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Wang Meng
王蒙
Vie et œuvre
par Brigitte Duzan, actualisé 25 juin 2019
Wang Meng (王蒙)
est né à Pékin en 1934, de parents professeurs
universitaires. Il a donc grandi pendant ce qu’on
appelle en Chine la guerre de résistance contre le Japon
(抗日战争),
officiellement déclarée en 1937, mais qui avait en fait
commencé dès septembre 1931 avec l’invasion de la
Mandchourie.
Communiste dès son plus jeune âge, malgré sa
condamnation comme droitier en 1958, son exil au
Xinjiang pendant la Révolution culturelle, et ses
démêlés avec le Parti en 1989, il est toujours resté
fidèle aux idéaux de sa jeunesse. A plus de 80 ans, il
continue d’écrire, et, depuis 2000, n’en finit pas de
revisiter ses souvenirs de ses seize années au Xinjiang
qui ont nourri une grande partie de son œuvre et qu’il
considère a posteriori comme des années riches et
heureuses. C’est un regard rétrospectif plein de
nostalgie et d’un inaltérable optimisme. |
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Wang Meng |
En 2015, après romans, essais philosophiques et autobiographie
en plusieurs volumes, il est revenu vers la forme de la nouvelle
qui lui a valu ses premiers succès. Wang Meng est d’une
incroyable vitalité, « un tout jeune octogénaire » (一个八十岁的高龄少年),
comme a dit
Tie Ning (铁凝).
Au-delà des controverses qu’il peut susciter sur son engagement
politique, c’est un géant littéraire.
Communiste dès
la première heure
Son enfance est ainsi
marquée par le nationalisme qui est la réaction normale
de tout pays envahi, et influencée par l’idéologie communiste
qui se répand alors en Chine. En 1947, il a à peine treize ans
lorsqu’il adhère à la Ligue de la jeunesse socialiste de Chine,
rebaptisée en avril 1949 Ligue de la jeunesse de la Démocratie
Nouvelle (新民主主义青年团), avant de devenir la Ligue de la jeunesse
communiste. Il devient très vite secrétaire de quartier.
Il commence à écrire dès
1953, à dix neuf ans ; cette première nouvelle, intitulée « Vive
la jeunesse » (《青春万岁》),
qui ne sera publiée qu’en 1979, reflète la fougue et
l’enthousiasme qui étaient alors les siens (1). Dans un
autoportrait (2), il décrit ainsi ses premiers pas d’écrivain :
« Un soir d’automne
1953, dans un petit immeuble de deux étages près de Beixinqiao (北新桥),
un jeune cadre de dix neuf ans de la Ligue de la jeunesse
communiste ferma la porte de la petite pièce qui lui servait de
bureau et d’habitation, et commença à écrire sur un bloc de
papier blanc non réglé, avec le sentiment d’accomplir quelque
chose de sacré, de solennel… »
Il raconte un peu plus
loin dans le même texte que son premier professeur de
littérature fut la sœur de sa mère, quand il avait sept ans ; en
corrigeant l’une de ses rédactions qui avait pour sujet « le
vent du printemps », elle avait rajouté à la fin la phrase
suivante, sans trop se préoccuper de savoir si cela pouvait
venir de la plume d’un enfant de cet âge : « Oh vent, puisses-tu
disperser l’obscurité de la terre ! » C’est exactement, dit-il,
ce qu’il pensait que la littérature devait se fixer comme
mission.
Marqué par les grands
écrivains chinois comme
Lu Xun ou
Ba Jin,
mais aussi russes, comme Ostrovski (l’auteur de « Comment
l’acier fut trempé »), il pensait que littérature et révolution
étaient inséparables, que la littérature était le flux vital de
la révolution, et vice versa.
