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                  | 
				Ge Fei 
				格非 
				Présentation 
				 
				
				par Brigitte Duzan, 13 avril 2016, 
				actualisé 10 novembre 2022   
					
						| 
						
						Né en 1964, 
						professeur de littérature à l’université Qinghua à Pékin, 
						Ge Fei a été, avec 
						
						Yu Hua (余华) 
						et 
						
						Su Tong (苏童), 
						l’un des principaux écrivains dits d’avant-garde qui ont 
						émergé en Chine à la fin des années 1980.  
						
						  
						
						Comme la 
						plupart des auteurs de cette génération, il est aussi 
						d’une culture prodigieuse ; il a fait des recherches sur 
						la littérature de fiction et écrit des analyses sur les 
						œuvres de Kafka, Borges et autres 
						
						; 
						ses récits sont souvent truffés de référence à des 
						œuvres étrangères, voire à la musique classique. 
						S’il n’est plus d’avant-garde, il reste l’un des 
						écrivains chinois les plus profonds et les plus 
						fascinants aujourd’hui. 
						 
						
						  
						
						
						En 2015, sa « Trilogie du Jiangnan » (ou « Trilogie  |  | 
						
						 
						Ge Fei |  
						
						
						du Sud
						du fleuve » “江南三部曲”) 
						a été 
						
						couronnée du 9ème prix Mao Dun.
						Mais ses plus belles œuvres, les plus intéressantes d’un point 
				de vue tant stylistique que formel, restent cependant ses 
				
				nouvelles ‘moyennes’  
				
				(中篇小说).  
				   
				
				  
				
				Auteur 
				expérimental d’avant-garde à la fin des années 1980 
				 
				
				  
					
						| 
						
						 
						Le pendule de Kafka (édition 2004) |  | 
						
						De son vrai nom 
						Liu Yong (刘勇), 
						Ge Fei (格非) 
						est né en août 1964 à Dantu (丹徒), 
						dans le Jiangsu. En 1981 il est admis en classe de 
						littérature chinoise à l’Université normale de la Chine 
						de l’Est, à Shanghai (上海华东师范大学), 
						et il obtient son diplôme quatre ans plus tard, en 1985. 
						Il reste à l’université pour y enseigner comme 
						assistant, puis chargé de cours, et enfin professeur en 
						1998. En 2000 il obtient son doctorat de littérature 
						chinoise, et il est transféré à l’université Qinghua (清华大学), 
						à Pékin.    |  
				
				  
				
				1986-1988 : Trois 
				premières nouvelles 
				
				  
				
				Il commence à écrire 
				dans la turbulence littéraire et artistique du milieu des années 
				1980 et publie une première nouvelle en 1986 – « A la mémoire de 
				monsieur Wu You » (《追忆乌攸先生》) 
				– qui annonce sa thématique fondamentale à venir : les relations 
				profondes entre vie, mémoire et écriture. La plupart de ses 
				récits seront une tentative de reconstitution du passé, dans une 
				lutte contre l’oubli qui est aussi lutte contre le temps, 
				tentative menée très souvent par le biais d’un narrateur, et le 
				plus souvent à la première personne. Mais ce n’est plus le 
				narrateur traditionnel, omniprésent ; le regard se fait 
				multiple, la perception du passé toujours incomplète, floue et 
				fragmentaire, comme la mémoire en réalité. 
				
				  
					
						| 
						L’univers que 
						construit Ge Fei à ce premier stade est un monde 
						onirique et étrange, entre rêve et réalité, souvenirs et 
						présent.  
						
