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				La littérature chinoise au 
				vingtième siècle 
				       
				III bis. Haipai 
				/Jingpai ou le dualisme en littérature : Explications 
				
				par Brigitte Duzan, 23 juillet 
				2010 
				             
				2. Le haipai 
				  
				             
				Le terme de haipai 
				est ainsi apparu dans l’histoire de la littérature chinoise 
				comme un label déprécié, une mentalité mercantile et vulgaire, 
				cultivant bassement les goûts les plus vils des nouvelles 
				classes de la société urbaine et de ses lecteurs. Mais ce n’est 
				pas seulement cela : le haipai recouvre aussi tout un pan 
				de littérature d’avant-garde, tant il est vrai que s’y côtoient 
				toujours le pire et le meilleur. 
				               
				a) 
				L’ancien haipai 
				             
					
						| 
						A l’origine, 
						cette littérature était le produit 
						d’une culture qui 
						était une culture de consommation avant la lettre et 
						avait pour centre l’actuelle rue de Fuzhou (福州路), 
						appelée au dix-neuvième siècle ‘Quatrième avenue’ (四马路)
						(1). Au 
						début du vingtième siècle, la rue était célèbre pour ses 
						quelque cent cinquante ‘maisons de thé’ (茶肆) 
						qui étaient en fait des maisons de passe aux statuts 
						très hiérarchisés, identifiées par des bannières aux 
						couleurs racoleuses et aux noms évocateurs : c’était le 
						‘red district’ de  |  | 
						 
						‘Quatrième avenue’ 
						(四马路) |  
				Shanghai, descendant 
				direct des divertissements de la Chine ancienne tels qu’ils 
				apparaissent dans les romans Ming et Qing. 
				             
					
						| 
						 
						« Fleurs de Shanghai »
						(《海上花》) |  | 
						Cette première 
						littérature haipai, née aux alentours des années 
						1880, reprenait le schéma classique des histoires de 
						« lettrés talentueux et belles dames » (才子佳人), en suivant les 
						intrigues des maisons de thé dont elle donnait 
						l’image 
						romantique de lieux privilégiés où pouvaient librement se dérouler des histoires d’amour tout autant que des 
						discussions d’affaires. Tout cela était écrit et lu pour 
						se divertir et, bien sûr, de même qu’il y avait toute 
						une hiérarchie de maisons de thé et de courtisanes, il y 
						avait aussi, dans ces romans, une diversité qui 
						répondait au niveau de la clientèle et des maisons 
						qu’elle fréquentait.
 
						C’est ce qu’on a appelé « romans de 
						courtisanes ». 
				             
						Han Bangqing (韩邦庆 
						) , avec sa « Biographie des fleurs de Shanghai » (《海上花列传》) 
						en est le représentant emblématique, surtout depuis que 
						le roman, écrit en langue de wu, a été traduit en 
						mandarin par 
						 |  
						
						Zhang Ailing (张爱玲)
				 puis adapté, en 
				1998, au cinéma par Hou Hsiao-hsien sous le titre « Fleurs de
				Shanghai »
				 (《海上花》). 
				Mais il est une autre œuvre du 
				même genre qui a connu récemment  
					
						| 
						
						une 
						nouvelle notoriété,
						c’est celui de Sun Yusheng (孙玉生), publié au tournant du siècle sous le nom de 
						Sun Jiazhen (孙家振) : 
						« Rêves de prospérité à Shanghai »  (《海上繁华梦》). 
						C’est 
						
						
						Wang
						
						
						Anyi 
						(王安忆) 
						qui lui a rendu un hommage indirect en reprenant le 
						titre pour l’un de ses romans, se plaçant ainsi 
						implicitement et dans la lignée du haipai et dans 
						la continuation de sa consœur, bien qu’elle s’en soit 
						toujours défendue.
						 
