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Fang Fang 方方
Présentation
par Brigitte Duzan, 1er février 2011,
actualisé 27 janvier 2021
De son vrai nom
Wang Fang (汪芳),
Fang Fang (方方)
est née en 1955 à Nankin, mais, ses parents ayant
déménagé deux ans plus tard à Wuhan (武汉),
c’est là qu’elle a grandi. Elle apparaît donc, à cet
égard, comme une consœur de
Chi Li (池莉),
mais, si
les deux auteurs sont à rattacher au même
courant néo-réaliste, la
teneur et le ton de leurs récits ainsi que leur
évolution sont totalement différents.
Adolescente marquée par la Révolution culturelle, mais
pas seulement
C’est à Hankou
(汉口), plus
exactement, que Fang Fang a grandi, c’est-à-dire l’une
des trois villes, avec Hanyang (汉阳)
et Wuchang (武昌),
qui, en fusionnant, ont donné naissance à Wuhan (武汉).
Elle a
d’ailleurs écrit plusieurs livres sur la ville et son
histoire, dont, publiés respectivement en 2004 et 2006,
« Le riche passé de Hankou » (《汉口的沧桑往事》)
et « Les concessions de Hankou » (《汉口租界》). |
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Fang Fang en 2013 (photo
China Daily) |
Hankou aujourd'hui |
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Elle termine le
lycée en 1974, mais doit abandonner là ses études et
passe ensuite quatre ans à travailler dans une usine.
Elle en parle peu, mais ce furent des années difficiles.
On dit en général qu’elle a dû cesser ses études à cause
de la Révolution culturelle ; ce n’est qu’en partie
vrai. En réalité, son père est mort très jeune, et c’est
pour aider sa mère à subvenir aux besoins de la famille
qu’elle est allée travailler, et comme manutentionnaire
qui plus est, un travail pas seulement épuisant comme
elle l’a expliqué : |
"当年我是从一个纯粹知识分子生活的环境中突然被扔进社会的底层。…。进入那样的环境,你只能跟他们站在同样的角度和立场来看待生活,你只觉得自己和他们是相同的人。其间的一些见闻和经历,可让我受用一生。…
现在虽然来往的人群已经完全变了,但只要在生活,总归你能看到很多劳动的人民在为生存而奋斗——像我年轻时一样。”
« Cette année-là, je suis soudain tombée d’une pure vie d’intellectuelle
aux bas-fonds de la société. […] Lorsque vous vous
retrouvez dans un environnement de ce genre, vous ne
pouvez qu’adopter les mêmes attitudes et positions
vis-à-vis de la vie que celles des gens autour de vous,
et penser qu’il n’y a pas de différence entre eux et
vous. […] Maintenant, bien que les circonstances aient
totalement changé, on continue à voir beaucoup de gens,
dans le peuple, travailler et lutter pour survivre, --
c’est comme moi quand j’étais jeune. » |
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Le riche passé de Hankou |
Ce n’est qu’en
1978, lorsque Deng Xiaoping réinstaure le gaokao
(高考),
c’est-à-dire l’examen d’entrée à l’université, qu’elle
réussit à reprendre ses études : elle est admise à
l’université de Wuhan, pour y étudier la littérature
chinoise. Elle obtient son diplôme en 1982 et entre
alors comme rédactrice à la télévision du Hubei.
Ecrivain
malgré tout, qui ouvre la voie du néo-réalisme
Elle a commencé
à écrire dès 1975, des poèmes, comme beaucoup d’autres.
Sa première nouvelle est publiée en 1982, dans la revue
« Les arts et lettres du Yangzi » (《长江文艺》).
