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La revue Shouhuo
vient de fêter son 60ème anniversaire : hommage plein
d’émotion
par
Brigitte Duzan, 16 décembre 2017
En cette année 2017, la revue Shouhuo (ou Harvest
《收获》)
fêtait son 60ème anniversaire. L’événement a
été célébré en grande pompe à Shanghai le week-end des
9-10 décembre, dans les locaux de l'Association des
écrivains de Shanghai qui est également le siège de la
revue (上海巨鹿路675号)
.
La cérémonie était présidée par la présidente de
l’Association,
Wang Anyi (王安忆),
elle-même l’un des écrivains publiés par la revue, ainsi
que le vice-président
Sun Ganlu (孙甘露)
qui officiait comme maître de cérémonie.
Un anniversaire symbolique |
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Lancement du 60ème anniversaire de
Shouhuo à
Shanghai, avec Mo Yan et Wang Anyi (photo
sohu) |
Le numéro du 60ème
anniversaire |
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Sur le thème traduit en anglais par « Literary Homeland
», et que l’on pourrait rendre en français par « Berceau
littéraire » ("文学家园"),
l’événement a rassemblé une bonne trentaine d'écrivains
chinois ainsi qu'une vingtaine de personnalités du monde
de l'édition - critiques littéraires, éditeurs, et
quelques traducteurs également. Tout le gotha des
écrivains contemporains chinois était au rendez-vous,
ceux dont la revue a publié les premiers écrits, puis
qu’elle a suivis au long de leur carrière; on pouvait
reconnaître
Mo Yan
(莫言),
Yu Hua (余华),
Su Tong (苏童),
Bi Feiyu (毕飞宇),
Jia Pingwa (贾平凹),
Han Shaogong (韩少功),
Chi Zijian (迟子建),
A Lai (阿来),
Ge Fei (格非),
Lin Bai (林白),
Sheng Keyi (盛可以),
Li Er (李洱),
Xu Yigua (须一瓜),
Lu Nei (路内),
Di An (笛安),
Dong Xi(东西),
le poète Ouyang Jianghe (欧阳江河)...,
et tant d’autres. |
C’est dire
l’importance de cette publication. Mais ce qui en
atteste
bien plus encore, c’est l’émotion avec laquelle ces grands
écrivainsont témoigné de tout ce qu’ils devaient à Shouhuo.
En effet,
le
samedi après-midi, la célébration officielle de
l’anniversaire, avec discours et photos, a été suivie
d’une table ronde avec l'ensemble des écrivains
présents, au cours de laquelle chacun a partagé ses
expériences passées avec la revue : sur le plan du
travail d'édition, des relations avec les éditeurs, du
processus de sélection des nouvelles, mais aussi de
l'impact que la publication dans la revue de telle ou
telle nouvelle avait eue sur la suite de leur carrière. |
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La table ronde (photo The Paper) |
Le rédacteur en chef Cheng Yongxin avec
Yu Hua (photo ArtsBj) |
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Comme dans
toute réunion de ce genre, les témoignages n’ont pas
manqué d’humour. Ce fut le cas de Mo Yan, racontant
qu'il n'avait jamais été invité à déjeuner à
l'Association des écrivains de Shanghai avant de
recevoir le prix Nobel : on le faisait monter
directement au premier étage pour corriger abondamment
ses textes à paraître, tandis que d’autres, qui avaient
moins à corriger, étaient |
invités à manger
…
Mais le ton général était surtout à la nostalgie et à l’émotion.
Jia Pingwa
a rendu un hommage appuyé à la revue et à ses
rédacteurs en déclarant qu’elle a surpassé toutes les
autres au cours de ses soixante années d’existence. Il a
affirmé y avoir toujours trouvé de nouvelles idées, de
nouveaux points de vue, de nouvelles sources
d’inspiration. C’est la première revue qui a publié un
de ses textes, et il a rapporté avec quelle excitation
il a vu sa nouvelle figurer dans les pages de la revue :
cela lui a donné confiance. Paraphrasant le nom de la
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Mo Yan et Wang Anyi
(photo The Paper) |
revue qui signifie moisson, il l’a comparée à un lopin de
terre qui continue de donner des récoltes abondantes.
