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				Lu Xinhua 卢新华 
				
				
				Présentation 
				介绍 
				par Brigitte Duzan, 11 décembre 
				2010       
				Le nom de Lu Xinhua (卢新华) 
				est intimement lié à celui de la 
				
				« littérature 
				des cicatrices » au point que 
				l’on en oublie le 
				personnage derrière la nouvelle qui a donné son nom à ce fugace 
				courant littéraire de la fin des années 1970 : « La cicatrice » 
				(《伤痕》). 
				Courant littéraire fugace certes, mais catharsis salutaire après 
				les traumatismes de la Révolution culturelle, amorçant la 
				véritable renaissance littéraire du début des années 1980. 
				       
						Un étudiant comme les autres       
					
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						Il faut dire 
						qu’il n’y a pas grand-chose à raconter des premières 
						années de Lu Xinhua. Il est né en 1954, à Rugao, petite 
						ville du Jiangsu (江苏如皋), 
						dans la juridiction de Nantong, à l’embouchure du 
						Yangtse. Mais il a grandi dans le Shandong, où était 
						posté son père, officier de l’Armée de Libération. Ce n’est qu’après avoir 
						terminé le collège, en 1968, qu’il est retourné à Rugao, 
						Révolution culturelle oblige, dans le cadre d’une équipe 
						de « jeunes envoyés à la campagne » (下乡青年). |  | 
						
						 
						Rugao, les jardins Shuihui 
						水绘园 |        
					
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						Université Fudan 
						复旦大学 |  | 
						En 1973, il 
						s’engagea dans l’armée, sans doute par tradition 
						familiale, mais aussi comme beaucoup d’autres jeunes 
						Chinois à l’époque. Il fut démobilisé en 1977, et 
						travailla alors un temps comme ouvrier à Nantong avant 
						d’entrer, en 1978, à l’université Fudan, à Shanghai, 
						dans le département de littérature chinoise (复旦大学中文系). 
						Il se joignit d’abord à un groupe de poésie, puis fut 
						versé dans un autre groupe, 
						d’écriture de 
						nouvelles. C’est alors qu’il commença à écrire. |  
				       
				L’incroyable succès de « La cicatrice » 
				       
				De la conception à 
				la publication 
				       
				Il écrivit alors une 
				nouvelle qui était basée sur les souvenirs personnels d’une 
				jeune fille avec laquelle il 
				s’était fiancé, et qui 
				devint plus tard sa femme. Il commença à la rédiger chez elle, 
				au début du mois 
				d’avril, installé dans 
				une petite mansarde, sur la machine à coudre de sa mère : 
				« C’était la veille du Premier de l’An, la fenêtre du train 
				donnait sur une nuit d’encre…. ». Il y passa sept heures. 
				       
				En écrivant les plus de 
				sept mille caractères qui constituent « La cicatrice » (que l’on 
				peut aussi traduire par « La blessure »), il sentait les larmes 
				le submerger, raconta-t-il par la suite, les personnages et les 
				situations qu’il évoquait le bouleversaient, mais en même temps, 
				il avait le sentiment d’une renaissance. Il se dit que, même 
				s’il devait mourir, s’il arrivait à laisser ce document à la 
				postérité, il n’aurait pas vécu pour rien. 
				       
				Il l’envoya à divers 
				journaux, sans succès : personne ne se serait engagé à publier 
				un texte pareil dans le conditions de l’époque. On en était 
				encore, au niveau idéologique, aux « deux quelles que soient » (两个凡是) de Hua 
				Guofeng (华国锋), 
				c’est-à-dire à une soumission absolue à la personne et aux 
				préceptes de Mao (1). Même le professeur de Lu Xinhua pensait 
				qu’il était impossible de publier cette nouvelle. Il la rangea 
				donc sagement dans un tiroir. 
				       
