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				Yu Dafu 郁达夫 
				1896-1945 
				
				Présentation 
				par Brigitte Duzan, 9 août 2010    
					
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						Disciple de Guo 
						Moruo, puis ami de Lu Xun, Yu Dafu a participé à tous 
						les combats de l’avant-garde littéraire des années 1920 
						qui ont contribué à l’émergence et au développement de 
						la nouvelle littérature chinoise. Dès ses premières 
						nouvelles, qui ont fait scandale par leurs thèmes et la 
						liberté de leur ton, il a défini un style totalement 
						nouveau en se faisant le fer de lance d’une écriture 
						autobiographique qu’il avait rapportée avec lui du 
						Japon. 
						  
						I. Une 
						carrière brillante, interrompue par la guerre 
						  
						1. Premières années : 1896-1912 
						  
						Yu Dafu (郁达夫) 
						est né en 1896 dans une famille 
						
						d’intellectuels de Fuyang (浙江富阳), 
						petite ville au bord de la rivière Fuchun (富春), 
						dans la banlieue sud-ouest de Hangzhou, dans la province 
						du Zhejiang. 
						Son père et son  |  | 
						
						 
						Yu Dafu jeune 
						(郁达夫) |  
				
				grand-père étaient médecins, mais son père mourut quand il avait 
				trois ans, comme beaucoup d’autres à
				l’époque, 
				Lu Xun 
				par exemple, ce qui réduisit la famille à la pauvreté. Lui aussi 
				se souviendra avoir eu faim dans son enfance, et il est possible 
				que cela ait affecté sa santé. Pourtant sa mère réussit à faire 
				poursuivre des études à ses trois fils, aidée par 
				des bourses du 
				gouvernement.     
				
				 
				Fuyang 浙江富阳   
				En 1903, à l’âge de 
				sept ans, Yu Dafu entre, à Fuyang même, dans une école privée 
				traditionnelle (私塾 
				
				sīshú), 
				puis, en 1905, dans l’école primaire (publique) de Fuchun (富春高等小学堂), 
				une école progressiste fondée cette année-là en insufflant à une 
				école antérieure (春江书院) 
				les principes modernes d’enseignement prônés dans les milieux 
				réformistes de l’époque, ouverts sur l’Occident.
				Devenue aujourd’hui ‘l’école 
				primaire expérimentale de Fuyang’ (富阳市实验小学), 
				elle continue à donner à l’enseignement valeur civilisatrice et 
				se targue d’avoir contribué à l’épanouissement intellectuel du 
				jeune Yu Dafu. Il y écrit ses premiers poèmes 
				  
					
						| 
						
						 
						La stèle à l’entrée de l’école 
						expérimentale de Fuyang |  | 
						En 1910, il 
						quitte le cocon familial pour aller étudier au collège 
						de Hangzhou (杭州府中学堂) 
						où il a pour camarade de classe le (futur) poète Xu 
						Zhimo (徐志摩),
						rejeton 
						d’une riche famille de banquiers qui suivit à peu près 
						le même cursus que Yu Dafu, d’une éducation 
						traditionnelle à l’ouverture sur l’étranger, un parcours 
						assez typique pour les intellectuels de 
						l’époque. A 
						quinze ans, cependant, Yu Dafu 
						s’intéresse à 
						la poésie classique chinoise, et écrit quelques poèmes 
						qui sont publiés dans divers journaux.  |    
				Il est pourtant marqué 
				par l’atmosphère de l’époque, ces années de réformes avortées et 
				de révolution en marche, tant politique que littéraire (1). Ses 
				œuvres favorites comprennent alors aussi des œuvres 
				d’un caractère 
				nationaliste tout à fait dans l’air du temps : par exemple la 
				poésie narrative d’un auteur du dix-septième siècle, Wu Weiye ou 
				Meicun (吴伟业/梅村), 
				qui appartenait lui aussi à une période de transition 
				historique, dans son cas dynastique puisqu’il vécut la chute des 
				Ming et quitta son Jiangnan natal pour aller à Pékin se mettre 
				au service de la nouvelle dynastie des Qing ; son œuvre est 
				empreinte de tristesse à l’évocation de l’irresponsabilité des 
				derniers empereurs Ming, ce qui devait certainement susciter une 
				certaine empathie chez le jeune Dafu. 
				  
