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La littérature
chinoise après 1979
I. Les années 1980 :
renaissance de la littérature
2. Les grands mouvements
littéraires
a) A partir de 1978 : littérature des
cicatrices
La fin de la Révolution
culturelle entraîna un dégel de toutes les activités
créatrices : ce fut une « nouvelle libération », un nouveau
départ. Dans le domaine littéraire, on repartit cependant sur
les bases de ce qui s’était passé dans les années 1950 et au
début des années 1960, avant que
n’apparaissent spontanément –
hors incitation des organes du pouvoir, comme précédemment - des
auteurs et courants nouveaux.
La scène littéraire en 1977
Les anciens
Les années 1977 et,
dans une large mesure, 1978 font figure de transition. On vit
alors refleurir, on n’avait guère le choix, les œuvres les plus
populaires des auteurs qui avaient été approuvés, encouragés et
loués par le pouvoir du début des années 1950 jusqu’à la
Révolution culturelle, pendant cette période relativement
favorable que l’on appelle « les dix sept années » et qui donna
la littérature du même nom (十七年文学).
C’étaient pour
la plupart des écrivains, nés au début du siècle, qui avaient
cessé d’écrire pendant la Révolution culturelle. Ce fut donc une
redécouverte.
C’est ainsi que l’on
réédita en 1977 le grand succès de
l’année 1957 : le roman sur
la guerre de résistance
anti-japonaise de
Qu Bo (曲波)
« Traces dans la neige de la forêt »
(《林海雪原》),
œuvre devenue un
classique de
l’époque, qui fut adaptée en opéra de Pékin, puis
en « opéra modèle » sous le titre « Taking Tiger Mountain by
Strategy »
(《智取威虎山》),
et enfin en un film éponyme |
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Qu Bo (曲波)
« Traces dans la neige de la forêt »
(《林海雪原》) |
réalisé par
Xie Tieli (谢铁骊)
et sorti en 1970. Dans la foulée, on réédita en 1979 deux
autres de ses romans :
« L’appel des montagnes et le rugissement des mers » (《山呼海啸》)
et « Qiao Longbiao »
(《桥隆飙》).
Yang Mo (杨沫) |
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Il en fut de même du
bestseller de l’année 1958, « Song of Youth » (《青春之歌》),
de la romancière
Yang Mo (杨沫),
suivis de trois autres de ses romans : « Dawn in the East »
(《东方欲晓》),
« Song of the fragrance of flowers »
《芳菲之歌》et « Song
of Yinghua » (《英华之歌》).
Furent également publiés, entre 1979 et 1985, les cinq volumes
de la saga de Ouyang Shan (欧阳山),
« Romance of a Generation
» (《一代风流》).
Il est significatif
que, lorsque fut institué le prix
Mao Dun (茅盾文学奖),
en 1982, deux des premières œuvres primées furent des œuvres
d’écrivains des années cinquante : l’un
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des
prix de 1982 récompensa « East » (《东方》)
de Wei Wei (魏巍),
publié en 1979, et l’un des prix suivants, en 1985, fut attribué
à « The River flows East » (《黄河东流去》) de
Li Zhun
(李准).
Toutes ces œuvres,
cependant, étaient pour la plupart des témoignages de la période
de guerre qu’avaient vécue ces auteurs, et relevaient d’une
mythologie révolutionnaire quelque peu datée. Elles étaient
obsolètes. La relève fut tout simplement un phénomène de
génération.
Un esprit nouveau
Il y avait, dans les
milieux artistiques, et littéraires en particulier, le sentiment
de vivre à nouveau une période de liberté créatrice, un peu
comme après le 4 mai 1919, mais tout en restant dans le cadre d’une conception accordant un rôle spécial à la littérature et
aux arts, leur
reconnaissant un fonction à la fois critique et sociale. Etait
réaffirmée la nécessité d’ « écrire la vérité » en se conformant
au « réalisme », comme s’il s’agissait d’achever le travail
commencé dans les années 1950. |
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Ouyang Shan , 1er volume de “Romance
d’une génération” |
Li Zhun (李准) |
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C’est ainsi que furent
republiés les grand discours du début des années 1960, ceux qui
suivirent l’échec du Grand Bond en avant et annonçaient la
nécessité d’un « réajustement » de la politique dans les
domaines littéraire et artistique comme ailleurs : le discours
prononcé par Zhou Enlai en juin 1961 (et non publié jusque là)
au forum des travailleurs de la littérature et des arts et à la
conférence sur l’écriture de scénarios, et celui de Chen Yi au
forum sur le théâtre national, l’opéra et le théâtre pour
enfants, en mars 1962. Zhou Enlai demandait en particulier une
certaine liberté d’expression pour les artistes : « S’il se
trouve que nous, les dirigeants, aimons le théâtre, la peinture,
les antiquités et autres, cela ne nous donne pas le droit de
leur fixer des normes. »
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Puis, en avril 1979,
parut dans la revue ‘Littérature de Shanghai’ (《上海文学》)
un article qui
réfutait la théorie faisant de la littérature et des arts des
outils de la lutte des classes. Il reçut un accueil enthousiaste
à l’époque et fut suivi de larges débats organisés par la revue.