				             
						Cette culture 
						du haipai de la fin des Qing était une survivance 
						de ce que les historiens chinois appellent la Chine 
						féodale. Après la Révolution de 1911 apparut un 
						littérature particulièrement orientée vers le public 
						populaire, des histoires d’amour le plus souvent 
						tragiques entre de pauvres lettrés et de jeunes beautés, 
						que la génération du 4 mai, ensuite, qualifia avec 
						mépris de « littérature canards mandarins et papillons » 
						(鸳鸯蝴蝶派) 
						pour son sentimentalisme simpliste. |  | 
						 
						« Rêves de prospérité à 
						Shanghai »  
						 (《海上繁华梦》) |  
				             
					
						| 
						 
						‘Samedi’
						(《礼拜六》) |  | 
						Cette 
						littérature de pur divertissement (3), qui finit par 
						englober toutes sortes d’œuvres de second ordre, romans 
						policiers, aventures de chevaliers errants et, 
						inévitablement, romans à scandale, était publiée, dans 
						la grande tradition, sous forme de feuilletons, dans des 
						feuilles de chou aux noms aussi racoleurs que leur 
						contenu : ‘Samedi’ 
						(《礼拜六》), créée en juin 1914, ou ‘Gaieté’ (《快活》), 
						créée en 1922. Mais l’avantage était que les auteurs 
						avaient ainsi des revenus stables qui leur permettaient 
						de vivre. 
						               
						Certains de ces 
						auteurs sont restés dans les annales : Bao Tianxiao 
						(包天笑), 
						par exemple, dont le pseudonyme est déjà une profession 
						de foi (rire avec le ciel), et qui fut aussi traducteur 
						et éditeur ; ou Cheng Xiaoqing (程小青) qui, lui, adapta les 
						intrigues policières de Conan Doyle, en 
						 |  
				créant en 1914 le personnage 
				de Huosang (霍桑)
				qui est un 
				double de Sherlock Holmes, mais aussi un avatar du classique 
				juge Bao (包公).
				 
				               
					
						| 
						Conan Doyle 
						avait été traduit en chinois dès la fin du 19ème 
						siècle, et c’est le très sérieux Liang Qichao (梁启超)
						qui 
						avait été le premier à en publier des traductions en 
						Chine, au tournant du siècle (4)
						. 
						Cheng Xiaoqing publia plus de soixante enquêtes de 
						Huosang (nouvelles et romans), mais écrivit aussi des 
						essais théoriques sur le roman policier, publiés en 
						trois volumes sous le titre « Techniques scientifiques 
						d’enquête » (《科学的侦探书》).
						Les 
						aventures de Huosang seront publiées jusqu’au début des 
						années quarante dans divers journaux spécialisés dans le 
						genre policier, avant de retrouver une nouvelle vogue 
						actuellement, y compris aux Etats-Unis. |  | 
						 
						Cheng Xiaoqing 
						(程小青)
						 |  
				             
				Il y eut bien, par 
				ailleurs, ce que l’on pourrait appeler une variante 
				« révolutionnaire » du genre des
				« lettrés 
				talentueux et belles dames ». Elle fut initiée par
				
				Yu Dafu (郁达夫), 
				chef de file de la société  
					
						| 
						               
						Conan Doyle en chinois |  | 
						Création, 
						avec sa nouvelle « Nuit d’ivresse printanière »  
						(《春风沉醉的晚上》, 
						publiée en 1923. Yu Dafu n’avait pas une grande estime 
						ni pour Shanghai ni pour la société shanghaienne, mais 
						sa nouvelle fit des émules. Elle reprenait le schéma 
						traditionnel en transformant le lettré talentueux en un 
						intellectuel miteux tentant péniblement de vendre 
						quelques poèmes pour survivre, et la belle dame en une 
						ouvrière travaillant dans une usine de cigarettes, les 
						deux communiant dans une affection fondée sur 
						l’entraide.   
				             
						On est 
						cependant là en marge du haipai qui est, par sa 
						nature même, étranger à la littérature révolutionnaire 
						dont Shanghai devint le foyer à la fin des années vingt 
						par un alea de l’histoire. Cela n’a pas empêché 
						le haipai de prospérer, mais sous un jour 
						nouveau, sous l’effet des changements socio-économiques. |  
				               
				b) Le 
				nouveau haipai des années trente 
				                
					
						| 
						Les années 
						1920-30, à Shanghai, sont en effet la période où se 
						forme et se développe le cadre d’une culture de 
						consommation moderne : alors que le reste de la Chine 
						est aux mains des seigneurs de guerre, c’est l’époque où 
						Shanghai se bâtit un empire financier et commercial, 
						attirant les banques, les affairistes et les commerçants 
						du monde entier, les aventuriers aussi, devenant dans 
						l’imagerie populaire « le Paris de l’Orient ». 
				             