				De manière tout aussi 
				typique, entré en 1912 à l’université de Hangzhou, il en est 
				expulsé quelques mois plus tard pour avoir participé à une 
				manifestation estudiantine, à la suite de l’éviction de Sun 
				Yatsen par Yuan Shikai. 
				  
				2. Dix ans  au Japon, études universitaires et premières créations : 
				1913-1922   
					
						| 
						L’atmosphère en 
						Chine n’était pas favorable aux trublions. En septembre 
						1913, son frère aîné, Yu 
						Mantuo (郁曼陀),
						ayant réussi à décrocher une bourse pour aller faire des études de droit 
						au Japon, Yu Dafu lui emboîte le pas. Le Japon était la 
						destination des intellectuels chinois frustrés dans 
						leurs aspirations libérales qui y trouvèrent un 
						environnement propice à toutes les innovations. Après 
						quelques mois d’acclimatation, linguistique en 
						particulier, Yu Dafu entre en 
						juillet 1914 en année préparatoire à 
						
						l’université impériale de Tokyo. Un an plus tard, en 
						septembre 1915, il part à l’université de Nagoya étudier 
						la médecine, et revient en 1919 à Tokyo, où il est admis 
						à 
						
						l’université impériale en section économie politique.
						 
						  
						
						C’est pour Yu Dafu une période de bouillonnement 
						créatif. Outre le japonais, il apprend l’anglais et 
						l’allemand et se  |  | 
						 
						Yu Dafu en 1919 |  
				
				familiarise avec la littérature étrangère, pour la plupart dans 
				des traductions en japonais qui fait alors office de lien 
				obligé, sinon totalement transparent, entre la Chine et 
				l’Occident. Mais c’est surtout sous 
				
				l’influence de la littérature japonaise qu’il écrit alors ses 
				premières nouvelles. 
				  
				Il y a par 
				ailleurs à Tokyo la fleur de l’intelligentsia chinoise, qui 
				constitue une communauté spirituelle avide de novation ; Yu Dafu 
				se retrouve avec 
				Guo Moruo (郭沫若), 
				Zhang Ziping (张资平), 
				Cheng Fangwu (成仿吾), 
				Zheng Boqi (郑伯奇) 
				et le (futur) dramaturge Tian Han (田汉), 
				autant d’amis avec lesquels il passe des soirées à courir les 
				estaminets de Tokyo, à boire, à réciter des poèmes et à 
					
						|   
						 
						Société Création, trois des membres 
						fondateurs |  | 
						discuter, et 
						avec lesquels il va se lancer dans une entreprise qui va 
						marquer la littérature des années 1920, mais aussi, bien 
						au-delà, l’histoire culturelle de la Chine moderne. Il 
						est difficile 
						d’imaginer que 
						c’est le même personnage qui, pendant les vacances de 
						l’été 1920, se soumet au rituel d’un mariage arrangé par 
						sa mère lors 
						d’une brève 
						visite à Fuyang.   
						En juin 1921, 
						Yu Dafu s’associe avec Guo Moruo et Cheng Fangwu pour 
						fonder la société " Création" (创造社), 
						qui reçoit pour mission de promouvoir une nouvelle 
						littérature. Celle-ci,   |  
				déclinée en autant de 
				styles que d’auteurs participant au mouvement, se caractérise 
				cependant au départ par quelques traits essentiels qui rompent 
				avec la tradition : une importance déterminante accordée à la 
				voix de l’individu, opposé au collectif, sur un modèle inspiré 
				de Nietzsche, mais aussi influencé par le romantisme, le 
				symbolisme et l’expressionnisme.   
					
						| 
						Un mois plus 
						tard, Yu Dafu publie son premier recueil de nouvelles : 
						ce sont trois récits, précédés d’une préface, « Noyade » 
						(《沉沦》), 
						« Départ au sud » (《南迁》) 
						et « Une mort gris argenté » (《银灰色的死》), 
						la première faisant aussitôt figure, à plusieurs égards, 
						de texte fondateur et, comme telle, autant louée que 
						décriée (2). 
						C’est le début 
						de sa carrière littéraire. 
						  
