Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Petite histoire des revues littéraires chinoises

II. Après 1949

par Brigitte Duzan, 22 décembre 2017

  

 

 

 

 

Sommaire
 

A/ Années 1950 : Premières créations

·         1949, coup d’envoi : Littérature du peuple

·         1950-1953 : du Guizhou à Shanghai

·         1956-1957 : les Cent Fleurs

B/ 1978 et début des années 1980 : l’ouverture

·         Octobre

·         La Cité des fleurs

·         Dangdai

·         Zhongshan

·         Tianya

·         En marge : Jintian

·         Un conflit littéraire significatif : le cas de Zhongguo

C/ Années 2000-2010

 

 

 

 

 

Depuis 1949, les revues littéraires chinoises se sont multipliées et diversifiées, tout en dépendant, pour la plupart, d’organismes officiels, essentiellement l’Association des écrivains et ses branches locales. La majorité sont publiées par les grandes maisons d’édition chinoises.

 

On peut distinguer les publications mensuelles, d’environ 100 000 caractères par numéro, qui publient surtout des textes courts (nouvelles, poèmes, essais et critiques), et les bimensuelles (environ 250 000 caractères) qui publient aussi des textes plus longs, et maintenant jusqu’à des romans.

   

Toutes ces revues reflètent la vitalité de la littérature et y participent. Elles ont été lancées en plusieurs vagues, qui correspondent à des périodes d’intense créativité : 1949-1953 pour les premières, puis 1956-57, et surtout, après la Révolution culturelle, pendant la période 1979-1983, avec un pic en 1979-1980.

 

A partir du début des années 1990, cependant, la plupart ont connu des difficultés financières car les financements gouvernementaux se sont peu à peu taris. Le marché s’est donc fortement contracté, avec des tirages mensuels moyens de quelque 5 000 exemplaires, quand ils allaient jusqu’à 100 000 dans les années 1980, mais certaines revues se maintiennent grâce à des politiques éditoriales de qualité, et même, parfois, à des sponsors privés.

 

A/ Années 1950 : Premières créations

 

Le président Mao a défini dès 1942 les principes et contours d’une littérature nouvelle pour une Chine nouvelle. Dès 1949, ses structures se mettent en place. Les revues littéraires sortent de terre.

 

Le mot de Mao Zedong écrit pour

le lancement de Littérature du

peuple, 23 septembre 1949) ;
希望有更多好作品出世

j’espère qu’y seront publiés

encore plus de très bons textes

 

·         1949, coup d’envoi : Littérature du peuple

 

Littérature du peuple, 1958 n° 11

 

Lancée le 25 octobre 1949, Renmin wenxue ou Littérature du peuple (《人民文学》) est la plus ancienne revue littéraire de la Chine nouvelle. Organe officiel et pendant littéraire du Quotidien du peuple (《人民日报》), elle est publiée par la maison d’édition du même nom (人民文学出版社).

 

C’est dès le départ une revue prestigieuse, réunissant les grands noms de la littérature de l’époque. Son premier rédacteur en chef est Mao Dun (茅盾), son rédacteur en chef adjoint le poète Ai Qing (艾青) jusqu’en février 1952, puis Ding Ling (丁玲) jusqu’en juin 1951. Le titre a été proposé par Guo Moruo (郭沫若) et sa calligraphie est de la main de Mao Zedong lui-même.

 

 

La création de la revue faisait suite au Premier Congrès des représentants des travailleurs de la littérature et des arts (第一次文学艺术工作者代表会), en juillet 1949. Elle s’inscrivait dans la ligne idéologique de la Fédération chinoise des cercles littéraires et artistiques (中华全国文学艺术节联合会) créée pendant la guerre, qui regroupait diverses associations sous la présidence de Guo Moruo, dont l’Association des travailleurs littéraires (全国文学工作者协会) présidée par Mao Dun avec Ding Ling pour vice-présidente. La Fédération éditait une Gazette littéraire (Wenyi bao 文艺报) dont Ding Ling était la rédactrice en chef, mais ce journal ne publiait que des notes de réunions, des critiques littéraires et des explications des nouvelles décisions politiques, avec de rares nouvelles. 

