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				Brève histoire du 
				xiaoshuo et de ses diverses formes,  
				de la nouvelle au roman 
				par Brigitte Duzan, 25 avril 2015
				 
				             
				  
				Il n’y a pas au départ 
				de différence nette, en chinois, entre ce que l’on appelle en 
				Occident roman et nouvelle. Tout récit de fiction est désigné du 
				terme de xiaoshuo (小说) ; on distingue ensuite une forme courte, le duanpian xiaoshuo (短篇小说), 
				nouvelle en français ou short story en anglais, qui se distingue 
				de la forme longue ou changpian xiaoshuo (长篇小说), 
				qui correspond au roman ; mais avec une forme intermédiaire, qui 
				est un xiaoshuo de taille moyenne ou zhongpian 
				xiaoshuo (中篇小说) 
				et correspond à une longue nouvelle ou à un court roman. 
				              
				  
				Les trois formes ont 
				évolué en des genres bien distincts, qui répondent aujourd’hui à 
				des définitions bien précises en termes de nombre de 
				caractères et représentent des styles différents. Mais toute la 
				littérature de fiction chinoise a évolué à partir de la forme 
				courte du xiaoshuo, dont l’histoire recoupe et reflète 
				celle, politique et sociale, de la Chine dans son ensemble. 
				C’est cette histoire même qui donne une signification 
				particulière et une place à part à la nouvelle courte dans la 
				littérature chinoise. 
				              
				  
				I. Origines : des 
				anecdotes des Han aux chuanqi des Tang  
				              
				  
				Il faut d’abord définir 
				le xiaoshuo.  小 
				
				xiao 
				signifie ‘petit’ et
				
				说 
				shuo 
				‘dire’, ‘parler’. Le terme a donc au départ une connotation 
				péjorative, qui remonte à ses origines. 
				              
				  
				Le texte le plus ancien 
				où apparaît ce terme de xiaoshuo est en effet un passage 
				du Zhuangzi (庄子), 
				écrit vers le 4ème siècle avant Jésus-Christ, où 
				l’auteur désigne par ce terme des propos futiles, sans 
				importance. Et s’ils étaient sans importance, et donc peu dignes 
				de considération,  c’est parce qu’il s’agissait, pour la 
				plupart, de fabliaux ou de récits fantastiques qui n’étaient pas 
				fondés sur les Classiques, et ne correspondaient pas à une 
				vision ordonnée de l’univers telle que le voulait la tradition 
				établie par ces Classiques.  
				              
				  
				1.      
				Emergence 
				du xiaoshuo sous les Han 
				              
				  
				Or les Classiques 
				subirent une éclipse quand le Premier Empereur fit brûler les 
				livres, ce qui était une manière pour lui de contrôler le peuple 
				en détruisant les textes qui prônaient des politiques 
				diamétralement opposées à la sienne et n’étaient pas conformes à 
				l’ordre social qu’il voulait instaurer. Le xiaoshuo était 
				considéré comme facteur de désordre. 
				             
				  
					
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						Cependant, 
						l’éclipse fut brève car les empereurs Han, ensuite, pour 
						bien se démarquer de leur prédécesseur, s’appuyèrent sur 
						le confucianisme et lancèrent des recherches pour 
						retrouver les anciens textes. Ils envoyèrent alors des 
						cohortes de petits fonctionnaires dans tout l’empire 
						avec pour mission de collecter ce qui avait été conservé 
						dans la mémoire populaire. Ainsi fut recueillie une 
						foule de récits, rapportés par ouï-dire, qui vinrent 
						alimenter un courant de xiaoshuo…  
						              
				  
						Cette démarche 
						est présentée dans l’histoire de la dynastie, le « Livre 
						des Han » (《汉书》), 
						comme  |  | 
						
						 
						Livre des Han, traité de littérature |  
				remontant à une 
				pratique similaire des anciens souverains, plus ou moins 
				mythiques, qui représentent l’image idéalisée du souverain 
				chinois. C’était une manière de légitimer la dynastie.    
				              
