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Xue Yiwei
薛忆沩
Présentation
par
Brigitte Duzan, 8 juin 2015, actualisé
22 janvier 2019
Après un premier roman publié en 1989, Xue Yiwei n’a été
véritablement découvert qu’au début des années 2010 :
professeur invité à Hong Kong, il est alors remarqué par
deux éminents professeurs et critiques, leur
enthousiasme entraînant la soudaine publication de
romans et d’essais et de nouvelles écrits au cours des
deux décennies précédentes, révisés, voire réécrits pour
l’occasion.
S’il est surtout connu pour deux romans, « Désertion » (《遗弃》)
et « Les enfants de Norman Béthune » (《白求恩的孩子们》),
Xue Yiwei est aussi l’auteur de plusieurs recueils de
nouvelles dont les principales, écrites sur une période
de seize ans, forment une remarquable série intitulée
« Les gens de Shenzhen » (“深圳人”).
Aucun de ses textes n’a encore été traduit en français,
Xue Yiwei reste à découvrir.
Du Hunan à Shenzhen |
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Xue Yiwei |
Xue Yiwei
est né en 1964 à Chenzhou (郴州),
dans le Hunan. Quand il avait quelques mois, ses parents ont
déménagé dans la capitale de la province, Changsha (长沙),
et c’est là qu’il a grandi.
Ses biographies mentionnent qu’il est ingénieur informaticien,
diplômé de l’Université
Beihang de Pékin, c’est-à-dire l’Université d’aéronautique et
d’astronautique. Ce n’est pas un parcours très orthodoxe pour un
écrivain ; il s’en est expliqué à la fin d’un article publié en
mai 2013 dans le Southern Weekly (南都周刊)
où il raconte la genèse de son premier roman
.
Ces détails sont intéressants pour ce qu’ils révèlent du
caractère et de la personnalité de l’écrivain.
Disciple d’Héraclite et d’Einstein
A douze ans – on devine l’enfant précoce – il lit « Matérialisme
et empiriocriticisme », où Lénine, en 1909, expose sa théorie de
la connaissance dans la ligne du matérialisme dialectique et de
l’anti-Dühring d’Engels. Lénine citant Héraclite,
Xue Yiwei est frappé par la profondeur de pensée du philosophe
grec, une pensée dialectique avant l’heure
,
fondée sur l’opposition et le conflit comme forces créatrices
fondamentales. Plongé dans sa lecture et emporté par son
imagination,
il pensa, dit-il, que devant la fenêtre était la rue, et qu’il
lui suffirait d’ouvrir la fenêtre pour entendre le bruissement
des gens se frottant les uns contre les autres en passant, et
même, peut-être, la tempête de la Révolution (打开窗就能听到百姓们的摩擦,偶尔还能听到革命的风暴。).
A quinze ans, une autre lecture bouleverse le cours de son
existence, et, cette fois, c’est Einstein qui le subjugue. La
lecture de l’« Introduction à la théorie de la relativité
restreinte et générale »le fascine au point qu’il en oublie de
manger. Il découvre la relativité comme Einstein a découvert la
géométrie euclidienne. Mais Einstein ne lui apporte pas
seulement la théorie de la relativité, il influence aussi le
jeune Yiwei par son amour de l’art, sa passion pour la
philosophie, et ses prises de position en faveur de la paix.
Par contrecoup, Xue Yiwei perd vite tout intérêt pour
l’enseignement scolaire, et en particulier pour le but jugé
vulgaire d’entrer à l’université. Ses résultats s’en ressentent,
comme ceux de son modèle : Einstein n’a jamais été un lycéen
hors pair. Finalement, Xue Yiwei entre à l’Université Beihang de
Pékin (北航大学),
l’Université d’aéronautique et d’astronautique, dans la section
d’études informatiques et il en sort avec un diplôme d’ingénieur
informaticien.