Premières désillusions
Or, justement, l’époque
est marquée par une attaque du Parti communiste contre la
liberté de l’écrivain… au nom de la révolution. N’est plus
admise que la littérature codifiée, celle répondant aux règles
du réalisme dit révolutionnaire : Wang Meng dit en avoir
ressenti une crise de conscience, un déchirement intérieur, et
avoir souvent pleuré sur son oreiller. Ses écrits traduisent sa
désillusion.
Après une courte
nouvelle, Xiao Dou’r (《小豆儿》),
en 1955, il publie l’année suivante « La fête du printemps »
(《春节》, puis « Le nouveau venu au département de l’organisation »
(《组织部新来的青年人》)
qui a tout de suite un grand retentissement car la nouvelle est
une attaque des dérives bureaucratiques de la Ligue de la
jeunesse, et du Parti en général. En 1958, au cours de la
campagne anti-droitière qui suit la brève campagne des Cent
Fleurs, l’ouvrage lui vaut d’être condamné comme droitier et
envoyé dans un camp de ‘réforme par le travail’ près de Pékin.
En 1961, il est
partiellement réhabilité et chargé d’un poste d’enseignant à
l’université normale de Pékin (北京师范学校).
Il écrit « La pluie d’hiver » (《冬雨》).
Le répit est de courte
durée : en 1963, il est à nouveau condamné, et cette fois à la
déportation au nord du Xinjiang, dans la préfecture autonome
kazakh d’Yili (伊犁哈萨克自治州 , dans le district de Yining (伊宁)(2).
Il va y rester seize ans, jusqu’en juin 1979.
Seize ans chez les
Ouïghours
Wonderful
Xinjiang |
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Il travaille
d’abord dans l’une des brigades de production de la
commune de Bayandai (巴彦岱公社),
avant d’être affecté au département de la culture du
Xinjiang, en 1973 ; en même temps, il apprend le
ouïghour et fait des traductions. Il dit dans son
autobiographie que la littérature chinoise était devenue
l’apanage de talents médiocres, qu’elle s’était enfoncée
au-delà du méprisable. Il ne peut qu’attendre, en marge.
C’est pour lui, cependant, l’occasion de partager les
joies et les souffrances des gens autour de lui, de
découvrir la grandeur et la dignité des couches les plus
modestes de la société, et la beauté des lieux les plus
éloignés du pays.
La mort de Mao,
puis la chute de la Bande des Quatre est pour lui la
« deuxième libération ». En 1978, il revient à Pékin,
et, en 1979, obtient sa complète réhabilitation.
Toute
l’expérience alors accumulée va brusquement se déverser
en un flot de récits puisque « le Parti lui rend sa
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plume » ; il
dit : « Révolution et littérature était à nouveau unis, comme
l’étaient mon âme et le tréfonds de mon être. » Il lui reste à
se retrouver, et ce n’est pas facile : il a plus de quarante
ans, et, relisant ses premières œuvres, elles lui semblent à un
univers de distance. La littérature a changé. Dans sa jeunesse,
elle lui semblait une jeune fille innocente ; maintenant, elle
était devenue « une mère bienveillante dont les rides sur le
front étaient témoins des tempêtes subies ; [..] son sein vaste
et chaud était cependant toujours doux, regorgeant du lait de la
vie et d’un amour universel. »
Retour à l’écriture
Wang Meng inaugure alors
un style totalement nouveau, et résolument avant-gardiste : il
adopte les procédés du courant littéraire occidental « du flot
de conscience », caractérisé par des récits cherchant à rendre
le processus de pensée des personnages en introduisant des
monologues intérieurs, avec une syntaxe et une ponctuation
spécifiques, ainsi que des sauts qui rompent la progression
logique de l’histoire.
