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Sheng Keyi
盛可以
Présentation
par Brigitte Duzan, 31 juillet 2013,
actualisé 16 mars 2022
Née en 1973, Sheng Keyi (盛可以)
est l’une de ces jeunes romancières chinoises qu’un
premier roman a soudain portée au pinacle. C’était en
2004 : elle a alors été saluée comme l’un des auteurs
(féminins) les plus prometteurs de sa génération. Le
roman - « Filles du Nord » (《北妹》)
- a depuis lors été traduit en une demi-douzaine de
langues.
« Filles du Nord » traitait, il est vrai, d’un sujet
inédit, en grande partie autobiographique, dans un ton
très libre traduisant une forte personnalité. C’est une
première œuvre, écrite sous l’impulsion du sentiment
très fort d’avoir à témoigner. Sheng Keyi a depuis lors
beaucoup travaillé. Elle a écrit six autres romans, dont
le dernier a été publié en janvier 2015, en même temps
qu’une nouvelle moyenne très originale, tant par le
sujet que la forme. Mais il ne faudrait pas pour autant
négliger ses nouvelles courtes.
Mingong au féminin |
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Sheng Keyi présentant
un nouveau livre en 2016 |
Sheng Keyi est née en 1973 à Lanxi (兰溪),
district de Yiyang, dans la province du Hunan (湖南益阳).
Son enfance au village, elle l’a décrite dans un article publié
le 2 décembre 2011 dans le New York Times sous le titre « A
River’s Gift » (1) qui commence par cette confession :
« Quand j’étais plus jeune, j’avais honte d’admettre que je
venais d’un village perdu, mais je n’avais pas non plus le
courage de me vanter d’être de la ville ; en général, je disais
donc simplement que j’étais banlieusarde. Mais, maintenant, il
me faut avouer la vérité : je suis née dans un village isolé. »
Petite campagnarde du Hunan
Une vieille rue de Lanxi |
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Elle ne peut ni ne veut plus s’en cacher : ce misérable
village au bord d’une rivière, c’est son point de
départ, là où elle serait encore, comme les autres, si
elle n’avait eu l’ambition et le courage de s’en
évader ; c’est aussi l’inspiration d’une partie de son
œuvre : ses nouvelles sur des sujets ruraux, moins
connues que ses romans ou ses nouvelles urbaines, où
elle prend parfois un ton bucolique et nostalgique pour
évoquer la beauté de la nature locale, préservée au
moins dans les souvenirs de son enfance. |
C’est là qu’elle a vécu la fin de la Révolution culturelle, la
chute de la Bande des Quatre et le lancement de la politique
d’ouverture, mais tout cela n’avait guère de résonance dans le
village. Ce dont elle se souvient, c’est de la pauvreté au
quotidien : sa mère luttant pour avoir du riz, ou vendant
quelques œufs pour payer ses frais de scolarité, et le chemin
pour aller à l’école, pieds nus dans la glaise dans le froid du
matin ; et malgré tout, elle garde aussi des souvenirs joyeux,
ceux des bons moments passés à se baigner, pêcher, attraper des
crevettes, comme tout enfant vivant au bord d’une rivière …
La pauvreté, cependant, caractérisait aussi les conditions
d’enseignement. Quand elle était en classe élémentaire, le
bâtiment de l’école s’est effondré, et n’a pas été reconstruit
tout de suite. Pendant trois ans, c’est la pièce principale de
sa maison qui a tenu lieu de salle de classe provisoire, avec
des piles de briques comme bureaux. Non seulement il n’était pas
question de manuels ni de livres, mais même le papier blanc
était une rareté. Elle avait beau être une élève studieuse,
inutile de dire que, dans ces conditions, la littérature était
un monde inaccessible.
Dans l’article du New York Times déjà cité, elle raconte ses
premières découvertes du plaisir de la lecture, par hasard, et
par effraction. A l’âge de six ou sept ans, alors qu’elle était
allée à Yiyang avec sa mère rendre visite à sa grand-mère et
qu’elle attendait le bateau pour revenir à Lanxi, elle
feuilletait un livre illustré sur les Trois Royaumes quand le
bateau arriva. Elle partit en volant le livre dont elle se
délecta ensuite des images, connaissant encore trop peu de
caractères pour pouvoir le lire.
