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Xu Yigua
须一瓜
Présentation
par
Brigitte Duzan, 30 juin 2015, actualisé 5 juin 2020
Xu Yigua a connu un grand succès avec son troisième
roman, « Masques blanc » (《白口罩》),
initialement publié dans la revue
Shouhuo
(《收获》),
dans le numéro spécial printemps/été 2013.
Son nom a plus récemment attiré l’attention des médias
et du grand public, quand, en juin 2015,
Cao Baoping (曹保平)
a été sacré meilleur réalisateur au Festival
international du cinéma de Shanghai pour « The Dead
End » (《烈日灼心》)
,
film qui est |
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Xu Yigua présentant son dernier roman,
Masques blancs |
adapté du premier roman de Xu Yigua : Taches solaires »
(《太阳黑子》).
Jusqu’à 2010, cependant, elle n’avait écrit que des nouvelles,
d’une facture très originale, qui lui ont valu nombre de prix
littéraires et sont au moins aussi intéressantes que ses romans.
Une romancière discrète
Ecrivain à ses heures de loisir
Xu Yigua (须一瓜)
est née « dans les années 1960 », dit-elle sans plus de
précision, mais cela suffit. Cela signifie qu’elle a passé ses
vingt premières années dans l’atmosphère peu propice à la
création de la Révolution culturelle.
Elle a travaillé tôt, dans le secteur des télécommunications,
dans la publicité, puis elle est devenue journaliste.
Aujourd’hui, elle vit à Xiamen (厦门),
dans le sud-est du Fujian, où elle a longtemps été chroniqueur
judiciaire du journal Xiamen Evening News (《厦门晚报》).
Elle écrivait à ses heures de liberté, qui étaient rares.
Elle a commencé par écrire des nouvelles très courtes (小小说),
dans les années 1990, puis elle a arrêté, pendant près de dix
ans.
Elle a recommencé à écrire au tournant du millénaire, soudain.
On lui a souvent demandé pourquoi, et elle a toujours répondu
qu’elle ne sait pas :
我不知道,想写就写了。我说过一句话,诚实的写作都是霸道的。想写,是我唯一的理由。没有道理可言。
Je ne sais pas, j’ai eu envie d’écrire, alors j’ai écrit.
L’explication que je donne tient en une phrase : si l’on écrit
honnêtement, écrire est quelque chose de despotique. Ma seule
raison d’écrire est l’envie que j’en ai. Cela n’a aucun sens à
proprement parler.
A partir de 2002, elle a publié des nouvelles dans les
principales revues littéraires chinoises comme Shouhuo (《收获》),
Octobre (《十月》),
Littérature du peuple (《人民文学》),
Littérature de Shanghai (《上海文学》)
ou du Fujian (《福建文学》),
etc…
2003 : prix littéraire
Cérémonie de remise des prix des médias
de littérature en
langue chinoise (de g. à dr.: Wang
Yao, Mo Yan,
Han Dong, Yu Guangzhong, Wang Xiaoni et
Xu Yigua) |
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Ses nouvelles font en général la première page de ces
revues, lot de consolation, dit-elle en riant, pour
compenser le fait que ses articles de journaliste
paraissent en général en dernière page – elle est « la
journaliste desarticles de dernière page » (尾条记者),
comme elle a titré une de ces nouvelles avec l’humour
qui la caractérise, entre autres choses.
En 2003, elle obtient le prix des médias de littérature
en langue chinoise (华语文学传媒奖).
Le prix est accompagné du commentaire suivant : |
“在她的逼视下,人生的困境和伤痛已经无处藏身。须一瓜把写作还原成了追问的艺术,但同时又告诉我们,生活是禁不起追问的。”
Sous l’acuité de son regard, la vie humaine ne peut cacher ni sa
détresse ni ses souffrances. Avec Xu Yigua, l’écriture en
revient à l’art de l’enquête, mais elle nous dit en même temps
que l’existence ne supporte pas l’enquête…
On ne pourrait imaginer meilleure introduction à son œuvre. Car
les nouvelles de Xu Yigua reflètent en effet un questionnement
récurrent sur la vie et la condition humaine, vues sous l’angle
de personnes apparemment ordinaires, avec leurs soucis, leurs
peines et leurs solitudes ; mais – sans doute suscité, comme par
réflexe, par sa longue habitude des cas judiciaires en tant que
journaliste - l’insolite apparaît très vite sous la fine surface
des apparences, un insolite qui est l’essence de l’existence
selon Xu Yigua, et se propage jusqu’à son écriture, à commencer
par ses titres. Xu Yigua, c’est le baroque selon Borgès, avec
quelque chose de Patrick Süskind.
