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Tie Ning 铁凝

Présentation
par Brigitte Duzan, 29 mai 2012

       

Réélue en novembre 2011, Tie Ning (铁凝) est depuis 2006 la présidente de l’Association des écrivains de Chine. Elle a été la première femme à accéder à cette fonction, à l’âge de quarante neuf ans.

     

Elle était non seulement la première femme, mais aussi la plus jeune élue à la présidence de cette association. C’était un immense honneur, qui la plaçait à un rang comparable à Mao Dun et Ba Jin, ses prédécesseurs. Mais c’était aussi une lourde charge à laquelle elle a sacrifié son œuvre littéraire. On ne peut pas dire qu’elle n’écrit plus, comme on le dit souvent, mais il est vrai que l’essentiel de son œuvre de fiction date d’avant 2006. Heureusement, elle avait commencé à écrire jeune…

    

Ecrivain précoce

 

Tie Ning en 2006

    

Tie Ning est née en 1957 à Pékin, dans une famille originaire de Zhaoxian (赵县), dans la province du Hebei. Ses parents étaient tous deux des artistes : son père est Tie Yang (铁扬), peintre connu pour ses aquarelles et des peintures à l’huile où se reflète l’influence de Cézanne, mais aussi diplômé de

l’Institut national d’art dramatique (中央戏剧学院) ; sa mère était professeur de musique, diplômée du conservatoire de Tianjin.

      

Première nouvelle à la fin du lycée

       

Un paysage de Tie Yang

 

En 1961, quand Tie Ning a quatre ans, ils reviennent dans le Hebei, à Baoding (保定) ;

c’est là qu’elle fait toute sa scolarité, perturbée par la Révolution culturelle. A l’issue de ses études secondaires, en 1975, elle est envoyée travailler à la campagne (1) dans le cadre du mouvement des Jeunes instruits, mais toujours dans le Hebei, dans une ferme au sud de Baoding, à Boye (博野县).

      

Elle a dix-huit ans et a déjà commencé à écrire : elle vient de publier sa première nouvelle, « La faucille volante » (《会飞的镰刀》), dans la Revue des lettres et des arts de Baoding

 (《保定文艺》). Elle continue à écrire tout en travaillant à la ferme. Elle publie quelques nouvelles : « Nuit » (《夜晚》), « Funérailles » (《丧事》), « Un cadeau non désiré » (《不受欢迎的礼物》)

     

En 1979, elle est affectée, comme assistante de rédaction pour la rubrique littéraire, à la revue La Montagne fleurie (《花山》), publication de la Fédération des lettres de Baoding (保定文联). Pendant

l’hiver, elle participe au Congrès de la littérature pour enfants.

     

En 1980, elle participe à l’atelier littéraire organisé par la province du Hebei, puis publie la nouvelle « Histoire de fourneau » (《灶火的故事》) dans le supplément littéraire du quotidien de Tianjin. Son premier recueil de nouvelles sort cette année-là.

     

Premier succès à vingt-cinq ans

      

En 1982, la nouvelle « Ah, Neige parfumée » (《哦,香雪》) fait sensation : elle est couronnée du Prix des meilleures nouvelles de Chine pour 1982 (全国优秀短篇小说奖). Elle est en général considérée, dans les biographies de Tie Ning, comme le point de départ de son œuvre.

      

Neige parfumée (香雪) est le nom d’une jeune fille d’un village reculé où le passage du train en provenance de la capitale est l’événement de la journée. Les petites villageoises, parées de leurs plus beaux atours, y découvrent des nouveautés formidables et échangent œufs et jujubes contre des menues choses introuvables au village : boites d’allumettes, spaghettis, épingles à cheveux, voire, luxe suprême, des bas de nylon. Montée dans un wagon, Neige parfumée y découvre un jour un plumier extraordinaire, avec une fermeture aimantée, et réussit à l’échanger pour son panier d’œufs, laissé à une étudiante pékinoise qui n’en a que faire et lui aurait volontiers fait

 

Ah Neige Parfumée

cadeau d’un objet pour elle sans grande valeur… Descendue à l’arrêt suivant, Neige parfumée doit ensuite faire trente lis à pied dans la nuit pour rentrer au village avec son trésor.