Sa seconde expérience littéraire eut lieu quelques années plus
tard, quand elle était au lycée. Son grand-père était un grand
lecteur, mais enfermait jalousement ses livres sous clef. Or, un
jour qu’il avait laissé sa porte ouverte, s’étant glissée dans
sa chambre, la jeune Sheng Keyi ouvrit la « boîte aux trésors »
et y trouva un livre de Louis Cha, ou
Jin Yong (金庸),
le grand maître de la
littérature de wuxia.
Elle sélectionna quelques passages de romance et de combats, les
lut rapidement et remit le livre à sa place. Elle ressentit pour
la première fois la joie de la lecture, accrue par le frisson de
l’interdit.
On mesure l’isolement, le retard économique et intellectuel, et
le désir de s’en sortir, désir qui l’a poussée, en 1994, à
partir à Shenzhen pour tenter de se faire une place dans
l’eldorado chinois.
« Fille du Nord » à Shenzhen
Filles du Nord |
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Son expérience de la ville, elle l’a décrite dans son
premier roman, « Filles
du Nord » (《北妹》),
publié en 2004. Ces « filles venues du nord », ce sont
toutes les filles comme elle, venues participer au boom
économique au début des années 1990, et au formidable
bouleversement social qui en est résulté, avec,
parallèlement, un processus d’urbanisation accéléré.
Elle y décrit la lutte pour trouver des emplois, tous
précaires, et l’inévitable écueil, au bout du compte,
qui menace ces travailleuses mingong dont on
parle beaucoup moins que de leurs confrères : le corps
féminin comme ultime atout dans la course à la réussite
économique et à l’ascension sociale, avec les dérives
liées, les avortements à répétition en particulier (2).
Sheng Keyi a écrit son livre dans un état quasi
extatique, comme un cheval fou, dit-elle, dans la joie
de découvrir |
une
nouvelle liberté, celle d’écrire. Le roman traduit cet
enthousiasme, avec une fraîcheur de ton qui a séduit. Cet
enthousiasme même traduit cependant une spontanéité qui tient du
cri primal, et derrière laquelle affleure une légère
inexpérience. Elle dit elle-même en être consciente dans la
postface du roman, mais c’est aussi ce qui le lui rend très
cher, comme un premier né. La fin est ouvertement influencée par
le fameux « réalisme magique » latino-américain qui a "sidéré"
la littérature chinoise pendant plus de quinze ans (au sens
littéral de méduser), mais elle tient plus de l’univers
carnavalesque de Bakhtin que du monde de García Márquez et
laisse un vague sentiment de malaise.
Cependant, il est certain que « Filles du Nord » traitait de la
condition féminine en Chine comme personne ne l’avait fait
auparavant, et le style général annonçait une œuvre qui n’a fait
ensuite que s’affiner en se diversifiant.
A découvrir : romans et nouvelles
Sheng Keyi a quitté Shenzhen en 2001 et vit aujourd’hui à Pékin,
dans le quartier de Chaoyang. C’est à son arrivée à Pékin
qu’elle a commencé à écrire, en débutant par quelques nouvelles,
publiées dès 2002. C’est cependant presque exclusivement pour
ses romans qu’elle est connue.
Six autres romans
« Filles du Nord » (《北妹》)
n’est pas le premier roman qu’elle a écrit. Son premier
roman fut en fait ce qui pourrait être traduit par «
Emulsion d’eau et de lait » (《水乳》),
initialement publié dans le numéro d’automne-hiver 2002
de la revue littéraire Shouhuo (《收获》).
Le sujet est représentatif des premiers écrits de Sheng
Keyi : c’est l’histoire d’une femme partagée entre sa
vie conjugale et une aventure extérieure, mais qui finit
par concilier les deux, comme l’indique l’image du
titre.
La condition féminine, dans ses romans comme dans ses
premières nouvelles, passe nécessairement par des
dilemmes sentimentaux ; les femmes sont conditionnées et
définies par leur sexualité, dans une société machiste
et patriarcale où la liberté sexuelle apparaît comme la
précondition de la liberté tout court. C’est sans doute
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Emulsion de lait et d’eau |
le
reflet de son expérience personnelle, traduite en termes durs,
dans un style froid et acéré.
Demaotang |
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Ecrit dans le calme du village de Demaotang (道德颂),
au pied des monts Huangshan, qui a déjà inspiré son
quatrième roman, publié en 2007, son sixième roman, « Death
Fugue » (《死亡赋格》),
paru en 2013, apparaît comme une tentative d’élargir sa
thématique narrative (3). Il s’agit d’une sorte de fable
allégorique sur une quête illusoire de la liberté.