On sentait frémir les prémices d’une « nouvelle période ».
C’est dans cette
atmosphère de liberté rappelant les « Cent Fleurs »
qu’apparurent des textes différents, les auteurs pouvant être
classés en deux groupes distincts : des écrivains
« réémergents » qui avaient, pour la plupart, été réduits au
silence lors de la campagne anti-droitiers en 1957/58, et des
écrivains nouveaux, appartenant à la génération des « jeunes
instruits » qui avaient passé la Révolution culturelle à
travailler à la campagne.
Parmi les premiers
figure par exemple Qin Zhaoyang
(秦兆阳), auteur d’un article
initialement publié dans la ‘Littérature du Peuple’ en septembre
1956 : « Le réalisme - une large voie » (《现实主义 ——广阔的道路》)
qui lui avait
valu d’être ostracisé peu après ; spécialiste de la forme
courte, il publie un recueil de nouvelles en 1979. A ce groupe
se rattachent les anciens de la purge
anti-droitiers qui
reviennent de leur exil intérieur en 1978
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Qin Zhaoyang
(秦兆阳) |
et sont réhabilités en
1979 :
Zhang Xianliang, Liu Binyan,
Lu
Wenfu, Deng Youmei, Ai Qing,
Ding Ling, etc… et parmi eux
Wang
Zengqi et
Wang
Meng, qui, chacun à sa manière et tous les
deux inclassables, vont apporter un souffle nouveau à la
littérature chinoise.
Mais, dans un premier
temps, ce sont les seconds, les « jeunes instruits » revenus de
la campagne, qui firent parler d’eux en lançant ce qu’il est
convenu d’appeler le courant de la « littérature des
cicatrices » (伤痕文学).
La littérature des cicatrices
Œuvres
Lu Xinhua au moment de la publication de
« La cicatrice » |
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La première œuvre
généralement reconnue comme pionnière de ce mouvement littéraire
est la nouvelle de
Liu Xinwu (刘心武)
intitulée « Le professeur principal » (《班主任》),
publiée en novembre 1977 dans la revue ‘Littérature du Peuple’ (《人民文学》).Ce
classement est contesté, la nouvelle apparaissant comme une
condamnation des politiques pédagogiques et culturelles de la
décennie précédente, accompagnée d’éloges des intellectuels.
Aucun des deux personnages principaux ne porte la marque des
blessures spirituelles et morales qui caractérisent la
littérature de cicatrices, blessures et traumatismes infligés
pendant la Révolution culturelle.
La nouvelle décrit un
professeur de collège qui tente de remettre dans le droit chemin
un jeune délinquant qui, peu de temps auparavant, aurait
vraisemblablement été condamné comme |
contre-révolutionnaire ;
elle marque un retour à des valeurs humanistes.
C’est en fait une
nouvelle de
Lu Xinhua (卢新华),
intitulée « La cicatrice » (《伤痕》)
et publiée le 11 août 1978 dans le ‘Wenhui bao’ (《文汇报》)
de Shanghai, qui marque vraiment le début de la littérature des
cicatrices et lui donne son nom. Lu Xinhua y raconte comment une jeune fille,
rongée de remords pour avoir fui sa mère alors que celle-ci
était accusée de trahison pendant la Révolution culturelle,
décide de revenir la voir neuf ans plus tard, mais la trouve
morte en arrivant.
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La cicatrice《伤痕》 |
La nouvelle, qui
occupait la totalité d’un supplément du ‘Wenhui bao’,
fut tirée à 150 000 exemplaires, et
Lu Xinhua, qui n’était
encore qu’étudiant à l’université Fudan, à Shanghai, connut une
soudaine célébrité. Le ton de la
nouvelle, dénonçant les errements tragiques dont l’ensemble de
la population avait été victime au cours des dix années de la
Révolution culturelle, trouvait un écho dans les
Lu Xinhua et Liu Xinwu vers 1978
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sentiments de chacun.
C’était en outre un texte qui renonçait aux enflures romantiques
et au culte des héros de la littérature révolutionnaire, pour en
revenir à la peinture réaliste des gens ordinaires et de leurs
souffrances, d’où son immense popularité.
En outre, le contenu
même de « La cicatrice » était en parfaite conformité avec la
politique engagée par les autorités chinoises, dont la stratégie
consistait à faire retomber la faute des excès commis sur la
Bande des Quatre, pour en disculper au maximum le président Mao
et assurer la base de leur pouvoir.
Lu Xinhua reçut ainsi les
éloges et le soutien, au moins initial, des grands dirigeants du
moment : Deng Xiaoping (邓小平),
Hua Guofeng (华国锋)
et Hu Yaobang (胡耀邦).
La littérature, décidément, ne pouvait se libérer du politique.