 

Renmin wenxue visait à « éclairer le peuple », et devait

 

Littérature du peuple, 1962 n° 7

 

Littérature du peuple, 2017 n° 7 (juillet)

 

produire « la littérature qu’aime le peuple » (人民大众所喜闻乐见的文学), comme l’a déclaré Mao Dun en exergue du premier numéro de la revue, déclaration d’intention qui a souvent été citée ensuite : c’est une référence.

 

La revue a été doublée en janvier 1957 d’un supplément de poésie, Shikan (《诗刊》), publié par la même maison d’édition.

 

Elle a légèrement évolué avec le temps, tout en continuant à offrir la face officielle de la littérature chinoise. Pour se donner plus de visibilité au sein de la profession et émuler ses concurrentes, elle a créé en 2003 un prix littéraire décerné chaque année dans un grand nombre de catégories : romans, nouvelles (courtes et moyennes), essais, prose, poésie, traductions. Chaque lauréat reçoit dix mille RMB.

 

·         1950-1953 : du Guizhou à Shanghai

 

1. Etonnamment, c’est à Guiyang, dans la province méridionale du Guizhou, qu’a été créée la seconde revue de la Chine nouvelle dans l’ordre chronologique : Shanhua (《山花》) ou Mountain Flowers, lancée dès 1950, en se voulant promouvoir « la pure littérature et les arts visuels ». C’est l’une des plus anciennes revues chinoises aujourd’hui : le numéro 9 de l’année 2017 était le 574ème numéro ! Mais elle a évidemment connu bien des hauts et des bas, et dès 1958, le Grand Bond en avant l’obligeant, comme bien d’autres, à cesser sa publication, faute de papier.

 

2. D’autres revues sont nées dans diverses villes, mais en gardant une diffusion locale. En revanche, à Shanghai en janvier 1953 a été lancée une revue de portée nationale : Shanghai wenxue ou Littérature de Shanghai (上海文学), avec Ba Jin (巴金) comme rédacteur en chef [1].

 

Moderniste, la revue a été définie par Wang Meng (王蒙) comme « publication fondée sur la littérature du haipai » (海派文学的主办基地). Mais elle a exercé une grande influence, en particulier dans les années 1980, en publiant non seulement des textes novateurs d’écrivains shanghaïens, comme les nouvelles de Wang Anyi (王安忆), mais aussi bien « Le roi des échecs » (《棋王》) de A Cheng (阿城), en 1984, ou « Retour » (《归去来》) de Han Shaogong (韩少功), en 1985.

 

Chinese Literature, janvier 1964

 

La revue est toujours à la recherche de textes sortant de l’ordinaire, témoin, par exemple, sa publication en 2002, de la première nouvelle, « La femme de Shanghai » (上海女人), du recueil de Yang Xianhui (杨显惠) sur le camp de Jiabiang ou (《告别加边沟》), ou encore, en novembre 2015, la publication de la nouvelle moyenne « IT84 » de Zhang Xinxin (张辛欣). Mais, organe de l’Association des écrivains de Shanghai, elle a du mal à s’affirmer face à Shouhuo (voir ci-dessous).

 

3. Par ailleurs, le début des années 1950 a été marqué aussi par une initiative visant à faire connaître et diffuser la littérature chinoise moderne à l’étranger, avec d’abord une revue en anglais : la revue Chinese Literature a été lancée en octobre 1951, dirigée par Mao Dun jusqu’en 1966, puis, après la Révolution culturelle, éditée par les grands traducteurs Yang Xianyi (杨宪益) et son épouse Gladys Yang. Imprimée par les Editions des langues étrangères de Pékin

(北京国际书店), elle a initialement été trimestrielle, puis est devenue mensuelle en 1961. Elle a continué à paraître jusqu’au tournant du siècle.  

