqi des
dynasties Yuan et Ming » (元明中篇传奇小说) .
Cependant, des nouvelles au roman, on passe d’amours
polygames, voire illicites, à un amour chaste et
vertueux marquant la victoire de l’amour (pur) sur
le désir (charnel) : du qíng (情)
sur le yù (欲).
Ø
Développement à partir des années 1920
Après ces premiers frémissements, il est
généralement admis que les débuts de la nouvelle
moyenne en tant que telle datent du début des années
1920, après la publication de « La véritable
histoire d’AQ », et coïncident donc avec l’essor de
la littérature en langue vulgaire ou baihua.
On
ne peut cependant pas exclure l’influence notable de
Goethe : son « Werther » a été traduit en chinois
par Guo Moruo (郭沫若)
en 1922 (《少年维特的烦恼》),
apportant un archétype de la nouvelle romantique qui
inspirera
Yu Dafu (郁达夫)
et les écrivains de la société Création dont Guo
Moruo était cofondateur. Mais il ne faut sans doute
pas lui prêter une importance excessive, la
tradition existante dans la littérature chinoise
permettant déjà de se fonder sur des précédents, et
de replacer la nouvelle moyenne dans le cadre du
développement de la littérature vernaculaire, et
populaire.
Littérature populaire, certes, mais qui a tout de
suite trouvé ses lettres de noblesse quand elle a
été investie par de grands écrivains qui en ont fait
leur genre de prédilection. Certaines nouvelles
"moyennes" publiées dans les années 1930 et 1940
sont devenues des modèles du genre, souvent
présentés à l’étranger comme des « romans courts »,
et sont considérées comme des chefs d’œuvre, en
particulier : |
|
Biancheng, La ville frontalière
Le jardin du repos |
-
La
ville frontalière (《边城》)
de
Shen Congwen (沈从文),
publiée en 1934
,
-
Terre
de vie et de mort (《生死场》),
de
Xiao Hong (萧红),
également de 1934,
-
La
campagne en août (《八月的乡村》)
de Xiao Jun (萧军),
publiée en août 1935,
-
Nuit
glacée (《寒夜》)
et Le Jardin du repos (《憩园》)
de
Ba Jin
(巴金),
écrites en 1944-45,
-
Amour
dans une petite ville (《倾城之恋》)
de
Zhang Ailing (张爱玲),
publiée en 1943.
Elles sont moins nombreuses ensuite, après 1949,
durant la période que l’on appelle « les 17 ans »
(1949-1966) ; en revanche on en retrouve publiées
pendant la Révolution culturelle.
Ø
Nouvelles moyennes publiées pendant la Révolution
culturelle
C’est dans la première moitié des années 1970 qu’ont
été publiées quelques nouvelles moyennes,
principalement sous la plume de
Hao Ran (浩然).
Il a d’abord surtout publié des nouvelles courtes,
mais, en janvier 1973, il publie la nouvelle moyenne
« Trois enfants et une bouteille d’huile » (《三个孩子和一瓶油》),
éditée en petit livre illustré, tiré à 800 000
exemplaires : c’est un immense succès. Elle est
suivie en 1973 du « Petit chasseur » (《小猎手》),
puis, en 1974 et 1976, de ses deux nouvelles
moyennes les plus connues : « Les enfants de Xisha »
(《西沙儿女》),
en 35 courts chapitres, et « Le val aux cent
fleurs » (《百花川》).
Il
en publiera une série d’autres en 1983, puis une
encore en 1984, au moment de l’essor de la nouvelle
moyenne.
Mais, contrairement à l’idée reçue que « Hao Ran
est le seul auteur à avoir été publié en Chine
pendant la Révolution culturelle »
,
d’autres nouvelles moyennes ont été publiées pendant
la période, dès le début de 1972. Presque toutes
sont des histoires d’enfants et relèvent de la
littérature pour la jeunesse. La plus célèbre est
celle de Li Xintian (李心田),
« Des étoiles rouges scintillantes » (《闪闪的红星》),
publiée en mai 1972 et diffusée à la radio
nationale, avant « Les enfants de Xisha ».