						3. Retour en Chine : 1922-1938 
						  
						En mars 1922, 
						il revient en Chine après avoir terminé ses études à 
						l’université. Il continue à Shanghai la carrière 
						littéraire débutée à Tokyo. 
						  
						Les années 
						‘Création’ : 1922-1927   
						Il devient 
						éditeur de la revue trimestrielle éditée par la 
						 |  | 
						 
						« Noyade » 
						(《沉沦》) |  
				société "Création” (《创造季刊》) 
				dont le premier numéro sort en mai, et est aussitôt critiqué par 
				les membres de l’"association de recherche littéraire" (文学研究会), 
				créée elle aussi en 1921, mais pour défendre le réalisme en 
				littérature. C’est en juillet qu’il publie, dans la revue 
				"Création”, justement, l’une de ses plus célèbres nouvelles : « Enivrantes nuits de printemps » (《春风沉醉的晚上》). 
				
				  
				En 1923, après quelques mois d’enseignement de l’anglais 
				dans l’Anhui, il quitte Shanghai pour Pékin où il est nommé 
				professeur de statistiques à l’université Beida, tout en 
				continuant son travail pour ‘Création’. C’est alors qu’il se lie 
				d’amitié avec 
				
				Lu Xun. 
				  
				En 1925, il est nommé à l’université de Wuchang. Il devient 
				en même temps éditeur de la revue littéraire bi-mensuelle ‘Hongshui’ 
				ou " Le déluge " (《洪水》), 
				tout en prenant ses distances de "Création".  
				  
				En 1926, il va 
				enseigner à l’université Sun Yatsen de Canton 
				(广州中山大学文学院), 
				qui est alors un repaire de révolutionnaires où sont allés 
				enseigner de nombreux membres de la société "Création", dont Guo 
				Moruo, après l’interdiction des journaux du groupe ; il est 
				bientôt rejoint par 
				Lu Xun. 
				Il publie alors deux essais théoriques importants, l’un sur le 
				roman (《小说论》, 
				l’autre sur le théâtre (《戏剧论》). 
				
				  
				
				
				Rupture 
				avec ‘Création’ et engagement politique : 1927-1933   
					
						| 
						 
						Yu Dafu et Wang Yingxia |  | 
						En 1927, peu 
						satisfait de l’atmosphère qui règne à Canton, il préfère 
						retourner à Shanghai. En janvier,
						il rencontre Wang Yingxia (王映霞) 
						avec laquelle il se fiance en juin, et se marie au début 
						de l’année suivante. 
						Cependant, pour avoir critiqué le Guomingdang avec 
						lesquels Guo Moruo et Cheng Fangwu étaient liés, il se 
						fâche avec eux et rompt avec la société "Création" en 
						août 1927. Il se rapproche alors de
						
						
						Lu Xun, et de sa 
						société ‘Yusi’, soit ‘fils de discours’, ou 
						‘bouts de conversation’ (《语丝》), 
						qui avait   |  
				été créée à Pékin trois ans 
				auparavant ; Yu Dafu collabore au journal du même nom, 
				spécialisé dans  
					
						| 
						l’essai court, 
						qui correspond à 
						ses idées esthétiques : avec pour collaborateur de 
						grands noms comme le frère de Lu Xun, Zhou Zuoren (周作人) ou Lin Yutang (林语堂), 
						le journal avait développé un style très particulier, ce 
						qu’on a appelé « le genre Yusi » ( “语丝文体”).
						   