Les années 1979-1980
voient éclore toute une série de nouvelles écrites dans ce
nouveau style :《说客盈门》
(shuìkè
yíngmén,
toute une famille de beaux parleurs), « Le papillon » (《蝴蝶》),
« Les yeux de la nuit » (《夜的眼》),
« La
corde du cerf-volant » (《风筝飘带》),
« Voix printanières » (《春之声》),
« Le rêve de la mer » (《海的梦》)
…
De 1979 date en outre « Le salut bolchévique » (《布礼》)
(3), une réflexion sur son expérience de jeune révolutionnaire
idéaliste et naïf, croyant aveuglément en Mao et en sa
révolution, jusqu’à ce qu’il voie tous ses espoirs trahis :
l’histoire de sa génération, en quelque sorte. Dans le préambule
écrit pour la traduction anglaise, il explique :
« La révolution était
inspirée par des croyances sacrées… Le peuple se sentit porté
par elle, et la vénéra. Mais ceux qui lui ont sacrifié leurs
existences, les jeunes en particulier, n’ont reçu en échange que
persécutions et vengeances incompréhensibles, mises en œuvre à
leur encontre au nom de la révolution. …
Quel que soit le regard
que nous portions sur l’histoire, nous ne pouvons effacer les
expériences qui sont restées gravées dans nos os et inscrites
dans nos cœurs. Peut-être que nous n’arriverons jamais à les
comprendre, mais elles devraient au moins inspirer quelques
réflexions, voire un bref soupir… »
Le livre, et son auteur,
se retrouvent au centre d’un débat houleux : en 1980 commence en
effet une campagne contre le « libéralisme bourgeois », suivie,
trois ans plus tard, de la campagne « contre la pollution
spirituelle ». Wang Meng est le fer de lance de la littérature
moderniste controversée et blâmée pour ses implications
politiques et ses influences étrangères. Les critiques officiels
tentent de réconcilier sa stature ambiguë d’écrivain
patriotique, communiste de la première heure, et en même temps
chantre du modernisme littéraire, fustigé alors comme
importation décadente.
Certains s’en tirent en
classant ses œuvres dans une catégorie spéciale de réalisme,
utilisant certes des techniques modernes, mais conservant comme
thèmes de réflexion les grands problèmes politiques et sociaux
caractéristiques du réalisme. Le problème est que Wang Meng est
inclassable, ce qui est bien la pire des choses au pays de
Confucius, et de Mao.
Bref passage au
ministère de la culture
Ces contradictions ne l’empêchent pas de poursuivre une
brillante carrière officielle : admis au sein du Conseil de la
Fédération des écrivains chinois en 1981, il devient
vice-président du Pen club chinois en 1982 et membre du Comité
central du Parti communiste. En 1983, il prend la direction de
la rédaction du magazine Littérature du Peuple (人民文学,
lancé le 25 octobre 1949).
Enfin, au printemps de 1986, il est nommé ministre de la
culture. C’est une nomination significative. Hu Qili (胡启立),
qui était alors membre du Bureau politique en charge de
l’idéologie et de la culture, venait de donner publiquement son
soutien à la liberté de création. Ces années-là sont marquées
par une grande effervescence culturelle, qu’on a appelée
« fièvre culturelle » (文热).
C’est dans ce contexte que le premier ministre Zhao Ziyang fait
appel à Wang Meng, en tant que représentant du courant
moderniste de la littérature chinoise.
Il accepte avec réticence. Ses fonctions officielles ne lui
laissent plus le temps d’écrire, il est submergé sous la routine
administrative, et, qui plus est, se retrouve en porte-à-faux
vis-à-vis de beaucoup de ses amis qui le considèrent avec une
certaine suspicion. Les événements de Tian’anmen, en juin 1989,
mettent fin à ses dilemmes. Pour éviter d’avoir à faire la
déclaration demandée à tous les cadres du Parti, une prise de
position en faveur du régime et de la répression (ce qu’on
appelle
表态
biǎotài),
il se fait porter malade et hospitaliser.
Après avoir vainement demandé à être relevé de ses fonctions, il
est limogé. Son remplaçant, en août 1989, est le dramaturge et
poète He Jingzhi (贺敬之),
un vétéran du Parti né en 1924, dont le seul titre de gloire est
d’être
le co-auteur de l’opéra révolutionnaire « La fille aux cheveux
blancs ». Cette nomination marquait la reprise en main du
pouvoir par les conservateurs du Parti.