Mais d’autres, aussi, sont très connues, même si
leurs auteurs ne le sont pas : « La petite cour aux
tournesols » (《向阳院的故事》),
« Coups de feu dans un village de montagne » (《山村枪声》),
« Sifflements secrets au bord du lac » (《湖边小暗哨》),
« Ouvrez grands les yeux » (《睁大你的眼睛》)
…
Au
total, on compte plus d’une cinquantaine de
nouvelles moyennes publiées entre mai 1972 et
décembre 1976,
dont certaines ont été adaptées au cinéma, et très
souvent éditées en
lianhuanhua. Après la chute de la Bande
des Quatre, les deux nouvelles de Hao Ran seront
taxées de « littérature du complot » (“阴谋文学”),
de même que « Les rebelles » (《造反者》)
de Li Yue et Xu Yang (李悦/徐扬),
publiée en février 1976.
Mais certaines de ces nouvelles sont aujourd’hui des
classiques ; celle de Li Xintian, en particulier, a
été rééditée en 2004 sous le label « classique rouge
pour enfants » |
|
Trois enfants et une bouteille
d’huile
Le val aux cent fleurs
Des étoiles rouges scintillantes
(1972) |
(“儿童红色经典”).
Elles témoignent cependant de fortes contraintes
idéologiques et ont surtout un intérêt historique.
Ø
Forme expérimentale au début des années 1980
C’est à partir
de 1978 que la nouvelle moyenne prend réellement son essor, dans
le contexte d’un intense bouillonnement littéraire qui se
traduit par l’émergence de divers mouvements. Après celui de la
« littérature des cicatrices », basé essentiellement sur la
nouvelle courte, la nouvelle moyenne est la forme privilégiée
par les auteurs de recherche des
racines puis de littérature
expérimentale.
Dans le contexte
de l’ouverture, la nouvelle moyenne présente un double
avantage : elle
permet de
dresser un tableau de la société sans avoir à développer une
longue narration, et elle permet aussi des recherches formelles.
Son développement est favorisé par la multiplication des
revues littéraires qui lui
offrent des espaces de publication : en 1978, il n’y en a encore
qu’une, Shiyue (《十月》),
mais en 1979 il y en a 13, puis 26 en 1980 et une trentaine
après 1981.
C’est au début
des années 1980 qu’est instauré le premier prix national visant
à récompenser ces nouvelles, ce premier prix étant décerné à
cinq nouvelles écrites entre 1977 et 1980 :
-
Arrivé
à l’âge mûr (《人到中年》),
de Chen Rong (谌容),
-
La légende de la montagne Tianyun (《天云山传奇》),
de Lu Yanzhou (鲁彦周),
-
L’histoire du criminel Li Tongzhong (《犯人李铜钟的故事》),
de Zhang Yigong (张一弓),
-
Papillon (《蝴蝶》),
de
Wang
Meng (王蒙),
-
Le
magnolia au pied du mur (《大墙下的白玉兰》),
de Cong Weixi (从维熙).
Pour Leo
Ou-fan Lee, c’est la forme générique la plus intéressante qui
s’est alors développée en Chine et qui coïncide avec l’essor
d’une littérature d’avant-garde.
La
concision de la forme courte n’était pas adaptée au processus de
construction d’une histoire alternative que recherchaient les
auteurs d’avant-garde. La nouvelle moyenne est donc la forme qui
leur a offert suffisamment de liberté d’exploration sans imposer
une structure, ou un ordre, répondant à des conventions
et imposant une conformité. Il s’agissait de trouver une forme
fictionnelle offrant non plus un cadre adéquat pour dépeindre la
réalité sociale, mais plutôt pour pouvoir exprimer un riche
imaginaire, dans une forme et un style résolument novateurs.
Leo Ou-fan Lee
cite le cas assez typique de
Yu
Hua (余华)
qui a tenté toutes sortes d’expériences narratives et
stylistiques pendant la grande période de la
littérature d’avant-garde,
à la fin des années 1980, en particulier dans le domaine de la
nouvelle moyenne :
- « Une sorte
de réalité » (《现实一种》) écrite
en 1986-87 : mélodrame sur le fratricide écrit dans un style
réaliste poussé à l’extrême, décrivant torture et mise à mort
avec des détails volontairement éprouvants pour le lecteur ;
- « Une
histoire d’amour classique » (《古典爱情》) écrite
en 1988 : nouvelle écrite en imitation du style vernaculaire
classique parodiant Feng Menglong (冯夢龙) ;
Selon
Li Tuo
(李陀),
Yu Hua déçoit constamment les attentes habituelles des lecteurs.