						Lorsque Lu Xun 
						vient se réfugier à Shanghai, et qu’il devient éditeur 
						du mensuel ‘Benliu’ ou ‘Torrent’ (《奔流》), 
						Yu Dafu y collabore aussi. Puis, après l’interdiction de 
						‘Benliu’, toujours à l’instigation de Lu Xun, il 
						devient éditeur en chef du mensuel “Littérature et 
						culture du peuple” 
						(《大众文艺》), 
						lancé le 
						20 septembre 1928 par la maison d’édition shanghaienne ‘Xiandai’ 
						(ou Moderne)
						(现代出版社),
						pour 
						participer au débat d’idées sur la popularisation de la 
						culture et de la littérature, et sur la modernisation du 
						théâtre. Après la fondation de la ‘Ligue des écrivains 
						de gauche’ (中国左翼作家联盟), 
						en mars 1930, le mensuel en devient un organe de 
						diffusion, ce qui lui vaut d’être interdit par le 
						Guomingdang dès le mois de juillet suivant.  |  |   
						 
						‘Yusi’ 《语丝》 |  
				  
				En 1930, Yu Dafu écrit 
				« Fleurs d’osmanthe tardives » (《迟桂花》), 
				publiée en 1932 en même temps qu’un quasi roman, « C’est une 
				faible femme » (《她是一个弱女子》),  
				réédité en 1933 sous le titre « Pardonnez-lui » (《饶了她》). 
				C’est une œuvre de maturité venant clore un cycle créatif 
				intense de huit années qui aura vu la parution de ses plus 
				belles œuvres, essais et nouvelles. Suit une autre période de 
				huit années, où, après un bref retour au classicisme, ses écrits 
				sont essentiellement politiques.    
				Retraite à 
				Hangzhou : 1933-1938 
				
				  
					
						| 
						 
						« Fleurs d’osmanthe 
						tardives »  
						(《迟桂花》) |  | 
						
						En 1933, 
						Yu Dafu se 
						retire de la Ligue, arguant qu’ « un auteur 
						petit-bourgeois ne peut écrire de la littérature 
						prolétarienne », 
						
						et va s’installer à Hangzhou où il revient vers la 
						poésie classique et aborde un genre tout 
						nouveau chez lui : les notes de voyage (山水游记), 
						écrites également dans un style traditionnel. En même 
						temps, il participe aux activités de l’assemblée 
						provinciale du Zhejiang. Il fait aussi partie, aux côtés 
						de Lu Xun et de nombreux autres intellectuels, des 
						membres fondateurs de la Ligue chinoise des droits de 
						l’Homme, créée cette  
						année-là sous l’égide de Song 
						Qingling (宋庆龄), 
						seconde épouse de Sun Yatsen.   
						Puis, en 1936, 
						à l’invitation du président de l’assemblée provinciale 
						du Fujian, alors aux mains d’un "seigneur de la guerre", 
						il y travaille pendant deux mois, et devient éditeur du 
						journal ‘le citoyen du Fujian’ (《福建民报》). 
						La même année, il devient également éditeur de 
						l’hebdomadaire de  |  
				Lin Yutang ‘les 
				Analectes’ (《论语》), 
				journal satirique fondé en 1932 avec pour but de parler de tout 
				sauf de politique.   
				Cependant, l’engagement 
				politique de Yu Dafu croît au fur et à mesure que s’intensifie 
				la guerre contre le Japon. En 1938, il part à Wuhan, base 
				arrière de la résistance à l’envahisseur, où il entre dans les 
				services de propagande et devient directeur de l’association 
				littéraire et artistique de résistance à 
				l’ennemi. Sa création 
				purement littéraire est désormais tarie. 
				  
				4. Exil à Singapour, puis Sumatra : 1938-1945 
				  
					
						| 
						A la fin de 
						1938, il fuit à Singapour avec sa femme et son fils. 
						Jusqu’en 
						1942, il 
						travaille là comme directeur littéraire du quotidien 
						‘Sin Chew Daily’ (《星洲日报》).
						
						Pendant ces trois années,  il publie quelque quatre 
						cents articles sur des sujets d’actualité qui seront 
						publiés en 1978 à Taiwan en deux ouvrages : ‘Les essais
						au fil de la plume de Yu Dafu dans les mers du 
						sud » (《郁达夫南洋随笔》)
						
						et « Les écrits de résistance de Yu Dafu » (《郁达夫抗战文录》).
						 
