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				Jia Pingwa
				贾平凹 
				Présentationpar Brigitte Duzan, 20 juin 2013, 
				actualisé 24 
				janvier 2025
 
				            
				 
					
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						Ecrivain prolixe, Jia 
						Pingwa a pendant longtemps été relativement peu traduit, 
						les quelques traductions de ses œuvres – en anglais et 
						en français – datant des années 1990 ou du début des 
						années 2000. Cette rareté tenait évidemment aux 
						difficultés de traduction d’un auteur ancré dans la 
						ruralité de son Shaanxi natal, dont il utilise 
						volontiers les tournures et expressions dialectales ; 
						mais c’était sans doute aussi parce que Jia Pingwa était 
						délaissé pour d’autres auteurs, plus jeunes, et 
						apparemment plus « modernes ».  |  | 
						
						 
						Jia Pingwa (photo 李怀宇) |                
				Le courant a été renversé dans la 
				deuxième moitié des années 2010, avec la publication d’une série 
				de traductions, en particulier de romans. Il est donc temps de 
				le redécouvrir, car il est l’un des meilleurs observateurs – 
				dans son style très personnel – du tissu rural qui est la base 
				de la culture chinoise.  
				  
				I. L’homme : un 
				paysan du Shaanxi 
				       
				 
					
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						Le district de Danfeng, avec Dihua et 
						Shangzhou,  
						le long de la rivière Dan |  | 
						Jia Pingwa (贾平凹)
						
						est né en février 1952 dans le Shaanxi, dans la petite 
						agglomération de Dihua (棣花), 
						à l’est du district de Danfeng de la ville-préfecture de 
						Shangluo, (陕西省商洛市丹凤县), 
						au sud-est de Xi’an. Un peu plus loin à l’est, en 
						remontant la rivière Dan (丹江), 
						est Shangzhou (商洲) : 
						c’est dans ce périmètre qu’est située une bonne partie 
						de son œuvre. |  
				       
				 
				Au village pendant 
				la Révolution culturelle 
				       
				 
					
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						C’est là qu’il 
						a passé toute son enfance, ne quittant sa campagne un 
						bref moment que pour aller visiter, non loin de là, avec 
						une bande de jeunes de son âge, la capitale provinciale, 
						Xi’an, en une sorte de voyage de découverte 
						émerveillée. C’était au début de la Révolution 
						culturelle. Il avait quatorze ans, était collégien, et 
						n’avait pas encore une conscience très nette de ce que 
						signifiait cette Révolution. Mais la réalité s’imposa 
						très vite. Les années chaotiques de la fin des années 
						1960 sont très bien documentées et racontées au début de 
						la biographie écrite par 
						Sun Jianxi (孙见喜)
						(1).  
						       
						 
						Pendant l’été 
						1966,  le père de Jia Pingwa, qui était enseignant, 
						commença à subir des sessions de critiques au Bureau de 
						l’éducation et, en 1967, Jia Pingwa fut forcé 
						d’interrompre 
						ses études pour commencer à travailler. Il était supposé 
						travailler dans les champs, mais il était tout 
						 |  | 
						
						 
						Biographie par Sun Jianxi |  
				petit et frêle ; il 
				fut donc d’abord affecté à une équipe de femmes, puis à un poste 
				de coursier. Mais il était bien plus habile à manier la plume et 
				se gagnait quelques repas de temps à autres en écrivant des 
				lettres pour le compte des villageois ou en tenant leurs 
				comptes. Le soir, il lisait les livres qu’il arrivait à trouver, 
				faisait un peu de calligraphie et mémorisait des poèmes 
				classiques.                   
				 
				Scribe sur le 
				chantier de construction d’un barrage 
				        
				        
				Pendant l’été 1970, il 
				tenta de s’enrôler dans l’armée pour échapper à la campagne, 
				comme l’on fait tant d’autres de ses collègues à la même époque. 
				Mais il ne fut pas accepté, non pour des raisons politiques, 
				mais parce qu’il avait les pieds plats. Il s’engagea alors sur 
				le chantier de construction d’un immense réservoir qui démarra 
				cette année-là à côté du village ; il fut renvoyé chez lui, 
				épuisé, au bout de trois jours, mais réussit par la suite à 
				obtenir un poste de coursier qui allait lui changer la vie. 
				         
				 
				En effet, alors qu’il 
				avait un jour à porter un message à l’un des responsables 
				locaux, il arriva juste avant le début d’une réunion ; or le 
				calligraphe était malade et n’avait pas pu peindre les 
				inscriptions sur les bannières devant décorer la salle. Il prit 
				le pinceau et le fit lui-même. Les responsables du chantier 
				furent impressionnés par son talent : Jia Pingwa fut promu 
				rédacteur des affiches et tracts officiels, mais put également 
				lancer des émissions à la radio et une lettre d’information : il 
				l’intitula « Journal du front : nouvelles du chantier » (《工地战报》), 
				et en assuma toutes les fonctions, de rédacteur et reporter à 
				directeur artistique et responsable de la mise en page, 
				terminant même par la livraison.        
				 
				Il écrivait des poèmes 
				qu’il signait Ping Wa et publiait dans sa feuille de 
				chou. Mais il regardait aussi avec envie les jeunes qui 
				réussissaient à partir du village. La vie de la famille n’était 
				pas facile : en 1970, son père fut jugé « contre-révolutionnaire 
				d’avant la Libération » et démis de ses fonctions, donc privé de 
				solde. Il tomba malade et ils durent emprunter pour payer les 
				médicaments. 
				       
				 
				1972 : vingt ans et 
				étudiant ! 
				       
				 
					
						| 
						
						 
						Je suis un paysan (autobiographie) |  | 
						Finalement, 
						cependant, son travail sur le chantier lui  
						valut d’être 
						sélectionné pour entrer à l’université. En 1972, Jia 
						Pingwa partit en bus à Xi’an  
						étudier la 
						littérature chinoise à l’université du Nord-Ouest (西北大学). 
						Il en sortit diplômé en 1975 et entra alors à la 
						rédaction des Editions du peuple du Shaanxi (陕西人民出版社) 
						ainsi qu’à celle du mensuel littéraire Chang’an (《长安》). 
						Il était sorti d’affaire.  
						        
						        
						Mais ces vingt 
						premières années ont profondément marqué son orientation 
						littéraire, sa thématique et son style : comme celle de 
						son ami 
						
						Chen Zhongshi (陈忠实), 
						son œuvre est profondément ancrée dans la réalité de son 
						coin de terre du Shaanxi, comme leur aîné
						
						
						Shen Congwen (沈从文) dans celle de son Hunan natal – la référence est constante, et la 
						lignée revendiquée. Il a dit lui-même dans son 
						autobiographie publiée en 1998 : « Je suis un  |  
				 paysan » (《我是农民》). 
						Il se sera battu toute sa vie pour redonner au terme ses 
						lettres de noblesse. 
				 