					
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						Elle y serait 
						restée longtemps si le département de chinois de Fudan n’avait voulu 
						créer un de ces journaux muraux (墙报)
						qui 
						fleurirent alors en Chine. On demanda une nouvelle aux 
						étudiants du groupe de Lu Xinhua ; il sortit la sienne 
						du tiroir et alla la coller sur le panneau mural, à 
						l’extérieur de son dortoir.        
						Il fut attiré 
						dehors par le bruit des étudiants amassés devant le 
						panneau ; beaucoup de filles lisaient silencieusement en 
						pleurant, mais les autres commentaient bruyamment. La 
						nouvelle se répandit, et la foule arriva à flots 
						continus. Finalement, le journal mural attira l’attention de 
						la presse ; le ‘Wenhuibao’ (《文汇报》)décida 
						de publier la nouvelle, mais, devant les risques 
						encourus, les éditorialistes de la revue attendirent 
						encore trois mois avant de  |  | 
						 
						L’édition originale de « la cicatrice »
						 |  
				sauter le pas : la 
				nouvelle fut publiée dans un numéro spécial le 11 août 1978.       
				Le succès de la 
				 nouvelle 
				       
				« La cicatrice » est 
				l’histoire d’une jeune fille nommée Wang Xiaohua (王晓华). 
				Pendant la Révolution culturelle, sa mère est accusée de 
				trahison par la Bande des Quatre, et, comme beaucoup de jeunes à 
				l’époque, elle décide 
				de rompre avec sa famille pour tenter de ne pas être éclaboussée 
				par l’affaire. Elle reste ainsi séparée des siens pendant neuf 
				années, au bout desquelles sa mère est finalement réhabilitée. 
				Accablée de remords, elle décide de revenir la voir ; mais, 
				quand elle arrive chez elle, c’est pour apprendre que sa mère 
				est morte. 
				       
				C’est une histoire 
				assez typique de toutes celles qui vont fleurir à la suite, et 
				constituer cette fameuse « littérature des cicatrices » : des 
				histoires de trahison et de repentance, de drames familiaux et 
				de tragédies individuelles, d’accusations injustes et de 
				réhabilitations tardives. Des histoires de sang et de fureur.
				 
				       
				« La cicatrice » est 
				cependant plus un témoignage direct, dans un style peu 
				travaillé, qu’une nouvelle au sens propre ; c’était le sentiment 
				qui comptait, et son expression si longtemps interdite. C’est la 
				brutalité même du récit qui forçait l’émotion, une émotion 
				partagée à vif par tous les lecteurs, qui avaient peu ou prou 
				traversé les mêmes épreuves. C’était le sentiment commun d’une 
				génération, une génération de Wang Xiaohua.  
				    
				  
					
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						La bande dessinée, couverture |  | 
				Lu Xinhua reflétait 
				d’un coup les blessures intérieures des jeunes, et des moins 
				jeunes, autour de lui. Il n’avait pas écrit ses 
				propres souvenirs, mais transmis ce qu’il avait entendu dire, ce 
				qu’on lui avait confié. Du coup sa nouvelle était le reflet de 
				ce que chacun éprouvait et aurait pu écrire. Le succès fut tel 
				qu’il fallut tirer jusqu’à 1 500 000 exemplaires du numéro 
				spécial de la revue. 
						  
						La nouvelle 
						donna même lieu à une adaptation en bande dessinée ou  |  
				 
						liánhuánhuà (连环画)
						signée 
						Liu Yulian (刘宇廉), 
						Chen Yiming (陈宜民) 
						et Li Bin (李斌), 
						jeunes Shanghaïens qui revenaient de près de dix ans 
						passés dans le Nord de la Mandchourie et avaient eux 
						aussi leur lot de cicatrices.  
				    
						La bande 
						dessinée (extraits) : 
						
						
						
						http://www.360doc.com/content/12/0504/21/43123_208692765.shtml 
				  
						Célèbre du jour 
						au lendemain, et loué par 
				les plus hauts 
				dirigeants, y compris Deng Xiaoping, car la 
				nouvelle était dans la ligne de leur politique, Lu Xinhua fut 
				nommé secrétaire du comité des Jeunesses communistes du 
				‘Quotidien du Peuple’ et écrivain des Forces armées, et enfin 
				secrétaire de la section ‘Lettres et Arts’ du ‘Wenhuibao’.
				       
				Tentative de reconversion  
				    
				  
				Il publia encore 
				quelques nouvelles, mais elles ne rencontrèrent pas grand 
				intérêt. L’époque de la « littérature des cicatrices » dura ce 
				que durent les fleurs, une courte saison, deux brèves années en 
				gros. Puis on passa à un genre différent, plus réflexif : Lu 
				Xinhua fut vite obsolète.       
					
