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Guo Jingming
郭敬明
Présentation
par Brigitte Duzan, 31 mars 2011, actualisé 29
septembre 2018
Guo Jingming (郭敬明)
est un phénomène à la Rimbaud autant qu’un écrivain à
succès. Il suscite un enthousiasme fanatique auprès de
millions de jeunes, en majorité de moins de vingt ans,
qui le considèrent comme leur idole, postent des lettres
enflammées sur son blog et se ruent en masse à ses
séances de signature quand sort l’un des ses nouveaux
romans.
Il se pose en
chef de file de la demi-douzaine d’auteurs de la
génération « post’80 » qui ont atteint la célébrité en
s’adressant à
la même tranche d’âge d’enfants uniques : élevés et
choyés en milieu urbain, tuant leur ennui en jouant au
karaoké, ils se reconnaissent dans leurs histoires
fantastiques de princes, princesses et héros
mélancoliques bien plus que dans les récits réalistes de
Mo Yan,
Yan Lianke ou
Yu Hua.
D’ailleurs, aucun de ces derniers ne figure parmi les
dix meilleures ventes de livres en Chine : le
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Guo Jingming
(郭敬明) |
marché qui compte, celui qui
rapporte, c’est celui des YA, comme disent les Américains, soit
Young Adults.
Ce sont des produits
pro forma du monde chinois moderne, mâtinés d’individualisme et
tout entier tournés vers le succès commercial. Pourtant, ils
définissent un véritable mouvement littéraire, la « pop
fiction », qui constitue en lui-même un phénomène de société
dont ils reflètent certains courants.
Un auteur à
succès
Histoire typique de Zui Novel :
Wedding in a dream |
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Né en juin 1983
à Zigong (自贡市),
dans le Sichuan, Guo Jingming (郭敬明)
fut encouragé à écrire par ses parents, un père
ingénieur et une mère employée de banque. En 2002, il
est entré à l’université de Shanghai, pour continuer ses
études dans la section art et technologie du cinéma.
En 2002, alors
qu’il était encore au lycée, il gagna un concours
national sponsorisé par la revue Mengya (《萌芽》).
Celle-ci publia ensuite une version courte de son
premier roman, écrit, selon lui, pour se détendre au
moment des examens : c’est la version moderne du
dilettantisme affiché par les lettrés d’autrefois. Puis,
en 2003, lorsque ce premier ouvrage fut réécrit,
rallongé en roman et publié, en livre cette fois, Guo
Jingming connut brusquement la célébrité, à tout juste
vingt ans :
« City of Fantasy » (《幻城》)
s’est vendu à 1,5 million d’exemplaires. |
Aujourd’hui,
outre des collections d’essais et textes courts, il a
publié cinq romans, autant de best-sellers.
Après « City of Fantasy », les plus
connus sont « City of Sorrow » (《悲伤逆流成河》) en 2007, et «
Tiny Times » (《小时代》), en trois parties, en 2008, 2010 et
2011. Il a aussi écrit une sorte de roman musical,
publié en 2005 avec un CD (1).
Autre originalité : Guo Jingming est l’auteur du texte
d’un livre illustré, publié en 2011, dont les dessins
sont signés Ding Dong (丁东) : « Take me out » (《我们约会吧》)
(2).
Ses
récits comportent en général un héros timide et
mystérieux, dont la vie offre bien des points communs
avec celle de l’auteur, et, partant, avec celles des
lecteurs ciblés, les jeunes du même âge. Sa recette fait
mouche à tous les coups ; les romanciers n’écrivaient
guère pour ce public, il y avait là un créneau quasiment
vierge à exploiter. Guo Jingming a ouvert le ban.
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Graphisme initial (2006) |
Il s’est classé
en 2005 en seconde position dans la liste des dix
meilleurs best-sellers dressée par l’association des
éditeurs chinois, derrière un auteur prolifique de
livres pour enfants dont le succès commercial est tout
aussi étonnant, Yang Hongying.
Une idole pop
Idole pop très
tendance, cheveux décolorés artistiquement dépeignés et visage
lisse, lui-même se met
Illustrations intérieures 2008 |
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en scène sur
son blog (2), assis dans des fauteuils baroques ou des
sofas crémeux, perdu au milieu de coussins, de couettes,
vêtu Gucci, avec accessoires Dolce Gabbana. Le
personnage suscite rejet autant que fascination.
Accusé de
plagiat, et condamné dans plusieurs cas, il paie les
amendes et continue. Ses livres se vendent comme des
petits pains même si la farine est trafiquée. Et
maintenant la société qu’il a créée vient encore un peu
mieux arrondir ses fins de mois : 1,4 million de dollars
en 2008, contre 300 000 en 2005. |
Des affaires qui
marchent bien
En 2003, il
proclamait encore que l’écriture n’était pour lui qu’un
passe-temps, comme le badminton. Mais il a depuis lors
changé d’échelle.