						  
						Il y avait dans 
						l’île toute une communauté chinoise que vient alors 
						grossir un flot de réfugiés de Chine continentale, dont 
						de nombreux artistes, nourrissant un courant de
						littérature chinoise 
						anti-japonaise, appelée « littérature de résistance » (抗战文学), 
						dont Yu Dafu devient une figure de proue. Dans un 
						éditorial du 
						‘Sin Chew 
						Daily’, il décrit ce qui est désormais sa seule raison 
						d’écrire : |  | 
						 
						 Journal 
						de Singapour 《星洲日報》 
						 (calligraphie de Chang Kai-chek) |    
				« Cela fait 
				deux ans et six mois que la lutte pour défendre la mère patrie a 
				commencé. Nous avons atteint le stade où il nous faut mobiliser 
				toutes nos forces pour assurer la victoire finale. Il nous faut 
				développer nos capacités à nous battre aussi sur le front 
				littéraire… Il nous faut attaquer les défaitistes et les 
				collaborateurs… Il ne doit y avoir aucune division entre les 
				hommes politiques, les militaires et les intellectuels. Il nous 
				faut désormais garder cet impératif en mémoire lorsque nous 
				écrivons. »  
				En 1940, il divorce : des journaux ont publié des lettres 
				révélant que Wang Yingxia avait une liaison. Plus important, 
				cette même année, il participe à la création de la « South Sea 
				Society » de Singapour (新加坡南洋学会)qui, 
				bien sûr, édite aussitôt un journal intitulé tout simplement 
				« Journal of the South Sea Society »  (《南洋学报》), 
				nouvel organe de diffusion des écrits « de résistance ».
 
				  
				En 1942, lorsque les 
				Japonais envahissent Singapour, il fuit à Sumatra. Sous une 
				identité d’emprunt, il 
				s’installe à Sumatra 
				Ouest, dans la communauté chinoise d’outre-mer, en montant une 
				fabrique de vin avec l’aide d’un ami chinois. Il est bientôt 
				connu comme le patron Zhao Lian (赵廉), 
				un petit type avec une moustache parlant indonésien qui se marie 
				en septembre 1943 avec une jeune Chinoise de Sumatra,
				He Liyou (何丽有). 
				  
					
						| 
						 
						Edition des oeuvres en douze volumes |  | 
				Mais la police 
				militaire japonaise apprend qu’il est une des rares personnes, à 
				Sumatra, à parler japonais, et l’enrôle comme interprète et 
				traducteur à 
				Bukit 
				Tinggi, quartier 
				général de la 25ème Armée japonaise qui occupe alors 
				l’île. Cela lui sera fatal. 
				  
				Il disparaît un soir de 
				1945 pour ne plus jamais reparaître. Il est vraisemblable qu’il 
				fut arrêté par la 
				Kempeitai, la police 
				militaire japonaise, lorsque celle-ci finit par découvrir sa 
				véritable identité. Il aurait été exécuté peu de temps après la 
				capitulation japonaise. Mais le mystère demeure 
				
				et a 
				alimenté une source ininterrompue d’écrits. L’autre thèse est 
				qu’il a 
				été assassiné par des résistants de Singapour qui le prirent 
				pour un traître et un collaborateur en raison de ses activités 
				de traducteur au service de l’armée japonaise.
				 
				   
				En 1952, le 
				gouvernement chinois l’a élevé au rang de « martyr de la 
				révolution » (革命烈士).
				Son œuvre a 
				 |  
				récemment fait l’objet 
				d’une édition complète en douze volumes.
				 
				   
				  
				II. Une écriture 
				novatrice 
				  
					
						| 
						Dès son premier 
						recueil de nouvelles, en 1921, Yu Dafu fait sensation. 
						Ce sont : « Noyade » (《沉沦》), 
						« Départ au sud » (《南迁》) 
						et « Une mort gris argenté » (《银灰色的死》). 
						Elles sont porteuses de thèmes et écrites dans un style 
						qui en font des œuvres sans précédent dans la 
						littérature de fiction chinoise, et qui, en tant que 
						telles, ouvrent une voie totalement inédite. 
						  