      

Cette nouvelle est un parfait exemple du style et de la thématique de Tie Ning à ses débuts, dans les années 1980 : empreint d’un sentiment très profond pour la vie rurale né de son expérience personnelle, ce récit décrit avec une émotion discrète la simplicité naïve de jeunes villageoises rattachées au monde extérieur par le frêle cordon ombilical des rails du train, et émerveillées par « l’accent de Pékin » et les gadgets de la capitale considérés comme trésors quasiment magiques.

     

Le style est d’un réalisme teinté de poésie, loin de la littérature engagée, au même moment, d’un écrivain comme Bai Hua (白桦), par exemple (2). Tie Ning va, de là, évoluer vers un réalisme plus tranché, décrivant le sort malheureux des femmes dans la société chinoise, mais sans jamais tomber dans la critique,et encore moins la dénonciation : elle a une position de plus en plus officielle et ses nouvelles font l’objet d’adaptations cinématographiques et télévisées qui les rendent encore plus populaires.

     

Années 1980 : Popularité croissante et position de plus en plus officielle

     

Peintre du monde féminin rural

    

Le chemisier rouge déboutonné

 

En 1983 paraît dans la revue Octobre (《十月》) sa première longue nouvelle (中篇小说) : « Le chemisier rouge déboutonné » (《没有纽扣的红衬衫》). Nommée en 1985 dans la liste des meilleures nouvelles de l’année, elle est, cette même année, adaptée au cinéma par une réalisatrice dont la carrière n’a malheureusement été au-delà de 1989,

Lu Xiaoya (陆小雅) : le film sera couronné des prix

du Coq d’or et des Cent fleurs (3).

      

En 1984, la nouvelle « Sujet de conversation de juin » (《六月的话题》), publiée dans La montagne fleurie (《花山》), est adaptée à la télévision. Cette année-là, Tie Ning est élue vice-présidente de la Fédération des lettres du Hebei (河北省文联副主席).

    

Début 1985, lors du quatrième Congrès de l’Association des écrivains de Chine, elle est élue membre du conseil de

La meule de paille de blé

 

l’association. En mai, elle fait partie de la délégation

d’écrivains chinois envoyée aux Etats-Unis pour participer à un colloque littéraire à l’université Columbia.

    

En 1986, une autre longue nouvelle est publiée dans la revue littéraire Shouhuo (《收获》) : « La meule de paille de blé » (《麦秸垛》). C’est encore une histoire de femmes, et toujours à la campagne. La nature y est dépeinte sur un ton qui reste idyllique ; mais c’est aussi une description de mœurs paysannes qui n’évoluent pas, où les femmes sont toujours assujetties aux mêmes contraintes sociales et familiales, sans échappatoire. Tie Ning, cependant, ne se fait pas défenseur des droits des femmes : elle décrit sans prendre parti des mentalités et des modes de vie qui font obstacle au développement social.

    

L’année suivante, en 1987, est publiée une autre longue nouvelle, « La route me ramène à la maison » (《村路带我回家》), qui est adaptée l’année suivante au cinéma. Dans cette nouvelle, une jeune veuve, ancienne « jeune instruite » qui n’a plus de hukou urbain pour pouvoir revenir en ville, est partagée entre deux hommes qui souhaitent

l’épouser, son choix pouvant lui permettre de quitter la campagne. Tie Ning continue ici dans sa ligne thématique : elle oppose un monde masculin complice de l’idéologie du pouvoir, et un monde féminin plus subjectif, guidé par ses désirs et ses envies.

      

Le tournant de 1988

    

En 1988 paraît son premier roman, « La porte des

 

La route me ramène à la maison

roses » (《玫瑰门》), aux éditions de l’Association des écrivains. Il marque un tournant dans son style : elle passe ici d’un ton poétique pour décrire le monde rural, à la description plus sombre de destinées de femmes sur plusieurs générations, doublée d’une réflexion sur l’histoire et la culture qui se prolonge dans l’écriture d’essais et de critiques d’art.