Depuis 2004, elle a publié plusieurs recueils de nouvelles, la
majorité étant de longueur moyenne (中篇).
Et, en 2010, elle est passée au roman.
2004 : Une lune vert pâle
« Une lune vert pâle » (《淡绿色的月亮》)
est un recueil de huit nouvelles dans lesquelles, selon
ses propres termes, elle a tenté d’exprimer « les voix
silencieuses » (沉默的声音),
celle des petites gens, des « subordonnés » (属下)
et des sans-grades, ceux dont les histoires ne font pas
des événements (并未成为往事),
comme elle le dit dans la préface, mais qui triment pour
arriver à assurer le lendemain.
La nouvelle qui donne son titre au recueil est assez
typique : elle retrace un événement dans la vie d’une
jeune femme qui tient un salon de beauté, Gaozi (芥子) ;
c’est un vol, chez elle, qui fera l’objet d’une enquête
sans résultat, sauf de lui faire connaître un policier
qui représente une possibilité d’évasion de son
quotidien. Il n’en sera rien. Mais l’incident lui aura
procuré un léger frémissement, dans une existence par
ailleurs très terne, que Xu Yigua résume ainsi : |
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Une lune vert pâle |
…某天深夜遭遇歹徒入室抢劫的经历,激活了她内心的多疑。有人说多疑是女人的天性,也许只有怀疑才能够令芥子已如死水的生活有了微澜。
… une nuit, de façon totalement impromptue, des voleurs
s’introduisirent chez elle pour la cambrioler, ce qui suscita en
elle nombre de suspicions. On dit que le soupçon est dans la
nature des femmes, mais il est bien possible que ce soit la
seule chose capable d’apporter quelque frémissement dans
l’existence de Gaozi, aussi morne qu’une mare d’eau stagnante.
Ce talent pour dépeindre la vie des petites gens et leurs soucis
est ce qui fait la valeur et le charme de ses récits : c’est
fait avec une légèreté apparente où perce un sentiment
satirique, mais attristé. En ce sens, ce recueil est une bonne
introduction à son œuvre.
Tu es l’homme que j’ai connu avant JC |
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Les huit nouvelles sont rééditées l’année suivante, dans
un ordre différent, sous le titre
« Tu es l’homme que j’ai connu avant Jésus-Christ » (《你是我公元前的熟人》).
Ce choix reflète un autre des traits récurrents dans ses
nouvelles : l’accent mis, pour commencer, sur quelque
chose de relativement insolite, ou rare, comme
apercevoir la lueur verte de la lune ; elle introduit
ainsi son récit, récit de vies qui n’ont pourtant rien
d’insolite, comme si, justement, l’insolite était
partout, sous la surface apparente des choses.
En 2004, aussi, elle publie, dans le numéro de septembre
de la revue Littérature du peuple (《人民文学》),
une autre nouvelle, classée parmi les nouvelles courtes,
mais assez longue pour une nouvelle courte : « Une
petite pluie fine planant sur un endroit privé de
mémoire »
(《毛毛雨飘在没有记忆的地方》).
Le récit est enlevé et savoureux, d’un humour subtil
mais glaçant : on ne peut s’empêcher de |
considérer cet « endroit privé de mémoire » comme une
vision symbolique. La nouvelle décroche le prix de la meilleure
nouvelle courte de l’année décerné par la revue.
La pluie, comme les insectes, est un élément récurrent
dans les nouvelles de Xu Yigua. La pluie est fine, les
insectes sont velus :
máomaoyǔ
毛毛雨
/
máomaochóng
毛毛虫.