Elle s’intitule « Dans le convoi » (《大篷车上》)
et son style réaliste préfigure celui des nouvelles qui
vont suivre : « La marche des 18 ans » (《十八岁进行曲》), « L’autre rive du fleuve » (《江那一岸》),
« Une chanson, trois soupirs » (《一唱三叹》)… |
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Fengjing
(Une vue splendide) |
Une vue
splendide |
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Ce que reflètent, cependant, ces premières nouvelles, ce
sont la vie et les sentiments des jeunes étudiants et
intellectuels de l’époque ; elle a toujours considéré
comme étranger le monde du travail dans lequel elle a
pourtant dû vivre pendant quatre ans ; s’il lui arrive
de le décrire, c’est de l’extérieur.
C’est en 1987 que paraît la nouvelle « Une vue
splendide » (《风景》)
; reprise en 1989 dans la revue « Les auteurs contemporains »
(《当代作家》), elle obtient le prix
national de la meilleure nouvelle ‘de taille moyenne’
pour la période 1987-88. Mais elle a une importance
historique : elle est considérée comme l’œuvre qui a
ouvert la voie du mouvement « néoréaliste »
(拉开‘新写实主义’序幕”).
Le sujet a
évolué vers une peinture peu amène de la société, dans
un style sobre, sans état d’âme. Une famille de onze
enfants
qui vit dans une cabane de 13 mètres |
carrés secouée
toutes les sept minutes par le passage d’un train est
décrite par Petit Huitième qui, lui, a eu la chance de
mourir à seize jours, et observe ce qui se passe de son
cercueil, enterré à proximité : un père alcoolique et
violent, une mère aguicheuse qui se laisse battre, le
septième frère, bouc émissaire du père, qui dort sous le
lit des parents faute de place, et le frère aîné qui
travaille de nuit pour pouvoir dormir le jour, également
faute de place … Ce qui est le plus atterrant, dans
l’histoire, c’est le réalisme, justement, avec lequel
tout cela est décrit, avec un luxe de détails cruels.
Suivent des
récits dans le même style qui décrivent la misère du
prolétariat urbain dans la Chine du miracle
économique – comme « Soleil du crépuscule » en 1991 (《落日》),
sorte de suite donnée au récit précédent – ou la
médiocrité de la vie intellectuelle – comme « Au fil de
l’eau glissent les nuages » en 1992 (《行云流水》).
Elle décrit les conditions de survie de personnages au
bas de l’échelle sociale, des existences misérables dont
elle
analyse les faiblesses, des destins tragiques auxquels
elle cherche à trouver un sens.
Dans le ton perce souvent une note d’humour froid
caractéristique.
Maturité
et réflexion sur l’histoire
Plus récemment,
les sujets abordés dans les écrits de Fang Fang ont en
effet évolué vers une réflexion sur le passé et
l’histoire, en même temps qu’elle est passée de la
nouvelle de taille moyenne, qui prédomine dans les
années 1990, au roman.
1. Un roman qui
fait date, à cet égard, dans son œuvre est publié en
2003 : « Histoire
chronologique du lac aux boues noires » (《乌泥湖年谱》). Elle y décrit le
douloureux processus de réforme de la pensée des
intellectuels chinois de 1957 à 1966, à travers le
destin particulier de quelques individus, mais sans
emphase, sous l’angle de la vie quotidienne : Fang Fang
reste fidèle au réalisme.
En un certain
sens, on peut considérer ce roman, comme la suite de
celui de la fin des années 1980 intitulé « Grand-père
dans le cœur de mon père » (《祖父在父亲心中》)
qui, lui aussi, suivait un ordre chronologique, année
par année, pour décrire le malheureux destin d’une
poignée d’intellectuels du milieu des années 1950 au
début des années 1960.
2. « Le
printemps est parvenu jusqu’à Tan Hualin » (《春天来到昙华林》)
peut être considéré comme faisant partie de ce courant,
par l’importance du contexte historique expliqué dans
les chapitres deux et trois : ce reste de la vieille
muraille de la ville de Wuhan miraculeusement préservé
dans une arrière-cour… L’histoire de la ville est
présente en arrière-plan.
