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Yang
Xianhui 杨显惠
Présentation
par Brigitte
Duzan, 14 mars 2011, actualisé 21 septembre 2023
Yang
Xianhui (杨显惠)
est célèbre pour son
recueil de nouvelles
paru en 2003 : « Adieu à Jiabiangou » (《告别加边沟》),
traduit en français sous le titre « Le
Chant des martyrs, dans les camps de la mort de la
Chine de Mao »
.
C’est un recueil de nouvelles écrites à partir de
témoignages d’anciens déportés survivants de l’un des
camps les plus terribles de l’ère maoïste : le
camp de Jiabiangou (《加边沟》)
où furent envoyés quelque trois mille condamnés à la
« rééducation par le travail » après leur inculpation
en 1958
dans le
cadre de la campagne anti-droitiers (反右派运动).
Le camp
était situé dans le désert de Gobi, et les détenus y
furent soumis à des conditions de détention
insoutenables : la politique désastreuse du Grand Bond
en avant ayant provoqué, à partir de 1959, une famine
qui fit, selon les
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Yang Xianhui
(杨显惠) |
estimations
actuelles, plus de trente millions de morts dans la Chine
entière
,
beaucoup des prisonniers périrent et furent enterrés
sommairement dans le désert.
Yang Xianhui a
d’abord écrit un livre, « Souvenirs de Jiabiangou » (Jianbiangou
jishi《夹边沟记事》),
qui, comme ses autres ouvrages, fait partie d’une nouvelle
catégorie de littérature dénommée « littérature de témoignage »
(见证文学jiànzhèng
wénxué).
Un natif
du Gansu
Situation du Gansu dans la Chine |
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Yang
Xianhui (杨显惠)
est né en 1946 dans le Gansu, dans le district autonome
des Dongxiang (甘肃省东乡族自治县).
Il termine ses études secondaires, à Lanzhou, en 1965,
et est alors envoyé travailler les champs dans une
brigade de mise en valeur de terres dans le corridor du
Hexi (河西走廊).
Il est successivement paysan soldat, puis marchand et
instituteur. Il reprend des études à l’institut de
formation des enseignants du nord-ouest, mais va ensuite
travailler dans des salines à Qinghe, au sud du Hebei,
puis à Tianjin, où il réside encore aujourd’hui. |
Il
commence à écrire à la fin de la Révolution culturelle
et publie sa première œuvre en 1980, dans le « Journal
des lettres et des arts du Gansu » (《甘肃文艺》) :
« Juillet dans le Gansu » (《陇上七月》,
陇Lǒng
étant l’ancien nom du Gansu). En 1986, « Cette grande
plage » (《这一片大海滩》)
obtient le prix de la meilleure nouvelle de l’année, et,
en 2003, les nouvelles « La femme de Shanghai » (《上海女人》)
et « Exil » (《逃亡》),
ensuite publiées dans la « Chronique de Jiabiangou »,
obtiennent le prix de la meilleure nouvelle décerné par
l’Association des écrivains de Chine.
Ses
recueils de nouvelles « Chronique de l’orphelinat de
Dingxi » (《定西孤儿院纪事》)
et « Chronique |
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Carte du Gansu |
de
Jiabiangou » (《夹边沟记事》)
ont valu à Yang Xianhui une place à part dans la littérature
contemporaine chinoise. On en a fait l’équivalent chinois de
« L’archipel du Goulag ».
La Chronique
de Jiabiangou
Le camp de
Jiabiangou se situait dans le district de Jiuquan (酒泉),
au nord du Gansu. Il a eu jusqu’à près de trois mille
prisonniers ; fin 1960, lorsqu’il fut décidé de le fermer, il
restait à peine cinq cents survivants. Ils furent renvoyés chez
eux, aux quatre coins du pays, et personne n’en parla plus : le
sujet était tabou, comme était tabou celui de la « grande
famine » (“大饥荒
”)
qui décima la population
chinoise au même moment.
Le
contexte : la grande famine
Cette
grande famine fut la résultante du Grand Bond en avant (大跃进),
la politique de développement industriel à outrance
lancée par Mao Zedong en 1958 qui devait en quelques
années permettre à la Chine d’atteindre le niveau
industriel de l’Angleterre. L’agriculture fut
collectivisée pour, selon les plans, permettre de
dégager les excédents nécessaires pour financer
l’industrialisation, et les paysans affectés en priorité
à la production d’acier dans les fours artisanaux
construits à la hâte dans chaque village.