						C’est l’époque 
						où l’architecture reflète les nouvelles classes 
						urbaines : commence à se construire le quartier 
						‘commercial et culturel’ de Nanjing lu (南京路) 
						avec ses quatre grands magasins, dont l’un des deux 
						précurseurs, établi dès 1918, Wing On, filiale d’une 
						compagnie de Hong Kong (永安), 
						est tout à fait caractéristique, avec hôtel, salon de 
						thé, toit-terrasse et salle de danse dans le même 
						bâtiment ; aux grands magasins se joignent de nouveaux 
						lieux de divertissement, comme le grand théâtre  |  | 
						 
						Nangjing Lu, années 1920 |  
						Da Guangming 
						(大光明), 
				œuvre de l’architecte Le Hudec aujourd’hui défigurée et 
				transformée en cinéma, ou le top du top, le dancing du Paramount 
				(百乐门)
				avec son hall 
				d’entrée art déco et, déjà, l’air conditionné.  
				             
					
						| 
						 
						Le Da Guangming aujourd’hui, défiguré par 
						la fièvre immobilière |  | 
						C’est l‘époque 
						mythique où Du Yuesheng (杜月笙), 
						le chef de la Bande verte (青帮), 
						organise des réceptions dans les salons privés des 
						étages supérieurs du Paramount, tandis que se 
						développent non loin de là les studios qui tournent les 
						grands films de l’âge d’or du cinéma chinois qui, eux, 
						mettent en scène les laissés pour compte de cette 
						croissance effrénée et l’extrême misère que côtoie ce 
						luxe tapageur. 
				             
						C’est 
						l’évolution de la sociologie urbaine et des modes de 
						consommation qui a entraîné cette frénésie 
						architecturale : toute cette architecture inspirée de 
						l’art déco français et du sytle jazzy américain, 
						panachée d’éléments décoratifs chinois, cela aussi, 
						c’est ce qu’on appelle le haipai. Et ce sont ces 
						mêmes facteurs qui, provoquant une évolution parallèle 
						du lectorat, ont entraîné une mutation, sinon une 
						rupture, dans la tradition littéraire du haipai : 
						elle s’est  |  
						alors scindée en deux 
				courants, l’un cultivant les goûts les plus bas et les plus 
				superficiels, jusqu’à dégénérer parfois en une littérature 
				racoleuse de sexe et de violence, l’autre visant à satisfaire la 
				passion de la mode et de l’inédit des nouvelles classes 
				urbaines, pour tendre vers une littérature d’avant-garde. 
				 
				             
					
						| 
						C’est ce que 
						l’éminent spécialiste (pékinois) d’études comparatives
						jingpai/haipai, le professeur Wu Fuhui, a appelé 
						« le haipai décadent » et « le haipai 
						montant » (2), l’un étant de facto supposé vulgaire, et 
						 
						l’autre distingué. Gardons ces termes, ils ne 
						s’inventent pas. Entre les deux, cependant, il y a tout 
						un courant intermédiaire, ni racoleur ni élitiste, qui 
						rassemblait la majeure partie des écrivains. 
				             
						1. Le 
						haipai « décadent » 
						               
						Peu de ces 
						auteurs sont passés à la postérité, ne  
						serait-ce que 
						parce que nombre d’entre eux se contentaient d’écrire 
						dans l’anonymat pour magazines et tabloïds populaires 
						qui attiraient le lecteur par des   |  | 
						 
						Le Paramount 
						(百乐门) |  
						potins et bruits divers, y 
				compris sur la vie d’acteurs ou de personnages connus,  par des 
				histoires drôles, rubriques de loisir et histoires d’amour, 
				voire érotiques, autant de journaux dirigés, effectivement, par 
				ce que Shen Congwen appelait des « dilettantes » (白相人). 
				               
					
						| 
						 
						Zhang Kebiao 
						(章克标) |  | 
						Ces romans 
						populaires ne s’élèvent guère, le plus souvent, 
						au-dessus du niveau de la presse du cœur, avec des 
						intrigues à faire pleurer Margot qui reprennent les 
						traditionnelles histoires « féodales » de jeunes gens 
						mariés contre leur volonté par leurs parents, mais qui, 
						maintenant, refusent de se soumettre, tout en étant, ce 
						faisant, plongés dans le désarroi, ou qui modernisent 
						des intrigues classiques en les inversant, comme 
						l’histoire de cette jeune femme confrontée à la colère 
						de ses amants qui se demande pourquoi ils ne veulent pas 
						la partager entre eux. 
				             