Rebelle au travail en usine
A la fin de ses études, il est affecté à la China Southern
Airlines Power Machinery Corporation (南方动力机械公司)
à Zhuzhou (株洲),
à l’est du Hunan. Il demande illico à être transféré. En ce
début des années 1980, c’était courant chez les jeunes à
l’époque, à l’affût de toutes les opportunités d’un marché en
plein essor ; mais ce n’était pas son cas : il voulait juste
rentrer chez lui pour écrire.
Sa demande, cependant, est refusée. Alors un jour, il est tout
simplement allé dans le bureau de la direction de son
département, et y a laissé une feuille de papier sur laquelle
était inscrit le numéro de téléphone de chez lui, en disant de
prévenir ses parents qu’il leur faudrait prévoir bientôt sa
crémation parce qu’il allait commencer une grève de la faim.
Vingt minutes plus tard, après l’avoir dûment sermonné, le
directeur avait trouvé un compromis. Dans la foulée, les autres
demandes de transfert de jeunes de l’usine furent approuvées.
Dans le boom économique qui a suivi, beaucoup de ces jeunes ont
ensuite fait brillamment carrière, et souvent fortune ; ils sont
devenus « les troupes de choc de la politique de réforme et
d’ouverture » (改革开放的排头兵),
dit Xue Yiwei avec l’ironie qui lui est propre. Certains lui ont
téléphoné pour le remercier. Et Xue Yiwei de commenter tout
aussi ironiquement : « L’individualisme peut parfois avoir un
côté altruiste. » (“个人主义有时候还真的是利他的呢。”).
Petit employé à Changsha
Il est donc revenu à Changsha, chez ses parents. Ceux-ci lui ont
alors trouvé un poste d’intérimaire dans un organisme de
l’administration locale : un bureau d’aide aux pauvres. Mais
l’attitude de ses collègues se payant de plantureux déjeuners
sur les budgets alloués à l’étude des dossiers lui répugne. Il
écourte l’expérience et travaille ensuite dans divers organismes
du Hunan.
Une chambre ambulante |
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Publié en mars 1989 aux éditons des lettres et des arts
du Hunan, son premier roman, « Désertion » (《遗弃》),
clôt la décennie et reflète son expérience. Dans le
climat délétère post-Tian’anmen, il sombre dans
l’indifférence : il a dû être lu par dix-sept personnes
au maximum, dit Xue Yiwei en riant. Le roman est
couronné en 1991, à Taiwan, d’un prix décerné par le
United Daily News (《联合报》)
,
mais il ne sera découvert que plus tard.
Xue Yiwei passe alors sept années solitaires et
studieuses, à étudier et écrire. En 1993, il est admis
dans le département des langues étrangères de
l’université de Canton (广州外国语学院),
et en sort avec un doctorat en littérature en 1996. De
cette période date l’une de ses nouvelles préférées : « Emeute
à Canton » (《广州暴乱》).
De 1991 à 1996, il publie des nouvelles dans diverses
revues |
littéraires, en Chine continentale, mais aussi à Taiwan et à
Hong Kong. Plusieurs d’entre elles seront reprises, après
révision, dans un recueil complété d’autres, publié en 2006 aux
éditions Huacheng (花城出版社) :
« La chambre ambulante » (《流动的房间》).
C’est aussi pendant cette période, dans la décennie du
milieu des années 1980 au milieu des années 1990, qu’il
écrit de courts récits publiés dans un recueil portant
le titre de l’un d’eux : « Le dauphin
qui a refusé de partir » (《不肯离去的海豚》).
Certains peuvent entrer dans la catégorie des
« nouvelles courtes », mais d’autres, plus brefs, sont
difficiles à définir. Le style même est très divers,
allant du réalisme au fantastique et au surréalisme. On
ne peut donc pas non plus les définir en fonction d’un
genre ou d’un style littéraire. Il semble que le style
corresponde à l’inspiration du moment, d’un jeune
écrivain pendant vingt ans à la recherche de tous les
possibles.
De Shenzhen au Canada et à Hong Kong
En 1996 il part à Shenzhen et c’est là que son œuvre
prend forme.