						Il décrit ainsi 
						sa découverte de l’importance de la mémoire dans l’essai 
						« Fiction et mémoire » (《小说与记忆》), 
						publié dans la première partie du recueil « Le chant des 
						sirènes » : 
						
						
						  
						
						
						« 
						
						Je ressentais 
						avec joie que, avant la nouvelle « A la mémoire de 
						monsieur Wu You », ma mémoire était endormie, plongée 
						dans des ténèbres, mais que, à présent, elle 
						s’éveillait, que des pans de souvenirs surgissaient 
						soudain comme des rêves oubliés depuis longtemps, me 
						faisant ressentir leur mystère, leur richesse et leur 
						profondeur illimitée. Quant à la langue qui se frayait 
						un chemin dans ces vastes ténèbres pour explorer les 
						confins de la mémoire, elle balisait comme de bornes 
						cette contrée intérieure ouverte sur l’infini. » |  | 
						
						 
						Le chant des sirènes (2001) |  
				
				  
					
						| 
						
						Ge Fei poursuit 
						cette expérience avec deux nouvelles ‘moyennes’ publiées 
						en 1987 et 1988 : « 
						La barque égarée» (《迷舟》) et « Nuée 
						d'oiseaux bruns » (《褐色鸟群》). 
						La première, inspirée du style de Borges, le rend 
						célèbre comme auteur de textes expérimentaux de 
						métafiction, et la seconde est généralement considérée 
						comme l’une des nouvelles les plus complexes de la fin 
						des années 1980.  
						
						  
						
						
						
						1988 aussi : Vert jaune 
						
						  
						
						Initialement 
						publiée dans la revue Shouhuo (收获) 
						en 1988, la nouvelle « Vert Jaune » (《青黄》) 
						est une histoire déconstruite, dont le fil narratif est 
						une fausse enquête, qui pourrait être résumée comme la 
						recherche de la signification exacte de ce terme de 
						« vert jaune » qu’un professeur a mentionné dans un de 
						ses  |  | 
						
						 
						Nuée d’oiseaux bruns (édition 1989) |  
						
						ouvrages. Pour tenter de résoudre 
				l’énigme, un jeune chercheur va enquêter dans un village, sur 
				neuf familles de pêcheurs… 
				  
					
						| 
						
						 
						Vert jaune (édition 2001) |  | 
						
						C’est 
						évidemment un prétexte à une tentative de reconstruction 
						du passé, œuvre d’imagination, mais à partir d’un fait 
						réel, décrit dans un article d’une revue… Un peu comme 
						dans « Sifflement », on est à la croisée des chemins de 
						l’histoire passée et de la réalité présente, avec 
						impossibilité de reconstitution exacte de la première, 
						ce qui laisse la seconde aussi dans le flou. A la fin, 
						on ne sait toujours pas ce que recouvre précisément ce 
						terme de « vert jaune ». Le réel est aussi mouvant que 
						l’eau, et la mémoire réduite à des fragments épars tout 
						au fond. 
						
						  
						
						Dans ces récits 
						désormais classiques, Ge Fei suit un lent processus 
						d’extension du présent vers le passé, et c’est ce passé, 
						reconstruit à travers des éclairs de conscience 
						fragmentaires, qui permet au sujet/narrateur de se 
						reconstruire lui-même. Dans la préface à « La barque 
						égarée », Ge Fei évoque un espace imaginaire  
						 |  
						
						qu’il tente d’atteindre par la perception de 
				« l’ineffable » que recèlent la réalité et la mémoire.  
						 
				  
				
				Avec ces premiers 
				récits, Ge Fei s’inscrit dans le 
				
				mouvement 
				d’avant-garde littéraire
				(先锋文学) 
				qui fait suite, dans la seconde moitié des années 1980, au 
				courant dit de recherche des 
				racines (寻根文学) 
				et s’en distingue fondamentalement par son caractère 
				expérimental.
				 
				
				  
				
				Ce style avant-gardiste 
				atteint son apogée avec la nouvelle publiée en 1991 : 
				« Sifflement » (《唿哨》). C’est un récit construit sur la notion de vide, de silence, et de jeu 
				extrêmement subtil sur la mémoire ambiguë et incertaine du 
				passé, ce qui rend sa relecture toujours possible, et toujours 
				possible, donc, une autre narration. La nouvelle mérite quelques 
				explications car, non traduite en français, on en parle peu et 
				elle est pourtant représentative. 
				
				  
				
				1991 : Sifflement 
				
				  
					
						| 
						
						« Sifflement » 
						est un récit d’autant plus complexe et ésotérique qu’il 
						faut connaître l’histoire dont il est inspiré pour 
						pouvoir le comprendre et l’apprécier. Il s’agit en effet 
						d’une reconstruction typiquement avant-gardiste, avec 
						différent niveaux de lecture, d’une anecdote historique 
						concernant deux célèbres taoïstes de la dynastie Wei-Jin 
						(220-420).  
						