						C’est le genre 
						d’histoires typiques qu’écrivait un auteur comme 
						Zhang Kebiao (章克标), 
						célébré lors de sa mort, à l’âge de cent huit ans, en 
						janvier 2007, comme le « dernier écrivain haipai 
						des années trente ». Il eut aussi une importante 
						activité journalistique et éditoriale. Il fut en 
						particulier en charge de la rubrique  |  
				
				« libres discussions » (“自由谈”) 
				du magazine Shenbao (《申报》), 
				rubrique créée en 1911 qui servit au départ  de porte parole aux 
				écrivains du mouvement des « canards mandarins et papillons ».
				Il est célèbre 
				pour s’être bassement vengé de son échec auprès d’une jeune 
				femme qu’il courtisait en dévoilant dans un de ses romans sa 
				liaison avec Yu Dafu : il donna au personnage principal du roman 
				le nom à peine déguisé de son rival et en décrivit abondamment 
				les rêves érotiques.  
				             
					
						| 
						Parmi ces 
						auteurs populaires, il en est un dont le nom est resté 
						comme l’emblème du pire de ce que l’on peut faire dans 
						le genre ; c’est un écrivain qui était au départ un 
						brillant élément de la société « Création » dont il 
						avait été 
						l’un des 
						co-fondateurs : Zhang Ziping (张资平).En 1926, il se tourna vers la littérature populaire, en publiant un 
						roman qui fut un incroyable succès de librairie : 
						《飞絮》
						
						(fēixù : 
						chatons de saule virevoltants), et fut même ensuite 
						adapté au cinéma en 1933. Par la suite, il écrivit 
						régulièrement des histoires de ménages à trois, 
						 teintées d’érotisme et rehaussées d’incestes et autres 
						perversions sexuelles, et en publia un certain nombre 
						lui-même, dans la maison d’édition qu’il avait 
						créée (appelée "乐群书店" : 
						au plaisir des masses) et qui incluait un mensuel du 
						même nom, ce qui lui permettait d’engranger directement 
						les  |  | 
						 
						Zhang Ziping 
						(张资平) |  
				bénéfices. Toutes choses qui firent dire à Lu 
				Xun que ses romans pouvaient se résumer à un triangle amoureux (张资平氏先前是三角恋爱小说作家)
				et qu’il n’était 
				guère plus qu’un commerçant des lettres attiré par l’odeur de 
				l’argent. 
				             
				Pendant la guerre de 
				résistance contre le Japon, il exécuta une autre volte-face : il 
				travailla avec le collaborateur Wang Jingwei, et publia un 
				journal pour l’association culturelle sino-japonaise. On ne peut 
				s’empêcher de penser que Lu Xun et Shen Congwen n’avaient 
				peut-être pas totalement tort en le considérant comme un 
				personnage sans beaucoup de scrupules. En tout cas, il 
				représente certainement le côté « voyou » du haipai 
				qu’ils déploraient tous deux. 
				               
				C’est cet aspect du 
				haipai que visait le poème « Impression de Shanghai » (《上海印象》) 
				de Guo Moruo  (郭沫若) où 
				il dépeignait une ville pleine de « cadavres ambulants et chairs 
				obscènes » (“游闲的尸,淫嚣的肉”).Mais 
				ce n’est pas le seul. 
				               