				  
				Le Shijing ou 
				Livre des Odes (《诗经》), 
				le plus ancien recueil de poèmes chinois, qui remontent à la 
				période allant du 10ème au 7ème siècle 
				avant Jésus-Christ, serait en particulier, pour partie, le 
				résultat d’un tel travail de collecte dans la population ; 
				beaucoup de ces poèmes dépeignent d’ailleurs les durs labeurs 
				des paysans tandis que d’autres représentent des sortes de 
				chants populaires. Le livre des Han décrit précisément la 
				collecte des chants et récits populaires selon le modèle antique 
				:  
				« Les xiaoshuo 
				étaient des récits tirés des paroles des rues. Le Zuozhuan 
				rapporte les chants de porteurs de palanquins, le Livre des Odes 
				fut à l’écoute de l’humble peuple des campagnes… Au début du 
				printemps, retentissait la cloche à battant de bois utilisée 
				pour les proclamations, afin d’appeler à la quête des chants 
				populaires ; des rondes étaient organisées qui se tenaient à 
				l’écoute des balades et chansons afin de connaître les coutumes 
				du peuple. Elles étaient ensuite mises en ordre … tous les 
				ouï-dire furent ainsi soigneusement consignés. » 
				              
				  
				C’est dans les trente 
				années avant Jésus-Christ que les empereurs Han Chengdi (成帝) 
				et Aidi (哀帝) 
				organisèrent des collectes de cette manière, donnant un premier 
				fond de xiaoshuo. Cependant, dans la troisième partie du 
				Traité de littérature du Livre des Han, dix écoles (诸子) 
				sont citées, mais la dernière ne fut pas considérée digne 
				d’intérêt : c’est justement celle des xiaoshuo (小说家), 
				décrits comme « rumeurs des rues et ruelles » (街谈巷语) 
				et « histoires entendues en chemin » (道听途说), 
				collectées et diffusées par les petits fonctionnaires dont 
				c’était la charge, les baiguan (稗官).
				 
				              
				  
				C’est dans un appendice 
				au traité que l’on trouve une liste de quinze ouvrages relevant 
				de cette catégorie. Mais ce sont surtout des événements relevant 
				de l’histoire ancienne. Huan Tan (桓谭), 
				un philosophe et écrivain qui a vécu au tournant du millénaire, 
				à la période de transition entre Han de l’Ouest et de l’Est, 
				décrit les xiaoshuo comme présentant un intérêt dans la 
				mesure où peut leur être attribuée une utilité sociale : 
				 « Les auteurs de xiaoshuo rassemblèrent des bribes éparses de 
				discours dont ils firent des paraboles, matière à de courts 
				livres pour gouverner les personnes et régler les organisations 
				sociales ; il y en eut ainsi qui furent dignes d’être considérés. »  
				              
				  
				Il restait à développer 
				de véritables récits de fiction.  
				              
				  
				2.      
				
				Développement sous les Six Dynasties et les Tang 
				 
				              
				  
				Des contes et 
				anecdotes …  
				              
				  
					
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						Yulin (Forêt des anecdotes) |  | 
						A partir du 
						troisième siècle, on voit apparaître des histoires de 
						fantômes, immortels et divinités diverses, d’abord sous 
						la dynastie des Wei (ou Cao Wei 
						
						曹魏, 
						220-265), 
						mais aussi des anecdotes pour divertir le lecteur, qui 
						se développent sous la dynastie des Jin (晋朝, 
						265-420), puis sous les dynasties du Nord et du Sud, aux cinquième et sixième 
						siècles – soit pendant toute la période dite des « Six 
						dynasties ». 
						 |  
				              