Il écrit froidement, voire cruellement, en utilisant les
capacités de la langue pour offrir des images saisissantes. Sa
narration est ainsi un défi au lecteur, l’engageant à changer
ses habitudes de lecture. Ces nouvelles sont d’un aspect
brillant, mais où l’effet de défi s’estompe peu à peu. Le texte,
dit Li Tuo, apparaît plutôt « comme un jeu d’échecs sur lequel
sont poussés des pions linguistiques pour gagner la partie ».
La nouvelle
moyenne a donc été le moyen d’expérimentations formelles, en
parallèle avec la nouvelle courte ; mais, une fois cette période
avant-gardiste passée, elle est restée comme forme narrative à
part entière.
Ø
Forme narrative reconnue dans les années 1990
A partir des
années 1990, la fiction en Chine a principalement été marquée,
au niveau stylistique et narratif, par les genres et sous-genres
associés à la nouvelle moyenne, tandis que le roman s’imposait
comme genre dominant, mais plus pour des raisons commerciales
d’édition : ce sont les éditeurs qui ont promu le roman et
demandé à leurs auteurs d’en écrire, et c’est souvent grâce à
leurs romans que les auteurs se sont fait connaître.
Ce sont
souvent des romans de critique sociale, et de plus en plus de
très longues sagas parcourant l’histoire d’une région, celle de
l’auteur. Il n’y a cependant pas d’avancées stylistiques dans le
roman, et les critiques et éditeurs notent d’année en année, à
partir de la fin des années 1990, que le roman montre des signes
d’épuisement. Selon l’ouvrage China Review 1999
,
sur 800 romans publiés en 1998,
une vingtaine
seulement ont retenu l’attention des critiques ou du public.
De la barbe à papa un jour de pluie
de Bi Feiyu |
|
Par ailleurs, un courant de littérature
d’avant-garde continue, surtout dans la deuxième
moitié de la décennie, entretenu par des auteurs
baptisés « génération tardive » (晚生代)
;
c’est ce qu’on a appelé la « post-avant-garde » (后先锋).
Parmi eux,
He Dun (何顿),
Bi Feiyu (毕飞宇),
Dong Xi (东西)
ou
Zhu Wen (朱文)
ont une prédilection pour la forme zhongpian.
Certains, comme
Bi Feiyu,
faisaient déjà partie des écrivains avant-gardistes
dix ans auparavant, mais écrivaient alors plutôt des
nouvelles courtes. Représentative de ce courant des
années 1990 est sa nouvelle moyenne, initialement
publiée en 1994, traduite par Isabelle Rabut « De la
barbe à papa un jour de pluie » (《雨天的棉花糖》)
et présentée par l’éditeur comme ‘un court roman’
.
De
manière significative, 1998 apparaît comme une année
charnière pour la nouvelle moyenne. Cette année-là,
la revue Da Jia ou Master (《大家》),
lancée en 1994 par les Editions du peuple du Yunnan
(云南人民出版社),
publie une série de récits également baptisés
"courts romans" qui sont en fait des nouvelles
zhongpian. |
L’essor de la
nouvelle moyenne au cours de cette décennie aboutit à son
intronisation et définition lors des deux premières éditions
du prix Lu Xun, la première édition récompensant dix
nouvelles moyennes et la seconde la moitié. En revanche, sur les
sept catégories de récompenses, il n’y en a aucune prévue pour
le roman.
>
1997 :
meilleures nouvelles moyennes pour les années 1995 et 1996
Deng Yiguang
邓一光
Mon
père est un soldat《父亲是个兵》
Lin Xi
林希
Un petit garçon
《小的儿》
Liu Xinglong
刘醒龙
En route pour Pékin avec deux
paniers de feuilles de thé《挑担茶叶上北京》
He Shen
何申
Des années auparavant et des
années après
《年前年后》
Li Guowen
李国文
Nirvâna
《涅槃》
Liu
Heng
刘恒
Dieu seul le sait《天知地知》
Dong
Xi (东西)
Vivre sans langage《没有语言的生活》
Yan
Lianke
阎连科
La grotte d’or
《黄金洞》
Li Guantong
李贯通
Un coin manquant du ciel
《天缺一角》
Xu Xiaobin
徐小斌
Poissons
《双鱼星座》
>
2000 :
meilleures nouvelles moyennes pour la période 1997-2000
Ye Guangqin
叶广芩
Comment même en rêve aller jusqu’au pont sur la Xie《梦也何曾到谢桥》
Gui Zi
鬼子
Une rivière inondée de pluie《被雨淋湿的河》
Tie Ning
铁凝
A jamais, est-ce loin ?