Su Tong apposant sa
signature sur le livre d’or
du 60è anniversaire
(photo The Paper) |
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Su Tong,
pour sa part, a évoqué la publication de sa première
nouvelle dans Shouhuo : « La pierre bleue et la
rivière » (《青石与河流》),
parue dans le 5ème numéro de 1986. Su Tong
avait 23 ans. C’était la première fois qu’il soumettait
un de ses textes au journal et il pensait n’avoir aucune
chance, malgré les encouragements d’un ami. C’est dans
Shouhuo, ensuite, qu’ont été publiées un grand
nombre de ses nouvelles, en particulier les |
nouvelles moyennes, dès 1987. Il a toujours considéré que faire
partie de Shouhuo était une chance unique :
“《收获》对我来说就是家人,是有血缘的、有亲情的。专业上来说,《收获》是中国当代文学的旗帜,是中国当代文学的高度。当然时代在变化,一批批的作者在变化,《收获》也在变化。我觉得《收获》变年轻了,现在《收获》上涌现了不少年轻作者,这在上世纪80年代是很少见的。《收获》也跟随着时代,做了一些创新,有了微信公号、开辟了一些类型小说栏目。但《收获》没有变化的是对文学、对自身的高度自信,很少做广告、营销,这源于文学圈、作者、读者对杂志的信任,使得《收获》能这个定力。”
« Pour moi, Shouhuo est comme un membre de la famille,
quelqu’un de cher avec qui je partage le même sang. Dans la
profession, on dit que cette revue est l’étendard de la
littérature chinoise contemporaine, c’est ce qu’on fait de mieux
dans le domaine. Bien sûr, les temps changent, les écrivains ont
changé, et Shouhuo a changé avec eux. Shouhuo a rajeuni, je
trouve, de jeunes écrivains y sont apparus, pour lesquels, comme
dans les années 1980, il est toujours difficile d’être publié.
Shouhuo a su s’adapter à l’époque, et a innové ; la revue est
maintenant sur WeChat, elle a ouvert de nouvelles rubriques et a
intégré de nouveaux genres de fiction. Mais une chose n’a pas
changé : c’est la haute
valeur accordée à la
littérature, et la haute conception que la revue a d’elle-même ;
elle ne fait donc que très peu de publicité ou de marketing, et
elle peut se le permettre grâce à la confiance dont elle jouit
auprès des écrivains et des lecteurs comme des cercles
littéraires. »
Ge Fei,
aussi, a des liens très étroits avec Shouhuo :
c’est en 1987 que sa première nouvelle moyenne, « La
barque égarée » (《迷舟》)
a été publiée dans la revue. C’était l’apogée de la
littérature d’avant-garde. Il se rappelle une anecdote
personnelle à ce sujet : il avait envoyé la nouvelle à
une autre revue littéraire, l’une des plus grandes, mais
le manuscrit avait été refusé. Ge Fei appela donc un
rédacteur de Shouhuo qui ne manifesta pas un
grand enthousiasme, mais accepta d’y jeter un œil.
Quelques mois plus tard, n’ayant aucune nouvelle, Ge Fei
téléphona pour demander si son texte avait été rejeté ou
s’il devait faire des révisions. Incompréhension au bout
du fil : la nouvelle avait déjà été publiée… Ge Fei se
précipita à la bibliothèque de l’université pour
consulter le dernier numéro de la revue et y a découvert
son texte avec émotion. Cela a contribué à lancer sa
carrière. |
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Sheng Keyi et Yu Hua (photo Sheng Keyi) |
Pour tous, il y a de la nostalgie dans leurs souvenirs de leurs
débuts dans Shouhuo. Li Er soupire :
“我知道很多写作者在《收获》上发表第一篇作品的时候是热泪盈眶的,我也是这样…"
« Je sais que, la première fois qu’ils ont publié une nouvelle
dans Shouhuo, beaucoup d’auteurs en ont été émus aux larmes.
J’ai été de ceux-là… »
Sheng Keyi et Coraline Jortay lisant
un extrait de « Hymne à la vertu »
(photo Coraline Jortay) |
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Tous, aussi,
font l’éloge du comité de rédaction qui a su constamment
trouver les meilleurs auteurs. Sheng Keyi – dont
plusieurs romans ont été publiés dans la revue à partir
de 2002
– a rendu hommage au rédacteur en chef Cheng Yongxin (程永新),
en soulignantl’aide qu’il lui a apportée par ses notes
très précises suggérant des révisions.