3. Fin 2008, elle a mis le point final à un autre roman,
« L’eau au fil du temps » (《水在时间之下》),
nourri des
recherches effectuées pour la préparation de ses deux ouvrages
cités précédemment sur l’histoire de la ville de Hankou. Il
s’agit d’un roman sur la forme locale d’opéra, le hanju (汉剧),
centré sur un personnage fictif, Shuishang Deng (水上灯),
qui représente sous forme emblématique les grands acteurs du
hanju et leur
rend hommage.
C’est aussi une autre manière de conter l’histoire de
Hankou, de la période républicaine au nouveau
millénaire. |
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Histoire
chronologique
du lac aux
boues noires
Grand-père dans le cœur
de mon père
Le
printemps est parvenu
jusqu’à
Tan Hualin |
L'eau sous
le cours du temps
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Shuishang Deng
est une rebelle, l’expression et l’emblème de la
rébellion de femmes qui y sont acculées par l’oppression
dont elles ont été victimes. Elle s’appelait Shui Di (水滴),
ou goutte d’eau, et était la fille du riche
propriétaire d’une maison de thé de Hankou et de sa
concubine. Mais, lorsque son père meurt dans un accident
peu après sa naissance, le bébé est accusé de porter
malheur et abandonné. Elle est recueillie et élevée par
une famille pauvre d’acteurs d’opéra et en devient aussi
une interprète. Cependant, pour avoir offensé le fils de
la famille Shui, son père adoptif est battu à mort, et
Shuishang Deng doit se vendre à une autre troupe pour
payer ses funérailles. Devenue célèbre, elle garde le
désir de venger son père adoptif, et sa mère adoptive
qui s’est suicidée, mais se retrouve piégée dans un
réseau sans merci de tromperies et de meurtres. |
L’intrigue est inspirée
de la vie de célèbres interprètes de l’opéra hanju, dont
celui dont le nom a inspiré celui de l’héroïne du récit, Wanzhan
Deng (万盏灯)
ou dix mille lampes. Fang Fang offre donc un récit dont
l’authenticité tient justement à ce croisement avec l’histoire,
d’autant plus que le destin de Shuishang Deng est symboliquement
lié à celui de la ville de Hankou et que ses mésaventures
trouvent leurs parallèles dans ceux de ses rôles dans les opéras
qu’elle interprète. Le principal est « L’épée de l’univers » (《宇宙锋》) qui dépeint les manipulations d’un ministre félon pour s’emparer de
l’épée et assassiner l’empereur ; il est prêt à offrir sa fille
à l’empereur qui a été frappé par sa beauté, mais celle-ci feint
la folie pour se faire chasser de la cour. C’est le meilleur
rôle de Shuishang Deng, et il est bien sûr emblématique.
Shuishang Deng,
c’est un peu l’équivalent de Mei Lanfang, mais au
féminin, et il se trouve que le livre a été publié juste
après la sortie du film consacré à ce dernier.
Comme dans le passé, dans les périodes transitoires de
réflexion et de recherche de valeurs, la Chine en
revient à sa grande tradition opératique. Avec sa riche
trame opératique, le livre de Fang Fang ferait
certainement un excellent film.
4. La nouvelle publication de Fang Fang, en septembre
2010, est de nouveau une nouvelle de taille moyenne :
« Qinduankou »
(《琴断口》)
:
elle commence par un fait divers, un pont qui s’effondre
au petit matin, un jour d’hiver, pour se pencher sur ce
qui arrive ensuite à deux survivants, à partir des
raisons pour lesquelles ils traversaient ce pont. Le
récit est mené sous l’angle d’une analyse approfondie
des relations humaines entre les personnages.
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Wuchang,
ville en guerre |
5. En juin 2011, elle publie un autre roman sur l’histoire de Wuhan, « Wuchang,
ville en guerre » (《武昌城》), qui se passe en 1926, pendant l’Expédition du Nord et le siège de la
ville.