						       
				 
				Paysan peut-être, mais 
				homme de lettres raffiné, calligraphe et collectionneur 
				d’antiquités, qui continue à écrire à la main, comme les grands 
				maîtres d’antan dont son style s’inspire. 
				       
				 
				II. L’œuvre : ancrée 
				dans la ruralité du  Shaanxi 
				       
				 
				C’est en 1973, alors 
				qu’il était étudiant à l’université du Nord-Ouest, qu’il publie 
				sa première nouvelle dans un journal local, « L’art pour les 
				masses » (《群众艺术》) 
				: elle s’intitulait « Une paire de chaussettes » (《一双袜子》), 
				et il l’avait 
				écrite avec un camarade. D’après son biographe Sun Jianxi, il 
				aurait écrit une vingtaine de récits pendant ses années 
				d’université.  
				       
				 
				A partir de là, ses 
				récits passent de la forme courte, privilégiée pendant toutes 
				les années 1980, à des récits de plus en plus longs, à partir 
				surtout de 1988. 
				       
				 
				A. Les nouvelles 
				       
				 
				Premières nouvelles       
				 
					
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						Son œuvre 
						prend forme véritablement à sa sortie de l’université, 
						et ses premières nouvelles intéressantes datent de 
						1977 : de cette année date un premier recueil « L’enfant 
						soldat » (《兵娃》)
						
						qui regroupe six histoires pour enfants, 
						 et de 1978 un second, « Chroniques de deux sœurs » (《姐妹本纪》).Le 
						critique Wang Yiyan a fait remarquer que les personnages 
						des nouvelles, puis des romans de Jia Pingwa mûrissent 
						et vieillissent avec lui (2). Il est caractéristique que 
						ces premiers récits sont des histoires d’enfants. |  | 
						
						 
						Faisant visiter sa collection 
						d’antiquités |  
				       
				 
				1978 marque un premier 
				succès : sa nouvelle « Pleine lune » (《满月》) 
				(3) obtient le premier Prix national de la meilleure nouvelle (1978年全国优秀短篇小说奖).  
				Elle est publiée en 1980 dans la revue « Littérature 
				de Shanghai » (上海文学).
				Jia 
				Pingwa commence dès cette époque à ajouter des préfaces et 
				postfaces à ses récits, pour en indiquer la genèse et en 
				préciser les conditions d’écriture. Ce sont de précieux 
				documents.       
				  
					
						| 
						 
						Calligraphe |  | 
						En 1980 et 1981 
						sont publiés deux recueils de récits écrits au cours des 
						années antérieures : en 1980 le recueil « Notes des 
						montagnes » (《山地笔记》) 
						regroupe trente-sept récits sur les thèmes de la 
						jeunesse et de l’amour, thèmes assez inhabituels chez 
						les écrivains chinois en cette période clef de la 
						littérature des cicatrices ; il est suivi, en 1981, des 
						« Nouvelles histoires de Jia Pingwa » (《贾平凹小说新作集》)
						
						qui comportent en particulier une nouvelle sur le 
						tremblement de terre de Tangshan – « Tremblement de 
						terre : un conte de 1976 » (《地震:
						
						1976年的一个故事》).
						 
						       
						 
						Les années 
						suivantes sont marquées par la publication d’une série 
						d’autres nouvelles qui sont toutes marquées par le sens 
						très fort de la terre et de la nature, mais les récits 
						sont tirés de la vie quotidienne de l’auteur, ils sont 
						naturels et sans emphase. En même temps, Jia Pingwa 
						commence à sortir de l’anonymat.
						 |  
				       
				 
				Le tournant de 1982  
				       
				 
				En 1982, l’Association 
				des écrivains organise un atelier à Xi’an pour les écrivains de 
				la région. Jia Pingwa y participe, c’est son premier contact 
				avec l’Association. En même temps, c’est une année extrêmement 
				prolifique : il publie une dizaine de nouvelles et une trentaine 
				d’essais.  
				       
				 
				Il sort indemne de la 
				campagne « contre la pollution spirituelle » (清除精神污染) 
				pendant laquelle, en novembre-décembre 1983, certaines de ses 
				nouvelles sont jugées « problématiques », en particulier « La 
				ville fantôme » (《鬼城》). 
				Il peut ensuite se libérer de ses obligations éditoriales : il 
				devient écrivain professionnel.   
				       
						De cette 
						période date une nouvelle inhabituelle chez Jia Pingwa 
						au niveau de la technique narrative : 
				 
						« La lune 
						d’huile » (《油月亮》) apparaît comme une expérience pour tenter d’utiliser la psychanalyse 
						comme outil narratif. On voit là Jia Pingwa brièvement 
						influencé par la mode freudienne qui se développe en 
						Chine dans les années 1980, mais fidèle en cela aussi à 
						l’intérêt pour le freudisme manifesté par son mentor
						
						
						Shen Congwen – 
						intérêt qui restera cependant limité et chez l’un et 
						chez l’autre. 
				            
				       
				 
				1983-1986 : écrivain 
				reconnu, chantre de Shangzhou 
				       
				 
				Une série de quatorze 
				récits – mi nouvelles, mi essais - publiés fin 1983 sous le 
				titre « Notes préliminaires sur Shangzhou » (《商州初录》),  
				introduit un style spécifique qui marque la période 1984-1986 : 
				les récits de Shangzhou, qui sont souvent des nouvelles 
				"moyennes". Jia Pingwa y décrit les coutumes, paysages et 
				caractéristiques spécifiques de la région et de ses habitants. 
				Certains de ces récits ont été très bien accueillis par la 
				critique et ont contribué à étendre la notoriété de leur auteur. 
				       
				 
				Ainsi, en 1984, après sa publication dans la 
				revue Octobre (十月), la nouvelle « Les gens du val de Jiwo » (《鸡窝洼人家》) a été couronnée du prix littéraire annuel décerné par 
				l’association des écrivains de Xi’an. Elle décrit les tensions 
				causées par les réformes lancées à la fin des années 1970 dans 
				un petit village perdu des montagnes du Shaanxi, à travers les 
				tribulations de jeunes paysans amis et leurs problèmes maritaux, 
				les difficultés économiques se répercutant sur leur vie 
				familiale – ce qui sera un thème plus ou moins récurrent dans 
				l’œuvre de Jia Pingwa (4).
 L’année 
				suivante, en 1985, la nouvelle habituellement traduite « Décembre. 
				Janvier » (《腊月·正月》) 
				(5), publiée dans le 4ème numéro de 1984 de la revue 
				Octobre (十月),
				connaît 
				un grand succès 
				: lui sont 
				décernés le prix national de la meilleure nouvelle de l’année, 
				le prix de créativité de la province du Shaanxi et le premier 
				prix décerné à l’issue d’un concours littéraire organisé par la 
				municipalité de Pékin dans le cadre des manifestations marquant 
				le 35ème anniversaire de la fondation de la 
				République populaire (6).
 