				2. Le haipai
				« montant » 
				
				
				              
					
						| 
						 
						Liu Na’ou 
						(刘呐鸥) |  | 
						A l’autre 
						extrême, il y eut un mouvement fugace mais brillant, 
						original et innovant, que l’on désigne du terme de « néo-sensationnisme » 
						(新感觉派), 
						terme importé du Japon par l’un de ses représentants les 
						plus éminents, Liu Na’ou 
						
						(刘呐鸥)Taiwanais de mère japonaise, il avait fait ses études au Japon avant de 
						venir à Shanghai en 1924 étudier le français à 
						l’université jésuite l’Aurore dont il suivit les cours 
						jusqu’en 1927, se liant là d’amitié avec d’autres 
						membres qui illustreront le mouvement, dont Shi Zhecun (施蛰存). 
						               
						Il mourut 
						assassiné en 1939, à l’âge de trente neuf ans, mais 
						réussit en une carrière aussi courte à créer les bases 
						d’un genre qui lui-même dura peu, mais est 
						indissociablement lié au meilleur du haipai. Le 
						
						 
						néo-sensationnisme a d’abord été associé à l’écrivain 
						japonais Yokomitsu Riichi ; il fonda en 1924, avec dix 
						 |  
						autres écrivains, dont 
				Kawabata Yasunari, une revue dans laquelle il publia une 
				nouvelle intitulée « La 
				Tête aussi bien que le ventre » qui fait figure de naissance du 
				mouvement. Influencées par le symbolisme, ses œuvres sont alors 
				caractérisées par une mosaïque d'impressions et de 
				sensations qui évoquent l'insignifiance et la précarité de 
				l’existence humaine ; il innova ensuite en abordant le genre du 
				récit psychologique avec des phrases longues et une diversité de 
				voix intérieures.  
				               
					
						| 
						C’est un 
						recueil de nouvelles japonaises traduites par Liu Na’ou 
						sous le titre « La culture de l’érotisme » (《色情文化》) 
						qui peut être considéré comme le précurseur du mouvement 
						à Shanghai. Il s’y élargit là sous l’influence du 
						modernisme européen sous toutes ses formes, non 
						seulement le symbolisme, mais aussi le surréalisme, 
						
						l’expressionnisme ou le cubisme, tous styles 
						particulièrement adaptés à la représentation des rythmes 
						de vie urbains, et en particulier ceux de la métropole 
						effervescente qu’était Shanghai. L’unique recueil  de 
						Liu 
						
						Na’ou s’intitule « Panorama de la cité » (《都市风景线》): 
						c’est une cité 
						pleine de ‘modern girls’, qui se veulent affranchies 
						mais sont surtout très superficielles, et ressemblent 
						déjà comme des petites sœurs aux jeunes Shanghaiennes 
						d’aujourd’hui courant boutiques et nightclubs à la mode, 
						et affichant à tous vents leur liberté sexuelle. |  | 
						 
						Shi Zhecun 
						(施蛰存) |  
				             
				Shi Zhecun (施蛰存), 
				lui, s’est intéressé à la mentalité shanghaienne : pour peindre 
				les états d’âme de tous ces citadins récemment transplantés, 
				confrontés aux difficultés de l’existence urbaine nées de 
				l’isolement et du 
				déracinement, il utilise des éléments de psychologie freudienne 
				et les techniques du monologue intérieur propres au ‘courant de 
				conscience’ (意识流) 
				qui était en train de se développer dans la littérature 
				occidentale. Dans sa 
				revue ‘Xiandai’, sous-titrée ‘Les cosmopolitains’ (《现代》), éditée de 1932 à 1935, 
				il a résumé, dans un texte explicatif concernant les poèmes 
				qu’il y publiait (又关于本刊中的诗),
				les principes de 
				base qui peuvent s’appliquer généralement à
				son esthétique 
				littéraire :  
				“《现代》中的诗…
				是现代人在现代生活中所感受到的现代的情绪用现代的词藻排列成的现代的诗形。…… 
				les poèmes publiés dans « Xiandai » … sont une forme poétique moderne 
				utilisant un style moderne pour exprimer les sentiments modernes 
				ressentis par l’homme moderne dans la vie moderne. »  
				               