Nouvelle
métamorphose
Wang Meng se remet à écrire. De ces années datent nombre
de nouvelles très connues, dont « Dur, dure le brouet »
(《坚硬的稀粥》),
satire pleine d’humour du mouvement pour la démocratie
et des modes inspirées de l’Occident, vus à travers une
tentative de réforme du petit déjeuner dans une famille
chinoise ; la nouvelle déclenche en septembre 1991 une
autre controverse, qui dure plusieurs mois. Wang Meng
revient aussi sur ses souvenirs du Xinjiang et, en 2006,
publie le premier volume d’une autobiographie (《王蒙自传》)
(4) qui soulève encore un vif débat, cette fois sur la
personne de son père.
Si ses déclarations continuent à faire la une de la
presse, il a un regard beaucoup plus pacifié sur les
événements et la vie en Chine. Lui qui a été à la pointe
de l’avant-garde littéraire défend aujourd’hui une
littérature non élitiste, accessible au plus grand
nombre, ou plutôt une fusion de la culture d’élite
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Autobiographie, 1ème volume |
et de la culture populaire qui est tout à fait dans l’air du
temps. Dans une interview diffusée sur le site china.org,
déclarant que la culture devait quitter sa tour d’ivoire, il a
encouragé des émissions télévisées du type « la Tribune des cent
écoles », dont l’objectif est de mettre les grandes œuvres
classiques à la portée du grand public, en transposant le
contenu de ces œuvres dans un style populaire. Si la culture
doit assurer l’harmonie entre l’homme et le ciel, dit-il, elle
ne peut pas rester figée.
C’est un nouveau visage de l’écrivain qui apparaît ainsi. Un
sinologue allemand, Martin Woelser, l’a qualifié de « caméléon
chinois » : Wang Meng est en perpétuelle mutation, pour
s’adapter, ne pas rester figé, justement. Dans une autre
interview à china.org, en décembre 2008, il a déclaré : « Ce
dont le pays a besoin, c’est de réforme et d’améliorations, pas
de révolution violente et de division […] Nous avons critiqué la
société, aspiré à la reconstruction du pays. Aujourd’hui, les
intellectuels ont l’occasion de prendre part à cette
reconstruction, en recherchant dans la stabilité une société
meilleure. »
Il dit pourtant qu’il n’a pas changé, qu’il reste passionnément
loyal à sa foi dans la vie, dans les idéaux de sa jeunesse ;
simplement, il est devenu plus réaliste, après une existence
pleine de tribulations : « J’en suis venu à réaliser que toute
bonne chose doit mûrir et se perfectionner. […] J’en suis venu à
penser que les hommes doivent avoir des idéaux, mais que ces
idéaux ne peuvent être réalisés d’un coup… »
Un jeune écrivain de 80 ans
Rétrospectivement, c’est le tournant du millénaire qui apparaît
comme un tournant dans sa vie, sa pensée et son œuvre, avec une
série de livres à la fois réflexifs et autobiographiques.
Ouvrages de réflexion
4ème saison, la saison de la fête |
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Le nouveau millénaire s’ouvre en effet, dans l’œuvre de
Wang Meng, avec un quatrième volet de sa série des
« Saisons » commencée en 1993(6) : « La
saison de la fête »
(Kuanghuan de jijie
《狂欢的季节》).
Cette série est l’histoire des relations entre les
intellectuels et la révolution communiste, de la
fondation de la République populaire à la fin de la
Révolution culturelle. C’est évidemment
autobiographique, et conçu comme l’histoire spirituelle
de la génération de l’auteur. Il y examine en
particulier le prix à payer pour les décisions prises à
chaque étape cruciale de l’histoire de la période.