				       
				 
				La période culmine avec 
				le premier roman de Jia Pingwa, publié fin 1984 et intitulé tout 
				simplement : « Shangzhou » (《商州》). 
				 Elle est aussi marquée par plusieurs recueils d’essais, dont 
				beaucoup sur ses jeunes années et ses débuts littéraires qui 
				seront repris ensuite dans « Je suis un paysan » (《我是农民》). 
				       
				 
				Publié en 1986, le 
				recueil « Chien céleste » (《天狗》)
				regroupe 
				des nouvelles de l’année, dont « Le vieux fort », nouvelle 
				"moyenne" initialement parue dans le 1er numéro de 
				1986 d’Octobre et adaptée en une série de six épisodes par la 
				chaîne de télévision de l’Anhui. La nouvelle titre 
				« Chien céleste »
				reprend le thème des « Gens du val Jiwo » en soulignant les 
				tensions créées par le décalage entre les coutumes 
				traditionnelles et les nouveaux modes de vie induits par les 
				réformes. Il y a dans cette nouvelle une atmosphère de 
				frustration sexuelle qui rappelle certains récits de
				
				Mo Yan.
				 
				       
				 
				Les 
				textes, cependant, sont de plus en plus longs, faisant peu à peu 
				la transition vers les romans qui vont être prédominants, dans 
				les publications de Jia Pingwa, à partir de 1988, mais sans que 
				s’arrêtent pour autant les nombreuses publications de nouvelles 
				et d’essais. 
				       
				 
				B. Les romans 
				       
				 
				1988 est l’année de 
				publication de « Turbulence » (《浮躁》) : 
				second roman de Jia Pingwa, et 
				première de ses œuvres à être traduite.  
				       
				 
				1988 : Second roman 
				       
				 
					
						| 
						« Turbulence 
						»  (《浮躁》)  raconte l’expérience d’un soldat démobilisé qui rentre chez lui et 
						devient batelier. Il est amoureux d’une fille qui 
						travaille aussi sur un bateau, mais il préfère la 
						laisser pour aller étudier en ville et devenir reporter, 
						bien que obligé pour cela d’épouser la nièce du chef du 
						village. Devenu célèbre, il décide de dénoncer la 
						corruption, divorce, est emprisonné, mais finalement, 
						après toute une série d’événements (mélo)dramatiques, 
						est réuni avec son premier amour. 
						       
						 
						Le roman 
						souffre d’une intrigue d’une extrême complexité, mais il 
						a obtenu en 1988 le prix Pegasus (6) qui a permis à 
						Howard Goldblatt de le traduire ; sa traduction fut 
						publiée aux Etats-Unis en 1991 sous le titre de 
						« Turbulence ». Mais le roman est resté limité à 
						quelques cercles d’initiés, de même que le suivant, 
						« Grossesse » (《妊娠》), 
						paru en 1989. Ce ne fut pas le cas du quatrième. |  | 
						 
						Turbulence (éd. 2001) |  
				       
				 
				1993 : La ville 
				déchue 
				       
				 
						
							| 
						 
						Les meilleurs récits de voyage (1992) |  | 
						Pendant 
						qu’étaient publiées plusieurs recueils de nouvelles et 
						d’essais, reprenant beaucoup de textes déjà édités, mais 
						aussi, en 1992, un recueil en six parties de ses 
						« meilleurs récits de voyage » (《贾平凹游品精选》),
						
						Jia Pingwa travaillait à son quatrième roman, publié en 
						juin 1993 : 
						
						« La ville déchue » (《废都》). 
						Il a rencontré un succès sans précédent : 500 000 
						exemplaires ont été vendus dans les six premiers mois 
						suivant sa parution. Mais il a également suscité 
						une vive 
						controverse.      
						 
						
						       
						 
						Si le roman a 
						fait scandale, c’est à cause de ses descriptions 
						sexuelles explicites, qui lui ont valu d’être interdit 
						en Chine pendant seize ans, et condamné à circuler sous 
						le manteau en éditions piratées, d’où une célébrité 
						sulfureuse ; c’est
						
						d’ailleurs le piratage qui a permis au roman de 
						survivre. Ce n’est 
						pourtant pas l’essentiel, juste un outil narratif.
						 |  
				   
						Cette saga de 
						sept cents pages est inspirée dans sa forme des grands romans 
				classiques chinois, avec une structure narrative basée sur la 
				répétition (répétition des séquences sexuelles) ; la langue 
				utilisée, cependant, est un mélange savoureux et complexe du 
				chinois le plus classique et d’expressions dialectales et 
				populaires à la limite du scatologique et  
				de l’obscène, mais que 
				l’on sent prises sur le vif. 
				        
				        
						
							| 
						Le fond n’est 
						pas moins décapant : Jia Pingwa fait le  
						procès d’une 
						société corrompue, rongée par l’argent et la dégradation 
						générale des mœurs, à travers le personnage  
						d’un écrivain 
						célèbre dont la décadence est parallèle à ses frasques 
						amoureuses et son désarroi à la mesure de son 
						impuissance créatrice. Ce n’est pas le Jin Ping Mei, 
						c’est plutôt une Comédie humaine dans la Chine des 
						années 1990. 
						       
						 
						Jia Pingwa a 
						ici délaissé la campagne pour s’intéresser à la ville : 
						le roman se passe dans une ville fictive du nom de 
						Xijing qui ressemble à s’y méprendre à Xi’an, où Jia 
						Pingwa a élu résidence. Il annonce un changement 
						d’optique dans son œuvre, s’éloignant un temps de la 
						campagne en s’en prenant à la dissolution des mœurs de 
						la société urbaine.  
						       
						 
						Le roman a 
						marqué un tournant dans la carrière de son 
							 |  | 
						
						 
						La capitale déchue, éd. originale |  
						auteur. Si Jia 
				Pingwa s’est provisoirement retiré de la vie 
							publique, la 
				controverse a entraîné la publication du roman à Hong Kong et 
				Taiwan, et attiré l’attention des éditeurs étrangers. Mais il 
				n’était pas facile à traduire. 
				       
				 
				Il a été traduit en 
				français, par Geneviève Imbot-Bichet, et couronné du prix Fémina 
				étranger en 1997.  En revanche, il n’a jamais été traduit en 
				anglais. Ou plutôt il a été traduit par un jeune doctorant 
				chinois étudiant aux Etats-Unis, mais dans un anglais trop 
				incertain pour pouvoir être publié. C’est en fait un texte qui 
				défie la traduction, non tant à cause des expressions 
				dialectales locales, mais surtout à cause des passages de poésie 
				de forme classique, mais déviée vers le scatologique populaire, 
				un tour de force qui est typique du style extrêmement recherché 
				créé par Jia Pingwa, entre Rabelais et Shakespeare. 
				       