					
						| 
						 
						Mu Shiying 
						(穆时英) |  | 
						C’est cependant 
						dans les nouvelles de Mu Shiying (穆时英) 
						que ce néo-sensationnisme shanghaien atteint sans doute 
						son expression la plus élaborée. En 1930, Mu Shiying 
						avait envoyé une nouvelle intitulée « Notre monde » (《咱们的世界》)
						au 
						magazine littéraire ‘Littérature et arts nouveaux’ (《新文艺》) qui fut édité de 1929 à 
						1930 par Shi Zhecun et Liu Na’ou. La nouvelle fit 
						sensation dans le groupe, et Mu Shiying devint le 
						protégé du premier tout en gardant des liens d’amitié 
						avec le second qui habitait la maison à côté de la 
						sienne. Il se lança alors dans des expérimentations 
						formelles, jusqu’en 1937 : pour échapper à la guerre, il 
						partit alors à Hong Kong ; quand il revint deux ans plus 
						tard, ce fut pour collaborer avec le gouvernement 
						pro-japonais de Nankin, sombrer dans une vie de dandy 
						nihiliste et finir assassiné, après son ami Liu Na’ou, 
						en juin  |  
				1940. Lui aussi a donc 
				eu une courte carrière, mais prolifique. 
				             
				Dans ses nouvelles, il 
				décrit la ville des grandes artères et des espaces publics, 
				partout où s’exhibe la vie et où elle se met en scène ; le 
				rythme syncopé des phrases, les répétitions, toutes sortes de 
				métaphores et allitérations traduisent le tourbillon dans lequel 
				sont prises les existences de chacun, sans pouvoir vraiment 
				contrôler ni le temps et ni les événement, comme dans « Le fox 
				trot de Shanghai » (《上海的狐步舞》). 
				C’est par ailleurs un univers citadin qui rejoint celui des 
				courtisanes du début du siècle, comme lui centré sur les lieux 
				de plaisir, mais un univers beaucoup plus crû d’où tout 
				romantisme a disparu : constellé d’éléments érotiques (souvent 
				sous forme de citations de chansons) et de descriptions 
				sexuelles comme autant de vignettes d’un collage cubiste. 
				  
				             
				En même temps, c’est 
				un style inspiré du cinéma, divertissement qui faisait 
				alors fureur à Shanghai et art dont tous ces auteurs étaient 
				passionnés. Liu Na’ou en fut même un théoricien, écrivant nombre 
				d’articles sur le 
				sujet dans  les revues et suppléments spécialisés qui existaient 
				dans cette ville du cinéma qu’était Shanghai. Il a même traduit 
				le livre, publié à Berlin en 1932, du théoricien américain 
				d’origine allemande 
				Rudolf Arnheim : « Film as Kunst » (Du cinéma comme art : 
				
				《艺术电影论》) (5).
				 
				              
				Il ne faisait 
				d’ailleurs en cela que s’inspirer du 
				néo-sensationnisme 
				japonais qui s’était doublé d’une expérimentation dans le 
				domaine cinématographique, sous l’égide du réalisateur Teinosuke 
				Kinugasa, auteur de deux films dans ce cadre : « Une page 
				folle » (《疯狂的一页》)
				, film muet de 
				1926, et, deux ans plus tard, « Carrefour » (《十字路》) 
				où il dépeint l’effervescence factice du quartier de Yoshiwara, 
				célèbre quartier des plaisirs de Tokyo qui deviendra ensuite le 
				décor favori des films sur la prostitution féminine de 
				Mizoguchi (6) : c’est tout à fait l’univers de la littérature du
				haipai, tout particulièrement dans sa version 
				néo-sensationniste. Mais, dans ce cas, c’est la littérature qui 
				avait inspiré le cinéma, à Shanghai c’est l’inverse. 
				               
				Cependant, c’est 
				surtout le cinéma hollywoodien et ses stars qui fournissent à 
				tous ces auteurs, et à Mu Shiying en particulier, les modèles 
				des femmes modernes de leurs nouvelles. Ce qui est peut-être le 
				plus intéressant, c’est l’apport des techniques 
				cinématographiques à la structure narrative et au style, et, 
				dans ce domaine, les recherches de 
				Liu Na’ou ont été de 
				première importance. Son principal apport est sans doute la 
				théorie du « mouvement continuel des points de vue », chaque 
				mouvement de la caméra équivalant à un point de vue, ce qui se 
				traduit dans l’écriture romanesque par une rupture stylistique, 
				en s’attaquant au fondement de la narration réaliste 
				traditionnelle à la Balzac : la continuité. Il avait repris cela 
				entre autres de l’ouvrage d’Arnheim qui postule l’absence de 
				continuité spatio-temporelle au cinéma. 
				  