Le lendemain dimanche, tout le monde s’est retrouvé pour
des lectures de textes parus dans Shouhuo, comme
un cercle de famille évoquant ses souvenirs en regardant
ses albums de photos. Pour l’occasion, à la demande de
Sheng Keyi,
Coraline Jortay avait traduit un
passage de son roman
« Hymne
à la vertu » (《道德颂》),
paru dans le premier numéro de l’année 2007, en janvier.
Elles l’ont lu toutes les deux, l’une en chinois,
l’autre en français, seule lecture bilingue de la
journée… |
Une revue emblématique
Le ton donné à cette célébration, la chaleur et l’émotion des
témoignages, traduisent bien l’importance qu’a eue cette revue
dans l’histoire de la littérature chinoise contemporaine, et
l’importance qu’elle continue d’avoir, aux yeux de toute la
profession.
Débuts difficiles, mais soutien de Ba Jin
Sa création, déjà, s’est faite sous des auspices peu
ordinaires. Shouhuo
a été fondée en juillet
1957
par
Ba Jin (巴金)
et Jin Yi (靳以).
C’est la première grande revue littéraire bimensuelle de
la Chine nouvelle, lancée dans l’euphorie des Cent
fleurs.
Les débuts n’ont évidemment pas été de tout repos dans
le climat des années qui ont suivi, celles du Grand Bond
en avant, de la Grande Famine, puis de la Révolution
culturelle : la revue a été suspendue du milieu de 1960
à 1963, puis de 1966 à 1978.
Mais elle a alors resurgi de ses braises et s’est
imposée dès 1979, pour son travail de découverte de
nouveaux talents littéraires, soutenue par l’équipe
éditoriale, et en particulier Ba Jin, dont l’influence
littéraire et le poids politique ont été |
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La dédicace de Ba Jin
lors de la création
de la revue : revue
dédiée au lecteur |
déterminants, en particulier dans les années 1980 : il est
devenu président de l’Association des écrivains chinois en 1981,
et, en 1983, vice-président du Comité national de la Conférence
consultative politique du Peuple chinois. Sa fille Li Xiaolin a
également joué un rôle important au sein du comité de rédaction
de la revue.
Années 1980 : revue de l’avant-garde
Shouhuo
a eu un rôle pionnier, déjà, au moment de l’émergence de la
littérature des cicatrices.
Dans la seconde moitié de 1978,
Feng Jicai (冯骥才)
avait achevé une nouvelle intitulée « Trauma » (Chuangshang
《创伤》)
et l’avait envoyée à la revue Littérature du peuple (《人民文学》).
Mais la rédaction hésitait à la publier car la situation
politique n’était pas totalement claire. Pendant ce temps, le 11
août, la nouvelle de
Lu
Xinhua (卢新华)
« La cicatrice » (Shanghen《伤痕》)
est parue dans le Wenhui Daily (《文汇报》),
à Shanghai. La nouvelle de Feng Jicai est parue quelques mois
plus tard, dans le second numéro de 1979 de Shouhuo ;
mais, comme le titre Chuangshang
était très proche de celui de Lu Xinhua, le titre a été changé,
pour devenir « Une croisée des chemins jonchée de fleurs » (Puhua
de qilu《铺花的歧路》).
La revue a acquis dès le début des années 1980 une image de
qualité et d’exigence qui a été renforcée par le rôle primordial
qu’elle a joué, surtout dans la seconde moitié de la décennie,
en publiant les grands
auteurs d’avant-garde
qui, sans publier de véritable manifesto, se sont rangés sous
son égide.
En 1985-1986,
Shouhuo
tirait à un million d’exemplaires, contre, par exemple, 350 000
pourla revue Mengya (《萌芽》).
Période faste qui n’a pas duré : le tirage s’est effondré après
1989, en même temps que prenait fin la période avant-gardiste :
la diffusion est retombée à 100 000 dans les années 1990 (20 000
pour Mengya). Le chiffre s’est ensuite stabilisé : la
revue était toujours diffusée à 100 000 exemplaires en 2004. Ce
sont des chiffres qui reflètent l’érosion générale de l’édition
chinoise par l’économie de marché, avec des diffusions de plus
en plus réduites des œuvres littéraires jugées "sérieuses".