Ce dernier volet de la série apparaît comme une œuvre
charnière, qui semble clore une période d’écriture, en
conjurant les fantômes du passé, pour en ouvrir une
autre, de réflexion apaisée. Elle se traduit en 2003 par
la publication d’un manifeste d’optimisme devant la
vie : |
« Ma philosophie de l’existence » (Wode
rensheng zhexue《我的人生哲学》).
Il commence par ses débuts de jeune communiste - à 14
ans je suis devenu membre du Parti (十四岁加入中国共产党),
poursuit avec son exil au Xinjiang, qui entraîne le
chapitre : pourquoi je ne me suis pas suicidé (我为什么没有自杀)…
Comme beaucoup de Chinois de sa génération, l’exil aux
marges de la Chine s’est traduit par la découverte d’une
culture et d’une population dont la chaleur et la
richesse lui ont permis de surmonter le désespoir. « A
Bayandai, dit-il, des centaines de paysans pauvres ont
été mes amis, et, grâce à eux, dans mes moments les plus
difficiles et chaotiques, je n’ai pas perdu mon
optimisme, ma joie de vivre ni ma foi dans la vie ».
Wang Meng est l’un des rares écrivains han à s’être
réellement immergé dans la culture locale, jusqu’à en
apprendre la langue, langue ouïghoure qu’il parle
couramment. |
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Les sourires du sage |
Eloge funèbre de l’Union soviétique |
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Cette réflexion rétrospective, qui est aussi une
explication de ses convictions intimes, le conduit à
revenir aussi sur sa longue histoire d’amour contrarié
avec l’Union soviétique : c’est le sujet de son livre de
2006, « Eloge funèbre de l’Union soviétique » (《苏联祭》).
Il présente sa relation avec la défunte Union soviétique
comme une « aventure spirituelle » (一次灵魂的冒险).
Là aussi, il s’agit d’un attachement nostalgique qui
remonte à ses premiers pas en littérature.
En effet, il raconte que, quand il a écrit son premier
récit, « Vivre la jeunesse » (《青春万岁》),
c’était dans l’espoir qu’il le rendrait suffisamment
célèbre pour pouvoir être nommé délégué au Festival
mondial de la jeunesse qui devait se tenir en août 1953
à Moscou – espoir sans lendemain, constamment annihilé
par les événements politiques, jusqu’aux lendemains de
la Révolution culturelle. Ce n’est finalement que trente
ans plus tard, en 1984, qu’il |
aura l’occasion de réaliser son rêve, et, de manière
ironique, ce sera grâce à l’adaptation cinématographique
de « Vive la jeunesse », par la réalisatrice Huang
Shuqin (黄蜀芹),
le film ayant été sélectionné par le festival de
Tachkent (7) !
Ce rêve d’une Union soviétique idéalisée sera conforté
par ses années au Xinjiang, en y ajoutant une dimension
supplémentaire à travers les affinités culturelles de la
région où il était avec les républiques soviétiques
voisines (8). La présence soviétique était ressentie
directement, ne serait-ce que par la radio. Mais cet
attachement est culturel et personnel, la dimension
politique n’étant que secondaire. C’est une constante
chez Wang Meng, qui fait toute la richesse de sa
personnalité, mais qui est souvent mal comprise, ou mal
interprétée.
Dans les années suivantes, de 2006 à 2008, il complète
ces écrits par une autobiographie en trois volumes, le
dernier volume concernant 1989 et les années suivantes ;
il |
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Autobiographie, 3ème volume |
Le pays d’ici |
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commence par un chapitre significatif, pour lui comme
pour le pays : A la croisée des chemins (十字架上).
Cette autobiographie a été complétée en 2013 par un
livre complémentaire sur le Xinjiang des années
1960-1970 : « Le paysage d’ici » (《这边风景》)
publié aux éditions Huacheng (花城出版社).
C’est un roman écrit en 1978 mais encore inédit, que
Wang Meng a retrouvé par hasard et apparaît comme un
dialogue entre l’écrivain d’aujourd’hui et celui d’il y
a quarante ans. Il a été l’un des lauréats du
9ème
prix Mao Dun
(第九届茅盾文学奖).