						  
						
						Il s’agit de 
						deux des célèbres « Sept Sages de la forêt de bambous » 
						(竹林七贤) :
						Sun Deng (孙登) 
						et Ruan Ji (阮籍). 
						Ruan Ji rend visite à l’ermite Sun Deng pour tenter 
						d’avoir une discussion avec lui. Mais, en dépit de tous 
						ses efforts, Sun Deng reste silencieux. Alors Ruan Ji 
						émet un long sifflement et repart. Arrivé à mi-pente, 
						dans la montagne, il entend l’écho d’un sifflement qui 
						lui parvient : c’est la réponse de Sun Deng. 
						   
						
						
						
						Le silence, déjà, est un signe de refus d’engagement. 
						 |  | 
						
						 
						Sifflement (1992) |  
						
						
						
						Mais le
				sifflement a un sens particulier dans le contexte de l’époque : 
				c’est ce qu’on a appelé le « long sifflement » (chángxiào 长啸), 
				traduit aussi « sifflement transcendent ». Il s’agit au départ – 
				dès le Shijing ou Classique de la poésie - d’une 
				technique grâce à laquelle un maître taoïste pouvait s’adresser 
				aux animaux, communiquer avec les esprits et agir sur les 
				phénomènes météorologiques ; elle a ensuite été associée à la 
				maîtrise du souffle et du qi.   
				
				
				
				  
				
				C’est la période de la 
				dynastie des Jin, et au-delà des Six dynasties (de 220 à 589), 
				période d’instabilité et de division, qui est l’âge d’or de ce 
				sifflement. La pratique s’est étendue à toute la société pour 
				exprimer un sentiment de liberté sans frein ou une attitude 
				d’indignation, voire de désobéissance vis-à-vis des autorités. 
				C’est le sens du sifflement de Sun Deng, qui évoque le principe 
				de tout sage : « En période de désordre, on ne sert pas (le 
				pouvoir) » (luanshi bushi 乱世不侍).
				 
				
				  
				
				Or Ge Fei inverse 
				l’histoire. Son récit commence alors que Sun Deng attend Ruan Ji 
				qui n’arrive pas, et il se termine sur un Sun Deng qui ne 
				parvient pas à émettre un sifflement en réponse à celui de Ruan 
				Ji : Ge Fei le décrit portant son pouce et son index à la 
				bouche, mais il est trop faible, il est pris de tremblement, 
				aucun son ne sort… Ce n’est donc même plus le sifflement, mais, 
				ironiquement, le silence même qui figure ici comme allégorie 
				politique.  
				
				  
				
				Ge Fei se situe au-delà 
				de la narration d’un épisode historique, car non seulement il le 
				pervertit, mais en outre, il en comble les vides en recréant ce 
				que la mémoire historique a oublié, ou effacé : ce qui s’est 
				passé entre l’arrivée de Ruan Ji et son départ. Ge Fei est parti 
				d’un vide narratif appelant au travail de mémoire, mais les 
				petits détails du quotidien qui viennent le combler n’ont ni 
				sens ni importance, ils sont vite oubliés. Reste un sifflement 
				qui, finalement, ne vient pas, mais qui, par son absence même, a 
				un sens, donc est retenu par la mémoire. 
				
				  
					
						| 
						
						Et ce sens est 
						politiquement subversif. Ce n’est pas pour rien que la 
						nouvelle a été initialement publiée à Hong Kong, après 
						les événements de la place Tian’anmen… « Sifflement » 
						est un chef d’œuvre de sens à peine audible, non sifflé, 
						mais susurré.  
						
						  
						
						1994 : 
						Impressions à la saison des pluies   
						
						« Sifflement » 
						s’insère entre deux romans, « L’ennemi » (《 敌人》) et « Marges » (《边缘》), 
						mais Ge Fei revient aussitôt après vers la nouvelle 
						‘moyenne’ pour une autre de ses plus réussies, et l’une 
						de ses plus connues : « Impressions à la saison des 
						pluies » (《雨季的感觉》), 
						publiée en 1994.  
						