				 
				On le voit aussi, dans 
				ce texte, s’amuser en semblant prévenir l’ire des censeurs : le 
				texte est parsemé de passages où il a remplacé les caractères 
				par des petits carrés, avec des notes explicatives : ici, l’auteur a effacé 
				XXX caractères… Il est dommage que, dans la nouvelle édition 
				parue après la levée de l’interdiction, en 2009, les petits 
				carrés blancs aient été simplement remplacés par des blancs, 
				sans mention du nombre de caractères litigieux ironiquement 
				autocensurés… 
				       
				 
				A partir de 1994, sa 
				notoriété est telle que ses écrits sont activement recherchés 
				par les éditeurs chinois. Il le dit dans la postface à un 
				recueil d’essais publié cette année-là, « Le renard rouge » (《红狐》).
				 Ce sont 
				ses essais et notes de voyage, justement, qui sont les plus 
				recherchés en Chine, mais dans un style hybride qui rend de plus 
				en plus floue la distinction avec la nouvelle. Les recueils se 
				multiplient, les éditeurs inventant constamment de nouvelles 
				formules pour concurrencer leurs rivaux.       
				  
				1996 : Le village 
				englouti 
				       
				 
						
							| 
						
						 
						Le village englouti (éd. 2004) |  | 
						Après « Nuit 
						blanche » (《白夜》) 
						en 1995, dans le roman suivant paru en 1996, « Le 
						village englouti » (《土门》), 
						Jia Pingwa poursuit son analyse urbaine, mais en 
						confrontant la même Xijing dépeinte dans « La capitale 
						déchue » à un petit village en périphérie, menacé par la 
						croissance de la ville. Ce sont deux mondes qui 
						s’affrontent : la ville, dynamique et tentaculaire, qui 
						envahit peu à peu la campagne alentour et attire les 
						villageois à elle ; en même temps, la ville n’existe et 
						ne vit que par ses liens avec le monde rural. Les torts 
						et les défauts sont partagés : bêtise et ignorance d’un 
						côté, futilité et cupidité de l’autre. 
						       
						 
						Le village 
						tente de se rebeller contre l’emprise de la ville, mais 
						la révolte échoue, et le constat est plus grave ici que 
						dans le cas de la défaite de l’intellectuel de 
						
						
						« La capitale 
						déchue » : 
						il s’agit ici 
						d’un enjeu essentiel pour la société chinoise, et le 
						pays, dont les fondements profonds 
				sont
				
						 |  
				ancrés dans la
				culture rurale. 
				Celle-ci, en disparaissant, fait place à une culture 
				superficielle, mais surtout pleine de dangers, avec la montée de 
				la violence, de l’insécurité, de l’individualisme et  
				de l’égoïsme. 
				       
				 
				Le roman innove aussi 
				dans la forme narrative, la narratrice, et porte-parole des 
				villageois, exprimant ses doutes et hésitations dans des 
				monologues intérieurs. En revanche, le style est toujours fondé 
				sur un mélange d’expressions classiques et de termes modernes et 
				locaux, mais sans la richesse
				d’expressions 
				obscènes ou scatologiques du roman précédent. On a l’impression 
				d’une maturation dans l’écriture.       
				         
				 
					
						| 
						Fin 1997, Jia 
						Pingwa publie deux essais originaux, parmi les très 
						nombreux publiés, qui reflètent sa réflexion sur la 
						littérature classique : l’un qui est une  relecture du 
						roman « L’histoire du Pavillon de l’Ouest » (读《西厢记》)
						
						et l’autre une 
						réécriture d’un chuanqi datant des Tang, « Une 
						femme de la famille Ren » (《任氏》). 
						       
						        
						1998-2007: 
						confrontation  ville/campagne  
						       
						      
						  
						1. En 1998, 
						puis en 2000, Jia Pingwa revient vers l’analyse de la 
						confrontation ville/campagne avec ses deux romans « Le 
						vieux village des Gao » (《高老庄》),
						
						puis « Souvenir des loups » (《怀念狼》). 
						Dans le premier, des citadins viennent
						
						s’extasier devant les restes de la campagne d’antan, et 
						dans le second (« encore un livre sur Shangzhou », dit 
						l’auteur en préambule), un intellectuel né à la campagne 
						peine à vivre à la ville. La tension entre le monde 
						rural et le monde urbain est constante.  |  | 
						 
						Souvenir des loups, édition 2006 |  
				              
				 
					
						| 
						2. En mars 
						2005, son roman 
						
						« Qin Qiang » (《秦腔》),
						
						
						dont le titre ambigu peut être traduit par « Opéra 
						Qin », qui est le nom de l’opéra traditionnel du 
						Shaanxi, ou « Accent du Shaanxi », marque un retour vers 
						le village comme centre du récit – mais c’est un village 
						en crise. Ici ce sont les politiques et les autorités 
						locales qui s’opposent aux traditions et créent les 
						tensions, voir le chaos, dans le contexte de la mise en 
						place de l’économie de marché, au cours des décennies 
						1980 et 1990.  
						
						       
						 
						
						C’est écrit 
						avec beaucoup d’humour ; 
						toute la 
						première partie, en particulier, est une suite de 
						digressions savoureuses sur les rats, les amours et la 
						politique locale. Mais il y a aussi des passages d’un 
						(faux) réalisme glacial, avec toujours une pointe 
						humoristique, sur l’application sans partage des 
						directives du Parti ; les pages sur la mise en œuvre de 
						la politique de l’enfant unique – avec avortement obligé 
						- valent bien, dans leur narration 
						 |  | 
						 
						Qin Qiang |  
				factuelle dérivant vers le magique, les 
				envolées de 
				Mo Yan 
				dans « Grenouille » (《蛙》). 
				(8) 
				   
				
				       
				 
				Le 
				roman a été défini très sérieusement par les critiques chinois 
				comme un « poème épique du  monde rural contemporain chinois » (“一卷中国当代乡村的史诗”). 
				D’une manière ou d’une autre, 
				c’est  
				certainement l’un des 
				romans chinois le plus marquants des dix dernières années. Il a 
				été couronné du prix Mao Dun en 2008.        
				         
				 
					
						| 
						3. Enfin, en 
						décembre 2007, avec « Gaoxing » (《高兴》), 
						Jia Pingwa aborde le heurt ville/campagne sous un angle 
						nouveau : celui du paysan qui va travailler en ville, 
						c’est-à-dire le problème des migrations rurales. Gaoxing 
						(高兴),
						
						c’est-à-dire « Heureux », est 
						le nom d’un campagnard qui part à la ville avec un ami 
						qui, lui, s’appelle Wufu (五福), 
						c’est-à-dire « cinq richesses ». Ils sont embauchés 
						comme collecteurs de déchets, dans une chaîne de vente 
						et revente qui finit à la décharge municipale. 
						 