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						Il démissionna 
						donc de la revue, et il partit à Shenzhen se lancer dans 
						les affaires, comme tant de gens en même temps, 
						aiguillés par l’appât de gains rendus brusquement 
						possibles par la politique d’ouverture et 
						de libéralisation. Cela consistait surtout à faire du 
						petit commerce, mais il réussit à économiser 500 
						dollars, avec lesquels il partit faire des études aux 
						Etats-Unis, à l’université de Californie à Los Angeles 
						(UCLA), en laissant son épouse aux bons soins de sa 
						famille.  |  | 
						 
						Université de Californie UCLA |  
				       
					
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						A 32 ans, Lu 
						Xinhua  laissa derrière lui sa célébrité d’auteur à 
						succès et se fit tireur de pousse pour gagner sa vie. 
						L’université 
						est située dans le quartier de Westwood Village, un 
						quartier commerçant plein de cinémas, de théâtres et de 
						restaurants, très animé. Les pousses y sont un spectacle 
						usuel, surtout les week-ends, quand la circulation est 
						telle que les voitures ont du mal à passer.        
						Mais il laissa 
						bientôt le pousse pour devenir croupier dans un casino. 
						Au bout de sept ans, il put faire venir sa femme et sa 
						fille. Des tentatives d’investissement se terminèrent 
						cependant par des pertes qui lui coûtèrent une partie de 
						ses économies. Il se dit qu’il n’était pas fait pour le 
						commerce, mais bien plus pour la littérature. 
						       
						         
						Retour à la littérature       |  | 
						 
						« La fille interdite » 
						(《紫禁女》) |  
				Pendant toutes ces 
				années, il n’a pas cessé d’écrire, publiant trois romans : 
				« Rêve de forêt » (《森林之梦》), 
				« Détails » (《细节》) 
				et « La fille interdite » (《紫禁女》). 
				Aucune n’eut de succès, mais il continua malgré tout. Il revint 
				plusieurs fois en Chine, et ne cessa de réfléchir à la situation 
				du pays.        
					
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						Lu Xunhua et son dernier livre, 
						 
						« La richesse comme l’eau » |  | 
						Finalement, en 
						septembre 2010, il publia le résultat de ses 
						réflexions en un livre intitulé : « La richesse comme
						 
						l’eau » (《财富如水》). 
						Le thème général est résumé en une phrase : « le désir 
						effréné de s’enrichir, voilà l’autre cicatrice de cette 
						époque » (对财富的贪婪,是这个时代的另一道伤痕).C’est 
						bien sûr le fruit de son expérience de croupier qu’il 
						rapporte ici : l’argent est comme l’eau, dit-il, passant 
						à toute vitesse d’une poche à une autre, enrichissant 
						celui-ci et laissant celui-là brusquement sur la paille. 
						Et, au passage, emportant le sens des valeurs, de la 
						morale, de la spiritualité et la quête du savoir.         
						Lu Xinhua 
						semble donc avoir bouclé la boucle en revenant au 
						concept initial qui avait fait sa célébrité à vingt 
						quatre ans. Mais sa nouvelle, à l’époque, avait 
						l’intensité et la charge émotive d’une tragédie vécue, 
						partagée par toute sa génération ; rien ne pourra jamais 
						le remplacer. Aujourd’hui  |  
					
						| 
						ne reste 
						plus qu’une réflexion désabusée sur une société dont il 
						se sent étranger. Il fait la leçon, il ne transmet pas 
						une plainte, et c’était la force dramatique de cette 
						plainte qui faisait la valeur de sa nouvelle. 
						       
						Lu Xinhua 
						restera l’auteur d’une nouvelle qui a marqué une époque 
						et une étape de la renaissance de la littérature 
						chinoise après le désert littéraire et affectif de la 
						Révolution culturelle. Il reste un emblème et peine à 
						devenir un écrivain. |  |       
						
						 
						Lu Xunhua aujourd’hui |  
				       
				       
				(1) Voir Repères 
				historiques : « les 
				années 1980 : renaissance » 
				    
				  
				       
				A lire en 
				complément : 
				       
				« La cicatrice » 
				《伤痕》 
				    
				 
				  
				  
				 
 
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