《永远有多远》
Yi Xiangdong
衣向东
Une vallée pleine de vent《吹满风的山谷》
Yan
Lianke
阎连科
Les jours, les mois, les années《年月日》
Ø
Années 2000-2010 : La nouvelle moyenne comme relais du roman
Dans les
années 2000, de nombreuses voix s’élèvent pour constater
l’essoufflement du roman.
A partir du
début des années 2010, les articles et commentaires sur
l’intérêt de la nouvelle moyenne se multiplient. Elle est en
voie de prendre le relais du roman comme principal mode narratif
dans la littérature chinoise contemporaine. Son handicap reste
la méfiance des éditeurs, et son caractère toujours un peu
hybride qui défie les définitions génériques et les labels.
En 2013,
Bi Feiyu a écrit un essai pour
souligner l’importance de la nouvelle moyenne dans la
littérature chinoise contemporaine en partant de la constatation
que le concept n’existe pas en soi dans la littérature
occidentale, et que sa légitimité est récente en Chine :
« L’identité
controversée de la "nouvelle moyenne" » (中国“中篇小说”身份可疑) ;
il note au passage la découverte fondamentale qu’a été pour lui
« Le vieil homme et la mer » quand il l’a lu, à l’automne 1982 :
une œuvre présentée comme un court roman, mais parfois
considérée comme une nouvelle….
On reste toujours dans
l’ambiguïté. Et on en oublie que la nouvelle moyenne passe
inaperçu, car elle est très souvent publiée, justement, comme
"court roman". Or des auteurs comme
Wang
Anyi (王安忆)
doivent leur célébrité, d’abord, à des nouvelles moyennes (la
« trilogie de l’amour » 三恋
et « Le petit bourg des Bao »
《小鲍庄》)
et d’autres, plutôt réputés pour leurs textes courts, sont aussi
des défenseurs de la nouvelle moyenne ; c’est le cas de
Feng Jicai (冯骥才),
par exemple, auteur d’un essai intitulé « Propos
sur les
caractéristiques artistiques de la nouvelle moyenne » (《漫谈中篇小说的艺术特征》),
initialement publié dans un recueil d’essais en 1986
,
et réédité en 2005.
L’année 2015
semble avoir marqué un tournant pour la nouvelle moyenne en
Chine : réalisée à partir d’entretiens avec des critiques
littéraires et les deux responsables de la rédaction des revues
Dangdai et Littérature du peuple, l’analyse des
tendances de fond apparues au cours de
l’année dans la littérature chinoise montre la
persistance du roman dans les chiffres de ventes, mais la montée
en puissance de la nouvelle moyenne. C’est le critique Meng
Fanhua, éditeur de sélections annuelles de nouvelles, qui résume
le mieux, en douze caractères, l’avis général, le sien et ceux
exprimés par ses collègues :
“长篇不错,中篇优秀,短篇糟糕”
Roman :
pas mal,
Nouvelle
moyenne : excellent,
Nouvelle
courte : mauvaise passe.
Xu
Zechen (徐则臣)
est l’un des écrivains chinois contemporains qui privilégie la
nouvelle moyenne. Dans un article paru en 2015 dans la revue
Chinese Literature Today (CLT) de l’université de l’Oklahoma, il
a expliqué, les raisons pour lesquelles les nouvelles moyennes
sont si populaires en Chine
,
mais aussi pourquoi elles ont une place prépondérante dans son
œuvre personnelle (voir ci-dessous : A lire en complément).
En France, ces
nouvelles souffrent d’un double handicap : la désaffection des
éditeurs à l’égard de la nouvelle en général, et la difficulté à
les définir dans un pays où la littérature ne connaît pas ce
genre. Les éditeurs les publient parfois en les présentant comme
des « courts romans ». C’est peut-être finalement la meilleure
solution.
A lire en
complément
-
L’identité controversée de la "nouvelle
moyenne",
par Bi
Feiyu
-
Pourquoi j’écris des nouvelles moyennes,
par Xu Zechen
____________________
Les prix Lu
Xun (鲁迅文学奖)
catégorie
nouvelle moyenne (中篇小说)
après 2004
4ème
édition : 2004-2006
Jiang Yun
蒋韵
《心爱的树》
Arbre chéri
Tian Er
田耳
《一个人张灯结彩》Un
homme illuminé
Ge Shuiping
葛水平
《喊山》
Cris dans la montagne
Chi Zijian
迟子建
《世界上所有的夜晚》 Toutes
les nuits du monde
Xiao Hang
晓航
《师兄的透镜》Collègues
dans le miroir
5ème
édition : 2007-2009
Qiao Ye
乔叶
《最慢的是活着》
Le plus lent, c’est la vie
(Shouhuo, mars 2008)
Wang Shiyue
王十月
《国家订单》
Bon de commande pour un pays
(Litt. du peuple, avril 2008)
Wu Kejing
吴克敬
《手铐上的蓝花花》Lan
Huahua menottes aux poings
(Littérature de
Yan’an, juin 2006.
