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Han Shaogong 韩少功
Présentation 介绍
par Brigitte Duzan, 8 septembre 2009,
actualisé 10 mars 2018
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Han Shaogong est né le 1er janvier 1953 à
Changsha, dans la province méridionale du Hunan (湖南长沙).
A la fin de ses études secondaires, en 1968, au début de
la Révolution culturelle, il est « envoyé à la campagne
», dans le district de Miluo (汨罗)(1), petite ville qui
fut, sous la dynastie des Zhou, la capitale de l’Etat de
Luozi (罗子国), anéanti par
l’Etat de Chu (楚国) en 690 avant
Jésus-Christ. C’est donc une région qui fut pendant
longtemps marquée par la brillante civilisation de Chu,
une culture empreinte de magie dont certains éléments
subsistent encore dans la culture populaire locale, et qui
transparaissent dans bien des nouvelles de
l’auteur. |
Formation et carrière professionnelle : entre Hunan et
Hainan
En 1974, il est affecté à un poste au bureau local de la
culture, puis, en 1978, au moment où les universités sont
réouvertes, il entre à l’Ecole normale du Hunan (湖南师范大学), dans
le département de littérature chinoise, dont il sort diplômé en
1982. Il obtient alors un poste à l’Association des
travailleurs, comme vice-rédacteur en chef de la revue de
l’association 《主人翁》Zhǔrénwēng (2). En 1985, il suit un cursus
d’anglais à l’université de Wuhan, après quoi il est nommé à
l’association des écrivains du Hunan, et devient membre de
l’association des écrivains au niveau national. C’est de ces
années-là que date son admiration pour Milan Kundera qui sera
une de ses sources d’inspiration étrangère, avec Kafka et García
Márquez, et dont il traduit, en 1987, « L’insoutenable légèreté
de l’être ».
En 1988, il est transféré dans l’île de Hainan, où il est nommé
rédacteur en chef de la revue 《海南纪实》 (Chronique de Hainan) et il
déménage alors dans l’île avec armes et bagages, sa femme et sa
petite fille. Hainan est la partie la plus méridionale de la
Chine, une île à la nature exubérante, et Han Shaogong dira par
la suite qu’il a tout de suite été conquis par la beauté de
l’endroit, bien que les conditions de vie y fussent à l’époque
quelque peu drastiques : l’île semblait coupée du monde,
manquait d’eau et
d’électricité, et les rues, vides et
défoncées, n’étaient pas éclairées la nuit (3). Le bruit courait
cependant que l’île devait devenir l’un des fleurons du
mouvement « de réforme et d’ouverture ». En attendant, elle
devint un centre intellectuel, ou spirituel comme dira l’auteur
:“一个精神意义的岛”.
En 1995, Han Shaogong devient directeur de la revue
Tianya《天涯》et, l’année suivante, est nommé président de
l’association des écrivains du Hunan. Il a depuis lors multiplié
les fonctions et titres officiels, ce qui témoigne de sa
popularité en tant qu’écrivain, y compris à l’étranger, en
France en particulier où nombre de ses écrits ont été traduits
et publiés, et où, en 2002, il a été nommé chevalier de l’Ordre
des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture.
Pourtant, il vit toujours à Hainan et professe mener une vie à
moitié recluse (“半世俗半隐居的生活” bànshìsú, bànyǐnjūde shēnghuó), ce
qui fut couramment, tout au long de l’histoire, l’une des
spécificités du lettré chinois.
Carrière littéraire et écrits : grandes étapes
a) Premières œuvres
Ses tout premiers écrits, à la fin des années 1970,
s’attaquaient aux dérives gauchistes de la politique maoïste, en
particulier pendant la Révolution culturelle, mais c’est grâce à
une nouvelle publiée au dernier trimestre de 1979 dans la revue
littéraire 《人民文学》qu’il acquit soudain un début de notoriété :
《月兰》(Yuèlán), parue en traduction anglaise en 1985 sous le titre
« Moon Orchid ». On a dit que la nouvelle fut le laisser-passer
qui lui permit d’entrer dans le monde littéraire.