6. En 2013, elle poursuit encore l’histoire de Wuhan avec « Le destin
tragique de Tu Ziqiang » (《涂自强的个人悲伤》), l’histoire d’un jeune garçon qui, avec le soutien de tout le village,
réussit des études universitaires à Wuhan et travaille pour
pouvoir faire venir ses parents en ville. Mais son père a un
accident et meurt. Tu Ziqiang s’occupe alors de sa mère que le
choc a affaiblie, mais meurt d’épuisement.
Le destin
tragique de Tu Ziqiang |
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Fang Fang a donc bien évolué depuis les beaux jours du
néo-réalisme, et ses derniers écrits portent la marque
d’un esprit en profonde mutation, et maturation, dont on
aimerait maintenant voir plus de traductions.
Elle est aujourd’hui une personnalité influente du monde
littéraire chinois, présidente depuis 2007 de
l’Association des écrivains du Hubei, présente à la
Foire du Livre de Francfort en octobre 2009, et
apparaissant souvent aux côtés de la présidente de
l’Association nationale des Ecrivains,
Tie Ning
(铁凝),
comme on l’a vu récemment, en janvier 2011, lors des
deuxièmes rencontres littéraires
franco-chinoises
à Pékin.
En 2014, elle a pris officiellement position contre les
abus commis lors de l’attribution des nombreux
prix |
littéraires chinois, qui en dénaturent l’intérêt et la
signification. En mai, sur weibo, elle a dénoncé
ouvertement et nommément le poète du Hubei
Liu Zhongyang
(柳忠秧)
à qui venait d’être décerné le prix Aiqing, en
contestant la validité du choix. Cela lui a valu un
procès qui lui a pris toute son énergie et son temps. Il
se trouve qu’elle venait de commencer un roman, qu’elle
n’a pu reprendre qu’en juillet 2015.
7. Ce roman,
« Funérailles molles » (《软埋》),
publié en août 2016, est un autre roman sur un sujet
historique, et en l’occurrence la réforme agraire
chinoise du début des années 1950. C’est un sujet très
peu abordé dans la littérature,
en grande partie parce que les souvenirs en sont
tellement cauchemardesques que les gens ont préféré
oublier et ne pas en parler. Or c’est une période
courte, mais fondamentale, car elle a bouleversé les
bases de la société chinoise et que tout le monde –
paysans, propriétaires fonciers, notables locaux ou
intellectuels – en a subi les conséquences, à des degrés
divers.
L’histoire du
roman est celle des parents de Fang Fang, de leurs amis
et de leurs proches. Mais elle ne traite pas directement
son sujet, elle le fait par l’intermédiaire d’un
personnage féminin, une vieille femme qui était la mère
d’un ami. Et le titre du roman est celui d’une de ses
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Funérailles molles |
phobies : elle avait
peur d’être enterrée sans cercueil, voire sans linceul,
à même la terre, sans doute parce qu’elle l’avait vu
pratiqué trop souvent, justement, dans ce passé
oblitéré, et que cela avait laissé en elle une frayeur
récurrente, car les Chinois croyaient que les morts
enterrés ainsi ne pourraient pas renaître. C’est ce
qu’on appelle – ou plutôt appelait - les « enterrements
souples » ou
ruǎnmái
(软埋)
– en fait c’est le corps qui était laissé « souple »,
c’est-à-dire sans la protection d’un cercueil, quand on
le mettait dans la terre.
C’est le titre du
roman, car c’est ce détail de la vie de cette femme qui a décidé
Fang Fang à l’écrire quand on le lui a raconté, et elle a bâti
toute son histoire autour d’elle : l’histoire de la réforme
agraire vue d’un point de vue féminin.