Li Junhu
李骏虎
《前面就是麦季》Devant
nous est la saison du blé
(Fangcao,
février 2008)
Fang
Fang
方方
《琴断口》
Qinduankou (Shiyue, mars 2009)
6ème
édition : 2010-2013
Ge Fei
格非
《隐身衣》 Le
manteau rendant invisible
(Shouhuo,
mai 2012)
Teng Xiaolan
滕肖澜
《美丽的日子》 Beautiful
Day
(Litt.
du peuple, mai 2010)
Lü Xin吕新
《白杨木的春天》Le
printemps du peuplier
(Shiyue,
mai 2010)
Hu Xuewen胡学文
《从正午开始的黄昏》 Le
crépuscule dès midi
(Zhongshan,
février 2011)
Wang Yuewen
王跃文
《漫水》
Inondation
(Litt.
du Hunan, janvier 2012)
7ème
édition : 2014-2017
Shi Yifeng
石一枫
《世间已无陈金芳》Pas
de Chen Jinfang en ce monde
(Octobre《十月》,
mai 2014)
Alai
阿来
《蘑菇圈》 Le cercle (féérique) des champignons
(Shouhuo《收获》,
mars 2015)
Yin Xueyun
尹学芸
《李海叔叔》
Mon oncle Li
Hai
(Shouhuo《收获》,
janvier 2016)
Xiao Bai
小白
《封锁》
Lockdown
(Litt. de Shanghai《上海文学》,
août 2016)
Xiao Jianghong
肖江虹
《傩面》
Exorcisme
(Litt. du
peuple
《人民文学》,
sept. 2016)
8ème
édition : 2018-2021
Wang Song
王松
《红骆驼》 L’éléphant
rouge
(Litt. du
Sichuan
《四川文学》,
août 2019)
Wang Kai
王凯
《荒野步枪手》Le
tireur dans la brousse
(Litt. du
peuple
《人民文学》,
août 2021)
Ai Wei
艾伟
《过往》 Le
passé
(Zhongshan《钟山》,
janvier 2021)
Sonam Tsering
索南才让 《荒原上》
(Shouhuo《收获》,
mai 2020)
Ge Liang
葛亮
《飞发》
(Octobre《十月》,
mai 2020)
VII.2b Le zhongpian xiaoshuo : développement après 2020
J. A.
Cuddon a lui-même compilé deux anthologies de contes et
nouvelles fantastiques, publiées toutes deux en 1984 :
The Penguin Book of Ghost Stories (histoires de
fantômes) et The Penguin Book of Horror Stories
(histoires d’épouvante).
Reading Illustrated Fiction in Late Imperial China,
Robert E. Hegel, Stanford University Press, 1998, p.
378.
Li Yu
est surtout connu pour son recueil Shi’er Lou
《十二樓》présenté
comme recueil de nouvelles, mais qui pourraient
aussi être considérés comme des contes, en tous
cas écrits par les mêmes lettrés.
Voir Pierre Kaser :
https://kaser.hypotheses.org/303
Ming Erotic Novellas: Genre, Consumption, and
Religiosity in Cultural Practice.
By Richard G. Wang. Hong
Kong: Chinese University Press, 2011.
Le
cliché totalement faux s’étendant au cinéma : « pendant
la Révolution culturelle, il n’y a eu qu’un auteur et
huit opéras modèles » (“文革中只有一个作家八个样板戏”).
Il a développé cette idée dans ses « Reflections on
Change and Continuity in Modern Chinese Fiction », in :
Chinese Aesthetics and Literature: A Reader,
Corinne
H. Dale ed.,
SUNY series in Asian Studies Development,
State University of New York Press, mars 2004 – chap. 9,
p. 168 & sq.
Lettre
au camarade Hu Depei
(给胡德培同志的信),
publiée dans La littérature qui m’est chère (杂谈集《我心中的文学》),
Lettres et arts de Shanghai
上海文艺,
1986.
|
|