      

L’année suivante, en 1989, est publiée dans la revue Littérature du peuple (《人民文学》) une autre longue nouvelle qui forme avec le roman de 1986 comme le second volet d’un diptyque : « Le tas de fleurs de coton » (《棉花垛》).

    

L'histoire se déroule dans la Chine des années 1930, toujours à la campagne. La culture du coton forme la base de toute la vie, pour les adultes dont le statut est proportionnel à la qualité des fleurs qu’ils produisent, mais aussi pour les enfants qui jouent au marchand de coton.

 

Rose Gate

Le récit est centré sur l’histoire tragique de deux jeunes couples, une histoire qui se déroule en même temps que la guerre contre le Japon, avec tous les drames que comporte une guerre. Quarante-cinq ans plus tard, un voyage en train rappelle ses souvenirs du passé au dernier survivant. Tie Ning joue sur la nostalgie pour atténuer la dureté de son récit, mais fait aussi une peinture, par touches successives, de l'éveil du désir chez ses jeunes adolescents, trait récurrent dans ses nouvelles.

    

Les événements de 1989 n’affectent en rien sa production, qui ne fait au contraire qu’accélérer. En 1990, sa nouvelle « Ah, Neige parfumée » est adaptée au cinéma, et le film tourné au Studio des films pour enfants.

    

Années 1990 - 2000 : Consécration

 

Le tas de fleurs de coton

    

Encore deux romans

    

La ville sans pluie

 

Tie Ning publie son second roman en 1994 : « La ville sans pluie » (《无雨之城》). Mais elle est de plus en plus prise par ses fonctions officielles.

      

En 1995, elle participe à un voyage officiel aux Etats-Unis où elle parcourt treize Etats en prononçant autant de discours. Pendant l’été, elle est à Taiwan et en septembre un recueil de ses nouvelles est publié à Tokyo. En octobre 1996, à l’âge de trente-neuf ans, elle est élue présidente de l’Association des écrivains du Hebei, et parallèlement à la vice-présidence de l’Association des écrivains à l’échelon national.

      

En 1997 est publiée une autre nouvelle qui sera adaptée au cinéma un peu plus tard : « La soirée d’Andrei » (《安德烈的晚上》). La nouvelle est par ailleurs primée par l’équivalent chinois du Reader’s Digest, tandis qu’un

recueil d’essais, « Les nuits blanches d’une femme » (《女人的白夜》), est couronné du prix Lu Xun, premier prix Lu Xun à être décerné. Et elle continue les voyages officiels : en février 1998 à Hong Kong, en mars en Israël, en mai en Corée, cette fois avec son père, pour participer un colloque sur l’art.

    

Au début du nouveau millénaire, elle publie cependant son troisième roman : « Femmes au bain » (《大浴女》), qui a également été adapté en série télévisée. Le récit couvre la vie de trois femmes, deux sœurs et leur amie d’enfance, sur une période d’une quarantaine d’années, de leurs jeunes années, au début du régime maoïste, à leur maturité dans les années 1990, en passant par leur adolescence pendant la Révolution culturelle. Chacune d’entre elles se débat au sein de difficiles relations, familiales et sentimentales, tout en cherchant à conquérir finalement sa liberté. Le titre est emprunté aux célèbres Baigneuses de Cézanne, sans doute sous l’influence de son père, mais avec une connotation symbolique :

 

              

Femmes au bain

il s’agit du bain de l’âme (“灵魂的洗浴”), a expliqué Tie Ning.

    

En 2001, la longue nouvelle « L’éternité, c’est loin ? » (《永远有多远》) reçoit une seconde fois le prix Lu Xun, ainsi que le prix Lao She et plusieurs autres prix de revues littéraires. La nouvelle est adaptée en 2002 en une série télévisée en quinze épisodes. Tie Ning publie encore un recueil de nouvelles, traduit en français, « La douzième nuit » (《第十二夜》), puis multiplie les compilations d’essais, nouvelles et textes divers, dont un recueil de nouvelles et autres textes, dont des critiques d’autres auteurs, avec une vingtaine de photos d’elle depuis l’enfance : « Qui peut m’intimider ? » (《谁能让我害羞》).