				  
				Lu Xun cite le recueil 
				compilé, en dix volumes,  par le lettré Pei Qi (裴启) 
				à l’ère Longhe des Jin (晋隆和,
				soit 367) et 
				intitulé « Yulin » ou « Forêt d’anecdotes » (《语林》) ; 
				il était déjà perdu sous les Sui, mais il en existe des extraits 
				dans des ouvrages postérieurs. Ce sont souvent de véritables 
				petites anecdotes sans importance,  telle celle-ci rapportée 
				dans le « Taiping Guangji » (《太平广记》) ou recueil de l’Ere de la grande paix, grande encyclopédie compilée 
				sous les Song du Nord : 
				娄护字君卿,历游五侯之门,每旦,五侯家各遗饷之,君卿口厌滋味,乃试合五侯所饷之鲭而食,甚美。世所谓“五侯鲭”,君卿所致。 
				Au terme d’un 
				voyage, Lou Hu, dont le prénom social était Junqing, était 
				arrivé à la Porte des cinq princes où, chaque jour, des gens de 
				la maisonnée des princes venaient lui apporter des plats à 
				déguster ;  s’étant lassé de ces mets délicieux, il prépara un 
				ragoût avec la viande et le poisson qu’on lui avait portés, et 
				trouva le mélange délicieux. C’est ce qu’on appela « le ragoût 
				des cinq princes » et c’est Junqing qui en est l’inventeur.
				 
				              
				  
					
						| 
						D’un autre 
						recueil, compilé un siècle plus tard, il reste 
						aujourd’hui trente-huit chapitres : ce sont les 
						« Histoires du temps et nouvelles anecdotes » ou « Shishuo 
						Xinyu » (《世说新语》). 
						Certaines de ces histoires ressemblent à des fabliaux 
						moraux, tel celui-ci tiré du volume « Les conduites 
						vertueuses » : 
						
						阮光禄在剡,曾有好车,借者无不皆给。有人葬母,意欲借而不敢言。阮后闻之,叹曰,“吾有车而使人不敢借,何以车为?”遂焚之。(卷上《德行篇》)  |  | 
						
						 
						Shishuo xinyu (Histoires du temps 
						et nouvelles anecdotes) |  
				Ruan Guanglu avait 
				jadis à Yan un char superbe qu’il ne refusait jamais de prêter. 
				Or, un jour, devant enterrer sa mère, un homme songea à le lui 
				demander pour transporter le corps, mais n’osa pas. L’ayant 
				appris, Ruan déclara en soupirant : « Si j’ai un char et que 
				personne n’ose me l’emprunter, à quoi sert-il ? » Alors il le 
				brûla. 
				              
				  
				Mais il y a aussi dans 
				ce recueil des anecdotes sur la littérature qui sont savoureuses 
				aujourd’hui encore, telle celle-ci : 
				
				阮宣子有令闻,太尉王夷甫见而问曰,“老庄与圣教同异?”对曰,“将无同。”太尉善其言,辟之为掾,世谓“三语掾”。(卷上《文学篇》) 
				Ruan Xuanzi avait 
				une grande renommée ; un jour, alors qu’il l’avait rencontré, le 
				gouverneur militaire Wang Yifu lui demanda : « La pensée de 
				Laozi et de Zhuangzi est-elle comparable à l’enseignement du 
				grand Confucius ? » A quoi Ruan répondit en trois mots : « Jiang 
				wu tong » [ils vont de pair mais ne sont pas pareils]. Le 
				gouverneur apprécia ces paroles et prit Ruan comme assesseur. On 
				l’appela désormais « l’assesseur aux trois mots ». 
				 
				              
				  
				Et il y en a également 
				dans le registre comique, telle celle-ci, du volume 
				« Comportements absurdes »  
				
				刘伶恒纵酒放达,或脱衣裸形在屋中。人见讥之。伶曰,“我以天地为栋宇,屋室为裈衣,诸君何为入我裈中?”(卷下《任诞篇》)  
				Liu Ling s’adonnait 
				sans retenue à son penchant pour la boisson, si bien qu’il lui 
				arrivait d’enlever ses vêtements et de se promener tout nu chez 
				lui. Le voyant ainsi, on se moqua de lui, mais Liu Ling 
				rétorqua : « J’ai le ciel et la terre pour demeure, et ma maison 
				pour pantalon. Alors, messieurs, que faites-vous dans mon 
				pantalon ? » 
				              
				  
				Il y a d’ailleurs des 
				recueils de plaisanteries et histoires comiques depuis les Han 
				postérieurs, à toutes les époques. Mais le Shishuo xinyu 
				a inspiré toute une littérature d’anecdotes et propos divers. La 
				mode, cependant, va ensuite passer des histoires fantasques aux 
				histoires fantastiques. 
				              