En 2004, il a
créé une société dont les bureaux, à son
image, se trouvent dans la banlieue de Shanghai et dont
l’objet est de produire des magazines littéraires pour
les jeunes ; il en a deux pour l’instant : « I5Island »
(《岛》)
et « Zui Novel »(最小说)
(3). Et
comme il est aussi lisse que ses photos, se souciant de
politique ou de critique sociale comme de l’an quarante,
parce que ce n’est pas cela qui fait vendre, il n’a pas
d’ennuis avec la censure, lui, comme
Han Han. Il
fournit juste à ses lecteurs de quoi rêver, s’exalter,
s’oublier, mais surtout pas réfléchir.
Réduite à une
simple fonction de divertissement, cette littérature est
une industrie, mais c’est de l’or en barre. Elle
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Le « bureau » de la société à Shanghai |
est calibrée et pensée
pour séduire, avec une attention particulière portée à l’aspect
visuel, confié à
The next – Kanagawa |
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toute une
équipe d’illustrateurs dont le graphisme et les photos
sont parfaitement adaptés aux jeunes. Au départ imité
des mangas japonais, le graphisme est en train
d’évoluer vers
un style plus personnel, mais les illustrations
intérieures rappellent celles de la
revue de Han Han.
Guo Jingming
semble vouloir maintenant évoluer vers une écriture plus
« mature », et surtout vers un modèle déclinant, avec la
même équipe, d’autres produits pour le même public : les
« Zui Books ». Il vient ainsi tout récemment de lancer
une collection de livres, genre guides de voyages,
intitulés « Le prochain arrêt » (“下一站”),
dont les deux premiers titres concernent le Japon et
l’Angleterre.
Il insiste sur le fait que c’est un « produit
culturel » ; c’est surtout une superbe idée pour
s’attaquer à un marché encore embryonnaire en Chine :
celui du « tourisme culturel ». |
Guo Jingming a
un sens remarquable du marché et des affaires ; selon l’éditrice Wang
Xiaoping (王小平):
郭敬明是个时尚人物吧,他的作品会传下去吗?我不知道,因为我没读过。但他绝对是个不错的文化商人。
Guo
Jingming est un personnage à la mode, alors est-ce que
ses livres ont de l’avenir ? Je ne sais pas, je n’en ai
lu aucun. Mais c’est certainement un très bon marchand
culturel.
Le voici qui
se lance maintenant dans le cinéma, pour adapter
lui-même ses propres best-sellers. En juin 2013, son
premier film, « Tiny Times »
(《小时代》),
adapté du premier volume de son roman éponyme, a été
présenté au festival de Shanghai dans une salle
archi-comble. Lors de sa sortie, ensuite, le film a tout
de suite caracolé en tête de box office. Encore une
affaire rondement menée, de la conception à la
commercialisation (5). |
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Tiny Times |
En 2007, les
internautes du forum Tianya l’ont désigné comme « célébrité
masculine la plus détestée » de Chine, et ce pour la troisième
année consécutive. Cela fait partie de son image ambivalente.
Depuis lors, il est passé derrière la caméra pour adapter ses
propres romans à l’écran : ses fans ont répondu présents, et il
est devenu un réalisateur aussi célébré que honni, mais capable
de faire des prodiges au box-office.
De la
littérature au cinéma
Voir sur chinese
movies :
Guo Jingming
réalisateur.
Notes
(1)
La même
année, il a été le scénariste de Chen Kaige pour l’un de ses
plus mauvais films, « The Promise » (《无极》),
adapté d’un très ancien récit de wuxia datant de la
dynastie des Tang.
(2) Résident à Pékin,
passionné de littérature chinoise, lecteur éclectique, et
traducteur à ses heures, Philippe Mahou nous décrit sa déception
après avoir tenté de lire « Take Me Out » :
« J'avoue ne pas avoir eu le courage de le terminer…Le roman a
été écrit par cinq plumes dont celle de Guo Jingming, en tête
d'affiche. Je me suis un peu forcé au début. Il faut dire que je
venais de lire 《伴生缘》de
Zhang Ailing et la transition n'a pas été aisée. Je suis entré
dans le rythme après une cinquantaine réalité. Les ados doivent
adorer. Ça court partout, ça crie, ça frappe même parfois. C'est
le cadre idéal d'une comédie au théâtre avec des portes qui
claquent dans tous les sens. Une panoplie de personnages
caricaturaux de la société moderne de Shanghai : shengnü,
fuerdai, etc. il y a même l'artiste bourru Gao Fan (le
nom "Van Gogh" en chinois, inversé). Mais ces personnages ne
m'ont pas touché. Il n'y a pas la dimension dramatique qui
pourrait émouvoir. Peut-être que ce rythme rapide entraine une
confusion telle que l'on a du mal à entrer dans la psychologie
des personnages et à s'attacher à l'un d'entre eux. »
(3) Voir son blog, au
moins pour ses photos :
http://blog.sina.com.cn/guojingming
(4) Voir l’article (à
venir) sur les « mooks »
(magazine-books :
杂志书)
(5) Sur
le film «Tiny Times », voir :
www.chinesemovies.com.fr/actualites_125.htm
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