    

Un quatrième roman différent

 

Femmes au bain, la série télévisée

    

Enfin, en 2005 sort son quatrième roman, sur lequel, selon ses propres dires, elle a travaillé six ans : « [Le village de] Benhua » (《笨花》). C’est une saga villageoise dans la lignée de ses trois précédents romans, mais plus complexe - il comporte plus de quatre-vingt dix personnages, et surtout ce sont en majeure partie des personnages masculins : le monde habituel de Tie Ning a basculé, et son regard est résolument tourné vers la peinture de l’histoire, de la culture et des coutumes locales.

    

Le village de Benhua

 

Le titre même est significatif, Tie Ning l’a longuement expliqué lors de ses interviews à la sortie du livre : les deux caractères 笨花 bènhuā signifient normalement ‘fleur d’idiot’, mais ils ont ici un sens dialectal. Le terme désigne le coton cultivé localement ( huā étant pris pour 棉花), opposé à  洋花 yánghuā le coton importé.

      

Tie Ning revient ici à la région d’où est originaire sa famille et où son grand-père était cultivateur de coton, d’où

l’importance du thème dans son œuvre. L’histoire se passe en effet dans la plaine de Jizhong (冀中平原), dans le Hebei, des débuts de la République de Chine, vers 1912, à la fin de la guerre contre le Japon, vers 1945. Elle retrace les événements historiques vus localement, à travers l’histoire

d’une famille du village de Benhua.

    

Mais il ne s’agit pas d’un roman historique : l’attention est

portée sur la description des coutumes locales, et l’analyse des modes de vie, avec une saveur locale transmise par des expressions dialectales, et même de plusieurs dialectes du Hebei. On sent cependant l’écriture retenue, la touche se fait ici discrète sur les sentiments des personnages, et surtout sur leurs émois sexuels. Elle a dit avoir effectivement bridé son langage « pour ne pas détourner l’attention de l’essentiel », l’essentiel étant le caractère éthique de ses personnages, leur préservation des grandes valeurs morales même au sein de la guerre et de l’adversité. On ne peut s’empêcher de voir là un discours très officiel.

      

Présidente de l’Association des écrivains

    

En novembre 2006, à l’issue du septième congrès de

l’Association des écrivains de Chine, elle fut élue présidente de l’Association.

      

Elle était non seulement la première femme, mais aussi la plus jeune élue dans l’histoire de cet organisme créé cinquante-sept ans auparavant. Elle succédait à deux des écrivains les plus importants de la littérature chinoise moderne, Mao Dun (茅盾) et Ba Jin (巴金). Elle fut saluée comme un espoir de changement. En tant que présidente de l’Association des écrivains du Hebei pendant une dizaine

d’années, elle s’était créé une image de sérieux et de pragmatisme et avait ses preuves.

     

Elle a été confirmée à ce poste en novembre 2011, à l’issue du huitième congrès de l’Association.

    

 

Recueil de nouvelles 2006

On peut néanmoins regretter qu’elle ait été élue si jeune à une présidence aussi lourde : sa créativité

s’en est trouvée bridée. Ses prédécesseurs avaient été élus à un âge plus avancé (Ba Jin à

quatre-vingts ans, Mao Dun à cinquante-trois ans, mais dans des circonstances politiques différentes). Tous deux avaient une œuvre importante déjà derrière eux. Il est vrai que Tie Ning a commencé à écrire très jeune, mais c’est dans les années 1990 qu’elle a vraiment commencé à mûrir son style.

      

Recueil d’essais 2007

 

Sa position officielle a non seulement limité son temps libre pour l’écriture, mais l’a obligée à des compromis sur les thèmes, le style et le ton de ses écrits. Elle continue à publier à peu près une nouvelle par an qui fait aussitôt partie de la sélection du recueil des meilleures nouvelles de l’année. Mais elles restent assez décevantes. La dernière en date, publiée en septembre 2011, dans la revue littéraire de l’Association des écrivains, justement, en est un exemple.