La vieille femme
s’appelle Ding Zitai (丁子桃)
et, en vieillissant, perd la mémoire. Mais
les événements
tragiques du passé lui reviennent à l’esprit, elle se rappelle
son nom initial, Hu Daiyun (胡黛云),
quand elle était la bru d’une riche famille. Angoissés à l’idée
d’être persécutés au moment de la réforme agraire, tous les
membres de la famille décident de se suicider. Il ne reste que
Hu Daiyun, qui s’échappe par un passage secret avec l’enfant
qu’elle avait en garde. Mais elle tombe du bateau qu’elle prend
pour s’enfuir, l’enfant se noie ; elle est sauvée, mais elle a
perdu la mémoire. On lui donne un nouveau nom : Ding Zitao.
Ensuite elle rencontre un médecin qu’elle épouse, et elle a un
fils, Wu Qinglin (吴青林).
Peu à peu, à travers
les dires de sa mère, celui-ci commence à deviner son passé
terrible, mais surtout il retrouve le journal que son père a
tenu jusqu’à sa mort
.
Et là il apprend que son père comme sa mère était d’une famille
de riches propriétaires, et donc qu’ils ont énormément souffert.
Cependant, Qinglin ne
se sent pas la force de faire face à cet héritage complexe et
lourd, et finalement, il choisit l’oubli, tandis que sa mère est
réduite à un état végétatif. Mais, quand elle meurt, son fils
lui achète un cercueil, bien qu’elle soit incinérée…
Le critique Bai Ye a loué Fang Fang pour « repêcher » l’histoire
(打捞历史),
et en même temps donner à réfléchir sur sa
mémoire. Beaucoup de ce
qu’elle a « repêché » est caché, recouvert de poussière, méconnu
pour toutes sortes de raisons. « Fang Fang a choisi la fiction
pour écrire l’histoire, mais c’est quand même un travail
d’historien » (“方方是以小说来写历史,具有史学家品格。”).
La traduction française a été couronné du
prix Emile
Guimet de littérature asiatique 2020.
8. Parallèlement, en août 2016, elle a également publié
un recueil de douze nouvelles qui porte le titre de la
première : « Quand les nuages parlent de paysage » (《云谈风景》).
1、云淡风轻
2、Tianlan
天蓝
3、Histoire
历史
4、Ici
et là
哪里来哪里去
5、Un
meurtre
凶案
6、L’année
des noces de papier
纸婚年 7、Midi
正午
8、Quelques
conjectures
推测几种
9、Le
directeur d’école Ma Sangua
小学校长马三瓜
10、Un
arbre
一棵树
11、Un
heureux
幸福之人
12、Une
chanson, trois soupirs
一唱三叹
Quand les
nuages parlent de paysage |
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Les deux
premières ont été sélectionnées dans deux recueils des
meilleures nouvelles de l’année 2016 : la première aux
Editions Lijiang (漓江出版社)
et la seconde aux Editions des lettres et des arts du
Yangtsé (长江文艺出版社).
Etonnamment, elles forment une sorte de diptyque, car
elles ont toutes deux un accident comme élément clé de
la structure narrative ; il y en a même deux dans la
première, mais surtout un accident de voiture : dans les
deux nouvelles, une voiture fauche un personnage, deux
même dans la première, et c’est ce qui constitue le nœud
de l’intrigue.
Dans la
première nouvelle, une femme a perdu son fils dans un
accident involontaire, tandis que sa voisine est une
vieille dame dont le petit-fils a été fauché par un
chauffard alors qu’elle se promenait avec lui et son
fils ; comme celui-ci avait une maladie de cœur, il a
une attaque et meurt lui aussi. Le chauffard a continué
sans s’arrêter ; la vieille dame vit dans l’espoir de le
retrouver… il est difficile d’en dire plus sans déflorer
|
la nouvelle,
et ce serait bien dommage : tout est dans l’atmosphère
rendue par Fang Fang.