						  
						
						La saison en 
						question, c’est celle de la pluie des prunes (printemps 
						ou début de l’été) dans le Jiangnan, c’est-à-dire le 
						pays au sud du fleuve, le Yangzi. La pluie est 
						 |  | 
						
						 
						Marges (1993) |  
						
						incessante, noie tout, les esprits 
				comme le paysage, et semble diluer les souvenirs autant que la 
				perception de la réalité.  
				
				  
					
						| 
						
						 
						L’arbre et la pierre (1996) |  | 
						
						Le récit est 
						une suite d’événements incohérents, sans lien apparent, 
						et l’intrigue n’est peut-être fondée que sur des 
						rumeurs, le rêve ou quelque jeu de l’imagination en 
						résultant : les Japonais 
						auraient bombardé une ville voisine, un détective privé 
						arrive au bourg sans que personne ne sache pourquoi…  il 
						y a quelque chose de l’absurde de
						
						
						Can Xue (残雪) 
						dans tout cela, mais c’est juste parce que tout le monde 
						a ses obsessions, ses troubles de mémoire, et que la 
						réalité, comme le temps, en finit par être 
						insaisissable, et d’abord par l’auteur/narrateur. 
						
						 
						
						
						  
						
						
						Et puis, à la toute fin, Ge Fei donne une clef de 
						lecture, qui n’est pas vraiment une solution, juste une 
						accalmie dans la pluie, un soudain rayon de soleil qui 
						vient éclairer le paysage, mais qui est tout aussi 
						trompeur, sans doute. 
						On se dit que 
						cette vision floue, ambiguë,  |  
						
						un rien angoissante, des choses, dans 
						l’œuvre de Ge Fei, est peut-être due à cela, tout simplement : à ce 
				paysage imbibé d’eau qui est celui de chez lui, et qui est aussi 
				celui des shanshui de la peinture traditionnelle, avec 
				leur vide essentiel.  
				
				  
					
						| 
				
				Ce style original, 
				souvent difficile d’accès, ces narrations sans fil logique, si 
				elles ont suscité les éloges des critiques, n’ont pas attiré un 
				large public. Alors, au milieu des années 1990, Ge Fei a opté 
				pour un style narratif plus accessible.  
				
				  
				
				De 
				l’expérimentation à la réflexion sur la réalité et la mémoire 
				
				  
				
				1996 : 
				récapitulation et fin de l’expérimentation 
						  
						
						Il fait d’abord 
						la somme de ses recherches sur l’art narratif, en 
						publiant un recueil de textes qui sont en fait ses cours 
						à l’université de la Chine de l’Est. Puis il fait comme 
						une récapitulation, avec la publication de deux recueils 
						qui reprennent ses meilleurs nouvelles courtes et 
						moyennes des dix années écoulées. C’est la fin de sa 
						période expérimentale. Il s’est forgé un style. Il va 
						désormais le décliner sous diverses facettes.   
						
						C’est par un 
						roman que s’annonce une nouvelle période créatrice : 
						« La bannière du désir » (《欲望的旗帜》), publié en 1996, est sensé marquer l’abandon des expériences radicales 
						de ses dix premières années de création en matière de 
						structure narrative. Mais, s’ils sont moins déroutants, 
						ses récits continuent de dépeindre une certaine 
						désintégration de la réalité dans l’esprit qui tente d’y 
						trouver une logique, et d’en rechercher la cause dans 
						celle de la mémoire individuelle.   
						
						La réalité est 
						fragmentaire et lacunaire comme le souvenir qu’on en 
						garde. L’œuvre de Ge Fei conserve une grande unité 
						thématique, fondée sur le rejet de la narration 
						classique. 
						