      

Son titre,  « Le distillateur volant » (飞行酿酒师》), peut être un clin d’œil à celui de sa toute première nouvelle, « La faucille volante » (《会飞的镰刀》), mais l’analogie s’arrête là. Il s’agit d’une nouvelle « urbaine » satirique, qui se moque de la nouvelle passion des Chinois aisés pour le vin ; l’histoire est celle d’un soi-disant créateur d’un vin chinois qui cherche un investisseur. On lit les sept ou huit pages en appréciant quelques traits amusants, mais en se

demandant comment cela va se terminer ; et la fin n’est pas à la hauteur d’une nouvelle vraiment réussie (4).

    

Ses essais critiques et réflexions « au fil de la plume » sont finalement ce qu’elle écrit aujourd’hui de plus intéressant. Mais il ne faut pas négliger pour autant le reste de son œuvre.

      

Tie Ning reste l’écrivain de la ruralité chinoise et a toujours été une voix très orthodoxe, Bonnie Mc Dougall parle même de son « orthodoxie fondamentale » (5). Ce n’est pas un défaut rédhibitoire, il faut juste le savoir pour ne pas chercher dans ses écrits ce qu’on ne peut y trouver et se concentrer sur leurs qualités propres, celles de la tradition littéraire chinoise la plus classique.

      

Un mot sur ses nouvelles

      

Tie Ning est une spécialiste de la nouvelle, c’est d’ailleurs un genre pour lequel, dit-elle, elle a un  « penchant quasiment monomaniaque » (近乎偏执的喜爱”).

      

On n’écrit pas un roman comme on écrit une nouvelle, et, dans son cas, la différence est nette :

当我写作长篇小说时,我经常想到的两个字是命运’;当我写作中篇小说时,我经常想到的两个字是故事’…”

Quand j’écris un roman, je pense généralement "destin" ; quand j’écris une nouvelle, je pense plutôt  "histoire" …

      

    

Notes

(1) Comme il est dit dans sa brève présentation dans le recueil de 1989 de la collection Panda où a été publiée la traduction de « Ah, Neige parfumée » : elle est partie « appréhender la campagne au lieu

d’entrer à l’université ».

(2) L’attaque contre l’adaptation cinématographique de sa nouvelle « Un douloureux amour » (《苦恋》) avait été le signal d’une campagne qui se poursuivit pendant tout l’année 1982.

Voir : Repères historiques, les années 1980.

(3) Il s’appelle « La fille en rouge » (《红衣少女》) : c’est un exemple des très bons films chinois des années 1980 qui ont été éclipsés par la vogue de la cinquième génération.

Voir sur chinese movies : ….à venir

(4) On trouve le texte en ligne : http://read.360buy.com/10915/523604.html

(5) The Literature of China in the Twentieth Century, Bonnie S. McDougall-Kam Louie, Columbia University Press, 1997, p. 419.

De manière significative, Tie Ning ne figure pas dans le Petit précis à l’usage de l’amateur de littérature chinoise contemporaine, de Noël Dutrait (1976-2006), Philippe Picquier, 2ème édition, 2006.

    


      

Traductions en français

      

Ah, Neige Parfumée (《哦,香雪》), in Les meilleures oeuvres chinoises 1949-1989, Littérature chinoise, collection Panda, Pékin 1989, p. 267

Le corsage rouge (《没有纽扣的红衬衫》), Editions en langues étrangères, janvier 1991

Fleur de coton (《棉花垛》), traduit du chinois par Véronique Chevaleyre, Bleu de Chine, janvier 2004

La douzième nuit (《第十二夜》), traduit du chinois par Prune Cornet et Yan Liu, Bleu de Chine, mars 2004*

     

A noter :

Un numéro spécial de la revue Littérature chinoise, 4ème trimestre 1988 : Tie Ning, Femme écrivain.