				  
				… aux histoires 
				fantastiques et chuanqi  
				              
				  
				Le Traité de 
				littérature du « Livre des Sui » (《隋书》), 
				commissionné par l’empereur Taizong 
				des Tang et achevé en 636, comportait une Série de contes 
				extraordinaires, en trois volumes, traitant d’êtres surnaturels 
				et de prodiges, qui sont aujourd’hui perdus, mais dont on trouve 
				des citations dans divers ouvrages. Cependant, ces histoires 
				n’avaient pas de véritables descriptions littéraires. Les 
				récits, brefs, étaient concentrés sur l’intrigue, conçue comme 
				une sorte de fait divers propre à susciter la curiosité. 
				              
				  
				C’est sous les Tang que 
				se développe le xiaoshuo comme récit de fiction, 
				c’est-à-dire une œuvre fondée sur l’imaginaire, et non plus sur 
				des anecdotes de la vie courante. C’est surtout à partir du 8ème 
				siècle, qu’émerge ce nouveau courant, c’est-à-dire sous les 
				règnes des empereurs Xuanzong (唐玄宗) 
				et Suzong (唐肃宗), 
				et ce parallèlement à l’essor de la poésie. On voit alors 
				apparaître tout un fond d’histoires et de contes fantastiques 
				qui deviennent un genre en soi, le chuanqi (传奇), 
				colportant des récits nourris des mythes et légendes et des 
				croyances et superstitions populaires.  
				              
				  
				Raisons du 
				développement des chuanqi sous les Tang 
				              
				  
				Il y a plusieurs 
				raisons, à la fois économiques et sociales, au développement de 
				ces récits populaires à cette époque. 
				              
				  
				D’abord, l’empire 
				unifié crée une formidable croissance économique qui entraîne 
				des bouleversements sociaux, et en particulier le développement 
				de la classe des marchands et de toute une nouvelle société 
				urbaine, avide de divertissements ; or ceux-ci sont en grande 
				partie fondés sur l’art des conteurs, qui sont alors la source 
				d’une littérature orale, fondement du xiaoshuo. 
				 
				              
				  
				Par ailleurs, la 
				période Tang est aussi une époque de développement du 
				bouddhisme ; les prédicateurs utilisaient, pour attirer leur 
				auditoire, tout un corpus de récits simplifiant la pensée 
				bouddhique en récits colorés et faciles à comprendre ; les 
				foires des temples devinrent des lieux où se produisaient les 
				conteurs. Ces récits étaient des histoires tirées des Jâtaka, 
				les vies antérieures de Bouddha, ou de l’hagiographie 
				bouddhique. Ils étaient contés sous forme de chantefables, 
				mélanges de récits parlés et de parties chantées ou shuochang
				(说唱). 
				              
				  
				Enfin, à l’autre bout 
				de l’échelle sociale, on trouve une raison liée aux examens 
				impériaux : les candidats avaient intérêt à se faire connaître 
				de personnages hauts placés et, pour ce faire, écrivaient des 
				poèmes ou de courts essais en prose qui leur étaient dédiés. 
				Mais des chuanqi ont aussi été écrits dans ce but : ils 
				circulaient sous forme de rouleaux contenant des illustrations 
				et des poèmes, créant un style hybride, entre classique et 
				populaire, qui était très prisé.  Ils contribuent à 
				l’amélioration stylistique des contes et chuanqi. 
				              
				  
				Cette combinaison de 
				facteurs est spécifique des Tang, mais le premier facteur de 
				développement des xiaoshuo à l’époque, celui représenté 
				par la constitution d’un public spécifique grâce à l’essor 
				urbain entraîné par la croissance économique, est un facteur que 
				l’on retrouve à diverses périodes, et jusqu’à aujourd’hui.
				 