						  
						
						2001 : 
						Poèmes à l’idiot |  | 
						
						 
						La bannière du désir (1996)   
						
						 
						Une fille au teint de pêche (2004) |    
					
						| 
						
						La nouvelle 
						« Poèmes à l’idiot » (《傻瓜的诗篇》) 
						se passe dans un asile psychiatrique où vient d’arriver 
						un nouveau psychiatre ; il tombe amoureux d’une jeune 
						patiente qui écrit des poèmes « à l’idiot ». Mais le 
						jeune médecin est un être torturé, qui n’aime pas son 
						métier, et analyse ses rêves, traversés
						par de 
						douloureux souvenirs d’enfance, comme sa patiente : tous 
						deux croient être responsables de la mort de leur père 
						quand ils étaient enfants...     
						
						
						Tous deux sont donc hantés par leur mémoire, et le rêve 
						fait son office d’inconscient refoulé, la référence à 
						Freud est évidente. 
						A la fin, 
						l’étudiante sort guérie, tandis que le jeune médecin 
						attend son premier électrochoc… Le récit est construit 
						sur des leitmotivs comme des obsessions :
						petite 
						musique d’harmonium lancinante, et le bruit de la pluie, 
						ici aussi…  
						
						  
						
						2004-2011 : 
						la trilogie de l’utopie |  | 
						
						 
						Fleuves et montagnes vus en rêve (2007) |    
					
						| 
						
						 
						Fin de printemps dans le Sud (2011) |  | 
						
						Publié en 2004 
						et couronné en 2005 du prix Ding Jun (鼎钧文学奖), 
						« Une jeune fille au teint de pêche » (《人面桃花》) 
						est un roman conçu autour de l’idée d’utopie ; c’est le 
						premier volet d’une trilogie, celle du Jiangnan, appelée 
						aussi, justement, « trilogie de l’utopie » ("乌托邦三部曲"), 
						qui se poursuit avec « Montagnes et fleuves en rêve » (《山河入梦》) 
						et « Fin de printemps au sud du fleuve » (《春尽江南》), 
						publiés respectivement en 2007 et 2011.   
						
						Ces romans 
						plongent dans des réminiscences littéraires et 
						historiques qui les rattachent, en ce sens, à la 
						nouvelle « Sifflement ». A travers l’histoire de deux 
						personnages, la jeune révolutionnaire Xiumi (秀米) 
						dans le premier roman et son fils Tan Gongda (谭功达) 
						ensuite, de la fin de la dynastie des Qing à la période 
						moderne, Ge Fei analyse la notion d’utopie en termes 
						d’idéalisme politique, en liaison avec la question de 
						 |  
					
						| 
						
						modernité ; il réfléchit sur les excès constatés 
						dans sa version chinoise, au niveau du village, en 
						soulignant, selon les 
						termes de Zhang Yinde, « la connivence désastreuse et 
						pernicieuse entre l’idéologie socialiste et le projet de 
						modernisation ». Surtout, il cherche à déceler le 
						moment, le point fatidique, où l’utopie a dégénéré, et 
						s’est transformée en son contraire.   
						
						Finalement, il 
						reconstruit une utopie sur la mort du collectif 
						unitaire, et sur la base d’un humanisme fondé sur la 
						division sociale, et l’élan individuel. La trilogie 
						apparaît ainsi comme une tentative de réconcilier 
						l’utopie et la désillusion qui en résulte en réservant 
						une part irrécusable d’espérance.
						 
						
						  
						
						Ce thème de 
						réflexion est cependant enrobé dans une narration plus 
						traditionnelle que celles des nouvelles de Ge Fei, dans 
						un style rappelant celui des grandes sagas familiales de 
						la littérature chinoise classique. 
						 |  |   
						
						 
						Marges (Bianyuan 2013) |  
						
						C’est une histoire pleine de rebondissements, non 
				plus comme un puzzle, mais plutôt comme un labyrinthe, avec 
				divers niveaux narratifs et récits en culs-de-sac. 
				  