				             
				On retrouve cette 
				caractéristique dans les nouvelles néo-sensationnistes 
				où elle se traduit dans 
				l’émiettement de la 
				forme : émiettement de l’intrigue et émiettement du texte qui 
				finit par ressembler à un scénario, certaines nouvelles étant 
				ainsi découpées en séquences, la narration procédant par images 
				successives rendues dans un style elliptique, les meilleurs 
				exemples en étant les deux nouvelles de Mu Shiying : « Le 
				fox-trot de Shanghai » déjà cité et « Les cinq personnages dans 
				un night-club » (《夜总会里的五个人》)
				
				
				(7). 
				               
				Ce courant du haipai 
				était donc bien un mouvement moderniste différent de l’image 
				caricaturale du haipai véhiculée par ses pourfendeurs du 
				Nord, mais qui en reprend les grands thèmes et s’adresse 
				toujours à un public urbain et populaire.   
				               
				c) La 
				continuité du haipai  
				               
				Le haipai 
				littéraire s’est ainsi peu à peu formé autour de thèmes où sexe 
				et amour forment une base incontournable, mais qui prennent des 
				formes plus ou moins provocantes ou vulgaires selon les auteurs, 
				et la tranche du public à laquelle ils s’adressent. A partir des 
				années quarante, on retrouve constamment ce mélange d’auteurs 
				racoleurs et d’œuvres triviales, alternant avec des écrivains 
				novateurs dont l’œuvre constitue une page de l’histoire de la 
				littérature chinoise, avec au milieu toute une foule 
				d’écrivains, beaucoup féminins, qui restent secondaires mais 
				apportent leur contribution à 
				l’évolution du genre et 
				témoignent de l’évolution des mentalités.  
				               
				
				
				Zhang Ailing 
				(张爱玲) 
				est celle qui a marqué le haipai à partir des années 
				quarante. Elle en a le mélange caractéristique de sinité et de 
				modernisme occidental qui concourt à la réussite de ses œuvres. 
				Vers la fin de sa vie, elle a elle-même rendu hommage à celui 
				qui en est considéré comme la figure tutélaire du haipai, 
				Han Bangqing, en traduisant en mandarin sa 
				« Biographie des fleurs 
				de Shanghai ». Ses premières œuvres furent d’ailleurs publiées 
				dans des revues du courant « canards mandarins et papillons ». 
				              
				C’est
				
				
				Wang Anyi
				 
				
				(王安忆), 
				aujourd’hui présidente de l’association des écrivains de 
				Shanghai, qui a ensuite, en quelque sorte, pris le relais : on a 
				dit qu’elle dépeignait dans ses romans et nouvelles des 
				personnages de Zhang Ailing qui seraient restés à Shanghai après 
				la Révolution culturelle. C’est un peu réducteur, mais, comme 
				tout propos réducteur, il a sa part de vérité symbolique. 
				 
				              
				Ces deux auteurs 
				méritent deux dossiers à part entière, à côté d’autres de la 
				nouvelle génération :
				
				
				Cheng Naishan
				
				
				(程乃珊), 
				Chen Danyan (陈丹燕)
				
				
				et d’autres encore qu’il s’agira de découvrir au hasard des 
				rencontres. 
				             
				Ces écrivains 
				représentent le courant « distingué » 
				du haipai, à côté de la persistance du courant 
				« décadent » représenté aujourd’hui par ces « romancières de 
				Shanghai » dont les seules qualités résident dans leurs 
				provocations, d’autant plus insolentes qu’elles sont écrites à 
				la première personne : 
				
				Mian Mian (棉棉)
				
				
				et Weihui (周卫慧).
				
				
				Comme aurait dit Shen Congwen, cela aussi, c’est ce qu’on 
				appelle le haipai …  
				             
				             
				
				
				Notes 
				
				(1) Il y 
				a d’ailleurs un livre 
				sur la rue dont le titre même rappelle cette origine : 
				
				《老上海四马路(老上海海派特色文化的一条街)》, 
				la Quatrième avenue, une rue du vieux Shanghai empreinte de 
				culture haipai.
				Il a été 
				publié en 2001 et fait partie du nouvel engouement pour le 
				haipai, sur fond de nostalgie des années trente. 
				