1996-2002 : professeur à Shenzhen |
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Le dauphin qui a refusé de partir |
En 1996, il est nommé professeur dans le département de
littérature chinoise
de l’université de Shenzhen (深圳大学文学院).
Il s’immerge dans la vie bruyante et chaotique d’une ville en
plein essor qui devient une formidable source d’inspiration et
nourrit en même temps sa réflexion.
Le Chauffeur de taxi |
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L’une des premières nouvelles qu’il publie alors est
l’une de ses plus célèbres :« Le
chauffeur de taxi » (《出租车司机》).
Initialement publiée en octobre 1997 dans la revue
Littérature du peuple (《人民文学》),
puis en
mai 2000
dans Tianya (《天涯》),
cette nouvelle marque le début d’une série écrite sur
une période de près de vingt ans qui forme un portrait
de Shenzhen et de la vie à Shenzhen : la série des
« gens de Shenzhen » (“深圳人”系列小说).
Si la première est écrite à Shenzhen, les autres seront
écrites au Canada, avec le recul du temps et la distance
du regard.
C’est alors qu’il est découvert par le critique
littéraire He Huaihong (何怀宏),
qui publie fin 1997 dans le Southern Weekly (Nanfang
Zhoumo《南方周末》)
un article sur son premier roman, trois ans après le
prix décerné à Taiwan. C’est le premier signe de
reconnaissance de Xue Yiwei en Chine continentale, mais
il ne rencontre guère d’échos. |
Xue Yiwei part au Canada en 2002.
Professeur à Montréal
A partir de 2002, il poursuit des études de littérature anglaise
et américaine à l’université de Montréal. Et c’est à Montréal
qu’il écrit les plus belles pages de sa série des « gens de
Shenzhen », dont la nouvelle « Une "Villageoise" » (《“村姑”》) :
l’histoire d’une « villageoise » canadienne, divorcée pour
tenter d’échapper à une vie d’ennui, qui rencontre dans un train
un peintre chinois en voyage ; tous deux sont en train de lire
la « trilogie de New York » de Paul Auster…. Xue Yiwei utilise à
merveille sa propre expérience pour tisser ce récit qui brode
sur le décalage culturel.
En même temps, en 2006 et 2007, il écrit les critiques de livres
pour deux revues littéraires chinoises : le Southern Weekly (《南方周末》)
et Essays (《随笔》).
Ces articles seront publiés au début des années 2010 dans le
recueil « La patrie littéraire » (《文学的祖国》)
après avoir été révisés, voire totalement réécrits, ce qui est
une constante chez Xue Yiwei.
Il publiera en même temps un autre recueil d’essais, « Duplicata
d’une génération » (《一个年代的副本》)
qui regroupe des textes non plus sur des livres, mais sur des
gens :
不“以书为本”而“以人为本”.
Mais ce sont aussi des réflexions très personnelles, où le sujet
est très souvent lui-même :
“以我为本”.
La reconnaissance par Hong Kong
Finalement, en 2009 et 2010, il est professeur invité à
l’Université de la ville de Hong Kong (香港城市大学).
C’est là qu’il est remarqué par deux autres professeurs,
invités, eux, à l’université Lingnan (岭南大学)
: Wolfgang Kubin, et surtout Liu Zaifu (刘再复)
.
Par hasard, ce dernier litla nouvellede Xue Yiwei «
Dernière étape sur la voie du Paradis » (《通往天堂的最后那一段路程》) quiest
publiée en août 2009 dans une collectiondes éditions
Huacheng éditée par
Lin Xianzhi et Xiao Jianguo (林贤治、肖建国) :
« Le trésor national des nouvelles
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Liu Zaifu |
"moyennes" » (《中篇小说金库》)
– collection qui comprend des classiques comme « La véritable
histoire d’AQ » (《阿Q正传》)
de
Lu Xun
(鲁迅).
Liu Zaifu publie derechef un article enthousiaste intitulé « La
folle joie de lire les nouvelles de Xue Yiwei » (《阅读薛忆沩小说的狂喜》) :
il écrit avec ‘des lettres d’or’, dit-il, et une force peu
commune. L’article paraît en février 2010 dans le Ming Pao (《明报》)
et il est aussitôt repris dans le Nanfang Dushibao (《南方都市报》)
.