				
				Retour aux nouvelles 
				et essais 
				
				  
					
						| 
						
						 
						Les habits de l’homme invisible (2012)   
						
						 
						Rencontres (2014) |  | 
						
						En 2012, Ge Fei 
						a publié un nouveau roman, « Les habits de l’homme 
						invisible » (《隐身衣》), 
						nouvelle application de ce style labyrinthique qui noue, 
						en l’occurrence, les destins de plusieurs personnages, 
						en débouchant sur une énigme finale qui finit 
						d’embrouiller les pistes en terminant sur un point 
						d’interrogation. Depuis son premier roman, « L’ennemi », 
						en 1990, construit à partir d’un mystérieux incendie 
						ayant causé la mort d’un non moins mystérieux 
						personnage, Ge Fei n’en finit pas de nous proposer des 
						énigmes sans solution.  
						
						  
						
						Ici, cependant, 
						il y joint des traits de satire sociale. L’histoire 
						étant celle d’un spécialiste de systèmes hi-fi 
						sophistiqués, Ge Fei y fait preuve au passage d’une 
						étonnante érudition en matière de musique occidentale 
						classique, mais c’est ironique. Il se moque en fait des 
						bobos chinois prêts à dépenser des fortunes sur des 
						systèmes acoustiques dont ils ne sont pas capables 
						d’apprécier les qualités, les utilisant au besoin pour 
						écouter de la musique pop. A côté des nouveaux riches, 
						les vrais connaisseurs triment pour joindre les deux 
						bouts.    
						
						Comme l’ont 
						souligné certains critiques, 
						le roman est léger, il est vrai, mais divertissant, 
						comme inéluctablement gagné par l’air du temps.  Le 
						plaisir est d’y retrouver les ingrédients qui font 
						depuis trente ans la subtilité des récits de Ge Fei, 
						subtilité dans l’inaboutissement : il laisse un vide au 
						lecteur pour lui laisser tout loisir de le combler. 
						
						  
						
						Ce roman semble 
						en fait un scénario en attente d’un réalisateur. Il 
						rappelle que Ge Fei a été scénariste à son heure, auteur 
						du scénario du très beau film, encore  |  
						
						trop peu connu, de Lu Sheng (卢晟) 
						« Ici, là-bas » (《这里,那里》). 
				
						   
				2016 : nouveau roman 
				  
					
						| 
						Publié en juin 2016, « En regardant 
						la brise printanière »  (《望春风》) est le premier roman de 
						Ge Fei publié après le prix Mao Dun, couvrant cinquante 
						ans d’histoire de la Chine rurale, de 1958 à 2007. La 
						campagne restant une source spirituelle pour tout 
						Chinois, Ge Fei a opéré un retour aux sources. Le sujet 
						est toujours celui de la « trilogie de Jiangnan », mais 
						d’une manière différente, dans une optique plus proche 
						des détails de la vie quotidienne. L’histoire se passe 
						en effet dans un village pittoresque du sud du Yangtze 
						dont le roman dépeint l’évolution au fil du temps 
						pendant le demi-siècle considéré. C’est une façon de 
						dire adieu à la ruralité en train de disparaître. 
						  
						Au-delà du roman 
						 
						  
						2021 : analyse littéraire 
						  |  | 
						 
						En regardant la brise 
						printanière |  
					
						| 
						En octobre 2021 est paru un recueil 
						d’analyses et de réflexion sur la littérature : « Aux 
						frontières de la civilisation » (《文明的边界》). 
						C’est une synthèse des cours de littérature donnés par 
						Ge Fei pendant trois ans, de 2018 à 2020, dans le cadre 
						du cursus de « Recherche sur l’art narratif » (“小说叙事研究”) 
						dans le département de chinois de l’université Qinghua. 
						L’ouvrage a été réalisé à partir des enregistrements et 
						des notes du cours.   
						Ge Fei a choisi trois œuvres majeures 
						de la période contemporaine (dans leurs traductions en 
						chinois) : 
						-    
						« L’homme sans qualités » (《没有个性的人》), 
						roman inachevé de l’Autrichien Robert Musil dont le 
						premier tome et le début du deuxième sont parus en 1930 
						et 1932 : l’un des romans fondateurs du XXe siècle selon 
						Thomas Mann, pour son « aspiration à redéfinir une 
						culture et une spiritualité sur les ruines du passé ». |  | 
						 
						Aux frontières de la 
						civilisation |  
				-    
				« Errances dans la nuit » (《暗夜行路》), 
				roman unique du romancier japonais Shiga Naoya, un contemporain 
				de Tanizaki, mais plus proche de Sôseki : écrit en 1921, c’est 
				une littérature du « je » encore nimbée de naturalisme. 
				 