				              
				  
				Aux sources du 
				chuanqi : le Gujing Ji 
				             
				  
					
						| 
						
						 
						Mémoire sur un miroir ancien (édition 
						2012) |  | 
						A la période 
						charnière entre les Sui et les Tang paraît un « Mémoire 
						sur un miroir ancien » ou Gujing Ji (《古镜记》) 
						de Wang Du (王度) 
						qui fait figure de prototype du chuanqi. Il est 
						dans la lignée des récits merveilleux des Six Dynasties, 
						mais sans leur côté édifiant et avec une extension 
						géographique du domaine des esprits et démons, non plus 
						confinés dans de vagues contrées et montagnes 
						lointaines, mais désormais dans les villes, à proximité 
						des hommes. Le texte est complexe et l’œuvre d’un lettré 
						cultivé : mort en 625, Wang Du était historien et 
						annaliste ; il fut censeur, puis correcteur des archives 
						impériales. 
						              
				  
						Le Gujing Ji
						est une série de douze récits liés entre eux par le 
						miroir du titre, qui mêlent habilement faits et fiction. 
						Il s’agit d’un miroir magique offert au narrateur, qui, 
						comme tout miroir de bronze dans la tradition taoïste, 
						permet de déceler les démons cachés sous une apparence 
						humaine et d’éloigner les esprits mauvais ; au cours 
						d’un voyage aux  |  
				épisodes multiples, il 
				réalise divers prodiges pour protéger les protagonistes.  
				             
				   
				Ce miroir, cependant, 
				décrit avec précision, ne ressemble à aucun objet connu de 
				l’histoire de l’art chinoise, et celle des miroirs de bronze en 
				particulier : il mêle des éléments de diverses périodes et il 
				est bordé de caractères indéchiffrables. Il se présente, dès 
				l’abord, comme un miroir fantasmé, un « miroir de nulle part » ; 
				mais, procédant par allusion (yingshe 
				影射) 
				en jouant avec les symboles, cosmologiques, numériques et 
				autres, dans un contexte historique et taoïste, mais incorporant 
				des éléments bouddhistes et confucianistes, il finit par être 
				une métaphore, représentative d’une pensée et d’une culture.
				 
				              
				  
				A la fin de l’histoire, 
				il prédit la chute de l’empereur Yang et de la dynastie des Sui 
				(en 617). Le Gujing Ji peut donc se lire aussi comme une 
				allégorie politique. 
				              
				  
				Floraison du chuanqi 
				à partir du 8ème siècle 
				              
				  
				Le Gujing Ji a 
				été suivi, au début des Tang, de recueils d’histoires et 
				anecdotes, dont une « Histoire de Bu Jiangzong, le singe blanc » 
				(《补江总白猿传》), 
				dont l’auteur est inconnu, et qui raconte l’aventure survenue au 
				général Ouyang He (欧阳纥), 
				de la dynastie des Liang, au sixième siècle – le texte est 
				d’ailleurs conservé sous ce titre : sa femme ayant été enlevée 
				par un singe blanc, il la sauva, mais elle donna naissance à un 
				enfant ayant le faciès du singe. Lu Xun considère qu’il s’agit 
				d’un genre de texte écrit pour nuire à la réputation de 
				quelqu’un. Il utilise les ficelles des récits merveilleux des 
				Six Dynasties, mais il n’a pas l’intérêt du récit de Wang Du.
				 
				              
				  
					
						| 
						Dans un autre 
						style, le Youxianku ou « Voyage à la caverne 
						des immortelles » (《游仙窟》) 
						de Zhang Zhuo (张鷟) 
						– ou Zhang Wencheng (张文成) 
						- est un autre récit célèbre, datant de la jeunesse de 
						l’auteur, sous l’interrègne de Wu Zetian : le narrateur 
						raconte comment, au cours d’un voyage, il rencontra deux 
						jeunes filles avec lesquelles il passa une nuit à 
						festoyer, échanger des vers et autres menus plaisirs. 
						C’est écrit dans un style hybride, en usant de l’art du 
						parallélisme du pianwen (骈文), 
						avec force poèmes, mais sans dédaigner les expressions 
						« vulgaires » qui  |  | 
						
						 
						Le Youxianku, édition ancienne 
						conservée au Japon |  
				donnent de la 
				fraîcheur au texte. L’auteur fut très populaire en son temps, 
				mais aussi très critiqué. 
				              