Parallèlement, de 2008 à 2010, Wang Meng a publié trois
ouvrages qui ouvrent une lucarne inattendue sur un
aspect méconnu de sa personnalité : le premier sur
Laozi, le troisième sur Zhuangzi, les deux étant liés
par un second sur … les dix-sept passages du Zhuangzi
traitant de Laozi.
En mars 2017, il les a complétés par un ouvrage sur |
Mencius dont
le titre est l’un de ses préceptes fondamentaux de
gouvernement : gagne le cœur du peuple, tu gagneras le monde
entier《得民心,得天下》.
Xinhua a salué le livre à sa sortie en disant :
王蒙七旬写老庄八旬写孟子
à 70 ans Wang Meng a écrit un livre sur Zhuangzi,
à 80 ans il en écrit un sur Mencius
Œuvres de fiction
En 2004, au milieu de ses écrits autobiographiques, Wang
Meng a publié un roman : « Renard vert » ou Qing Hu
(《青狐》),
où il fait le portrait d’une femme écrivain, partagée
entre ses succès dans le domaine littéraire et ses
échecs dans sa vie sentimentale. C’est la première fois
que l’écrivain aborde dans ses écrits le thème du désir
et du sexe, mais c’est la période qui le veut : les
années 1980, quand la Chine écoutait les chansons de
Teresa Teng et que la télévision commençait à diffuser
des films étrangers, années d’éveil de l’individualisme
et des sentiments.
Qing Hu est tourmentée par le désir de trouver l’amour
idéal, et ne s’en cache pas, ce qui l’ostracise. Le ton
est satirique, ironique dans l’hyperbole, le style étant
calqué sur le personnage, et le roman une autre manière
de traduire les souvenirs des années 1980. |
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Qing Hu, Renard vert (2004) |
Men yu Kuang (2014) |
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Wang Meng n’est revenu ensuite à la fiction que dix ans
plus tard, en 2014, avec un roman proustien qui a
rencontré un vif succès et dont le titre pourrait se
traduire par « Suffocation et frénésie » (Men yu
kuang
《闷与狂》).
Ecrit avec poésie et profondeur, le roman relate en
flashback toute la vie du personnage principal, de la
petite enfance à la vieillesse. Il commence par les
souvenirs familiaux de ses premières années, les
émerveillements de l’enfance, mais aussi la faim et la
maladie, puis les réminiscences de sa jeunesse, comme
chef d’une brigade de production de pointe, l’agitation
et les espoirs, les lectures jusqu’à minuit, ses
premiers émois aussi…
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Cette fois-ci, Wang Meng opère un retour caractérisé aux
années de sa jeunesse, dans un style qui a la frénésie
du titre : une écriture très jeune, très verte (写法太年轻了,太青春了),
une écriture un peu folle. C’est ce qu’a souligné
Liu Zhenyun (刘震云)
qui participait, avec
Mai Jia (麦家)
et
Sheng Keyi (盛可以),
à la conférence de presse donnée à la sortie du livre :
ce roman, a-t-il dit, est celui d’un Wang Meng de 81 ans
revenu à ses dix-huit ans, le Wang Meng de « Vive la
jeunesse » (青春万岁的王蒙). |
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Avec Mai Jia (à g.) et Liu Zhenyun (à
dr.)
lors de la sortie de Men yu Kuang |
Et retour aux nouvelles
Etrange, étrange, et partout désolation |
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Et comme pour revenir aux sources, Wang Meng a ensuite
publié, en juillet 2015, un recueil de quatre nouvelles,
trois courtes et une moyenne dont le titre énigmatique
est celui du recueil : Qipa qipa chuchu ai (《奇葩奇葩处处哀》)
qui pourrait se traduire, littéralement, « Etrange,
étrange, et partout désolation ».