 

Les versions numérisées de la plupart des numéros sont en ligne, de 1953 à 1981 (manquent les années 1959-1962 et 1965) : www.bannedthought.net/China/Magazines/ChineseLiterature/index.htm

 

C’est seulement en 1964 que la revue a eu sa version en français : Littérature française, devenue également mensuelle peu après sa création. Après une brève interruption, comme Chinese Literature, la revue a continué à paraître pendant les années 1970 de la Révolution culturelle, et elle s’est renouvelée dans les années 1980, tandis que Yang Xianyi publiait un grand nombre des textes de référence parus dans les deux revues dans sa collection Panda, créée en 1981.

 

·         1956-1957 : les Cent Fleurs

 

La période des Cent fleurs, en 1956-1957, a vu naître de nouvelles revues littéraires pour suivre la création littéraire de la période. Beaucoup n’ont pas survécu au mouvement antidroitier qui a suivi, mais deux d’entre elles ont connu une singulière longévité.

 

Littérature chinoise (la revue), 1964 (n° 2)

  

Mengya, 1930, n° 1

 

La plus célèbre est certainement Shouhuo, ou Harvest (《收获》), qui vient de fêter son 60ème anniversaire à Shanghai, après avoir été lancée en décembre 1957, par Ba Jin (巴金). De toutes les revues littéraires chinoises de la seconde moitié du 20e siècle, on retiendra son action en faveur de la diffusion de la littérature d’avant-garde des années 1980,mais pas seulement : la chaleur des témoignages des grands écrivains qui ont afflué pour célébrer son anniversaire montre bien l’importance que la revue a eue pour eux, et qu’elle continue d’avoir pour les plus jeunes.

 

L’autre grande revue lancée au moment des Cent fleurs est Mengya (《萌芽》) - "Sprouts"ou "Buds" en anglais. A sa création, en 1956, Elle se présentait comme une revue pour

jeunes adultes, destinée à « donner aux jeunes un jardin à eux ». En même temps, elle se posait en successeur du prestigieux mensuel éponyme créé par Lu Xun dans les années 1930, en reprenant le même titre, avec la calligraphie originale de Lu Xun, mais avec une couverture beaucoup plus stylisée.

 

La revue a rencontré un succès immédiat, mais a été suspendue en 1960, à cause de la pénurie de papier causée par le Grand Bond en avant. La publication a repris en 1963, pour être suspendue à nouveau trois ans plus tard, et interrompue pendant toute la Révolution culturelle. La maquette actuelle a été lancée en janvier 1981, avec une couverture reprenant la gravure sur bois de Huang Yongyu (黃永玉) qui illustrait la couverture du 1er numéro, en 1956 [2].

   

Mengya, juillet 1956

 

Mengya, décembre 2017 (les illustrations des couvertures sont fonction de la saison)

 

En 1995, Mengya n’avait cependant plus qu’une diffusion réduite à quelque dix mille exemplaires. C’est alors que la revue s’est choisi pour cible la tranche d’âge des étudiants. En 1998, elle a lancé le concours Ecriture Nouveau Concept (新概念作文大赛) pour aider les jeunes aspirants à l’écriture (étudiants et jeunes auteurs), avec des catégories par tranche d’âge. Le concours a lancé la carrière de Han Han (韩寒), de Guo Jingming (郭敬明) et de Zhang Yueran (张悦然) qui ont gagné le premier prix du concours lors des trois premières éditions.  C’est le début de la génération dite des "post’80".

 

La revue tire aujourd’hui à 400 000 exemplaires.

 

 

 

B/ 1978 et début des années 1980 : l’ouverture

 

A partir de 1978, de grandes revues apparaissent dans le mouvement d’intense créativité littéraire qui marque la période d’ouverture après la chute de la Bande des Quatre.

 

·         Octobre

 

Lancée à Pékin en août 1978, Shi Yue ou Octobre (《十月》) est la première grande revue littéraire créée après la Révolution culturelle ; à l’origine trimestrielle, elle devient bimensuelle à partir de 1980.

 

Le fondateur, Wang Shimin (王世敏), était directeur du département littérature et arts des Editions de Pékin (Beijing chubanshe 北京出版社). Le premier numéro est paru avec une préface de Mao Dun (茅盾), et la revue apparaît, dès les années 1980, comme l’une des grandes revues littéraires chinoises du moment.