L’article ayant suscité énormément d’intérêt, Liu Zaifu publie
tout un dossier en mai dans le Ming Pao : « "Désertion", vingt
ans après : un dossier littéraire singulier » (《遗弃二十年:一份奇特的文学档案》).
Il redonne ainsi une nouvelle jeunesse au « vieux livre » (“旧书”又再一次成为了“新闻”),
mais attire aussi l’attention sur toute l’œuvre de son auteur.
Les critiques se multiplient. Le philosophe hongkongais Li
Tianming (李天命)
va jusqu’à parler de « génie » (“天才”).
Cet enthousiasme entraîne une véritable fièvre éditoriale, qui
commence par Taiwan. Le second roman de Xue Yiwei,
« Les
enfants du docteur Béthune » (《白求恩的孩子們》),
est publié chapitre par chapitre dans la revue littéraire New
Land (《新地》)
à partir du deuxième numéro de 2011 ; le livre sort peu après.
Les année 2012/13 sont ensuite marquées par la publication en
Chine continentale d’une série de titres, comme s’il fallait
soudain rattraper le temps perdu : réédition des deux romans,
édition de deux recueils de nouvelles, des deux recueils
d’essais « La patrie littéraire » et « Duplicata d’une
génération », auquel est joint un troisième, « En voyageant avec
Marco Polo » (《与马可•波罗同行》),
et édition critique des histoires de guerre, sous le titre « La
dernière étape sur la voie du Paradis ».
En 2014, il publie un troisième roman très original, « Le nid
vide » (《空巢》),
qui rencontre immédiatement un grand succès.
Xue Yiwei fait désormais partie des écrivains chinois
« en vue » ; de façon caractéristique, il a participé en
octobre 2014 à un colloque international sur la
littérature contemporaine chinoise organisé par
l’Université des sciences et technologies de Hong Kong,
aux côtés de …
Chi Zijian (迟子建)
et
Yan Lianke (阎连科).
Mais il n’est encore quasiment pas traduit, à part deux
nouvelles traduites en anglais, dont ce qui est
désormais son grand classique, « le Chauffeur de taxi »,
régulièrement réédité depuis douze ans.
Une œuvre où prédomine la forme courte
Si Xue Yiwei a commencé par écrire un roman, ce fameux
« Désertion » qu’il a révisé et réédité plusieurs fois,
ce sont surtout les textes courts qui sont
représentatifs de son style, essais et nouvelles, dont
la distinction est d’ailleurs parfois difficile à
établir nettement.
Trois romans |
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Désertion, édition 1989 |
« Désertion »
《遗弃》
Roman essentiellement autobiographique, écrit à l’âge de
24 ans, publié l’été 1989, la veille de ses 25 ans, et
réécrit à 48 ans, il reflète indirectement les
événements et l’atmosphère de la fin des années 1980.
Il raconte l’histoire du jeune Tulin (图林)
,
« chômeur
volontaire » et « philosophe amateur », à partir de son
agenda. Il couvre une périoded’une année, mais, du début
de septembre à la fin de l’année, il manque des pages.
Tulin vit en ermite moderne après avoir renoncé à son
poste de fonctionnaire ; il observe en marge le chaos du
monde et voit mourir les gens autour de lui : son
grand-père maternel, qui était malade, son ancien
supérieur, le chef du département où il travaillait, et
son petit frère, qui était soldat. Sa petite amie est
enceinte de quelqu’un d’autre, puis en épouse un autre.
Tout semble être condamné à l’échec. La seule chose
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Désertion, réédition 1999 |
de positive, c’est qu’il a fait du chemin, un chemin que bien
peu de gens peuvent parcourir, auquel on accède par une porte
très étroite.