La seconde nouvelle,
« Tianlan »
(《天蓝》),
est un texte d’où émerge une émotion diffuse du début jusqu’à la
fin. L’histoire est celle d’une femme qui est professeur et
vient de perdre sa mère fauchée par un camion. Ici, le camion
était conduit par une femme qui s’est arrêtée pour emmener la
victime à l’hôpital où elle est morte peu après, mais après lui
avoir confié le cadeau d’anniversaire qu’elle apportait à sa
fille, et lui avoir demandé de le lui remettre en lui disant
qu’elle reviendrait veiller sur elle.
La nouvelle commence
alors que la jeune enseignante se recueille sur la tombe de sa
mère, à la veille du Nouvel An. Arrive une petite fille joyeuse
et délurée, nommée Tianlan (ou ‘le bleu du ciel’), qui l’aborde
comme si elle la connaissait. Quelques jours plus tard, l’enfant
vient à l’école, et demande à être dans sa classe. Une relation
étroite se noue alors entre l’élève et son professeur, jusqu’à
ce que l’enfant se montre excessive dans son amour pour son
professeur, en allant jusqu’à dénoncer le petit ami qui la
trompe. L’enseignante décide alors d’aller parler à la mère de
l’enfant. Or celle-ci est la femme qui conduisait le camion
responsable de la mort de sa mère. La nouvelle tourne alors
presque au conte fantastique…
2020 : Le Journal
de Wuhan
Le 23 janvier 2020, en
raison de la progression exponentielle de l’épidémie de
coronavirus, la ville de Wuhan qui en est l’épicentre est
frappée de quarantaine, mesures étendues bientôt à l’ensemble de
la province du Hubei. Tandis que l’épidémie fait des ravages et
provoque une crise à tous les niveaux, y compris dans l’opinion
publique bientôt muselée par la censure, Fang Fang commence le
25 janvier un « journal de quarantaine » qu’elle baptise
« Journal
de Wuhan » (《方方武汉日记》).
Publié d’abord sur
WeChat, il est vite censuré un jour sur deux ou trois, puis
totalement, et continue alors hébergé sur Caixin. C’est un
véritable journal de guerre qui est aussi chronique du temps qui
passe, mêlant touches impressionnistes et poétiques, notes sur
les drames dont lui parviennent des échos, tentatives d’analyser
les bruits qui courent, les chiffres qui circulent, et critiques
acerbes de la gestion de la crise par les autorités. Elle est
attaquée, par la vieille garde de ceux qu’elle dénonce comme
« ultra-gauchistes », et elle se défend, bec et ongles.
Cela nous vaut une
superbe
« Lettre
d’un lycéen à sa tante Fang Fang »
(《一位高中生给“方方阿姨”的信》),
sans doute écrite par l’un de ses détracteurs, qui est un modèle
de discours officiel ambigu, camouflé en lettre faussement
naïve. La
réponse de Fang Fang est
immédiate : c’est un autre modèle, modèle littéraire qui est
aussi une défense de valeurs humaines et culturelles, mettant en
exergue la nécessaire liberté de pensée.
Fang Fang, photo du billet du 9 février |
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Fang Fang a
mis un point final à son journal au bout de soixante
jours, le 24 mars 2020, au moment où les autorités
ont décidé la fin du « blocus » du Hubei, et annoncé
la fin de la quarantaine de Wuhan pour le 8 avril.
Le dernier billet de Fang Fang posté sur WeChat
annonçant qu’elle arrêtait est accompagnée d’une
courte vidéo, sous-titrée en anglais, où elle
affirme sa volonté de continuer son combat pour des
valeurs d’ouverture et sa foi dans le pouvoir
salvateur de la littérature
. |
Avec ce journal, elle
est devenue quasiment une héroïne nationale, représentante de
l’esprit des Lumières face à l’obscurantisme, lue par quelque
cinquante millions de lecteurs : un phénomène en soi. Le 25
mars, sept professeurs ont écrit et publié sur WeChat une lettre
collective qui est un superbe hommage à son désir de rendre
compte des souffrances et des injustices subies et à son esprit
de résistance aux intimidations et aux attaques : « Fang Fang
vue par sept professeurs d’université : au plus profond de
moi-même, Fang Fang suscite en moi un sentiment de honte » (七位大学教授评价方方 :
(因为方方,心中暗暗看不起自己).)