 

Son premier trait original est d’avoir lancé une rubrique de nouvelles "moyennes" à un moment où les autres revues publiaient des nouvelles courtes. Mais elle a aussi su donner une place importante aux essais, critiques littéraires, livrets de théâtre et poésies, ainsi qu’aux pages sur l’art. En outre,

 

Octobre Shi Yue, 1er numéro, octobre 1978

en 1981, Shi Yue a créé un "Prix littéraire Octobre" (十月文学奖), décerné pour romans, nouvelles et essais publiés dans ses pages, qui n’a pas tardé à être imité par les autres revues.

 

Octobre, 2017 n° 4

 

Shi Yue a publié des œuvres importantes, comme, dès 1982, les premières pièces de théâtre de Gao Xingjian (高行健), « Signal d’alarme » (《绝对信号》) puis « L’arrêt d’autobus » (《车站》), ou les premiers romans de Mo Yan (莫言).

 

En raison de la politique audacieuse de ses rédacteurs, la revue a parfois essuyé les conséquences de scandales provoqués par ses publications. Ce fut le cas, par exemple, pour le roman « La capitale déchue » (《废都》) de Jia Pingwa (贾平凹), paru dans le numéro 4 de l’année 1993, qui a déclenché un scandale après sa publication par les Editions de Pékin en 1995 : le rédacteur adjoint de la revue responsable de la publication du roman a été forcé de prendre sa retraite anticipée, et le rédacteur en chef, Xie Dajun, rayé des cadres. La revue a dû aussi payer une lourde

amende. L’affaire, cependant, a eu des conséquences favorables sur son aura auprès du public : les ventes se sont envolées.

 

Jusqu’en février 2016, elle a tenu un blog où l’on peut suivre ses principales publications : http://blog.sina.com.cn/shiyuezazhi

 

·         La Cité des fleurs

 

Huacheng ou La cité des fleurs (《花城》) est une revue publiée à Canton, par la maison d’édition du même nom (花城出版社). Elle a été créée en 1979, avec trois sections consacrées à la nouvelle moyenne, la poésie et l’essai, dont une dizaine de pages de poésies par numéro. Elle décerne un prix littéraire (花城文学奖).

 

C’est elle qui a fait connaître Lu Yao (路遥) en publiant lapremière partie de son roman « Un monde ordinaire » (《平凡的世界(第一部)》) ; c’est elle aussi qui a publié la première nouvelle de Bi Feiyu (毕飞宇), le roman de Gu Cheng (顾城) « Ying’Er » (《英儿》), des poèmes de Hai Zi (海子), etc… Mais c’est aussi une revue qui prend des risques, navigant entre les écueils de la censure pour renforcer son image et attirer les lecteurs.

 

Huacheng, 2017 n° 3

 

Huacheng a ainsi été parmi les revues sévèrement critiquées pendant la campagne « contre la pollution spirituelle ».  Elle a presque été obligée de fermer après la publication du second roman autobiographique de l’écrivaine Yu Luojin (遇罗锦) « Conte de printemps » (《春天的童话》) publié dans le premier numéro de 1982. Le roman ayant fait scandale à sa parution, Yu Luojin a elle-même été attaquée pour « pollution spirituelle » et « recherche de liberté bourgeoise ». Le roman a été interdit, et le directeur adjoint du département de propagande du Parti, He Jingzhi (贺敬之), a ordonné à Huacheng de cesser de le vendre. 

 

C’est aussi Huacheng qui a initialement publié « Servir le peuple » (《为人民服务》) de Yan Lianke (阎连科), roman satirique qui a de nouveau provoqué l’ire du département de la propagande du Parti. La totalité des numéros de la revue ont été confisqués, il lui a été interdit de les vendre et même d’en publier des extraits ou des commentaires. Le roman a ensuite été un succès sur internet.