Yuèlán est le nom d’une paysanne très pauvre, qui ne possédait
que « trois jiao et huit fen
d’économies » (“仅有三角八分钱存款”), c’est-à-dire même pas un yuan, et qui, de plus, avait accumulé
des dettes parce qu’elle avait été malade. Sa seule richesse
était ses quatre poules qu’elle considérait comme sa banque.
Mais le chef d’un groupe de travail nouvellement arrivé au
village entend faire appliquer strictement les règlements : les
poules (privées) étant interdites, il ordonne qu’elles soient
empoisonnées. Yuèlán non seulement perd son seul moyen de
subsistance, mais doit en outre rédiger une auto-critique qui
devra être affichée dans tout le village et la commune. Insultée
par son mari, elle va se noyer, faisant de sa mort une
résistance muette aux politiques « ultra-gauchistes » de
l’époque… (5)
La nouvelle reflétait la profonde connaissance du monde paysan
que l’auteur avait accumulée durant ses années à la campagne, un
critique a pu dire qu’elle résonnait comme un véritable appel au
secours pour ce monde qui avait tant souffert des politiques
maoïstes :
“救救农民”的呼唤.
b) Le mouvement de « recherche des racines »
Les années qui suivirent la mort de Mao et virent le début de la
politique d’ouverture et de libéralisation lancée par Deng
Xiaoping furent une période d’intense bouillonnement
intellectuel, mais ce qu’on a appelé une « fièvre culturelle »
était aussi une crise culturelle. Elle était accompagnée d’une
prise de conscience de la nécessité urgente de revisiter le
passé, seul à même de permettre une reconstruction d’une
identité culturelle disparue dans les décombres de la culture
nationale.
C’est à une réunion de jeunes écrivains et critiques littéraires
à Hangzhou, en décembre 1984, que le mouvement prit forme. Il
prit ensuite son nom du titre d’un article publié aussitôt après
par Han Shaogong : 《文学的“根”》(les ‘racines’ de la littérature). On
parla désormais de
“寻根小说”, les romans de recherche des racines,
et ce devint dès lors une sorte de mot de ralliement.
Han Shaogong mit lui-même
l’idée et ses principes en pratique dans《爸爸爸》(PaPaPa),
nouvelle publiée en 1985. Ecrite dans une langue pleine
de symboles et d’allégories, elle représente un symbole
du nouveau genre littéraire qui se développe alors. Le
personnage principal en est un idiot qui ne sait dire
que « papapa » et «putain de maman», né déjà vieux et de
père inconnu dans un village où les mentalités sont
restées empreintes des superstitions d’antan, au point
de penser un moment déifier l’idiot pour faire cesser la
sécheresse. L’idiot illustre à lui seul le
caractère attardé, obtus et irrationnel de ces mentalités ; il
symbolise aussi la Chine des années 70, un pays aphasique qui
avait perdu, avec le langage, la conscience de son histoire.
Han Shaogong montre à merveille à quel point les destins |
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individuels sont liés au poids de la tradition, et, en
disséquant le passé, combien la civilisation chinoise, et
humaine, est conditionnée par l’histoire et la culture
populaire, par ses « racines », avec tout leur poids de
merveilleux et de fantastique.
c) Le dictionnaire de Maqiao
Fin 1992, il adopte l’ordinateur pour écrire, et commence alors
une série d’essais intitulés《夜行者梦语》 (propos oniriques d’un
noctambule). En 1994, il publie un recueil de nouvelles portant
le titre de
l’une d’elles : 《北门口预言》(la prophétie de la porte du
Nord).
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Mais c’est en 1995 qu’il
publie ce qui est à ce jour son œuvre majeure et un chef
d’œuvre absolu : 《马桥词典》, « le dictionnaire de Maqiao ».