						Thèmes 
						récurrents 
						  
						Ce sont des 
						nouvelles qui dépeignent la vie de jeunes Chinois au 
						Japon. « Départ au sud » évoque les relations sexuelles 
						entre un étudiant et une jeune fille japonaise dans un 
						environnement rural idyllique, la religion faisant ici 
						contrepoids à la sexualité. Dans « Une mort gris argenté 
						», le personnage principal apprend que son épouse vient 
						de mourir en Chine ; déprimé, il offre son 
						anneau en gage  |  | 
						 
						« Noyade » 
						(《沉沦》) |  
				pour avoir de l’argent pour 
				pouvoir aller boire ; il a fait la connaissance de la fille du 
				propriétaire d’un bar à vin où il se rend : mais, apprenant 
				qu’elle vient de se marier, il meurt dans la rue, seul. 
				 
				  
				On a là quelques uns 
				des thèmes qui vont se retrouver dans les nouvelles suivantes : 
				la solitude de jeunes étudiants, leur pauvreté et leur isolement 
				dans un pays étranger, leurs frustrations sexuelles et le 
				sentiment de culpabilité qui leur est lié, tout ceci étant en 
				grande partie autobiographique, ce qui ne pouvait qu’ajouter au 
				scandale de peintures de sentiments que les Chinois n’étaient 
				pas habitués à voir étalés aussi crûment. 
				  
				La nouvelle qui fit le 
				plus scandale fut « Noyade », et ce d’abord parce que le jeune 
				protagoniste de 
				l’histoire ressemble à 
				l’auteur en tous points, y compris son lieu de naissance. 
				Etudiant chinois au Japon, il vit dans une auberge et, victime 
				du racisme ambiant, n’a pas d’amis proches. Sa solitude est 
				soulignée dans la scène initiale où Yu Dafu lui fait lire un 
				poème de Wordsworth. Mais sa vie, en réalité, est loin de 
				connaître la paisible tranquillité que reflète le poème. Il est 
				en proie à des frustrations sexuelles si fortes qu’il se 
				masturbe toutes les nuits, et en ressent une terrible 
				culpabilité. Il finit par aller vivre dans une cabane isolée 
				hors de la ville, mais, un jour, il surprend un couple en train 
				de faire l’amour, sur quoi il revient à la ville, et se rend 
				dans un lupanar. Torturé par le remords, il part se noyer, sans 
				que l’on sache s’il va vraiment le faire ou non.  
				  
				Ses dernières paroles, 
				cependant, sont pour apostropher la Chine, lui reprochant d’être 
				responsable de sa mort, et de tant d’autres. C’est la première 
				fois dans la littérature chinoise que les frustrations sexuelles 
				adolescentes sont directement liées aux humiliations subies par 
				la Chine et à sa faiblesse.  
				  
				Controverses 
				  
					
						| 
						 
						Yu Dafu (à d.) avec Guo Moruo (au milieu) 
						a priori en 1928,  
						date de l’arrivée à Shanghai d’Edgar Snow 
						(à g.) |  | 
						Dès sa 
						publication, la nouvelle suscita des controverses 
						houleuses. Le frère de Lu Xun, Zhou Zuoren, fut son plus 
						ardent défenseur, avançant deux arguments clés pour 
						répondre aux principales critiques : d’une part, 
						l’érotisme du roman répondait à un but artistique, qui 
						était de lutter contre la morale conventionnelle, et 
						d’autre part, les théories de Freud faisaient de la 
						sexualité un important élément créatif. Quant à 
						Guo Moruo, il dira que Yu Dafu voulait dénoncer les 
						hypocrisies de la  |  
				société chinoise, la 
				répression sexuelle allant de pair chez 
				lui avec la répression sociale et économique. Yu Dafu lui-même 
				dira : " Pour me débarrasser de l'hypocrisie criminelle, il faut 
				me mettre à nu. "   
				Le débat fut ainsi 
				lancé sur ce terrain ambigu. 
				On dit du style de 
				cette nouvelle qu’il était « décadent » (颓废tuífèi), 
				parce que Yu Dafu y faisait une description complaisante d’une 
				situation pathologique qu’il ne condamnait pas,
				et 
				cela
				