Les
réquisitions forcées de céréales et l’abandon des
cultures, les paysans n’ayant plus le temps de
travailler dans les champs, furent les facteurs
essentiels qui entraînèrent la pire famine de l’histoire
du vingtième siècle, aggravée par les informations
biaisées envoyées aux autorités centrales par les cadres
locaux : on considère qu’elle fit plus de trente cinq
millions de morts en trois ans. Il se trouve que le
Gansu et le Henan ont été parmi les provinces les plus
touchées. |
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Chronique de Jiabiangou《夹边沟纪事》 |
Un
témoignage éprouvant de la réalité vécue
C’est vers
1970, alors que Yang
Xianhui travaillait dans une ferme du corridor du Hexi, qu’il
entendit parler en termes couverts d’histoires de cannibalisme (“人相食”的故事)
qui se seraient passées au tout début des années 1960 dans la
région. Il décida vingt ans plus tard de mettre tout cela au
clair, et commença à rechercher les survivants pour les
interroger. C’est alors que fit surface l’histoire du camp de
Jiabiangou.
Adieu à Jiabiangou《告别夹边沟》 |
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Chercher
les survivants était comme chercher une aiguille dans
une botte de foin, mais il finit par en retrouver
environ cinq cents. C’est à partir de leurs témoignages
qu’il écrivit peu à peu les dix neuf nouvelles du
recueil, dont les premières furent publiées séparément à
partir de 2000
.
Il n’était
pas question d’écrire un reportage, la forme
fictionnelle s’imposait. Il y a insisté à de multiples
reprises : ces récits, dit-il, sont à quatre vint dix
pour cent des produits de l’imagination ; il ne pouvait
en être autrement, car, comme il l’écrit à la fin de la
première nouvelle du recueil : le temps brouille le
souvenir…
Les dix
neuf nouvelles dressent un tableau éprouvant des
conditions de détention dans le camp. Des sortes de
tranchées avaient été creusées dans le sol du désert
pour servir de dortoirs de fortune où les prisonniers,
affaiblis par |
la faim et la
dysenterie, attendaient la mort. Tous les matins, une équipe
passait emporter dans leur couverture les corps de ceux morts
dans la nuit, pour les enterrer anonymement un peu plus loin
dans le désert.
Dans ces
conditions, chacun tentait de survivre comme il pouvait, les
réflexes de survie prenant avec le passage du temps et la
détérioration de la situation, des formes de plus en plus
inhumaines, jusqu’au vol des vêtements et couvertures des morts
pour les échanger contre de la nourriture, et, in extremis,
jusqu’au cannibalisme…
Un ton retenu,
d’une grande humanité
Pourtant, le ton
des nouvelles reste sobre, factuel, le style est celui du
reportage, et ne déborde jamais sur la polémique, l’accusation
ou la dénonciation. Il ne s’agit pas d’un réquisitoire. Quand
critique il y a, elle apparaît de façon indirecte, surtout dans
la description des raisons pour lesquelles chacun des
prisonniers s’est retrouvé accusé de droitisme et condamné à la
détention et à la rééducation par le travail, y compris pour
simplement remplir les quotas de « droitiers » imposés à chaque
cellule du Parti. En revanche, il n’y a aucune accusation
directe contre tel ou tel dirigeant du camp. Certains survivants
expriment même leur gratitude aux responsables du Parti pour
l’avoir fermé quand ils furent enfin informés de l’étendue de la
catastrophe humaine.
L’impression qui se dégage de ces récits est avant tout
celle d’une grande chaleur humaine. Chaque nouvelle
apparaît comme une lueur fragile dans l’enfer du camp.
Le recueil débute avec celle qui donne le ton, et dont
le titre est celui du recueil lui-même : « La femme de
Shanghai » (《上海女人》).
Cette femme était la fiancée d’un jeune prisonnier qui
fit tout le trajet depuis Shanghai, plusieurs jours de
voyage, pour venir lui rendre visite, attitude louable
alors que les familles de condamnés, à l’époque,
cherchaient plutôt à se désolidariser d’eux pour éviter
les problèmes ; quand elle arriva, on lui apprit que son
mari était mort de faim, mais, bien pire, tout le monde
tenta de la dissuader de chercher son corps, car il
avait été déterré pour y prélever des morceaux de chair…
La
nouvelle la plus émouvante, cependant, est sans doute
celle intitulée « L’histoire d’amour de
Li Xiangnian » (《李祥年的爱情故事》).