				  
				C’est surtout à partir 
				des ères Kaiyuan (开元) 
				et Tianbao (天宝) 
				du règne de l’empereur Xuanzong (唐玄宗), 
				soit entre 713 et 756, qu’a lieu la véritable floraison des 
				chuanqi, le plus souvent de la plume de lettrés pétris de 
				culture classique et souvent historiens, occupant des fonctions 
				officielles.  
				              
				  
					
						| 
						
						 
						Illustration du Conte de l’oreiller |  | 
						Parmi ceux-ci, 
						par exemple, Shen Jiji (沈既济), 
						auteur des « Annales de l’ère Jianzhong » (《建中实录》), 
						était un historien réputé. Mais il est aussi l’auteur 
						d’un « Conte de l’oreiller » (《枕中记》), 
						qui figure dans le Taiping Guangji sous le titre 
						de « Lü Weng » (《吕翁》), 
						à titre d’exemple de xiaoshuo. Ce Lü Weng est un 
						taoïste qui, en route vers la ville de Handan (邯郸), 
						fait halte dans une auberge où il rencontre un jeune 
						voyageur, Lu Sheng, qui  est profondément abattu. Lü 
						Weng lui offre un  |  
				oreiller, et 
				l’autre, en rêve, 
				épouse la jeune fille de ses rêves, réussit les examens 
				impériaux, est nommé préfet de la capitale, mène une expédition 
				victorieuse contre les barbares, devient ministre et censeur 
				impérial, et finalement premier ministre. Cela attire les 
				jalousies ; calomnié, il est condamné au bannissement, mais 
				rappelé par l’empereur, et il finit ses jours au service de 
				l’Etat sans pouvoir se retirer pour mourir en paix.  
				              
				  
				Quand Lu Sheng se 
				réveille, il se rend compte qu’il a rêvé, mais la leçon est 
				prise ; il remercie le taoïste : 
				
				“夫宠辱之道,穷达之运,得丧之理,死生之情,尽知之矣:此先生所以窒吾欲也。 敢不受教!”
 
				
				稽首再拜而去。  
				
				
				« Vous m’avez montré la voie des honneurs et celle de la honte, 
				le cycle de la fortune et de la misère, les lois du succès et du 
				malheur, les principes de vie et de mort ; j’ai bien compris, 
				monsieur : vous avez voulu mettre un frein à mes désirs. Comment 
				pourrais-je oublier cette leçon ? 
				Il se prosterna 
				avec déférence et s’en fut. »  
				              
				  
				Il s’agit d’une 
				histoire de rêve, inspirée d’une histoire des Six Dynasties : 
				« A la recherche des esprits » (《搜神记》) 
				de Gan Bao (干宝). 
				On retrouve d’ailleurs l’intention édifiante courante dans les 
				récits de cette période. Mais c’est un récit basé sur la longue 
				tradition du rêve héritée de Zhuangzi, qui en inspirera bien 
				d’autres, dont le célèbre « Conte de Handan » (《邯郸记》) 
				de Tang Xianzu (汤显祖) 
				sous la dynastie des Ming. 
				              
				  
				Mais, dès le neuvième 
				siècle, le « Conte du rêve de Qin » (《秦梦记》), 
				écrit à la première personne par Shen Yazhi (沈亚之), 
				est une autre variation sur le même thème, d’un auteur qui a 
				également écrit deux autres « Rêves étranges » (《异梦录》), 
				ainsi qu’une « Plainte de la rivière Xiang » (《湘中怨》),
				chuanqi sur un autre thème, fantastique celui-là : celui 
				de la jeune fille rencontrée un jour, mais qui s’avère être du 
				gynécée d’un dragon, et doit donc repartir… 
				             
				  
					
						| 
						Le thème du 
						rêve, enfin, a inspiré un célèbre chuanqi à un 
						autre auteur de la même époque : Li Gongzuo (李公佐). 
						Parmi les quatre récits de lui qui nous sont parvenus, 
						« L’histoire du gouverneur de Nanke » (《南柯太守传》) 
						est le plus connu. C’est l’histoire d’un jeune homme que 
						l’on ramène ivre mort chez lui. La tête sur son 
						oreiller, il voit deux messagers apparaître et lui 
						présenter un ordre l’appelant à la cour. Il monte sur 
						leur char, qui s’engage dans une cavité creusée dans le 
						tronc d’un vieil acacia. Ils traversent des  |  | 
						
						 
						L’histoire du gouverneur de Nanke 
						(lianhuanhua) |  
				contrées sauvages et 
				parviennent à une grande ville dont les murailles portent 
				l’inscription : « Paisible royaume du Grand Acacia » 
				(“大槐安国”). 
				  