				devint 
				par là même une forme artistique revendiquée 
				comme esthétisme 
				non-conformiste, lié à l’époque et à la décadence nationale. Les 
				descriptions de frustration sexuelle seraient ainsi à 
				interpréter comme des protestations contre les codes moraux 
				répressifs, frustration venant renforcer l’aliénation des 
				couches défavorisées de la population et en particulier de la 
				jeunesse. 
						  
						Dans un article 
						remarquable (3), Sebastian Veg a montré qu’il s’agit là 
						en fait d’un faux scandale, et que tous les thèmes 
						traités le sont avec ambiguïté, y compris la sexualité 
						qui n’est jamais abordée de manière franche et directe, 
						la frustration sexuelle comme une métaphore de l’impuissance 
						politique étant par ailleurs également insatisfaisante. 
						En fait, il a été maintes fois souligné que la nouvelle 
						comporte une dimension pathologique, le personnage 
						principal souffrant d’une paranoïa qui le pousse à 
						éviter de plus en plus tout contact humain, son 
						sentiment de culpabilité étant le reflet de sa quête de 
						pureté.  
						  
						Surtout, les 
						jeunes héros de Yu Dafu recherchent la liberté sexuelle, 
						mais restent prisonniers d’un schéma dualiste qui est 
						celui de la Chine ancienne, schéma dans lequel l’amour 
						se rattache à la quête 
						d’un être idéal, les désirs 
						charnels 
						étant assouvis avec 
				des prostituées. Il faut donc relativiser les aspects scandaleux 
				de ce texte. 
				  
				Ecriture 
				autobiographique 
				  
				Ce qui semble plus 
				intéressant, c’est qu’il ouvrait la porte d’une écriture 
				subjective à la première personne, une écriture autobiographique 
				en rupture totale avec le style romanesque qui avait cours 
				jusque là. Yu Dafu était un romantique, un admirateur des 
				« Rêveries d’un promeneur solitaire »  de 
				Jean-Jacques Rousseau 
				qu’il avait traduites. Un romantisme non sans ambiguïté lui 
				aussi, mais qui vaut pour la complaisance dans l’épanchement des 
				sentiments les plus personnels, composante importante de 
				l’émancipation individuelle revendiquée dans la mouvance du 4 
				mai.   
				  
				Pour cette écriture 
				novatrice à la première personne, on a souligné maintes fois que 
				Yu Dafu  s’est inspiré du « roman du moi » qui était alors en 
				vogue au Japon, ce shishôsetsu
				que tous les écrivains japonais 
				de l’époque se sont appropriés. Il l’a adapté en un style 
				personnel, la première personne intervenant dans les monologues 
				intérieurs de ses personnages, leurs journaux ou poèmes. 
				 
				
				  
				
				Si 
				l’on considère qu’une bonne partie de la littérature de fiction 
				moderne, en Chine, est une revendication de l’écriture 
				subjective à la première personne, on peut dire qu’elle a 
				commencé avec ces premières nouvelles de Yu Dafu. 
				 
				  
				* 
				On a là une écriture 
				dont les thèmes ne changeront guère. Même « C’est une faible 
				femme » (《她是一个弱女子》), 
				l’une de ses dernières nouvelles publiées, en 1932, reprend des 
				thèmes analogues 
				d’amours inabouties et 
				de sexualité frustrée, simplement c’est ici le fait de trois 
				femmes. Quant à la dernière, « Fleurs d’osmanthe tardives », 
				elle semblait annoncer une écriture plus bucolique, plus 
				apaisée, mais ce fut un chant du cygne. 
				  