C’est en fait l’histoire d’un éminent bureaucrate et de
ses rencontres, après la mort de son épouse, avec six
femmes « étranges », ou Qipa… (qi comme
étrange, et pa comme une fleur rare) … On peut y
voir un nouvel avatar de la figure féminine chez Wang
Meng, figure moderne sans être vraiment libérée.
Des trois autres nouvelles, la première, « Zhang Zhang »
(《仉仉》),
est la plus connue : elle
figure en tête de la
sélection des « meilleures nouvelles courtes de l’année
2015 » (《2015中国短篇小说排行榜》)
publiée par les éditions |
Baihua (百花洲文艺出版社)
- sélection du rédacteur en chef du journal Fiction Digest (《小说选刊》)
dans lequel la nouvelle a été initialement publiée, en juin
2015. Placé dès l’abord sous l’égide de Romain Rolland, disciple
de Tagore et fasciné, lui aussi, par l’Union soviétique, le
récit est un feu d’artifice stylistique qui fourmille de
références littéraires.
Les deux autres sont tout aussi complexes, dans des
styles volontairement différents : « J’aimerais
chevaucher le vent jusqu’à la lune bleue » (《我愿乘风登上蓝色的月亮》)
et « Parole d’abricot (《杏语》).
En écrivant ces nouvelles, écrit Wang Meng dans la
postface, j’ai constamment navigué entre fiction et
réalité, comme dans une danse littéraire à la manière de
celle de mon roman précédent (Men
yu kuang
《闷与狂》).
Wang Meng est bien l’un des auteurs les plus étonnants
de la littérature chinoise aujourd’hui : capable de se
réinventer tout en restant fidèle à ses origines, en
revenant vers la forme spécifique de la nouvelle qui
offre le meilleur de la littérature chinoise
d’aujourd’hui. Il en revient à l’écriture comme source
de pur plaisir (guòyǐn
过瘾)
qui est celle des écrivains d’avant-garde (写小说太过瘾了 !
dit-il). |
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Zhang Zhang, dans le n° de
juin 2015 de Fiction Digest. |
Notes
(1) La nouvelle a été
adaptée au cinéma par la réalisatrice Huang Shuqin (黄蜀芹)
en 1983. Voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Huang_Shuqin.htm
(2) Qui figure dans
« Modern Chinese writers: self-portrayals » de
Helmut Martin , Jeffrey
C. Kinkley (1992)
(3) Localisation
géographique :
http://zh.wikipedia.org/wiki/File:Location_of_Ili_Kazakh.PNG
(4) Le titre est
constitué du premier caractère de
布尔什维克
bù'ěrshíwéikè,
bolchévique, et du dernier caractère de
敬礼
jìnglǐ
salut (militaire).
(5) La première partie (de l’enfance à l’exil au Xinjiang
半生多事),
est diffusée en 31 chapitres sur le portail sina.com :
http://vip.book.sina.com.cn/book/index_40343.html
1993 La saison de l’amour Lian’ai de jijie
《恋爱的季节》
1994 La saison des chagrins d’amour Shilian de jijie
《失恋的季节》
1995 La saison des hésitations Chouchu de jijie
《踌躇的季节》
(7) Voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Huang_Shuqin.htm
(8) Le village de Bayandai (巴彦岱村)
dépend de la ville de Yining (伊宁市),
ou
Ghulja, dans la préfecture autonome kazakh de l’Ili, au
nord-ouest du Xinjiang, proche de la frontière avec le
Kazakhstan, mais non loin aussi du Kirghizistan.