    


    

* Notes sur « La douzième nuit »

Il s’agit d’un recueil de cinq nouvelles qui sont parmi les meilleures de Tie Ning, et parmi les plus

connues :

-          La douzième nuit (《第十二夜》) ;

-          La solitude [de Chang’E] (《寂寞嫦娥》) :

-          Le sourire du papillon (《蝴蝶发笑》) ;

-          La soirée d’Andrei (《安德烈的晚上》) – traduit « Amitié, coton et raviolis » 

-          Petit Millet glutineux (《小黄米的故事》)

      

1. La douzième nuit

    

Divisée en sept « nuits », cette nouvelle, écrite à la première personne, a le petit côté satirique habituel chez Tie Ning : satire des nouvelles mœurs citadines, de l’affairisme paysan, de l’engouement pour la peinture contemporaine chinoise… On sent une histoire vraie, racontée à l’auteur ou plus ou moins autobiographique ; c’est un drame de village synthétisé en quelques pages, sur fond de coutumes, de non-dits, de préjugés, et un superbe portrait d’une vieille femme, à peine suggéré.

      

Première nuit : une jeune femme peintre arrive dans un village de campagne à une petite heure de la ville où elle habite parce qu’elle y a acheté une vieille maison. Le village a déjà attiré quelques peintres, dont son ami Lao Qin a été le précurseur :

用老秦的话说,农民正一步步挪下山来向城市靠拢,城里人却渴望一步步奔出城去要在山上占领一席之地。也算是当下的一种时髦吧。

Selon Lao Qin, les paysans quittent la montagne

 

La douzième nuit

pour se rapprocher peu à peu de la ville tandis que de plus en plus de citadins meurent d’envie de quitter la ville pour aller s’installer à la campagne. C’est une sorte de mode, à l’heure actuelle.

     

Lao Qin est devenu l’agent immobilier du village. Tout le monde sait que ces transactions sont illégales car les paysans n’ont pas le droit de vendre les terres, elles appartiennent à l’Etat, mais personne ne veut rater une affaire. La narratrice a jeté son dévolu sur une maison, le propriétaire a fait traîner la négociation, mais Lao Qin a fini par emporter l’affaire pour douze mille yuans.

      

Au moment de payer, cependant, le propriétaire, Ma Laomo (马老末), n’est pas là ; l’acheteuse passe la nuit chez Lao Qin en attendant.

      

Deuxième nuit : le lendemain matin, quand apparaît Ma Laomo, c’est pour annoncer qu’on vient de lui offrir quinze mille yuans pour sa maison. Le prix est finalement négocié à treize mille. Une fois la transaction terminée et réglée, cependant :

当他把钱装进一只粗布小面口袋时,他说还有个事儿,他说他的大姑眼下还在那院里住着。

不过老太太七十好几,一直病着,已经活不了多大工夫了,她一死,我立刻就能搬进去。

Après avoir mis l’argent dans un sac de farine en toile grossière, [Ma Luomo] annonça qu’il y avait encore un problème : sa tante habitait toujours la maison.

Mais elle avait plus de soixante-dix ans, était malade depuis une éternité et n’en avait plus pour très longtemps ; je pourrais emménager dès qu’elle serait morte.

     

Voyant l’air désemparé de ses interlocuteurs, Ma Laomo les emmène voir la vieille femme pour qu’ils voient qu’il ne ment pas : elle est bien mourante. La narratrice s’endort apaisée, en pensant aux toiles qu’elle va bientôt pouvoir commencer de peindre dans sa nouvelle maison.

      

Troisième nuit : le lendemain, la narratrice va voir « sa » maison, et a la surprise de trouver la vieille femme assise sur son kang, en train de se peigner. « Bah, dernier sursaut de vie, » dit Ma Luomo.

      

Quatrième nuit : Ce matin-là, la vieille tante est fièrement assise sur les marches devant la porte quand la narratrice arrive.  Des jeunes du village, élèves de Lao Qin, lui apprennent son histoire. La vieille tante, dans sa jeunesse, était tombée amoureuse d’un facteur d’orgue venu réparer celui du village ; elle était la plus jolie fille du coin, Il repartit en la laissant enceinte ; l’enfant ne vécut que trois jours, mais elle resta fidèle toute sa vie sans se marier.