						
						       
						      
						
						   
						 
						
						Jia Pingwa a 
						accentué le caractère satirique ; le ton a souvent une 
						pointe d’ironie enjouée. Il y a cependant
						
						l’inévitable histoire d’amour qui sert de moteur à la 
						narration. Le coup de foudre intervient entre Gaoxing et 
						une jeune employée d’un salon de beauté qui est aussi 
						prostituée : elle doit gagner suffisamment d’argent pour 
						pouvoir payer à la police l’argent nécessaire pour faire 
						un  |  | 
						 
						Gaoxing |  
				
				long voyage afin d’aller 
				arrêter son ancien 
				petit ami qui a assassiné son frère et s’est enfui… Le tout se 
				complique lorsque Gaoxing apprend qu’un homme d’affaires à qui 
				il a donné un rein et de qui il attendait beaucoup est en fait 
				le souteneur de la jeune fille…  
				          
				 
				
				Quand elle est arrêtée, Gaoxing et Wufu  s’engagent sur un 
				chantier de construction pour tenter de gagner l’argent 
				nécessaire pour la faire sortir de prison. Mais les conditions 
				de travail sont très dures, et Wufu meurt d’une attaque. Il ne 
				reste plus à Gaoxing qu’à exhaucer le dernier souhait de son 
				copain : ramener son cadavre chez lui pour l’y enterrer… Il est 
				arrêté avec le corps à la gare. C’est ainsi que commence le 
				roman…. 
				       
				 
				La 
				vie est sordide pour ces marginaux impossibles à caser en ville, 
				mais Jia Pingwa montre les trésors de vitalité et de chaleur 
				humaine que recèle chacun de ses personnages, et qui rendent 
				justement leur existence vivable. 
				On sent 
				la fiction très proche de la réalité (9). 
				       
				 
				2011-2016 : le 
				tournant de la soixantaine 
				       
				 
					
						| 
						Depuis le début des années 2010, Jia 
						Pingwa a accéléré le rythme de ses publications tout en 
						conservant la même thématique et en continuant ses 
						recherches stylistiques.        
						1. En janvier 
						2011, 
						« Le vieux four » (《古炉》) 
						
						est apparu comme une nouvelle variation sur le thème 
						rural, conté sous l’angle de 
						l’histoire. Jia Pingwa a lui-même expliqué que c’était un 
						reflet de sa maturation et, au seuil de la soixantaine, 
						du besoin de revenir sur ses souvenirs de jeunesse. Ces 
						souvenirs sont aussi ceux de la Révolution culturelle, 
						mais évidemment, chez lui, ils n’ont rien à voir avec ce 
						que l’on a l’habitude de lire sur la période – surtout à 
						travers les traductions.  
						       
						 
						Selon une 
						habitude maintenant régulière chez lui, il explique dans 
						la préface au roman comment les souvenirs de cette 
						période on commencé à venir constamment  |  | 
						
						 
						Le vieux four |  
						le hanter à 
						partir de ses 
				cinquante ans, car les marques du passé sont partout : 
				       
				 
				Quand je reviens 
				dans mon village natal, je ne peux pas éviter de remarquer, sur 
				les murs délabrés, les traces à moitié effacées des slogans 
				révolutionnaires que l’on y avait peints. Quand je passe devant 
				ma vieille école, je me rappelle les sessions de lutte qui y ont 
				eu lieu. Lors des séances de dénonciations publiques, j’étais 
				recruté pour servir de secrétaire, et devais prendre des notes.
				 
				Un jour, alors que 
				je visitais un village proche, l’homme qui m’accompagnait me dit 
				en me montrant un groupe de maisons sommairement bâties : 
				regarde, les gens qui ont suspendu ton père pour le battre 
				vivaient ici, à l’époque. 
				Comme je lui 
				demandais s’ils vivaient toujours là, il me répondit qu’ils 
				étaient tous mort. … Dans le village, ceux qui avaient vécu la 
				Révolution culturelle étaient morts, pour la plupart. Les 
				survivants étaient âgés ; je les apercevais, le visage buriné, 
				marcher dans les rues à pas incertains, appuyés sur des cannes 
				tordues… 
				         [certains 
				étaient d’anciens ennemis qui avaient depuis longtemps oublié 
				leurs rancunes] 
				Un jour, j’ai 
				rencontré un des vieux chefs de factions. Il était seul, assis 
				dans la cour de sa maison… Lorsque je suis passé, il m’a appelé, 
				par le sobriquet qu’on utilisait pour m’appeler quand j’étais 
				petit : eh, tu es de retour ? cela fait longtemps ? viens 
				prendre un verre… Le soleil était chaud, la cour déserte… à 
				l’époque, des actes d’une violence terrible avaient été 
				perpétrés là, mais maintenant, rien. Il n’y avait ni taches de 
				sang, ni corps en décomposition, ni lambeaux d’affiches 
				révolutionnaires, ni bâtons ni briques. Tout avait disparu sans 
				laisser de trace. Le passé s’était envolé comme une bourrasque 
				de vent… 
				Un jour, j’ai 
				demandé à l’un des petits-fils de mon frère : tu as entendu 
				parler de la Révolution culturelle ? Il m’a répondu non. ……. 
				       
				 
					
						| 
						Alors il a 
						décidé d’écrire, pour que la mémoire ne s’en perde pas, 
						mais aussi parce qu’il n’aimait pas les histoires qu’on 
						en avait racontées. Il se sentait une mission, une 
						obligation de témoignage, passé au tamis de la 
						littérature : non point écrire pour régler des comptes, 
						mais écrire pour raconter, en témoin alors trop jeune 
						pour pouvoir prendre part aux dissensions et aux luttes, 
						en victime indirecte des événements. Ce sont les 
						mémoires d’un individu, et d’un village (fictif dans le 
						roman, et d’autant plus emblématique), où il montre 
						comment la pauvreté conduit à la soumission, même à 
						l’absurde. Des mémoires parmi d’autres, dont la somme 
						constitue la mémoire nationale. Une vision ambiguë, sans 
						polémique ni dogmatisme. 
						       
						     
						2. Puis Jia 
						Pingwa est revenu au présent, et à la réalité rurale, 
						avec un nouveau roman sorti en janvier 2013 : « Daideng »
						(《带灯》). |  | 
						 
						Daideng |  
				  
						Daideng est le 
						nom d’une femme, responsable au niveau local de l’application 
				des directives et décisions politiques et du maintien de la paix 
				sociale, de « l’harmonie ». C’est le premier personnage 
				principal d’un roman de Jia Pingwa à être féminin, et cette 
				caractéristique prend un sens particulier dans le contexte du 
				roman.       
						     
						
							| 
						 
						Le restaurant de raviolis (réédition 
						2010) |  | 
				C’est un personnage 
				fictif, mais calqué sur un personnage réel, avec laquelle Jia 
				Pingwa a entretenu – et entretient - une correspondance suivie. 
				Le roman comporte d’ailleurs des documents qu’elle lui a 
				envoyés. On suit à travers son histoire les difficultés 
				rencontrées sur le terrain, les tensions et conflits, dans un 
				état de crise larvée permanente, où la moindre lutte, pour un 
				arbre ou contre un tunnel, peut dégénérer en émeute.  
				       