Le personnage principal est un poète, plus rêveur que
radical. Au cours d’une manifestation, il rencontre une
physicienne dont il tombe amoureux. Alors que le
mouvement de protestation se développe, celle-ci en
prend ensuite la tête et disparaît quand l’armée
intervient pour rétablir l’ordre, dans un bain de sang.
Le poète perd ses idéaux et devient médecin, mais,
tourmenté par le passé, finit par partir à la recherche
de son amie. |
Emporté par un cyclone, il se retrouve dans une vallée
perdue où il découvre une brillante civilisation qui
semble lui promettre liberté, ordre et beauté, et même
l’amour, sous les traits d’une autre femme. Mais ce ne
sont qu’apparences : il s’agit en fait d’une dictature
pratiquant les mariages arrangés par ordinateur, la
sélection génétique, l’élimination des bébés non
conformes et des vieillards. Le poète fait plusieurs
vaines tentatives de fuite avant de faire une découverte
sidérante qui clôt le roman…
Sheng Keyi a affirmé qu’elle est plus influencée par ses
lectures que par ses expériences personnelles. On sent
ici l’influence directe des romans allégoriques de
Georges Orwell et du monde absurde de Cortazar, de même
qu’une analogie avec « La Source des pêchers en fleur »
(《桃花源记》)
de Tao Yuanming (陶淵明).
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Death Fugue |
Barbaric Growth |
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« Death Fugue » a été traduit en anglais, et la traduction
publiée en septembre 2014. En revanche, le sujet a fait peur aux
éditeurs chinois, y compris Penguin. Le roman est une claire
dénonciation des événements de Tian’anmen, en juin 1989. Sheng
Keyi n’en a longtemps connu que la version officielle, vue sur
le petit écran de télévision, chez elle, au village. C’est un
ami qui les avait vécus qui lui en a donné une autre version,
quand elle était à Shenzhen. Elle s’était alors juré d’en
témoigner (4). Le livre n’est paru qu’à Hong Kong et à Taiwan.
En janvier 2015, elle a publié un septième roman, « Barbaric
Growth » (《野蛮生长》),
découpé en chapitres très courts, dans une écriture beaucoup
plus concise. Il est en outre illustré de ses propres dessins et
poèmes.
Ces romans, cependant, ne doivent pas faire négliger les
nouvelles de Sheng Keyi. Elle apparaît plus percutante
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dans la
forme courte, ce qui tient peut-être tout simplement à la
manière dont elle écrit : elle dit s’astreindre à écrire un
minimum de 1 500 caractères tous les matins quand elle écrit un
roman, alors qu’elle ne s’impose pas la même contrainte quand
elle écrit des nouvelles – et des nouvelles courtes plus
volontiers que des nouvelles "moyennes" : elle prend alors la
plume en toute liberté, poussée par l’inspiration.
De nombreuses nouvelles
Les premiers écrits publiés par Sheng Keyi furent des nouvelles,
en 2002. On suit ensuite l’évolution de sa thématique et de son
style d’un recueil à l’autre.
1.
Sujets urbains
Il semble y avoir un tournant dans son œuvre en 2008,
c’est-à-dire après le début de ses retraites à
Demaotang. Comme noté plus haut, son style était au
départ acéré et sans aménité, un peu dans le genre des
nouvelles de Carver ou celles de Salinger, auquel elle
voue d’ailleurs une grande admiration. Un style ciselé
au scalpel, comme celui triturant les chairs pour
éradiquer une tumeur dans sa nouvelle « Opération » (《手术》) .
Le recueil de 2006, « Mesures prises pour se
réchauffer » (《取暖运动》),
est encore une série de cinq « histoires d’amour peu
ordinaires », qui est son thème de prédilection depuis
ses débuts. Peu à peu, cependant, les nouvelles
changent de ton : elles ne sont plus aussi sombres et
acerbes, les thèmes se diversifient, les narrations
étant désormais bâties autour d’un élément de mystère
qui n’est dévoilé qu’à la fin. Peu à peu, Sheng Keyi
réussit à joindre l’intérêt narratif à la qualité
stylistique. |
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Mesures pour se réchauffer |
Un monde inexpérimenté |
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La nouvelle « Un monde inexpérimenté » (《缺乏经验的世界》),
publiée en 2008, reste peu probante. Sheng Keyi y
dépeint une romancière d’âge mûr soudain attirée par un
jeune garçon qui se trouve être son voisin dans un
train ; le style descriptif tente de décrire sa
psychologie, mais reste vaguement superficiel : la femme
est réduite à sa qualité d’écrivain et à son attirance
pour son voisin épisodique, l’une venant relayer
l’autre, comme si une femme ne pouvait être décrite en
profondeur que par ses pulsions physiques. C’est l’une
des caractéristiques courantes des femmes de Sheng Keyi.