 

Pour 2018 la revue annonce une nouvelle œuvre de Mo Yan.

http://blog.sina.com.cn/s/blog_4f4d36e90102xb2q.html

 

·         Dangdai

 

Dangdai roman, juin 2004

 

Autre revue de littérature contemporaine chinoise, comme son nom l’indique, Dangdai (《当代》) aussi été créée en 1979 [3]. En 2004, elle a lancé un supplément consacré au roman (《长篇小说选刊》).

 

Elle fait régulièrement parler d’elle au moment où, chaque année, est décerné son prix littéraire, mais elle a une image légèrement différente des précédentes, plus commerciale : elle ne fait pas découvrir de nouvelles plumes, mais adoube plutôt des auteurs déjà reconnus et en fait parler, y compris à l’étranger [4].

 

Dangdai établit une liste des bestsellers (romans) de l’année, en fonction des chiffres de vente et des critiques, liste qui est publiée dans un numéro spécial en décembre.

 

·         Zhongshan

 

Bien que moins connue, Zhongshan (《钟山》) fait partie des grandes revues littéraires chinoises. Lancée à Nankin en janvier 1979 [5], elle a débuté comme publication trimestrielle, avant de devenir mensuelle en janvier 1982. Créée sous l’égide des Editions du peuple du Jiangsu, elle a été reprise, en janvier 1982, par l’Association des écrivains de la province. Cependant, comme les aides gouvernementales se réduisaient régulièrement à partir du début des années 1990, elle a recherché des aides privées et bénéficie du soutien financier d’une fabrique locale de cigarettes.

 

Depuis le début des années 1980, elle a publié les œuvres de grands écrivains de la province, en particulier de Nankin et Suzhou, comme Ye Zhaoyan (叶兆言), Gao Xiaosheng (高晓声), Zhu Sujin (朱苏进), Lu Wenfu (陆文夫), et bien sûr Su Tong (苏童) qui en a été rédacteur en chef à partir de 1985.

 

Zhongshan, numéro du 30ème

anniversaire (2009,1)

 

En 1984, pour son 5ème anniversaire, elle a créé le Prix littéraire Zhongshan » (《钟山》文学奖). Et, en 1985, elle a publié un numéro spécial avec un recueil de textes de 17 écrivains de toute la Chine, dont Wang Anyi, Liu Xinwu, Feng Jicai, Jia Pingwa, etc…

  

Shanhua, automne 2017

 

Comme Shouhuo (mais à un moindre degré), elle a soutenu la littérature d’avant-garde des années 1980. En octobre 1988, elle a organisé un grand colloque sur les courants littéraires du moment, avant-garde et néo-réalisme (现实主义与先锋派文学), puis, pour dresser un tableau des grands changements de la période 1989-1990, elle a créé une rubrique spéciale publiée de mars 1989 à mars 1990, et intitulée « Panorama de la nouvelle littérature réaliste » ("新写实小说的联展").

 

Pendant les années 1990 ensuite, elle a participé aux études réalisées sur le néo-réalisme et la nouvelle littérature urbaine, et à diverses initiatives et colloques. De juin 1996 à juin 2001, en particulier, Zhongshan a participé à un programme commun avec principalement trois autres revues littéraires provinciales : Dajia (《大家》), revue bimensuelle

de Kunming, Zuojia (《作家》), lancée à Changchun en juillet 1983, et Shanhua (《山花》), la revue de Guiyang. Toutes quatre ont établi des programmes en commun, publiant des œuvres différentes, mais des mêmes auteurs (“联网四重奏). En même temps, le journal Zuojiabao (《作家报》) publiait des critiques de ces œuvres.

 

·         Tianya

 

Créee en juin 1980 à Haikou (capitale de la province de Hainan), par la branche locale de l’Association des écrivains, Tianya (《天涯》) était au départ une revue bimensuelle dont la notoriété ne dépassait guère la province. Mais, en 1995, l’écrivain Han Shaogong (韩少功) en est devenu le rédacteur en chef, et le comité de rédaction a été totalement transformé. La revue est alors devenue l’une des plus importantes revues littéraires du sud de la Chine.