Cette œuvre se présente, apparemment, comme un véritable
dictionnaire, avec des entrées, nées de recherches
approfondies, correspondant à des termes spécifiques du
dialecte du village de Maqiao. Mais c’est bien plus : un
prétexte à une réflexion profonde sur le langage, et sur
la réalité sociale, voire historique, qu’expriment les
termes dialectaux lorsqu’on les
analyse et qu’on les décrypte. Finalement, c’est
un véritable roman, avec des personnages récurrents qui
finissent par bâtir une véritable histoire, celle du village et
des environs, des personnages ancrés dans leur réalité propre,
en marge de l’histoire officielle dont les échos, quand ils
parviennent, arrivent décalés et déformés. |
Dans l’une des entrées, intitulée “枫鬼” (les diables d’érables),
il explique la genèse de l’œuvre, et la révolution qu’elle
représente : il dit que son ambition était d’écrire une
biographie de toutes les choses existant à Maqiao, en rompant
avec le style qui était le sien depuis qu’il écrivait des
nouvelles, et en particulier avec l’habitude traditionnelle de
concevoir des histoires linéaires, avec des liens de cause à
effet très stricts et une trame empêchant toute digression. On
peut dire, justement, que le ‘Dictionnaire de Maqiao’ est un
réseau de digressions, toutes plus géniales les unes que les
autres, une suite de tableaux de la vie locale formant une
mosaïque vibrante et colorée (6). En 2000, le livre a été
déclaré par un jury d’hommes de lettres « l’un des cent grands
classiques du 20ème siècle ».
Fin 2002, il a, en quelque sorte, récidivé avec《暗示》(ànshì,
traduit en anglais par « Intimations »).
C’est une continuation
de sa réflexion sur la langue, ou l’au-delà de la langue, comme
l’indique le titre qui signifie ‘faire comprendre’, par
insinuations, suggestions, signes… Han Shaogong reprend la forme
fragmentaire du dictionnaire, avec à nouveau une centaine de
chapitres apparemment sans liens entre eux ; y sont analysées
les connotations des mots, au-delà de leur sens littéral, en
fonction du contexte défini par les gestes, les attitudes, les
atmosphères et en particulier l’histoire ; le contexte apparaît
comme l’élément clé qui influe sur le sens final qui est perçu,
et qui disparaît avec lui : il n’y a pas de sens absolu, ou a
priori.
Par exemple, le terme de
知青
(zhīqīng), les « jeunes instruits »,
est en train de perdre la signification profonde qu’il a pour
les gens qui ont vécu la période de la Révolution culturelle ;
pour eux, et Han Shaogong en particulier, le terme, et ceux qui
lui sont liés, comme révolution, uniforme, chants russes, ‘danse
de dévotion’ (忠子舞
: les danses ritualisées exécutées par des
milliers de jeunes, le ‘petit livre rouge’ à la main), évoquent,
comme en flash-back, les images de toute une époque révolue. Han
Shaogong se livre ainsi à une sorte d’invocation des esprits qui
débouche sur une réflexion philosophique sur la langue et la
modernité, en poursuivant celle amorcée dans la postface du
‘Dictionnaire de Maqiao’.
Han Shaogong a continué à publier nouvelles et essais. Son
dernier recueil d’essais, 《山南水北》, date de 2006 ; après sept
années pendant lesquelles il est revenu vivre dans la campagne
reculée du Hunan, Han Shaogong approfondit là ses réflexions sur
la vie et la culture, et les liens entre les deux. C’est à la
fois un retour au pays et un retour sur soi, et une nouvelle
recherche de racines, à une époque où la campagne n’est plus
désormais créatrice de sens que par rapport à la ville.
Quant à ses nouvelles, elles proviennent directement de son
expérience vécue, transformée par le souvenir et magnifiée par
l’écriture. Mais, depuis ses débuts, leurs thèmes et leur style
ont beaucoup évolué. Han Shaogong en a récemment publié un
recueil dont il a lui-même effectué la sélection : dans
l’introduction, il y explique combien, à les relire à des années
de distance, certains de ces textes lui ont paru étranges, comme
écrits par une autre personne, qui signait elle aussi « Han
Shaogong »…On ne saurait mieux illustrer la richesse et la
diversité d’une œuvre qui est certainement l’une des plus
importantes de la littérature contemporaine chinoise.