				              
				  
				On retrouve ensuite le 
				thème de la « source aux fleurs de pêchers » de Tao Yuanming (陶淵明) 
				: le jeune homme épouse la fille du souverain, est fait 
				gouverneur de Nanke, et jouit de la plus haute considération. 
				Mais au bout de trente ans, il subit une défaite en allant 
				combattre un royaume ennemi. Il est destitué, la princesse 
				meurt, le souverain n’a plus confiance en lui et le bannit… sur 
				quoi le jeune homme se réveille. En examinant les racines de 
				l’acacia, il découvrira une colonie de fourmis présentant une 
				organisation semblable à celle du royaume vu en rêve. 
				 
				              
				  
				Le récit estompe ainsi 
				la frontière entre réalité et illusion, ce qui lui donne plus de 
				profondeur que le récit du « Conte de l’oreiller ». Il sera lui 
				aussi adapté sous les Ming par Xiang Tianzu (汤显祖), 
				sous le titre « Le conte de Nanke » (《南柯记》). 
				             
				  
					
						| 
						
						 
						Xie Xiao’e |  | 
						Li Gongzuo a 
						laissé trois autres chuanqi dont l’un est une 
						histoire de vengeance exercée par une jeune fille dont 
						les parents ont été tués par des brigands : « L’histoire 
						de Xie Xiao’e » (《谢小娥传》) 
						comporte en outre une intrigue originale, l’identité des 
						assassins ayant été dévoilée à la jeune héroïne – en 
						rêve à nouveau – sous forme de rébus à déchiffrer. 
						L’histoire sera également reprise sous les Ming. Cette 
						histoire de vengeance n’est pas sans rappeler celle de
						
						
						Nie Yinniang (聶隱娘) 
						par Pei Xing (裴铏), 
						mais sans développer le personnage de Xiao’e en 
						véritable nüxia. |  
				              
				  
				Liens avec la 
				poésie 
				              
				  
				A partir de la seconde 
				moitié du huitième siècle, le chuanqi se développe en 
				parallèle avec la poésie, dont c’est un âge d’or. Au début du 
				neuvième siècle, le grand poète Bai Juyi (白居易) 
				se lie d’amitié avec l’historiographe devenu en 805 grand maître 
				de cérémonie à Chang’an : Chen Hong (陈鸿).
				 
				             
				  
					
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						Au début de 
						l’ère Yuanhe (元和), 
						celui-ci écrit une « Histoire du chant de l’éternel 
						regret » (《长恨歌传》) 
						qui raconte l’histoire, romantique et tragique à la 
						fois, de la concubine Yang Guifei (杨贵妃), 
						favorite de l’empereur Xuanzong, sacrifiée en raison de 
						l’incompétence et des erreurs de son cousin Yang 
						Guozhong. C’est cette « Histoire du chant de l’éternel 
						regret » qui inspira ensuite le célèbre poème de 
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						L’histoire du chant de l’éternel regret |  
				Bai Juyi « Le chant de 
				l’éternel regret » (《长恨歌》), 
				lui-même source d’inspiration d’un grand nombre d’opéras et de 
				films.  
				              