				(2) Dans son chapitre 
				sur le sujet dans « « Pékin-Shanghai, 
				tradition et modernité dans la littérature chinoise des années 
				trente », p. 221 (voir bibliographie ci-dessous) 
				
				(3) Dont les tenants de la littérature du 4 mai n’ont pas manqué de 
				souligner qu’elle n’avait rien à voir avec la noble tradition du 
				dilettante éclairé qui pratiquait son art pour le plaisir (“游戏消闲”).
				Et de souligner, lorsque sortit ‘Gaieté’, que ce monde de misère n’avait 
				rien de gai…  
				
				(4) D’après la 
				thèse d’Annabela Weisl : « Cheng Xiaoqing (1893-1976) and His 
				Detective Stories in Modern Shanghai» 
				(Grin Verlag, 2010) 
				
				(5) C’est son premier livre important, et celui où il jetait les 
				bases de sa psychologie de l’expérience visuelle. Ce qui est 
				assez étonnant, c’est que le livre fut publié juste avant 
				l’accession de Hitler au pouvoir, et, comme Arnheim était juif, 
				le livre fut retiré de la circulation. Il fallait avoir une 
				connaissance pointue du milieu cinématographique pour 
				s’intéresser à ce texte et le traduire. 
				
				(6) Pour la petite histoire, ce fut le premier film japonais à être 
				projeté en Occident, et, à Paris, ce fut au studio des 
				Ursulines.   
				
				(7) Voir l’analyse détaillée dans le dernier chapitre du livre 
				« Pékin-Shanghai » mentionné dans la bibliographie ci-dessous : 
				« Le  
				néo-sensationnisme et le cinéma », par Li Jin. 
				                           
				 
 
				  
				Bibliographie 
				sommaire                
					
						| 
							
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								 | 
								
								« Shanghai : histoire, promenades, anthologie et dictionnaire » 
						sous la direction de Nicolas Idier (Robert Laffont, 
						collection Bouquins, 2010) – en particulier : « Les 
						écrivains chinois de Shanghai, d’hier à aujourd’hui » 
						par Isabelle Rabut (p. 497) et « Le haipai : style art 
						déco shanghaien » dans le chapitre « De la technologie 
						aux arts déco » par Nathalie Delande-Liu (p. 395). La 
						photo de couverture, à elle seule, est la plus belle 
						illustration de l’esprit du  
								haipai. |  
								| 
								 | 
								
						« Ecrire au 
						présent, débats littéraires franco-chinois »  textes 
						réunis et présentés 
						
								par 
						Annie Curien (éditions MSH, 2004) – chapitre 2 : « Deux 
						courants de la littérature du haipai » par Chen 
						Sihe (p. 103-118). |  
								| 
								 | 
						
						« Pékin-Shanghai, tradition et modernité dans la littérature 
						chinoise des années trente », sous la direction 
						d’Isabelle Rabut et Angel Pino (éditions Bleu de Chine, 
						2000) |  
								| 
								 | 
								
						« Shanghai 
						modern: the flowering of a new urban culture in China, 
						1930-1945 
						
								»
						
						
								par Leo Ou-fan Lee (Harvard University Press, 1999)
								
						 |  |  | 
						 
						Shanghai (collection Bouquins) |  
				               
                 
				Traductions
				 
					
						| 
						 | 
				« Le 
				Fox-trot de Shanghai et autres nouvelles chinoises » traduites 
				par Isabelle Rabut et Angel Pino (Albin Michel 1996). 
				(Texte 
				chinois de la nouvelle du titre :
				
				http://zhidao.baidu.com/question/132032360.html) |  
						| 
						 | 
				Dans la 
				partie « Anthologie » du « Shanghai » de la collection Bouquins 
				cité ci-dessus : douze nouvelles publiées entre 1916 et 2006, 
				dont une histoire policière de Cheng Xiaoqing et les « Cinq 
				personnages dans un night club » de Mu Shiying. |  
				                                
				            
				                      
				  
				            | 
                  
                  |