Années 1990-2000 : point de mire
Pourtant, dans les années 1990, Shouhuo
a été un point de mire pour les éditeurs qui ont commencé à se
livrer à une compétition effrénée pour publier les œuvres parues
dans la revue, mais surtout alors les romans.
Dans son recueil d’essais « Le Renard rouge » (《红狐》),
Jia Pingwa explique le harcèlement qu’il a
subi, à partir de 1994, après la publication de
« La
Capitale déchue » (《废都》),
et en 1998, entre autres, pour son huitième roman, « Le vieux
village des Gao » (《高老庄》),
d’abord publié dans Shouhuo…
Shouhuo
a également participé à des débats et controverses. Ainsi, en
2000, la revue a participé aux débats sur
Lu Xun en publiant, dans
le numéro 2 de l’année, trois essais critiques, de
Feng Jicai,
Wang Shuo (王朔)
et Lin Yutang (林语堂)
.
Années 2010 : toujours en pointe
Les années 2010, cependant, sont une période de changements
rapides dans le domaine de l’édition, mais aussi de resserrement
des contrôles étatiques qui demandent parfois une certaine
prudence. Par exemple, signe des temps, bien que décrivant le
roman comme un chef-d’œuvre qui resterait dans l’histoire, ni
Shouhuo ni la revue
Huacheng
(《花城》)
n’ont osé publier « Les enfants de Norman Bethune » (《白求恩的孩子们》)
de
Xue
Yiwei (薛忔沩).
De manière caractéristique, le roman a finalement été publié à
Taiwan, en trois épisodes « spéciaux », à partir de mars 2011,
dans la revue New Land Literature (Xindi《新地》).
Shouhuo
poursuit pourtant son travail de pionnier des lettres, tout en
investissant aussi le domaine numérique. En 2014, la revue a
créé un compte public WeChat sur la plate-forme internet Tencent
(sous l’intitulé symbolique Harvest 1957). Tous les jours, la
revue offre trois brefs articles gratuits comme "teasers" pour
attirer des abonnés. Selon la rédactrice en chef adjointe Zhong
Hongming (钟红明),
ces articles non rétribués sont aussi des moyens de se faire
connaître pour de jeunes auteurs. En juin 2015, les abonnements
en ligne ont atteint le chiffre de 56 000, soit près de la
moitié du tirage annuel de la revue.
Shouhuo
continue de faire découvrir de nouveaux talents, et aujourd’hui
se positionne en particulier dans la défense de la nouvelle
moyenne, le zhongpianxiaoshuo
(中篇小说)
.
Preuve de la combattivité renouvelée de la revue, le rédacteur
en chef Cheng Yongxin a annoncé, lors de la célébration du 60ème
anniversaire, que l’an prochain, en 2018, serait lancé un appel
à contributions pour des textes sur le sujet de « La réforme et
l’ouverture » et les changements intervenus en Chine dans les
quarante dernières années.
Vidéos du samedi 9 décembre
Arrivée des invités et signatures,
déclarations de Jia Pingwa, Ge Fei, Sheng Keyi, Li Er, Cheng
Yongxin :
http://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_1898262
Témoignage de Mo Yan
http://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_1899965
Témoignage de Ge Fei
http://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_1900967
A lire en complément
Petite histoire des revues littéraires chinoises
(en préparation)
Il avait déjà fait l’objet d’une célébration lors du
festival littéraire de Macao en mars 2017 : hommage a
été rendu à la revue le 16 mars, lors d’une
manifestation intitulée « Shouhuo et l’importance des
revues littéraires en Chine ».
Selon Coraline Jortay,
doctorante en littérature chinoise à l'Université libre
de Bruxelles. Egalement traductrice, elle se trouvait à
Shanghai et a été invitée par Sheng Keyi.
Dont
« Le
paradis sur terre » (《福地》),
initialement paru dans le numéro de mars 2016 de
Shouhuo, et actuellement en cours de traduction pour
une publication chez Philippe Picquier en septembre
2018.
Voir : Critical Zone 2: A Forum of Chinese and Western
Knowledge,
Q.S. Tong,
Shouren Wang, Douglas Ker Hong Kong University Press,
2006. Part II Reviews and Translations, Debate on Lu Xun,
pp. 218-221
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