La première imprègne le paysage, les seconds
l’investissent, et tous deux agissent sur les esprits et
la mémoire, apportant le flou ou semant la panique.
2007 : Tiramisu
« Tiramisu » (《提拉米苏》
ou
《提拉米酥》)
est un recueil de huit nouvelles où le style est
particulièrement travaillé, mais où les histoires ont à
nouveau cette inventivité surprenante qui est finalement
la marque la plus caractéristique de Xu Yigua.
Pourtant c’est son premier roman qui lui apporte un
début de notoriété auprès du public : c’est un pseudo
roman policier. |
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Tiramisu |
La renommée par le roman
2010 : Taches solaires
Taches solaires |
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C’est en avril 2010 qu’elle publie « Taches solaires »
(《太阳黑子》),
son premier roman, celui qui a été adapté au cinéma par
Cao Baoping
.
L’histoire est inspirée d’un fait divers réel qui s’est
passé en août 1988 dans la ville de Xilong, dans le
Fujian (福建西陇) :
une affaire de meurtre doublé de viol, dans laquelle
cinq personnes d’une famille ont été tuées sans que les
trois présumés coupables aient été arrêtés.
Le roman reprend leur histoire dix ans plus tard. Ils
vivent ensemble en élevant une petite fille qu’ils ont
adoptée ; elle souffre d’une maladie cardiaque et ils
économisent pour lui payer l’opération qui la sauverait.
Elle a son anniversaire le même jour que le meurtre : le
19 août.
Or l’un des trois complices est un adjoint du chef de la
police locale, et celui-ci finit par avoir des doutes
sur son |
adjoint,
qui a un comportement bizarre. Il a en particulier l’habitude
d’effacer machinalement ses empreintes digitales, et d’éteindre
sa cigarette sur le pouce de sa main gauche, en permettant même
à d’autres d’éteindre la leur ainsi… Finalement l’enquête est
rouverte… la fille du policier tombe amoureuse de l’aîné des
trois et apporte involontairement des clés à son frère, tout en
tentant d’aider le trio à s’échapper à nouveau….
Le récit est superbement bien mené, avec des ressorts
psychologiques subtils. On sent que Xu Yigua a bénéficié de son
expérience de journaliste judiciaire. Mais elle a su la
transcender. Comme dit l’éditeur dans son commentaire sur le
roman :
“这是一起罪与罚的对决。最无法逃脱的罚,从罪恶发生的那天开始,就追索着他们的灵魂。”
[Le roman] traite de l’affrontement faute/punition – punition
qu’il est impossible d’éviter car, dès le jour où est commis le
crime, il vient hanter les esprits [des criminels].
C’est le thème de « Macbeth ». Il y a d’ailleurs des traces de
dramaturgie dans l’écriture de Xu Yigua : ses récits prennent
très souvent la forme de dialogues, comme dans une pièce de
théâtre.
2011 : second roman
En juin 2011, elle publie un second roman :
« Chères bonnes» (《保姆大人》). On
ne peut s’empêcher de penser à la pièce de Jean Genet,
la cruauté en moins. Le roman est la
description de cinq personnages-types, hauts en couleur,
et de leur rapport à leurs employeurs, dessinant ainsi
un tableau d’une tranche de société urbaine tout aussi
bien qu’une galerie de portraits féminins.
La première bonne s’applique à étudier, pour acquérir un
statut de « citadine » ; la seconde s’éprend de son
employeur et rêve de l’épouser, dans le même but, mais
en plus bourgeois. Une autre encore fait du commerce à
ses heures de liberté, pour s’enrichir. Une quatrième
est du genre tyran domestique, et se donne du poids dans
la maison en régentant une nouvelle toute jeunerecrue.
Mais la cinquième est du type fidèle et bon, et refuse
de quitter la famille qu’elle sert, même quand celle-ci
a des revers de fortune. |
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Chères bonnes |
2013 : Masques blancs
Masques blancs |
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Le troisième roman, « Masques blancs » (《白口罩》),
a été publié en 2013, dans
le numéro spécial printemps/été de la revue Shouhuo
(《收获》),
puis édité à Pékin en novembre de la même année. Le
roman a eu un immense succès : c’est à la fois une
intrigue pseudo-policière où la terreur est distillée
peu à peu, dans le genre du bestseller populaire « Bu
Bu Jing Xin » (《步步惊心》)
;
c’est une satire de la société chinoise actuelle, avec
une évocation symbolique des problèmes de santé, et
c’est aussi une fausse histoire d’amour.