				-    
				« Moby-Dick » (《白鲸》), 
				de Herman Melville (1819-1891), paru en 1851. 
				  
				Partant de l’idée que toutes les grandes 
				œuvres littéraires depuis le 19e siècle offrent des 
				réflexions sur la civilisation moderne, Ge Fei analyse les trois 
				romans sélectionnés sous l’angle des problèmes qui reviennent 
				comme des leitmotivs dans ses propres romans, et ce faisant les 
				éclairant : ceux posés par le déclin de la civilisation rurale 
				et l’essor de l’urbanisation.   
   
				
				Principales 
				publications 
				  
				
				(pour les nouvelles des 
				années 1980, voir 
				
				Ge Fei : les nouvelles moyennes)   
					
						| 
						
						1990 L’ennemi《 敌人》 
						
						(premier roman, initialement 
						          publié dans Shouhuo) 
						
						1991 Sifflement
						《唿哨》 
						
						1993 Marges《边缘》 
						
						(deuxième roman) 
						
						1994 
						Impressions à la saison des pluies 
						《雨季的感 
						
						         
						
						觉》 
						 
						
						1995 Etudes sur 
						divers aspects de l’art narratif 
						《小说 
						          
						
						艺术面面观》 
						(cours) 
						
						1996 Recueil de 
						textes choisis 格非文集: 
						
						          1.L’arbre 
						et la pierre 《树与石》 
						          2.Vision 
						lointaine《眺望》 
						
						1996 La 
						bannière du désir《欲望的旗帜》 
						 
						
						2001 Le chant 
						des sirènes 《塞壬的歌声》(essais) 
						
						2001 Poèmes à 
						l’idiot 《傻瓜的诗篇》 
						
						2004 Bien plus 
						sont morts d’un infarctus《更多的人死于 
						         
						
						心碎》 
						
						2004 Le pendule 
						de Kafka 《卡夫卡的钟摆》 
						(essais) 
						
						2004 Une jeune 
						fille au teint de pêche 
						《人面桃花》 |  | 
						
						 
						Le visage de Borges (2014) |  
						
						2007 Une 
						bague-fleur 《戒指花》 
						
						(sélection de nouvelle courtes) 
				
				         Rien que des ordures
				
				《不过是垃圾》 
				(sélection de 
				nouvelles moyennes) 
				
				2007 Fleuves et 
				montagnes vus en rêve 《山河入梦》 
				
				2010 Le sourire de Mona 
				Lisa 《蒙娜丽莎的微笑》 
				
				2011 Fin de printemps 
				au sud du fleuve 《春尽江南》 
				
				2012 Les habits de 
				l’homme invisible《隐身衣》 
				
				2013 Marges 
				《边缘》 
				
				2014 Rencontres 
				《相遇》 
				(sélection de 12 
				nouvelles des 20 dernières années) 
				
				2014 Le visage de 
				Borges 《博尔赫斯的面孔》 
				(recueil d’essais) 
				2016 En regardant la brise printanière 《望春风》2021 Aux frontières de la civilisation 《文明的边界》
 
				
				  
 
				
				  
				
				Traductions en 
				français  
				
				  
				
				• Nuée d’oiseaux bruns, 
				trad. Chantal Chen-Andro, Philippe Picquier, 1996.   
				
				• Impressions à la 
				saison des pluies, trad. 
				
				Xiaomin Giafferri-Huang, l’Aube, 2003.  
				
				• Poèmes à l’idiot, 
				trad. 
				
				Xiaomin Giafferri-Huang, l’Aube, 2007.   
				
				• Coquillages, trad. 
				
				Xiaomin Giafferri-Huang, l’Aube, 2008. 
				
				• Une jeune fille au 
				teint de pêche, trad. 
				Li 
				Bourrit et Bernard Bourrit, 
				Gallimard Bleu de 
				Chine, 2012. 
				