Principales publications après 2000
2000 La saison de la fête Kuanghuan de jijie
《狂欢的季节》
2003 Ma philosophie de l’existence Wode rensheng zhexue
《我的人生哲学》
2004 Roman : Renard vert Qing Hu
《青狐》
2006 Eloge funèbre de l’Union soviétique
《苏联祭》
2006-2008 Autobiographie en trois volumes
(《半生多事》、《大块文章》、《九命七羊》)
2008-2010 Essais philosophiques
2008 L’aide de Laozi
《老子的帮助》
2009 Les dix-huit mentions de Laozi [dans le Zhuangzi]
《老子十八讲》
2010 Les jouissances de Zhuangzi
《庄子的享受》
Juin 2012
Zhongguo Tianji
《中国天机》
[God
Knows China]
Juin 2014 Roman :
Suffocation et frénésie Men yu kuang
《闷与狂》
Juillet 2015 Recueil
de nouvelles : Qipa qipa chuchu ai
《奇葩奇葩处处哀》
Octobre 2017
Zhonghua Xuanji
《中华玄机》
Ouvrage en anglais sur le Xinjiang :
-
Wonderful Xinjiang
: Through the Pen of Wang Meng and the Lens of a Camera, A
Photographic Journey of China's Largest Province, Reader's
Digest Association, novembre 2004.
Traductions en
français
Nouvelles
- Le Salut
bolchevique 《布礼》,
tr. Chantal Chen-Andro, préface Alain Roux, Messidor 1989
- Le Papillon
《蝴蝶》,
recueil de six nouvelles, préface de l’auteur (janvier 1980) et
note introductive sur Wang Meng par Qin Zhaoyuang, éditions en
Langues étrangères, Littérature chinoise, 1979, rééd. 2004
[Le papillon /
Cerf-volant / Les soucis d’un cœur simple / Tant de médiateurs
en quelques jours / L’œil de la nuit / La voix du printemps]
Chez Bleu de Chine,
traduction et notes de
Françoise Naour :
- Contes et
libelles :
neuf nouvelles satiriques et pleines d’humour - 1994 :
Ma le sixième
/Dialectique (extraits des « contes merveilleux du pavillon de
lecture), Paroles, parlottes, parleries, Poétique, Nec plus
ultra, Celle qui dansait, J’ai tant rêvé de toi, Vieille cour du
dedans, Dur, dure le brouet.
- Celle qui dansait :
neuf nouvelles écrites entre 1987 et 1991, dont une bonne partie
figure dans le recueil précédent - 2004
- Contes de l’ouest
lointain : trois nouvelles du Xinjiang (Oh Mohammed Ahmed !,
Le génie du vin et La petite maison de pisé, qui reprend le
couple de personnages de la nouvelle précédente) – 2002
- Des yeux gris
clair : une
nouvelle, sur un menuisier ouïghour spécialiste de la langue de
bois, un complément du précédent recueil – 2002, prix Mot d’or
de la traduction 2003
- Les sourires du
sage :
anecdotes de sa vie privée contées, comme toujours, sur le mode
humoristique - 2003
Textes présentés
Les textes de Wang Meng proposés ici sont différents de ceux que
l’on a coutume de lire dans les traductions françaises publiées.
- 《无言的树》est une nouvelle poétique, où la satire socio-politique
est en arrière-plan, et n’apparaît qu’à travers quelques
allusions voilées. C’est un texte intriguant, que Wang Meng a
commencé à écrire en 1979 pour le terminer en 1985. On a
l’impression qu’il l’a alors repris pour lui donner une fin
moins triste que celle qu’il avait imaginée au départ : l’arbre
ne meurt finalement pas victime de sa notoriété – ce qui laisse
songeur quant aux intentions de l’auteur dans le contexte
historique (voir biographie).
- Les autres textes sont des chengyu dont Wang Meng a donné une
version personnelle ; il en a (ré)écrit douze, dans un style
totalement différent, plus proche de la langue classique, chacun
formant un petit conte imagé.
A lire en complément :
Textes (originaux, explications et
traductions)
《成语新编7 : 老鼠过街,人人喊打》
« Chengyu 7 : Quand un rat sort de son trou, tout le
monde crie haro sur lui »
《成语新编11 : 坐井观天》
« Chengyu 11 : regarder le ciel du fond d’un puits »
《无言的树》
« L’arbre silencieux »
Compte rendu de lectures
Club de lecture du Centre culturel de Chine :
séance du 18 juin 2019
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