Notes
(1) Situation géographique :
http://maps.google.fr/maps?hl=fr&q=%E6%B9%96%E5%8D%97%E6%B1%A8%E7%BD%97&um=1&ie
=UTF-8&split=0&gl=fr&ei=g6qHSta6J6S7jAeg2tWiCw&sa=X&oi=geocode_result&ct=image&resnum=1
(2) Le terme signifie « maître » au sens d’être maître de soi ou
de son destin, mais désigne aussi le
« héros » d’une histoire.
(3)“海南地处中国最南方,孤悬海外,天远地偏,对于中国文化热闹而喧嚣的大陆中原来说,它从来就像一个后排观众..
我1988年渡海南行时心中的喜悦——尽管那时候的海南街市破败,
缺水缺电,空荡荡的道路连一个象样的交通标志灯也找不到,但它仍然在水天深处引诱着我。”(《南方的自由》)
(4)《天涯》Tiānyá signifie ‘Le bout du monde’, ou ‘L’horizon’.
(5) La nouvelle était en fait au départ totalement différente ;
écrit au printemps précédent, le texte original s’appelait
《最后四只鸡》(les quatre dernières poules), et était une satire de la
Bande des Quatre (四人帮)et des conséquences dévastatrices de leur
politique au niveau de la vie quotidienne dans les campagnes.
Mais il dut modifier la nouvelle après l’avoir soumise aux
autorités de tutelle pour ratification.
(6) On peut trouver le texte intégral chinois sur internet :
http://www.my285.com/ddmj/hsg/mqcidian/mq.htm
Principales œuvres :
Romans et nouvelles
(小说) (les dates sont celles des premières éditions, non des
premières publications en revues)
1981年:《月兰》(中短篇小说集)
1983年:《飞过蓝天》(中短篇小说集)
1986年:《诱惑》(中短篇小说集)
1988年:《空城》(中短篇小说集)
1989年:《谋杀》(中短篇小说集)
1993年:《爸爸爸》(中篇小说集)
1994年:《北门口预言》(中短篇小说集)
1996年:《马桥词典》(长篇小说)
2002年:《暗示》(长篇小说)
2005年:《报告政府》(中短篇小说集)
Essais et autres
(散文)
1986年:《面对神秘而空阔的世界》(随笔集)
1993年:《夜行者梦语》(散文随笔集)
1994年:《圣战与游戏》(随笔集)
1996年:《心想》(散文集);《灵魂的声音》(散文集)
2006年:《山南水北——八溪峒笔记》(散文集)
Traductions en français :
-
Femme, femme, femme 《女女女》traduit par Annie Curien Picquier Poche,
2000
-
PaPaPa 《爸爸爸》traduit par Noël Dutrait L’Aube Poche, 2000
-
Bruits dans la montagne 《山上的声音》traduit par Annie Curien
Gallimard, nrf, 2000
(recueil de cinq nouvelles dont 《山上的声音》et
《北门口预言》(la prophétie
de la porte du Nord).
A signaler : une curiosité
L’obsession des chaussures 《鞋癖》, texte bilingue (Maison des
écrivains, 1992), malheureusement actuellement indisponible
Traductions en anglais :
-
Intimations
《暗示》People's Literature Publishing House,
fin 2002
-
A Dictionary of Maqiao
《马桥词典》traduit par Julia Lovell, Columbia
University Press, 2003
- Mountain Songs
from the Heavens, nouvelle moyenne tr. Lucas Klein,
in :
By the River, Seven
Contemporary Chinese Novellas,
ed. by Charles A. Laughlin, Liu Hongtao and Jonathan Stalling,
University of Oklahoma Press, Chinese Literature Today (CLT)
Book Series, 2016, pp. 85-150 (initialement publiée dans la
revue Littérature du peuple, 2004)
A lire en complément :
- Dans les nouvelles
« A Mao le loup » (《老狼阿毛》)
« Le chien jaune » (《黄皮》)
(extrait du « Dictionnaire de Maqiao)
- Dans les actualités
Han Shaogong
couronné du prix Newman de littérature chinoise 2011
韩少功荣获2011年美国纽曼华语文学奖
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