« Les enfants du docteur Béthune »
《白求恩的孩子们》
Roman écrit pendant que l’auteur habitait Montréal,
ville où le docteur Béthune a vécu huit ans, de
1928 à 1936,
avant de partir en Espagne pendant la guerre civile
espagnole, puis en Chine, pendant la guerre
sino-japonaise, où il a rejoint la 8ème Armée
de route et organisé des antennes médicales mobiles. Mao
Zedong lui a rendu hommage dans un texte que tous les
écoliers chinois apprenaient par cœur
…
Donc, en se promenant dans les rues de Montréal, Xue
Yiwei se prenait à le réciter automatiquement. Il a
passé deux ans à faire des recherches dans le musée de
la ville où sont rassemblés lettres, photos, documents
et objets laissés par le médecin.
Une partie du roman est une longue lettre d’amour écrite
à sa femme par un médecin américain nommé White (白comme
le premier caractère de la transcription de Béthune). Il
écrit d’un petit village sur les bords du Yangtse, en
mars |
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Les enfants de Norman Bethune |
1938, alors qu’il est en route pour rejoindre Yan’an. Le
narrateur est un homme dont le père était interprète du
médecin. Avant sa mort, le médecin a confié la lettre à
son interprète, mais celui-ci l’a gardée, et son fils la
publie soixante ans plus tard…. Il ne s’agit pas d’une
recréation de la vie du médecin, mais d’une réflexion
sur les absurdités et les tragédies de l’histoire
contemporaine à travers trois enfants de deux familles
chinoises qui sont hantés par le fantôme de Béthune.
« Le Nid vide »《空巢》
Publié en 2014, ce roman est considéré par l’auteur
comme une nouvelle étape de son processus de maturation
d’écrivain. Il est inspiré d’une histoire vraie, une
arnaque, mais l’utilise comme prétexte pour dépeindre, à
travers ses réactions, la psychologie d’une vieille dame
qui en est victime.
Nouvelles |
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Le nid vide |
Dernière étape sur la voie du Paradis |
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Outre la série célèbre des histoires de
guerre regroupées dans le recueil «Dernière étape sur la
voie du Paradis » (《通往天堂的最后那一段路程》),
les plus célèbres des nouvelles de Xue Yiwei sont celles
qui constituent la série « Les gens de Shenzhen »
(“深圳人”系列小说集)
dont l’écriture s’est étalée sur une période de seize
ans. La première nouvelle, « Le Chauffeur de taxi » (《出租车司机》),
a initialement été publiée dans Littérature du peuple (《人民文学》)
en octobre 1997, et la dernière, « L’enfant prodige »
(《神童》)
dans Shouhuo (《收获》)
en mars 2013. C’est une série de portraits à rapprocher
de la grande tradition chinoise des tableaux de la vie
urbaine dans la lignée de
Lao She.
« Le Chauffeur de taxi » a été écrite à Shenzhen,
mais c’est la seule. Les autres l’ont été à Montréal et
Hong Kong. C’est donc un regard distancié que Xue Yiwei
porte sur |
« la ville la plus jeune » de Chine, comme il dit dans « La
"Villageoise" » (《“村姑”》),
une distance qui permet la réflexion.
Ce sont des descriptions emblématiques de la vie en Chine, comme
celle de ce petit marchand, dans la nouvelle « Le petit
marchand ambulant » (《小贩》)
qui
lui a été inspirée d’une histoire de sa jeunesse : l’attaque
sanglante d’un petit marchand par un groupe d’étudiants. La
nouvelle est racontée par un enfant de treize ans qui ressent
autant de mépris pour la tradition que d’insatisfaction
vis-à-vis de la réalité du présent. Et le malheureux marchand,
après l’attaque des étudiants, est en butte à la fureur des
forces de l’ordre. Doublement maltraité, victime impuissante, il
a quelque chose du malheureux Kong Yiji (孔乙己)
de
Lu Xun.