				 
				Ce qui donne toute sa 
				profondeur à l’histoire, cependant, et en fait un roman subtil 
				et non un documentaire, c’est la double personnalité de 
				Daideng : sous les apparences d’une femme autoritaire et sans 
				guère de nuances, elle cache en fait une nature douce, un goût 
				profond pour la littérature et la poésie, et le désir éthéré 
				d’une vie idyllique et paisible. L’ambiguïté tient jusque dans 
				ses deux prénoms : le vrai, Yíng (萤), 
				ou ver luisant, humble point lumineux dans la nuit, et celui 
				qu’elle s’est choisi,  |  
					ce Dàidēng (带灯)
				qui est 
				porte-flambeau, destiné à éclairer les masses…   
				       
						       
						 
				Elle se tire de ses 
				contradictions, et du risque de schizophrénie, en appliquant un 
				principe qui ressemble à s’y méprendre au second de la morale 
				provisoire de Descartes : accepter ce que l’on ne peut changer… 
				Mais, à la fin, c’est le symbole du ver luisant qui semble le 
				plus prometteur. 
				       
				 
				Dans un style narratif 
				que Jia Pingwa dit avoir voulu plus direct, « Daideng »
				est une œuvre 
				profonde qui relativise les accusations portées contre les 
				autorités locales chinoises et leurs responsabilités dans les 
				abus commis à la campagne, en montrant un aspect humain auquel 
				on ne pense pas forcément. Jia Pingwa a mis trois ans à l’écrire 
				et l’a terminée pour son soixantième anniversaire…  
				       
				Selon le Quotidien du Peuple du 19 juin, en cinq mois, il s'est 
				vendu un million d'exemplaires de "Daideng" en version papier et 
				500 000 en version ebook. Jia Pingwa est ainsi redevenu l'un des 
				écrivains chinois les plus populaires dans son pays.
   
				3. En septembre 2014, 
				c’est un roman très original qu’il publie, original autant pour 
				le fond que pour la forme : « Lao 
				Sheng » (《老生》).
				 
				  
						
							| 
						Le roman 
						couvre cent ans d’histoire des villages de montagne du 
						sud du Shaanxi, dans la région des monts Qingling (秦岭), 
						des années 1920 à aujourd’hui. Lao Sheng est un 
						chanteur, décédé, qui se produisait dans les cérémonies 
						funéraires. C’est lui l’âme du roman, le fil narratif 
						principal du récit, divisé en quatre grandes périodes, 
						et éclaté en divers endroits liés entre eux par les 
						souvenirs du vieux chanteur : ce sont tous les villages 
						où il est allé animer des funérailles.  
						  
						La grande 
						originalité est que chaque partie du roman est 
						introduite par une citation du Shanhaijing (《山海经》), 
						le Livre des monts et des mers qui est un recueil – 
						datant des Royaumes combattants - de données 
						géographiques plus ou 
						moins 
						mythiques et de légendes de l’antiquité chinoise. Jia 
						Pingwa reprend la structure de ce classique, avec des 
						descriptions montagne par montagne, village par village, 
						période par période. 
							 |  | 
						 
						Lao Sheng |  
				  
				Quant au récit 
				lui-même, il est aussi foisonnant que tout roman de Jia Pingwa, 
				avec une centaine de personnages aux histoires alambiquées que 
				fait revivre le vieux chantre, avec équanimité. Le livre a tout 
				de suite été un bestseller : en janvier 2015, il a figuré en 
				tête de la liste de dix meilleurs livres de l’année 2014 établie 
				par sina online (新浪年度十大好书). 
				  
					
						| 
						4. Début 2016, 
						un seizième roman est paru dans le premier numéro de 
						l’année de la revue Littérature du peuple : « Jihua » 
						(《极花》), 
						du nom d’une fleur imaginaire.  
						  
						Cette fois, le 
						sujet lui a été inspiré par une histoire vraie, arrivée 
						à un villageois de chez lui dont la fille avait été 
						enlevée, et qui avait été sauvée par la police ; mais, 
						revenue chez elle, la pression sociale a été telle 
						qu’elle est finalement revenue vivre avec l’homme qui 
						l’avait enlevée et dont elle avait eu un fils. 
						 
						  
						Cette histoire 
						a hanté Jia Pingwa pendant dix ans, mais sans qu’il 
						parvienne à trouver la manière de la conter pour éviter 
						le mélodrame larmoyant. La solution lui est venue des 
						diverses visites qu’il a faites dans divers villages de 
						son Shaanxi natal, pendant cette période, pour faire des 
						recherches sur des chants populaires locaux : des 
						villages 
						 |  | 
						 
						Jihua |  
				désertés, appauvris. 
				La vitesse du changement l’a profondément attristé, et c’est 
				pour exprimer sa peine qu’il a écrit « Jihua ». 
				  
					
						| 
						
						 
						Jia Pingwa présentant Jihua (avril 
						2016) |  | 
						Il a donc conté 
						son histoire dramatique sur fond de non moins dramatique 
						dépeuplement rural. En même temps, il a, comme toujours, 
						accordé une attention particulière à la forme. D’abord 
						c’est son roman le plus court : 200 pages, tout juste 
						150 000 caractères alors qu’il ne pensait pas pouvoir 
						l’écrire à moins du double. Il est d’ailleurs 
						intéressant de voir la longueur de ses romans se réduire 
						progressivement : de 670 000 caractères pour « Le vieux 
						four » à 220 000 pour « Lao Sheng ». C’est la tendance 
						actuelle. Mais, chez Jia Pingwa, c’est une tendance 
						motivée par forme même.  
						  
						Pour parvenir à 
						réduire ainsi « Jihua », il a adopté un style 
						totalement différent de celui de ses romans précédents 
						dont les récits s’enrichissent d’un foisonnement de 
						digressions constantes et de descriptions détaillées. |  
				  
				Ici, la forme est 
				calquée sur le lavis à l’encre de Chine dont Jia Pingwa est par 
				ailleurs un maître (10). 
				Or, l’essence du 
				lavis, c’est de capter l’âme du sujet, d’en saisir la 
				signification profonde, ce qu’on appelle ‘écrire le sens’ :
				
				
				xiěyì 
				
				(写意).
				   
					
						| 
						
						De même dans ses romans, Jia Pingwa dit vouloir rendre 
						le sens au-delà de la forme. Il a voulu rendre son récit 
						aussi réaliste que possible, mais, en même temps, 
						l’histoire est construite sur différents niveaux 
						symboliques, où le vide apporte un sens supplémentaire.
						Il a 
						dit s’être efforcé de s’évader de ses habitudes 
						narratives, de ne pas tout dévoiler précisément, de 
						garder certains détails cachés, d’y faire seulement 
						allusion.  |  | 
						
						 
						Une page du manuscrit de Jihua |  
				
				  
				Il y dévoile plus que 
				jamais son empathie pour le monde rural. Il est l’un des rares 
				écrivains chinois à continuer à écrire pour le dépeindre et 
				l’analyser, avec une constance qui est aussi un mode de vie. 
				Car, dit-il, impossible de ne pas en témoigner (不吐不快). 
				        