      

Pendant la guerre, elle fabriqua comme les autres des chaussures pour les soldats de la 8ème Armée ; les siennes étaient les plus belles, avec une croix brodée sur la semelle, pour porter chance, mais :

到了交鞋的时候,大姑也怀抱鞋包袱兴冲冲地去交军鞋,村妇救会主任举着大姑的鞋对在场的妇女们说:咱们能让前方的战士穿破鞋’1做的鞋吗?咱们不能啊!”于是,新鞋被扔回到大姑怀里,从此她再也没有开口说过一句话。她在娘家度过了一生,她本是那院子真正的房主。

1. 破鞋 pòxié chaussure abîmée, usée – au sens figuré : femme dépravée, dévergondée

Quand arriva le moment de remettre les chaussures, la tante s’en fut, toute joyeuse, un gros paquet dans les bras, apporter les siennes ; mais la responsable du Comité de sauvegarde nationale des femmes du village brandit l’une des chaussures de la tante devant les femmes réunies là en leur disant : « Pouvons-nous permettre que nos combattants, sur le front, portent des chaussures fabriqués par une dévergondée ? Non, ce n’est pas possible. » La femme lui avait remis son paquet de chaussures dans les bras, et la tante n’avait plus jamais ouvert la bouche. Elle avait passé le reste de sa vie dans la maison de ses parents, en devenant ainsi la véritable propriétaire.

      

Sur ces entrefaites, la narratrice doit s’absenter quelques jours, mais le drame entrevu dans le passé de la tante a changé sa perception des choses.

      

Dixième nuit : quand la narratrice revient, elle apprend que la tante s’est remise à coudre des chaussures, en continuant de broder des étoiles sur les semelles.

Onzième nuit : la narratrice tente d’annuler la transaction et de récupérer son argent, mais il a déjà été investi, dans une mine de fer.

Douzième nuit : la narratrice va voir la vieille femme pour lui dire qu’elle ne veut plus de la maison,

qu’elle préfère la voir en bonne santé, au milieu de ses arbres superbes. La tante continue de piquer ses semelles sans broncher… et meurt quelques instants plus tard. Le sort de la maison reste irrésolu…

     

Texte chinois : www.shuku.net:8080/novels/tiening/tiening03.html

     

2. La solitude de Chang’E

    

Voilà un autre superbe portrait de femme et un autre clin d’œil ironique sur la société chinoise. Chang’E (《嫦娥》) est une jeune paysanne devenue veuve un an après son mariage, et restée avec un

enfant à élever. Elle part travailler en ville chez un écrivain qui finit par l’épouser, attirée par sa robuste santé et son teint épanoui. Rejetée par la famille et par l’entourage de

l’écrivain sans que cela semble trop la perturber, elle fait la connaissance d’un vendeur de fleurs, divorce et se remarie avec lui ; ils fondent ensemble une pépinière florissante sur un terrain initialement destiné à la construction d’un musée… La solide personnalité de Chang’E finit par s’imposer.

      

Texte chinois : www.shuku.net:8080/novels/tiening/tiening15.html

      

3. Le sourire du papillon

    

Cette nouvelle a été publiée en Chine en 1999 dans un

recueil bilingue : « Selected Stories by Tie Ning », mais elle reste assez rare dans les recueils de l’auteur. Tie Ning y fait, pour une fois, le portrait d’un homme, d’un tempérament poète, excentrique et un peu fou, condamné dans une société où la norme ne permet guère de fantaisie.

 

         

Selected stories of Tie Ning

(bilingue anglais-chinois)

    

4. La soirée d’Andrei

      

Cette nouvelle est l’une des plus célèbres de Tie Ning. Le personnage principal est un ancien ouvrier d’une conserverie qui réussit brillamment sa reconversion au moment de « l’ouverture », quand sa vieille usine de conserves est condamnée à fermer ses portes. C’était une vieille usine « offerte » par les Soviétiques du bon temps de l’amitié avec le grand frère, l’usine, mais aussi tout le quartier autour, et jusqu’au nom d’Andrei – en quelques lignes, Tie Ning dresse le tableau d’une époque, le début des années 1950 :

安德烈1姓安,名叫德烈。安德烈的出生年月大概是1954年3月左右。安德烈这名字是父亲为他所起,名字本身也是当年中苏友好的一种体现。安德烈的父母就是响应政府的号召,由上海搬入这里支援城市建设的,他们都是中学教师。父亲穿过苏联印花布衬衫,母亲也穿过苏式“布拉吉”1。当年他们都向往过苏联老大哥的美妙生活,他们也希冀着小安德烈长大之后能够去苏联留学。

1. 安德烈 Āndéliè  et 布拉吉 Bùlājí  sont des

 

La soirée d’Andrei

transcriptions phonétiques de termes russes, le premier du prénom Andrei (Андрей) et le second de plat’ie (платье), robe traditionnelle à petites manches, en tissu imprimé très coloré.