 

Elle a pris une orientation "grande littérature" (大文学) sans oublier les aspects culturels (泛文化), tout en conservant un "langage populaire" (民间语文) ; en d’autres termes, l’accent était mis sur un style recherché mais à la portée de tout le monde. Le style des illustrations des couvertures, souvent des aquarelles à l’encre très épurées, illustre parfaitement le genre de littérature défendu par la revue.

 

Tianya, 2015.4

 

·         En marge : Jintian

 

Jintian (《今天》) est une revue résolument non officielle, créée par Bei Dao (北岛) en 1978. Censurée en 1980 après neuf numéros, elle a été relancée en Suède en 1990 comme forum pour les écrivains chinois exilés. Bei Dao en est le rédacteur en chef.

 

·         Un conflit littéraire significatif : le cas de Zhongguo [6]

 

Ding Ling faisant la promotion de

sa revue Zhongguo à Yan’an en 1985

 

En 1986, un conflit a éclaté entre l’Association des écrivains et la revue Zhongguo (《中国》杂志), qui avait été créée par Ding Ling en 1985.

 

L’objectif de Zhongguo était de publier des traductions d’œuvres étrangères, des nouvelles, des poèmes, et des essais de critique littéraire. La revue voulait offrir une tribune aux jeunes écrivains prometteurs.

 

Le numéro de février 1986 mettait l’accent sur l’avenir : l’avenir de la littérature, du pays, de la nation, de l’humanité… et accordait une place à

peu près égale à la nouvelle et à la poésie, soulignant ainsi les affinités entre les deux. Le différend avec l’Association des écrivains est parti, justement, du choix des genres à privilégier, l’Association voulant donner la priorité au roman plutôt qu’à la poésie et aux nouvelles.

 

Après la mort de Ding Ling, le 4 mars 1986, l’Association des écrivains ne lui a pas nomméde successeur, et acessé de financer l’impression, la publication et la distribution de la revue. Le comité de rédaction reçut des instructions leur interdisant de renouveler leur contrat avec la Poste pour la distribution du journal, puis l’Association leur demanda d’abandonner leurs droits de publication.

 

Elle publia alors une brève déclaration annonçant que Zhongguo était en voie de restructuration (tiaozheng) et que,à partir de janvier 1987, un trimestriel consacré à la fiction longuey comprisles biographies (zhuanji wenxue) - allait être publié par la maison d’édition de l’Association (zuojia chubanshe). En outre, la déclaration précisait que Zhongguo était de trop car l’Association publiait déjà Littérature du peuple – et Zhongguo était imprimé par la maison d’édition de Littérature du peuple.

 

« Nous étions engagés dans une mission que nous considérions comme sacrée », disent les rédacteurs dans un mémorandum publié en décembre 1986, à titre de témoignage posthume. Fini l’idéalisme : la "restructuration" opérée par l’Association des écrivains annonçait la fin d’une époque, et l’entrée de la littérature dans l’ère de l’économie de marché qui allait se concrétiser à partir du début de la décennie suivante.

 

 

C/ Années 2000-2010

 

1. Les années 2000 n’ont gère vu de nouvelles créations, hormis des revues spécialisées dans des genres particuliers, et plutôt commerciaux.

 

C’est le cas, par exemple, de la revue Légendes de wuxia d’hier et d’aujourd’hui (《今古传奇·武侠版》), lancée en 2001 par le groupe Légendes d’hier et d’aujourd’hui (今古传奇报刊集团), créé dans les années 1990. La revue a redonné vie à un genrequi avait connu un regain de faveur dans les années 1980 et qui a connu une nouvelle vogue dans les années 2000, comme toute la littérature de fantasy, grâce à internet. C’est aussi le cas des nombreuses revues de science-fiction dont le développement s’est amorcé dès les années 1990 [7].

 

2. Au début des années 2000, la revue Littérature du peuple a lancé une initiative originale pour diffuser à l’étranger, en traductions, des textes de littérature chinoise publiés dans ses pages, essentiellement des nouvelles.

 

La première revue, en anglais, a été Pathlight, lancée en novembre 2011 en partenariat avec le groupe de traducteurs anglo-saxons Paper Republic [8].