Tous ces portraits sont originaux, avec un côté subversif de la
tradition, dans la conception et la thématique. C’est le cas,
par exemple, de « La Mère » (《母亲》),
dont le seul titre évoque bien sûr toute une cohorte de mères
dignes, courageuses, voire héroïques, à commencer par celle de
Gorki. Rien de tout cela chez Xue Yiwei : écrite à la première
personne, comme un monologue, dans un style qui rappelle
Virginia Woolf par certains côtés, sa nouvelle est une approche
psychologique des tourments intimes d’une jeune femme mariée, la
description de son insatisfaction d’un mari strictement attaché
aux règles, de sa soif d’amour et de liberté, et de son amour
secret pour un homme marié. La mère fait place à la femme, dans
une vision subjective moderne. Le titre est volontairement
trompeur.
Dans « La prof’ de physique » (《物理老师》),
un élève est dévoré par un amour sans espoir pour son professeur
à qui il écrit un poème :
“黑夜的河流上
Dans l’obscurité de la nuit
词是颤栗的星光
les mots sont la lumière vacillante des astres
生命的桨
Les rames de l’existence
溅起意义的哀叹
nous éclaboussent
de sens comme autant de soupirs
好像时间
On dirait que le temps
是即将降临的灾难。” du
désastre final est imminent.
Xue Yiwei déploie ici un style d’un autre registre, se révélant
un excellent poète. Non seulement le poème est construit sur
desubtiles allitérations en an et i (…xīngguāng
/ shēngmìngde jiǎng / jiànqǐ yìyìde āitàn /…),
mais il exprime une sorte de synthèse de l’esprit de la
série.
Essais
Xue Yiwei a également écrit un grand nombre d’articles
et d’essais publiés dans différents recueils, l’un des
plus originaux étant sa série d’essais à partir du livre
d’Italo Calvino commencée pendant la période 2006-2007 :
« En voyage avec Marco Polo – lecture des Cités
invisibles » (《与马可•波罗同行》读《看不见的城市》).
Divisant les cités présentées par Marco Polo à
l’empereur en deux catégories – celles qui sont en
harmonie avec le désir qu’on en a et celles qui le
déçoivent, il en tire des conclusions sur la ville
moderne et la cité idéale.
Mais les
essais sont indissociables des nouvelles. Ainsi, les
nouvelles de la série des « gens de Shenzhen » sont
écrites avec la distanciation que donne l’étranger.
Entre ces lieux divers d’écriture,
c’est la langue qui fait le trait
d’union, c’est la langue le pays d’origine, et la
littérature la patrie, ce qu’il a exprimé dans son
recueil d’essais « La patrie littéraire » (《文学的祖国》).
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En voyage avec Marco Polo |
Ce qui fait le lien entre tous ces écrits, cependant, et qui
rend l’œuvre parfaitement homogène, c’est la profondeur et
l’originalité de la pensée qui les fonde.
Traduction en français
Les Gens de Shenzhen,
trad. Michèle Plomer, éditions Marchand de feuilles, Montréal
(Québec) 2017, 224 p.
Traductions en anglais
Deux nouvelles :
The Old Soldier, translated by Birgit Linder, Renditions, n° 74
(Autumn 2010), pp 100-105
The Taxi Driver, translated by Ken Liu, Pathlight, hiver 2012
Un recueil
de cinq récits de guerre :
Xue Yiwei and
his War Stories
Shenzheners, nine short stories translated by Darryl Sterk,
paperback and kindle editions,
Linda Leith Publishing, sept. 2016.
A lire en complément
A Writer Living in a Strange Land: An Interview with Xue
Yiwei
The Los Angeles Review of Books, 06/14/2017
https://blog.lareviewofbooks.org/chinablog/writer-living-strange-land-interview-xue-yiwei/
« Dubliners » de James Joyce étant en filigrane derrière
« Shenzheners » qui lui est dédié, l’interview porte sur
l’influence de Joyce sur la littérature chinoise, et les
similarités entre Shenzhen aujourd’hui et Dublin il y a un
siècle : Shenzhen, la ville la plus jeune de Chine et
Dublin, la ville la plus décadente.
A écouter en complément
Xue Yiwei, électron libre chinois
Interview de Rti (Radio Taiwan international, 03.01.2019)
http://fr.rti.org.tw/archives/94923
关于生活的证词
A propos de ma vie, témoignage.
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