Andrei, nom An, prénom Delie, né en 1954, vers le mois de mars. Si son père lui avait donné ce nom, c’était en une sorte d’hommage à l’amitié sino-soviétique de l’époque*. Tous deux professeurs de collège, ses parents avaient répondu à l’appel du gouvernement et déménagé de Shanghai pour venir là aider au développement de la ville. Tous deux étaient habillés à la mode soviétique, son père portant des chemises en tissu imprimé, et sa mère des robes dites

« plat’ie ». Ils aspiraient alors à mener la vie merveilleuse du grand frère soviétique, et espéraient pourvoir envoyer un jour le petit Andrei étudier là-bas.

* le traité d’amitié ou pacte sino-soviétique a été signé en février 1950 ; malgré les frictions,

l’amitié entre les deux peuples a été renforcée par la visite de Krouchtchev, en 1954, justement.

     

Andrei était un fort en récitation, en classe, mais sa vie est réduite au travail à l’usine, avec de lourdes responsabilités familiales, sa femme étant cardiaque et sa petite fille également affectée d’une cardiopathie. La seule personne dont il se sente proche est son  inséparable ami d’enfance, Li Jingang (李金刚).

    

A l’usine même, son monde est restreint à l’ouvrière qui travaille en face de lui, à la chaîne, Yao Xiufen (姚秀芬). Au fil des ans, ils ont fini par tout savoir l’un de l’autre, mais leur relation s’arrête là. Jusqu’au jour où, l’usine devant fermer, et au moment de quitter les lieux, premier ouvrier à se « reconvertir », Andrei ait un pincement au cœur à l’idée de ne plus jamais la revoir. Li Jingang est encore là pour lui donner les clés de son appartement, et lui fournir trois heures d’intimité.

     

Mais, arrivant avec Xiufen, Andrei, brusquement troublé, ne retrouvera jamais la porte ; ils seront réduits à manger dehors, dans la nuit, les raviolis que Xiufen avait apportés dans une vieille gamelle… Promu chroniqueur dans la station de radio locale, il gardera le souvenir de cette soirée qui aurait pu être et n’avait jamais été :

他骑上车往家走,车把前的车筐里摆着姚秀芬那只边角坑洼的旧铝饭盒1。安德

烈准备继续用它装以后的午饭。他觉得生活里若是再没了这只旧饭盒,或许他就被

这个城市彻底抛弃了。

1. 铝饭盒 lǚfànhé gamelle en aluminium 坑洼 kēngwā trou (dans une route, etc…)

2. 抛弃 pāoqì abandonner

Il enfourcha son vélo pour rentrer chez lui, avec, dans le panier à l’avant, la vieille gamelle en aluminium aux coins cabossés de Yao Xiufen. Andrei avait décidé de la garder pour transporter son déjeuner. Il pensait que, sans cette vieille gamelle, il se serait senti complètement abandonné dans cette ville.

               

Texte chinois : www.shuku.net:8080/novels/tiening/tiening14.html

      

5. Petit millet glutineux

      

Petit Millet glutineux est le nom d’une jeune fille de dix-sept ans qui monnaye ses charmes aux clients d’un petit restaurant, sur le bord d’une route. Passe un photographe qui cherche des modèles plus naturels que ceux qu’il trouve en ville. Il ne se passe rien : il repart en ayant gâché sa pellicule et Petit Millet a raté son coup…     

      

Texte chinois : www.shuku.net:8080/novels/tiening/tiening12.html

    


      

A lire en complément

Une nouvelle de 2005 : « Au pied de l’arbre » (树下)

    

    

    

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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