 

Sur le même modèle, mensuel, ont depuis lors été lancées une dizaine de revues similaires, dans une dizaine de langues, dont le japonais, le russe et l’arabe (cette dernière revue, lancée à la Foire de Pékin en 2016, étant, dans un premier temps, trimestrielle et éditée

 

Pathlight en anglais, en allemand et en russe

en partenariat avec le journal égyptien Al Kahera). Après un premier numéro d’essai en 2015, la version en français – qui devait être annuelle - a été suspendue [9].

 

Aujourd’hui, la Chine compte près de 900 revues littéraires, soit 10% de l’ensemble des périodiques. On leur reproche de mal savoir s’adapter à un marché en pleine évolution. Mais le gros problème, pour les 9/10èmes d’entre elles, est une question de financement. Même la province du Jiangsu, pourtant l’une des plus prospères du pays, a coupé les subsides qu’elle versait aux revues éditées dans la province, dont Zhongshan. A défaut d’alternatives privées, le danger est de voir les revues se tourner vers le grand public en lorgnant vers le marché des bestsellers, ce qui leur enlèverait une grande partie de ce qui a motivé leur création et a fait leur intérêt jusqu’ici.

 

Les principales, citées ci-dessus, continuent d’apporter une contribution essentielle au développement de la littérature dans ses aspects les plus novateurs. Elles sont, entre autres, le support idéal de la nouvelle qui est plus que jamais un genre en pointe en Chine, et trop méconnu ailleurs, en France en particulier.

 

 

Nota 

Beaucoup de ces revues publient en fin d’année des recueils des meilleures nouvelles qu’elles ont publiées dans leur pages (nouvelles courtes et moyennes, et même très courtes maintenant).

 

 

A lire en complément

 

- The Function of Literary Journals in China, de Ruiqi Ma, in The systemic and empirical approach to literature and culture as theory and application, Steven Tötösy de Zepetnek et Irene Sywenky, Research Institute for Comparative Literature and Cross-Cultural Studies, University of Alberta, 1997, pp. 299-307.

A lire en ligne : https://books.google.fr/books?id=nfyuZmKXjgQC&pg=PA299&lpg=PA299&dq=Winds

+of+Change+:+Literary+Magazines+of+China&source=bl&ots=QmLfZ2qn0r&sig=nfP1nDB00HXDSWMI

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[1] En revanche, Beijing wenxue ou Littérature de Pékin (北京文学) n’a vu le jour qu’en 1980.

[2] Ce qui a en même temps valeur de référence : Huang Yongyu était le neveu de Shen Congwen (沈从文).

[3] Aperçu des numéros depuis 1979 : http://www.dangdaizazhi.net/

[4] Voir, par exemple, sur le blog de Paper Republic, la discussion concernant le choix et la remise des prix de 2010 : https://paper-republic.org/canaanmorse/dangdai-magazine-best-novels-of-2010-awards/

[5] Le titre est une référence à la montagne dite "de la cloche" ou montagne Pourpre (紫金山), à l‘Est de Nankin. C’est plus une colline qu’une véritable montagne, mais également appelée Mont Jinling (金陵山), elle a donné son surnom à la ville et en reste emblématique.

Cette même année 1979, à Nankin, est également créée la revue Youth (Qingchun《青春》).

[6] Sources : Tales of Futures PastAnticipation and the Ends of Literature in Contemporary China, Paola Iovene, Stanford University Press, July 2014, p. 98 & sq.

En chinois : Description générale de la revue : https://baike.baidu.com/item/%E4%B8%AD%E5%9B%BD/18607448

Articles sur Zhongguo : http://blog.sina.com.cn/s/blog_4a8995430100wxg9.html

[9] Quelques universités américaines publient des revues en anglais consacrées à la littérature chinoise contemporaine, et en particulier aux nouvelles : l’université de l’Oklahoma, par exemple, qui édite Chinese Literature Today (CLT) ou celle de l’Ohio qui publie Moderne Chinese Literature and Culture (MCLC). Il faut citer également, en Chine, la revue Chinese Arts and Letters (CAL) de l’Université normale de Nankin.

 

     

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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