				Il est une nouvelle, 
				cependant, qui représente une tendance légèrement différente, 
				bien que publiée seulement deux ans plus tard que les trois 
				premières, une nouvelle où la sexualité est contrôlée, que Yu 
				Dafu a appelée « nouvelle à couleur socialisante » : « Enivrantes 
				nuits de printemps »
				(《春风沉醉的晚上》) ; 
				c’est elle qui a 
				inspiré le film de Lou Ye présenté au festival de Cannes 
				en 2009 qui en reprend le même titre, bien que traduit 
				différemment : « Nuits d’ivresse printanière ». Il est 
				intéressant de la lire et de l’analyser, et de voir pourquoi Lou 
				Ye l’a choisie comme référence. 
				  
				  
				Notes 
				(1) Voir
				
				
				Repères historiques, 1900-1917 
				(2) Voir analyse dans 
				la deuxième partie. 
				(3) « Sexualité, 
				transgression et politique dans les premières nouvelles de Yu 
				Dafu » de Sebastian Veg (Communication lors du colloque 
				« Traduire l’amour, la passion et le sexe dans les littératures 
				d’Asie », université de Provence, Aix en Provence, 15-16 
				décembre 2006). On peut lire l’article en ligne : 
				
				
				http://publications.univ-provence.fr/lct2006/index158.html 
				On peut lire également 
				un article intéressant d’un lacanien : « La 
				transposition du corps libidinal et 
				
				
				l’émergence de la sexualité 
				dans la littérature chinoise moderne, 
				
				
				entre aliénation pathologique et idéologique » par Victor 
				Vuilleumier (Texte présenté lors du colloque « Traduire 
				l'amour, la passion, le sexe, dans les littératures d'Asie »,
				
				
				université de Provence, Aix en Provence, 15-16 décembre 2006) : 
				
				
				http://www.lacanchine.com/ChEncore_Sex-Litt.html   
 
				  
				En complément :  
				 A lire et écouter :
				
				« L’automne dans l’ancienne capitale » 
				(《故都的秋》)
 
 
 
				  
				Traductions en français :
				 
				  
				Editions Philippe Picquier 
				- « Rivière d’automne » : trois 
				nouvelles, traduction Stéphane Lévêque, septembre 2002 
				(réédition en poche, mars 2005). Présentation de l’éditeur : 
				Publié en 1932, « Une femme 
				sans importance » (autre traduction de « C’est une faible 
				femme ») prend place dans le contexte historique des seigneurs 
				de la guerre : une jeune femme insipide et vénale, découvre les 
				plaisirs saphiques dans les bras d’une bisexuelle dominatrice et 
				perverse. Econduite par son amante, elle se tourne alors vers un 
				homme sans relief qu’elle finit par épouser avant de s’en aller, 
				de liaison en liaison, jusqu’à son destin tragique. Dans « Le 
				Passé », écrit en 1927, un homme se souvient de la relation 
				masochiste qu’il a entretenue avec une femme. « Rivière 
				d’automne » met en scène des amours croisées au sein d’une 
				famille. 
				- in « Treize récits chinois, 
				1918-1949 », traduction Martine 
				Vallette-Hémery, 1991 (réédité en poche en mars 2000) : 
				« Le moine Calebasse » (1932) 
				Pour fuir 
				l’agitation politique de la ville, l’homme est parti dans le sud 
				où il veut écrire une carte impériale des Song du sud. Lorsque 
				des paysans lui parlent du moine Calebasse, il décide de le 
				rencontrer mais ce moine n’est autre qu’un de ses anciens amis 
				avec qui il était à l’étranger et qui s’était fiancé avec la 
				femme qu’il aimait ! 
				Editions Bleu de Chine 
				 
				- in « Shanghai 1920-1940, douze 
				récits », juillet 2000, deux nouvelles de Yu Dafu. 
				« Du sang et des larmes » 
				et « Un soir de griserie » qui n’est autre que… 
				« Enivrantes nuits de printemps » 
				  
 
				  
				A lire en complément : 
				
				《春风沉醉的晚上》
				« Enivrantes nuits de printemps » 
				      
				
 
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