.
Le titre est celui de
la lettre du professeur Chen Jiaqi (陈家琪),
de l’Université Tongji, à Shanghai (同济大学)
:
il a écrit ces lignes, dit-il, à 1h30 du matin, après avoir lu la
réponse de Fang Fang à la « lettre du lycéen » où elle dit qu’il est nécessaire de « se
vider la tête de toutes les saletés et toxines » qu’on y a
accumulées et d’avoir le courage de faire face.
Le professeur Tang
Yiming (唐翼明),
de l’Université normale de Chine centrale (华中师范大学),
propose même de lui accorder le prochain prix Nobel….
Traductions en
français
- Une vue splendide
《风景》,
trad. Dany Filion, Philippe Picquier1995, Picquier poche 2003.
- Début fatal
《在我的开始是我的结束》,
trad. Geneviève Imbot-Bichet, Stock/La Cosmopolite, 1998
- Soleil du crépuscule
《落日》,
trad. Geneviève Imbot-Bichet avec Lü Hua, Stock / Cosmopolite,
1999.
-
Funérailles molles 《软埋》,
trad. Brigitte Duzan / Zhang Xiaoqiu, L’Asiathèque 2019.
-
Wuhan ville close, journal, trad. Frédéric Dallés/Geneviève
Imbot-Bichet, Stock/La Cosmopolite, 2020.
Traductions en
anglais
- Three Novellas by
Fang Fang, Contemporary Chinese Women Writers V, Panda, 1996 :
One Glitteriing
Moment / Landscape / Dead End – avec une préface de
Han Shaogong (韩少功).
- “Hints”, tr. Ling
Yuan, Chinese Literature (Summer 1997)
- “Predestined”,
tr. Zhang Siying,
Chinese Literature
(Winter
1998)
- “Stakeout”, tr.
Zhang Siying,
Chinese Literature
(Summer
1997)
- Children of the Bitter River: A Novel,.
Tr. Herbert Batt. Norwalk, CT: Eastbridge Books, 2007.
- Love and its Lack
are Emblazoned on the Heart Forever
《有爱无爱都是铭心刻骨》,
tr. Eleanor Goodman, in
By the River: Seven
Contemporary Chinese Novellas,
University of
Oklahoma, nov 2016.
Adaptations cinématographiques
Plusieurs nouvelles de Fang Fang ont été adaptées au
cinéma. La seule adaptation qu’elle ait avalisée, la
plus réussie et la plus récente, est l’adaptation par
Wang Jing (王竞)
de la nouvelle « Dix mille
flèches
transpercent le cœur » (《万箭穿心》《小说月报》),
parue en 2007 dans le mensuel littéraire Xiaoshuo
Yuebao (《小说月报》).
Le film est sorti en 2012 sous le titre « Feng Shui »
(mais le même titre chinois).
Voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Wang_Jing_
Feng_Shui.htm
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Dix mille
flèches transpercent le cœur |
A voir en complément
Le court métrage de Gu
Changwei « Long Tou » (《龙头》)
où Fang
Fang est l’un des trois protagonistes :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Gu_Changwei_Long_Tou.htm
A lire en complément
Le prix Emile Guimet 2020 décerné à
Funérailles molles
Interview publiée dans son Journal de
Wuhan, le 10 mars 2020.
Chen Jiaqi est un spécialiste de philosophie allemande.
En 2004, il a participé à un ouvrage de la collection Proches
Lointains (collection commune des Editions Desclée de Brouwer et
des Presses littéraires et artistiques de Shanghai) sur le thème
de la famille : La Famille, deux textes de Chen Jiaqi (trad. de
Chantal Chen-Andro) et Martine Ségalen, DDB/ Presses littéraires
et artistiques de Shanghai, 2004.
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