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La nouvelle fut vite
suivie d’autres dans le même style, hautement émotionnel ; mais
celui-ci, justement, restant trop sommaire, fut durement
critiqué. La plupart de ces écrivains en herbe déversaient sans
retenue leurs ressentiments et rancoeurs accumulées, ainsi que
leur vision sombre de l’avenir, sans le recul qui eût été
souhaitable. Le mouvement donna cependant quelques nouvelles
très réussies, parmi lesquelles :
« L’esprit et la
chair » (《灵与肉》)
de
Zhang Xianliang (张贤亮)
« Une maisonnette de
bois couverte de lierre » (《爬满青藤的木屋》)
et « Le village
Hibiscus » (《芙蓉镇》)
de
Gu Hua (古华)
« Tu me manques, Hua
Lin ! » (《思念你,桦林!》)
de Xi Qiaoming (袭巧明)
« Un coin oublié par
l’amour » (《被爱情遗忘的角落》)
de
Zhang Xian
(张弦)
« Qui suis-je » (《我是谁》) de
Zong Pu (宗璞)
« Le magnolia rouge au
pied du grand mur » (《大墙下的红玉兰》)
de
Cong Weixi (从维熙)
« Le chant du général »
(《将军吟》)
de
Mo Yingfeng (莫应丰)
« Xu Mao et ses filles
» (《许茂和他的女儿们》)
de
Zhou Keqin (周克芹)
(1er
prix Mao Dun)
« L’homme, ah l’homme »
(《人啊人》)
et
« La mort d’un
poète » (《诗人之死》)
de
Dai Houying (戴厚英).
Les meilleurs de ces
auteurs évoluèrent ensuite vers des styles différents, témoin
Wang Anyi (王安忆)
dont l’une des premières nouvelles, « Terminus » (《本次列车终点》),
qui obtint en 1981 le prix national de la meilleure nouvelle (全国优秀短篇小说奖),
est rattachée à
cette littérature des cicatrices – ou « nouvelles des jeunes
instruits » (知青小说)
comme on trouve parfois ; un autre exemple est
Feng Jicai (冯骥才)
dont la nouvelle ‘de taille moyenne’ « Ah ! »
(《啊!》),
primée en 1980, représentait une rupture par rapport à ses
écrits précédents et inaugurait une nouvelle voie : la peinture
non plus des problèmes de société, mais de l’existence humaine,
dans ses aspects quotidiens (从写“社会问题”到“写人生”).
On peut donc considérer
cette « littérature des cicatrices » comme une brève, mais
nécessaire, transition – elle ne pouvait
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Wang Anyi vers 1980 |
être que brève, a dit
Lu Xinhua lui-même (必然是短命的),
mais sa nécessité est tout aussi évidente : elle permit
d’évacuer les traumatismes subis pendant les dix années
précédentes, en une sorte de cri de souffrance libérateur, tout
en amorçant, au début des années 1980, une période plus
réflexive qui donnera ce qu’on a appelé justement « la
littérature de réflexion », ou « d’introspection » (反思文学),
pour chercher non plus simplement à conter, mais à analyser.
Contexte et
réactions
Le développement de la
littérature des cicatrices coïncide avec la période 1977-78 que
l’on a appelée le « Printemps de Pékin » (北京之春),
par assimilation avec le Printemps de Prague, c’est-à-dire une
période de relative ouverture. Deng Xiaoping avait besoin de
répudier les pratiques de la Révolution culturelle pour
légitimer son propre pouvoir. Cela demandait cependant un grand
doigté pour ne pas emporter dans la critique la totalité de
l’appareil du Parti, et, comme en 1956, celle-ci se révéla vite
incontrôlable.
Le mur de la démocratie |
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Après l’arrestation de Wei Jinsheng (1), une vague de
répression s’abattit, pour calmer les excès du Mur de la
Démocratie, en particulier. La littérature des cicatrices en fit
aussi les frais, au cours d’une campagne inhabituelle :
contrairement aux campagnes précédentes contre le libéralisme,
les critiques officielles furent généralement limitées à des
attaques sur le contenu, au lieu des dénonciations usuelles
d’individus. |
On reprocha à ces
œuvres leur caractère sombre et négatif, leurs dénonciations
virulentes du Parti et du président Mao. Pourtant, bien
qu’essentiellement centrée sur la peinture des traumatismes
d’une époque, la littérature des cicatrices n’était pas
négative : elle avait pour thèmes principaux l’amour et la foi ;
ses auteurs n’étaient pas des opposants au pouvoir communiste,
mais conservaient au contraire leur foi dans la capacité du
Parti à rectifier ses erreurs, et ils voyaient dans l’amour
humain la seule solution pour résoudre les problèmes sociaux.
Son apport le plus
important, cependant, est sans doute dans la rupture qu’elle
marque avec la
tradition du réalisme socialiste : elle n’était
plus soumise au contrôle du Parti et n’avait plus l’obligation
de servir à l’éducation politique des masses. En ce sens, elle
marquait un affranchissement, même s’il restait limité.
Note
(1) Voir :
1. l’environnement politique et
littéraire.
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