				  
					
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						L’histoire de Li Wa |  | 
						Mais Bai Juyi 
						avait aussi un frère cadet vice-directeur de service 
						ministériel à la capitale et auteur de chuanqi :
						Bai Xingjian (白行简). 
						Le Taiping Guanji contient l’un de ses récits, « L’histoire 
						de Li Wa » (《李娃传》), 
						qui raconte comment le fils d’une grande famille de 
						Chang’an devient esclave de sa passion pour la 
						courtisane Li Wa, et finit pleureur dans les cortèges 
						funèbres, puis mendiant ; Li Wa finira par le sauver et 
						il l’épousera après s’être réconcilié, grâce à elle, 
						avec son père. C’est l’un des chuanqi les plus 
						célèbres de la période, une histoire morale, mais 
						critique de l’institution du mariage traditionnel, qui a 
						inspiré maints opéras.  |  
				              
				  
				Bai Xingjian a aussi 
				écrit un « Conte des trois rêves » (《三梦记》) 
				regroupant trois histoires qui élaborent des intrigues 
				impliquant chacune un rêve.  
				              
				  
				Un autre auteur de 
				chuanqi proche de Bai Juyi fut Yuan Zhen (元稹). 
				Poète lui-même, il composa dans sa jeunesse des odes avec Bai 
				Juyi. D’après sa biographie qui figure dans l’Histoire des Tang, 
				on parlait à l’époque des poètes Yuan et Bai, définissant un « 
				style de l’ère Yuanhe » (‘元和体’).
				 
				              
				  
					
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						De ses contes, 
						il ne reste que « L’histoire de Yingying » (《莺莺传》), 
						mais elle est célèbre. Intitulée aussi « Rencontre avec 
						une immortelle » (《会真记》),  
						l’histoire raconte la rencontre d’un jeune lettré, 
						Zhang, avec la jeune Yingying et sa mère au monastère de 
						Pujiu où ils ont fait halte au cours d’un voyage. Zhang 
						tombe amoureux, les deux jeunes gens passent un mois 
						ensemble dans la ‘chambre de l’ouest’, puis Zhang 
						repart. Il échoue aux examens départementaux, se fixe 
						dans la capitale, tente de revoir Yingying, mais chacun 
						se marie de son côté. Ayant tenté de la revoir une 
						ultime fois, il n’obtient d’elle qu’un poème. |  | 
						
						 
						L’histoire de Yingying |  
				              
				  
				Le récit a donné lieu 
				à d’innombrables adaptations. Il a été d’abord développé en 
				« Ballade de la Chambre de l’Ouest » (《弦索西厢》) 
				par Dong Jieyuan (董解元) 
				sous les Jin, puis cette version a ensuite été adaptée en 
				opéras, et d’abord en opéra zaju par Wang Shifu (王实甫) 
				sous les Yuan, sous le titre « Conte de la Chambre de 
				l’Ouest » ou Xixiangji (《西厢记》). 
				              
				  
				Cette même histoire a 
				enfin été adaptée au cinéma : produit par Li Minwei (黎民伟) 
				et réalisé par Hou Yao (侯曜) 
				en 1927, le film nous est parvenu sous le titre français « La 
				Rose de Pushui » (《西厢记》). 
				              
				  
				Avec le chuanqi, 
				le xiaoshuo acquiert ainsi des lettres de noblesse. Tous 
				ces récits alimentent sous les Tang des recueils célèbres, comme 
				le « Recueil des mystères et prodiges » (《玄怪录》) 
				de Niu Sengru (牛僧孺). 
				Mais l’aspect extraordinaire ou fictionnel est souvent gommé, 
				comme chez Li Gongzuo. On assiste ainsi parfois à la fin à une 
				véritable déconstruction de l’étrange du récit qui ouvre la voie 
				à des récits beaucoup plus réalistes.    
				              
				  
				A la fin de la période 
				Tang, les xiaoshuo se sont développés selon trois axes 
				thématiques principaux, à partir des contes fantastiques de la 
				période des Six dynasties : histoires de fantômes et aventures 
				extraordinaires, histoires d’amour faisant à l’occasion 
				intervenir des événements ou des êtres étranges, et des 
				histoires de héros et héroïnes 
				
				
				précurseurs de la littérature de 
				wuxia.
				Ce sont des récits écrits par 
				des lettrés, à des fins de divertissement.   
				              
				  
				Le développement du 
				xiaoshuo va se poursuivre sur ces bases sous les Song, sous 
				l’impulsion des facteurs propres à la période. 
				              
				 
				             
				  
				              
				              
				 
 
 
				              
				  
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