L’histoire se passe dans la zone de développement
économique de Mingcheng (明城经济开发区).
On suspecte une
possible épidémie de grippe, la terreur se répand dans
la population, tout le monde se munit de masques.
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La jeune et jolie journaliste Xiao Mai (小麦)
accepte la mission de couvrir l’épidémie et va faire une série
d’interviews. Mais la situation devient bien plus complexe
qu’elle ne l’avait imaginé. Elle doit lutter entre les règles
des médias et son intuition de journaliste. Quelle est la vraie
situation ? Il y a la version officielle, celle des médias, mais
aussi celle des équipes de secours ou encore sa position
personnelle de journaliste…
Quant à elle, elle tombe amoureuse, se laisse entraîner dans une
histoire qui menace son individualité, mais elle s’en libère. Il
y a, dans l’intrigue initiale de Xu Yigua, un clin d’œil à la
fois vers les intrigues des films romantiques à la mode en Chine
aujourd’hui et vers les romans d’amour sirupeux du genre,
également à la mode, dit
qīngqīngwǒwǒ
(卿卿我我的爱情小说)
qui sont la version moderne du style ‘canards mandarins et
papillons’. Mais,
alors que ces films et romans sombrent dans la mièvrerie, Xu
Yigua en subvertit les codes et les conclusions usuelles.
Xiao Mai est de toute évidence l’alter ego de Xu Yigua, une Xu
Yigua de fiction qui réfléchit sur son temps – les masques
blancs sont évidemment emblématiques.
2016 : Les autres
Début 2016 paraît un nouveau roman, « Les autres » (《别人》),
dont le personnage principal est une journaliste un peu bohême
qui fait des reportages sur la sécurité alimentaire, la survie
des hôpitaux privés, les règles non dites des médias et autres
sujets « qui fâchent ». Le titre est expliqué avec l’humour
habituel de Xu Yigua par la préface - « Ceci est l’époque des
autres » (这是别人的时代)
- et la postface - « Mon tofu, ce sont les haricots des autres »
(别人的豆子我的豆腐).
2018 : Un cyclone à deux yeux
En mai 2018 paraît « Un cyclone à deux yeux » (《双眼台风》).
Xu Yigua renoue ici avec ses sujets policiers : un malfaiteur
arrêté avoue pendant son interrogatoire avoir commis un viol
plus de dix ans auparavant. Or le cas a déjà été jugé, le
« meurtrier » a plaidé coupable et a été exécuté. Deux « yeux »
pour un même cyclone…
Un cyclone à deux yeux |
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La meilleure amie |
Ses nouvelles aussi seraient à découvrir. Par exemple « La
baleine grise » (《灰鲸》)
qui a été couronnée du prix des Cent fleurs, dans la catégorie
des nouvelles, en décembre 2017. Mais aussi celles parues dans
les deux recueils parus en avril et septembre 2016 : « Le
cinquième éternuement » (《第五个喷嚏》)
et « De vieilles amies » (《老闺蜜》).
Xu Yigua est aujourd’hui un écrivain à la personnalité et au
style très originaux qui mérite d’être découverte, alors
qu’aucun de ses romans et nouvelles n’a été traduit en français.
A lire en complément
Une de ses nouvelles les plus réussies
:
Chenilles
《毛毛虫》
Traductions
en anglais
-
The Rain Dampens the Smoke
《雨把烟打湿了》,
in
The Great Masque and More Stories of Life in the City, Foreign
Languages Press, october 2008
-
The Sprinkler
《穿过欲望的洒水车》,
in
Stories from Contemporary China, by Bei Cun, Xu Yigua and Li Er,
Shanghai Press/Better Link Press, october 2010
-
The Black-Collared Starling
《黑领椋鸟》,
in
Irina's Hat: New Short Stories from China, ed by Josh Sternberg,
University of Hawai’I Press 2012.
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