Jeune garçon cultivé, romantique et |
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Woman from Shanghai |
plein d’avenir,
fut déclaré « droitier » (右派)
parce que son père avait travaillé pour le Guomingdang ; il
réussit à s’échapper du camp et à rejoindre sa fiancée, mais
s’en sépara à nouveau pour la protéger ; ne pouvant compter sur
personne pour l’aider, même pas sa famille, il fut à nouveau
capturé et emprisonné – en fait, la surveillance, partout, était
telle que personne ne pouvait longtemps échapper ainsi à un
camp ; mais Li Xiangnian considère que c’est justement ce qui
l’a sauvé, car il serait vraisemblablement mort de faim s’il
avait été renvoyé au camp.
C’est la
nouvelle la plus complexe, un récit plein de rebondissements qui
mêle à l’histoire d’amour qui en est le cœur une réflexion
personnelle sur les accusateurs, la prison, la société et les
« mensonges » à la base du projet socio-politique de « réforme
de la pensée par le travail ».
Chronique de l’orphelinat de Dingxi
(《定西孤儿院纪事》) |
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Ces
nouvelles forment un tableau saisissant de l’immense
gâchis que provoqua une politique absurde et qu’il
convient de ne pas oublier. Cependant, au-delà des
histoires qu’elles relatent, qui font souvent penser à
Lu
Xun,
elles incitent à la réflexion, et en particulier sur les
conditions de survie dans un Etat totalitaire ; on en
vient à se dire qu’un tel système entraîne forcément une
corruption des liens sociaux, et des liens familiaux
tout particulièrement, et que, pour survivre, l’individu
en est réduit à lutter contre cette corruption ambiante
par une « corruption » de son être propre, sous une
forme ou une autre, le « cannibalisme » en étant
finalement une métaphore, comme chez
Lu Xun.
C’est une
réflexion que
Yang Xianhui poursuit
depuis longtemps : la
« Chronique de Jiabiangou » prolonge celle de son autre
recueil de nouvelles, la « Chronique de
l’orphelinat de Dingxi » (《定西孤儿院纪事》). |
La
« Chronique de l’orphelinat de Dingxi »
Tout est parti
de souvenirs évoqués par un vieux paysan, vers 1970, dans une
ferme d’élevage de chevaux où Yang Xianhui avait été envoyé
travailler, à Yumen (玉门镇),
au nord du Gansu : des souvenirs des « orphelins de Dingxi » (“定西孤儿”),
à l’autre bout du Gansu, dans la partie sud …
Yang Xianhui revint là au début
des années 1990 et commença à collecter des informations.
Un travail
de mémoire
A l’issue des
trois années dites « difficiles », celles de la grande famine,
des orphelinats furent créés dans toute la région, par les
communes, les bourgs, les villages ; ils recueillirent quelque
cinq mille enfants de tous âges ; celui de Dingxi, à lui seul,
en accueillit entre six et sept cents. L’orphelinat a depuis
lors été détruit et sur le site est aujourd’hui un hôpital. La
mémoire du lieu risquait de disparaître.
En 2003, Yang
Xianhui finit par retrouver l’un des anciens pensionnaires de
l’établissement qui l’y emmena. Ils passèrent sept mois à
rechercher et interroger des orphelins qui y avaient vécu ces
années-là : plus de 150 au total. Des notes prises, il a tiré la
base de vingt deux nouvelles, vingt deux histoires de tragédies
intimes sur fond de famine, reconstituées parfois à partir d’un
souvenir ténu.
Certaines font
frémir, comme celle de cette petite fille évoquée par l’un des
personnages interrogés : la connaissant bien, et, un jour, ne la
voyant pas, il va la chercher chez elle ; il trouve sa mère dans
la cuisine en train de faire bouillir une immense marmite d’eau
d’où sort une odeur bizarre, et sur le couvercle sont les nattes
de l’enfant (《黑石头》)…
Ou encore cette autre petite fille, trois ans, tellement
affaiblie qu’elle ne pouvait plus même soutenir sa tête, qui
meurt les yeux ouverts sans qu’il soit possible de les lui
fermer, et dont le souvenir hante ensuite les survivants ; la
nouvelle s’intitule tout simplement « Les yeux noirs » (《黑眼睛》).
Yang Xianhui ne
sachant pas taper à la machine, il prend ses notes et écrit ses
nouvelles à la main sur des carnets ; sa fille les tape ensuite,
avec l’aide de son épouse. Il raconte qu’elles n’arrivaient pas
à finir de taper « Les yeux noirs » tellement elles pleuraient
et leurs mains tremblaient…
Mais
la « Chronique de l’orphelinat de Dingxi » n’est pas un simple
recueil de nouvelles tragiques écrites à la mémoire de victimes
de la famine. C’est aussi une réflexion sur les conditions dans
lesquelles s’est développée cette famine, appuyée sur des
lectures et des recherches approfondies.