				• Ondes de Chine, trad. 
				François Sastourné, Ming Books, 2015. 
				
				  
 
				
				  
				
				Traductions en 
				anglais 
				
				  
				
				• The Lost Boat, 
				tr. Caroline Mason. In Henry Zhao (ed.), The Lost Boat: 
				Avant-Garde Fiction from China. London: Wellsweep Press, avril 
				1992, 77–100. 
				
				 • Whistling, tr. 
				Victor Mair + Green Yellow, tr. Eva Shan Chou + Remembering Mr. 
				Wu You, tr. Howard Goldblatt. In Wang Jing (ed.), China’s 
				Avant-Garde Fiction. Durham: Duke University Press, 1998, 
				15–68.  
				
				• Meetings, tr. 
				Deborah Mills. In Henry Zhao and John Cayley, eds., Abandoned 
				Wine: Chinese Writing from Today, 2. London: Wellsweep, 1996, 
				15-49.  
				
				• The Mystified 
				Boat, tr. Herbert Batt. In Frank Stewart and Herbert J. Batt, 
				ed. The Mystified Boat and Other New Stories from China. Special 
				issue of Manoa: A Pacific Journal of International Writing 15, 2 
				(Winter 2003). Honolulu: University of Hawaii Press, 142-61.
				 
				
				• Remembering Mr. 
				Wu You, tr. Howard Goldblatt. In Chairman Mao Would not be 
				Amused: Fiction from Today's China, Goldblatt, ed. New York: 
				Grove Press, 1995. 236-243. 
				
				• The Invisibility Cloak, tr. 
				Canaan Morse, New York Review Books Classics, Oct. 2016. 
				  
 
				  
				
				A lire en 
				complément : 
				
				  
				
				- Les nouvelles 
				moyennes (1986-2000) 
				
				- le roman "Une 
				jeune fille au teint de pêche" 《人面桃花》 
				  
				
				En ligne : 
				
				 
				
				Dans : Wang Jing, 
				High Culture Fever, Politics, Aesthetics, and Ideology in Deng's 
				China, University of California Press, 1996  
				
				Chapitre.6 : The 
				Pseudo-proposition of "Chinese Postmodernism" : Ge Fei and the 
				Experimentalist Showcase. 
				
				pp 233-259 
				
				
				
				http://publishing.cdlib.org/ucpressebooks/view?docId=ft0489n683;brand=ucpress 
				  
				
				Dans le n° 72 (2011/2) 
				de la revue Rue Descartes :  
				
				Utopie et anti-utopie : 
				le cas de Ge Fei, par Zhang Yinde, pp. 69-80. 
				
				Une analyse des deux 
				premiers tomes de la « trilogie de l’utopie » ("乌托邦三部曲") :
				Un Visage, un pêcher en fleur, tr. en français « Une 
				jeune fille au teint de pêche » (《人面桃花》), 
				publié en 2004 - En rêve, monts et rivières
				(《山河入梦》) 
				publié en 2007. 
				
				
				
				https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2011-2-page-69.htm#no1 
				
				  
				
				La critique de “The 
				Invisibility Cloak » par Lucas Klein, The Quaterly Conversation issue 46, Dec. 12, 2016.
 http://quarterlyconversation.com/the-invisibility-cloak-by-ge-fei
     
					
 
						 
						 
						
						
						
						 
						Sur ce sujet, voir l’analyse du professeur Zhang Yinde : Utopie et anti-utopie, le cas de Ge Fei, Rue Descartes, 2011/2 (n° 72). 
						L’article a été écrit avant la publication du troisième 
						tome de la trilogie, donc l’analyse concerne les deux 
						premiers volumes (l’histoire de Xiumi et celle de Tan 
						Gonda de 1952 à 1962) :
						
						http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RDES_072_0069 
						 
						 
						
						
						
						 Titre 
						emprunté au 10ème roman de Saul Bellow, 
						publié en 1987, qui sert de référence thématique et 
						stylistique : « More Die of Heartbreak ». Le recueil est 
						sous-titré « Une sélection de mes histoires d’amour 
						tragiques préférées » 
						
						《我最喜爱的悲情小说》 | 
                  
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