				       
				
				 
				
				Notes 
				(1) Ecrivain 
				originaire de 
				Shangzhou, critique littéraire et ami de 
				Jia Pingwa, 
				Sun Jianxi (孙见喜) 
				est 
				l’auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages sur Jia 
				Pingwa, dont une 
				biographie (《贾平凹传》) 
				publiée 
				aux 
				Editions du peuple de Shanghai 
				(上海人民出版社)
				en 
				janvier 2008, qui comporte une bibliographie extensive des 
				œuvres de 1977 à 2005. 
				(2) Dans « Narrating 
				China : Jia 
				Pingwa And His Fictional World, Yiyan Wang, Routledge 2006 ; 
				l’ouvrage analyse surtout les grands romans, de 1993 à 2000, 
				mais comporte en appendice une chronologie extensive et 
				commentée des œuvres publiées jusqu’en 2005 (p 241 sq). 
				(3) ou 《满月儿》      
				   
					
						| 
				(4) La nouvelle a été adaptée au cinéma : réalisé 
				par Yan Xueshu (颜学恕), le film, « Dans les montagnes sauvages » 
				(《野山》), a été tourné au studio de Xi’an en 1985 ; lauréat du 
				prix du Coq d’or, il a aussi été primé au festival des Trois 
				Continents à Nantes en 1986 et présenté au festival de Berlin en 
				février 1987.  C’est un film superbe qui mériterait d’être 
				re-découvert. 
				Voir : Adaptations cinématographiques ci-dessous(5) 腊月 làyuè désigne le 12ème mois
 |  | 
						 
						Dans les montagnes sauvages |  
				de l’année et 正月 zhēngyuè le 
				premier mois selon le calendrier lunaire – ce qui correspond donc plutôt à la période 
				janvier-février. 
				(6) La nouvelle a également été adaptée au cinéma, sous le titre 
				« Villageois » (《乡民》). Réalisé par Hu Bingliu (胡炳榴), le film est 
				sorti en 1986. C’est le dernier volet d’une trilogie de « films 
				du terroir » (“乡土电影三部曲”) qui s’inscrit, avec un certain 
				décalage, dans le mouvement de « recherche des racines ». (7) Prix littéraire créé en 1977 par la compagnie pétrolière 
				Mobil (Exxon Mobil aujourd’hui) pour promouvoir la traduction en 
				anglais d’œuvres peu connues de la littérature mondiale. Les 
				traductions étaient ensuite publiées par les éditions de 
				l’université de la Louisiane.
 (8) On voit bien 
				ici l’influence de la traduction sur l’attribution du Nobel de 
				littérature. Jia Pingwa aurait été un candidat tout aussi 
				valable que Mo Yan, mais les difficultés de traduction l’ont mis 
				hors de portée du jury du Nobel.
 
				(9) 
				Gaoxing rappelle le personnage, tout aussi optimiste face aux 
				pires revers, du film de Zhang Meng (张猛) 
				« Lucky Dog » (《耳朵大,有福》).
				Sur ce film, voir : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Zhang_Meng_lucky_dog.htm 
				« Gaoxing » a été 
				adapté au cinéma, par le réalisateur Ah Gan (阿甘) ; 
				son film, une comédie, est sorti en février 2009. 
				(10) Voir la note 
				ci-dessous sur son œuvre picturale       
				 
 
				       
				 
				Quelques nouvelles 
				et recueils  
				(chaque recueil reprend 
				des nouvelles éditées précédemment, avec quelques nouveautés) 
				       
				 
				1978 
				《满月》 
				“Pleine lune” Meilleure nouvelle de l’année. 
				         Rééditée dans 
				le recueil « Le restaurant de raviolis » 
				1985《腊月·正月》"December.
				January",  
				recueil de trois nouvelles 
				1986《天狗》Le 
				chien céleste, recueil de sept nouvelles 
				1993 
				《油月亮》贾平凹精选 :
				« La lune 
				d’huile », 30 nouvelles sélectionnées par l’auteur 
				1994 
				《太白》Taibai 
				et autres histoires, recueil de quinze nouvelles écrites entre 
				1985 et 1989 
				2002 
				《听来的故事》 
				Histoires entendues, quatorze nouvelles écrites pour la plupart 
				à partir de la fin  
				         
				 
				des années 1990.          
				2007《饺子馆》Le 
				restaurant de raviolis, nouvelles écrites pour la plupart après 
				2000. 
				       
				 
       
				 
				
				Romans  
				       
				 
				1987 《商州》 
				Shangzhou  
				1988
				《浮躁》 
				Turbulence, Pegasus Prize 1988. 
				 
				1989
				《妊娠》 
				Grossesse 
				1993
				
				《废都》 La 
				Capitale Déchue. Prix Fémina 1997. 
				1995 《白夜》 Nuit 
				blanche 
				1996 《土门》 
				Le village 
				englouti 
				1998 《高老庄》 Le 
				vieux village des Gao 
				2000 《怀念狼》 
				Souvenir des loups  
				2002 《病相报告》 Rapport 
				de santé 
				2005 
				
				《秦腔》
				
				Qinqiang/Opéra Qin. Prix Mao Dun 2008 
				2007 《高兴》 Gaoxing/Heureux 
				2011 《古炉》 Le 
				vieux four 
				2013 
				《带灯》 Dai Deng 
				2014 《老生》 Lao Sheng2016 《极花》 Jihua
 
				       
				 
 
				     
				Traductions en 
				français 
				  
				Nouvelles 
				·        
				La 
				montagne sauvage, éditions des Lettres étrangères (coll. 
				Phénix), 1990 
				Recueil de deux 
				nouvelles "moyennes" :  
				« La montagne 
				sauvage » (《野山》) 
				1984 et « Les forteresses antiques » (《故里》) 
				1987. 
				La première a été 
				adaptée au cinéma en 1986 par Yan Xueshu (颜学恕) 
				·        
				Le 
				Porteur de jeunes mariées, 
				Stock décembre 1995   
				Recueil de trois 
				nouvelles de 1990 qui constituent une sorte de trilogie, avec 
				des détails qui se retrouvent de l’une à l’autre : 
				- 
				Avril 1990 
				Meixuedi 
				《美穴地》tr. 
				Le géomancien amoureux  
				Texte en 11 chapitres :
				
				http://jiapingwa.zuopinj.com/2494/ 
				- Mai 1990 Bai Lang
				《白朗》Le 
				héros brigand / Le bonze brigand   
				Texte en 4 chapitres :
				
				http://jiapingwa.zuopinj.com/2491/ 
				- 
				Nov. 1990 
				Wukui《五魁》tr. 
				Le porteur de jeunes mariées  
				Adaptée au cinéma en 
				1994 par Huang Jianxin (黄建新)   
				Le 
				texte en 10 chapitres :
				
				http://www.hxqw.com/wxxsgl/xdwx/200901/44712.html 
				  
				Romans 
				- La Capitale déchue
				《废都》, 
				trad. Geneviève Imbot-Bichet, Stock 1997, — Prix Fémina étranger
				 