Un travail
de recherche et de réflexion
Yang Xianhui
appartient à ce courant de « littérature de témoignage » qui
s’est surtout développée après la seconde guerre mondiale. Mais,
dans son cas, il s’agit de témoignage indirect, lui-même n’a pas
vécu ce qu’il raconte, il est le porte parole de ceux qui ne
peuvent plus témoigner eux-mêmes, et il a, pour assumer ce rôle,
approfondi le sujet. Mais s’il le fait, ce n’est pas pour
inciter à la dénonciation et à la haine, bien plutôt à la
réflexion et à la vigilance.
Ainsi l’une des
nouvelles raconte, à travers l’histoire personnelle d’un
orphelin qui avait quatorze ans à l’époque, un exemple concret
de la manière dont les céréales étaient réquisitionnées de force
et sans pitié, laissant les paysans démunis et mourant
finalement de faim.
Encore une
fois, ce n’est pas un réquisitoire, mais un appel à une mémoire
salutaire. Yang Xianhui prend pour référence le prix Nobel
d’économie Amartya Sen qui, dans « Development as Freedom », a
bien montré, en étudiant des famines intervenues au vingtième
siècle dans de nombreux pays, y compris la Chine, que jamais une
grande famine n’est intervenue dans un pays démocratique. Sa
conclusion est que jamais une hécatombe humaine n’est la
conséquence directe d’une calamité naturelle, mais résulte de la
mauvaise gestion d’un gouvernement. Les anciens Chinois disaient
exactement la même chose.
Mais Yang
Xianhui évoquer tout au plus cette réflexion : ses nouvelles ne
font que raconter des histoires de sang et de fureur, comme
aurait dit Shakespeare, dans un style réaliste qui ne se permet
aucun débordement sentimental, aucune dérive larmoyante ou
dénonciatrice. C’est cela qui donne toute sa valeur au
témoignage transmis, et en fait une véritable œuvre littéraire,
et non journalistique.
A lire en
complément :
《定西孤儿院纪事》第三部分
« Chronique de l’orphelinat de Dingxi », 3ème partie :
《黑眼睛》 Les yeux noirs
C’est la
première nouvelle qui a été la source d’inspiration du
premier (et à ce jour unique) film de fiction de
Wang Bing (王兵) :
« Le
fossé » (《加边沟》),
film surprise de la
68ème Mostra de Venise, en septembre 2010.
Le film
n’est pas entièrement convaincant. Mais depuis lors,
Wang Bing a lui-même enquêté auprès des survivants du
camp et en a tiré son formidable documentaire-fleuve
« Les âmes mortes » (《死灵魂》)
présenté au festival de Cannes en mai 2018, mais encore
inachevé.
Sur la famine, voir le livre de
Yang
Jisheng (杨继绳)
traduit en français « Stèle
funéraire » (《墓碑》)
:
« une stèle dressée à la
mémoire de mon père mort de faim en 1959, à la mémoire
des 36 millions de Chinois qui sont aussi morts de faim,
à la mémoire du système qui a causé leur mort... »
Les
premières nouvelles furent publiées séparément à partir
du printemps 2000 dans la revue « Littérature de
Shanghai » (《上海文学》).
Un recueil des 19 nouvelles fut d’abord publié à
Tianjin, mais avec des nouvelles antérieures de
l’auteur, sous le titre « Chronique de Jiabiangou » (《夹边沟记事》).
Puis parut en août 2003 un recueil des 19 nouvelles
seules, publié par la maison d’édition Littérature et
Arts de Shanghai (上海文艺出版社),
cette fois sous le titre « Adieu à Jiabiangou » (《告别夹边沟》).
Enfin, une nouvelle édition, en septembre 2008, reprit
le titre d’origine (Chronique de Jiabiangou).
Treize des
dix-neuf nouvelles ont été traduites en anglais, sous le
titre « Woman from Shanghai,
Tales of survival from a
Chinese labor camp ». Pour ce travail, le traducteur,
Wen Huang, a obtenu en 2007 une aide du PEN American
Center Translation Fund.
On trouve une partie de
cette traduction numérisée par google :
http://www.amazon.com/gp/product/0307390977/ref=s9_simh_bw_p14_d0_i1?pf_rd_m=ATVPD
KIKX0DER&pf_rd_s=center-7&pf_rd_r=0H7R6EPJBN55BDEB0AS0&pf_rd_t=101&pf_rd_p=4908
91951&pf_rd_i=283155
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