				- Le Village englouti
				
				《土门》, 
				trad. Geneviève Imbot-Bichet, Stock 1999. 
				- L’art perdu des fours anciens 《古炉》, trad. 
				Bernard et Li Bourrit, Gallimard coll. Du monde entier, novembre 
				2017. 
				- Portée-la-lumière
				《带灯》, trad. Geneviève Imbot-Bichet, Stock 2018 
				  
       
				 
				Traductions en 
				anglais 
				  
				Nouvelles 
				- 
				The Heavenly Hound
				
				
				《天狗》,
				Chinese 
				Literature Press 1991 
				- 
				Heavenly Rain 
				《天雨》, 
				Beijing Panda Books 1996 – sélection de quatre 
				nouvelles moyennes : 
				Heavenly Rain, The 
				Good Fortune Grave, The Regrets of the Bride Carrier, The Monk 
				King of Tiger Mountain 
				- 
				Selected Stories by 
				Jia Pingwa, sous la direction de Du Xia, Foreign 
				Languages Teaching and Research Press, bilingue anglais/chinois, 
				janvier 1999 
				- The Hunter 
				
				《猎人》, 
				Pathlight 2012/2. 
				Texte chinois :
				
				http://www.kanunu8.com/files/chinese/201104/2613/62768.html 
				- The Country Wife, 
				in: Old Land, New Tales, 20 short stories by writers of the 
				Shaanxi region, ed. by Lei Tao & Jia Pingwa, China 
				Intercontinental Press 2011, reed. Amazon Crossing 2014, pp. 
				41-94. 
				  
				- Trois nouvelles dans 
				la revue 
				Chinese Arts 
				and Letters, n° 2018.2 : 
				Autumn (《秋天》) 
				/ The Brick Bed (《土炕》) 
				/ Trees can’t talk ! 
				(《制造声音》) 
				  
				Autres traductions :
				
				http://u.osu.edu/mclc/bibliographies/lit/translations-aut/d-j/#J 
				  
				Romans 
				- 
				Turbulence 
				
				《浮躁》,
				tr. 
				Howard Goldblatt, 
				Louisiana University Press 1991, 
				
				                                          
				réed. Grove Press, 
				janvier 2003. 
				Lire le début :
				
				http://www.amazon.fr/Turbulence-Novel-Pingwa-Jia/dp/0802139728/ref=sr_1_3?s=english-books&ie=UTF8&qid=1371290509&sr=1-3&keywords=jia+pingwa#reader_0802139728 
				- Ruined City
				《废都》, 
				tr. Howard 
				Goldblatt, 
				
				University of Oklahoma Press, 2016.
				 
				- Happy Dreams 《高兴》, tr. Nicky 
				Harman, Amazon Crossing 2017- The Lantern-Bearer 《带灯》, tr. Carlos Rojas, CN Times Book, 
				2017.
 
				- Broken Wings (《极花》), trad. 
				Nicky Harman, ACA Publishing, 2019. 
				  
   
				Adaptations au 
				cinéma 
				  
				1986 :
				
				Dans les montagnes sauvages (《野山》) 
				réalisé par
				
				Yan Xueshu (颜学恕) 
				  
				1994 : The Wooden Man’s Bride
				《五魁》réalisé 
				par
				
				Huang Jianxin (黄建新) 
				 
				  
       
				  
				A lire en complément 
				  
				- « La rivière 
				Contrecourant »
				《倒流河》
				 
				Nouvelle initialement 
				publiée dans Littérature du peuple (《人民文学》) 
				en février 2013 et lauréate du prix de la meilleure nouvelle 
				2013 décernée par la revue. 
				  
				Elle est construite en 
				aller-retours entre les rives nord et sud de la rivière, selon 
				un double fil narratif, l’un autour du couple Liben-Shunshun (立本、顺顺), 
				et l’autre autour d’un vieux passeur et de son fils, Lao Ben et 
				Song Yu (老笨、宋鱼). 
				Le couple trime dur mais achète une mine et s’enrichit, jusqu’à 
				ce que les cours du charbon s’effondre à cause de la crise ; le 
				fils du vieux passeur est un fruit sec qui profite du boom 
				économique, son père continue inlassablement à transporter les 
				gens d’un bord à l’autre de la rivière, sans oser acheter un 
				nouveau bateau car il est question de construire un pont…. C’est 
				un bout d’histoire récente du Shaanxi vue au ras du sol et un 
				tableau saisissant de la société locale… 
				Texte chinois :
				
				http://www.vipreading.com/novel-read-1376-0.html 
				Traduction en anglais 
				par Nicky Harman : « Backflow River », 
				à lire dans Read Paper 
				Republic :
				
				https://paper-republic.org/pubs/read/backflow-river/ 
				  
				-
				
				« La 
				capitale déchue », extrait du chapitre 66. 
				  
				- Présentation de 
				l’œuvre de Jia Pingwa par Nick Stember : 
				
				
				https://glli-us.org/2017/02/20/jia-pingwa-as-global-literature-by-nick-stember/ 
				  
				-
				Le site Ugly 
				Stone, 
				site dédié à son œuvre et ses traductions en anglais, avec une 
				note biographique sur l’auteur et des fiches sur ses huit 
				romans, à partir de « Ruined City » (La Capitale déchue), ainsi 
				que des extraits de traductions :
				
				http://www.ugly-stone.com/ 
				  
				- Une courte réflexion 
				de l’auteur sur un souvenir lié à son père, traduite en anglais 
				par Dylan Levi King, et illustrée par Jia Pingwa lui-même : 
				
				
				https://ricepapermagazine.ca/2017/04/drinking-by-jia-pingwa-translated-by-dylan-levi-king/ 
				  
				- Une nouvelle courte : 
				
				《武松杀嫂》 « Wu Song 
				tue sa belle-sœur »  
				  
				
				- 
				
				« L’art perdu des 
				fours anciens » (《古炉》) 
				  
       
				
				 
				Note sur les peintures de Jia Pingwa 
				  
				Jia Pingwa est aussi célèbre pour 
				son travail de calligraphe et de peintre. Il a développé un 
				style particulier qui apparaît clairement dans les quelques 
				œuvres ci-dessous :   
				 
				Hommage à Laozi (拜老子图) 
				  
				 Au bord du fleuve 
				(大河流过我的船)
 
				  
				 Canards (鸭子)
 
				  
				 Le retour de Cailian 
				(采莲归来)
 
				  
				    
				 
				  
				  
				  
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