La nouvelle qui marque la transition a en fait été
publiée début 2010 dans la revue littéraire Shouhuo (《收获》) et
c’est aujourd’hui l’une des plus célèbres de l’auteur :
« Les prairies blanches » (《白草地》).
Sheng Keyi y relate l’histoire d’un homme, vendeur dans
un grand magasin de |
produits de luxe américains, qui a une double relation
extra-conjugale, avec Maya (玛雅)
et Duoli (多丽)
qui a subi l’ablation d’un sein à la suite d’un cancer – thème
que l’on trouvait déjà dans « Opération ». Malgré tout, sa femme
prend soin de lui. Au moins en apparence, car la fin de la
nouvelle révèle un plan démoniaque.
Sheng Keyi a délaissé le scalpel, ou du moins l’a enrobé
d’humour et d’une certaine chaleur humaine qui est la marque de
ses nouvelles récentes.
2.
Sujets ruraux
Ses nouvelles les plus connues – comme celles citées ci-dessus -
ont des sujets urbains, mais il ne faudrait pas négliger pour
autant celles qui ont la campagne pour thème. C’est dans ces
récits que se révèle une Sheng Keyi plus humaine, plus profonde,
sensible à la nature et surtout à celle qu’elle a connue enfant,
dans son Lanxi
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Le livre de Keyi
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natal. On y
ressent la beauté des paysages, du fleuve et de la végétation
alentour.
Au moment des adieux |
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C’est le cas des nouvelles « Le saule jaune pâle » (《淡黄柳》),
« L’incident du pont de la rivière Lanxi » (《兰溪河桥的一次事件》)
ou « Le nid dans le jujubier amer » (《苦枣树上的巢》)
(5), toutes incluses dans le recueil « Le livre de
Keyi » (《可以书》),
publié en avril 2011.
C’est aussi le sentiment que dégage l’une de ses
dernières nouvelles, datée de mai 2012 :
« Le dit du pêcheur » (《捕鱼者说》).
Elle est écrite à la première personne, par une enfant
de six ans, et l’on y devine en arrière-plan la jeune
Sheng Keyi et la rivière Lanxi avec son petit peuple de
pêcheurs.
Loin des influences littéraires et bien plus que ses
romans, c’est dans ces récits originaux que l’on perçoit
la voix personnelle et chaleureuse d’une Sheng Keyi en
pleine maturité, dix ans après ses premiers pas
d’écrivains. |
3.
Sujets sur la condition féminine
Vers le milieu des années 2010, elle s’est orientée vers des
sujets traitant plus particulièrement de la condition de la
femme, de sa place dans la société chinoise moderne, des droits
qu’elle y a, ou continue de ne pas y avoir.
2015 : Nouvelle courte
L’une de ses meilleures nouvelles, dans ce cadre, est
celle, publiée dans Shouhuo début janvier 2015,
qui figure dans plusieurs sélections de nouvelles de
l’année, dont celle éditée par Lin Ting (2015年短篇小说选萃-林霆-主编) :
Xiao shengming ou « Une infime existence » (《小生命》).
L’histoire est celle d’une jeune fille de seize ans qui
rentre soudain chez elle enceinte de sept mois. Emoi
dans la famille, qui convoque celle de l’impétrant qui
clame son amour, tandis que la jeune fille, elle, reste
silencieuse. Suit un huis-clos pesant entre le père du
garçon, venu avec sa compagne avec laquelle il n’est pas
marié, ce qui ne rend pas les négociations faciles. La
famille du garçon rejette l’idée du mariage, mais on se
rend compte peu à peu que c’est tout simplement parce
qu’ils n’ont pas les moyens de le financer, et encore
moins de participer à l’achat d’un logement pour le
couple. |
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Shouhuo (Harvest), janvier 2005 (n° 1)
avec 《小生命》 |
Tout se termine d’une manière assez inattendue, mais qui trahit
les pensées profondes de l’auteur. La nouvelle n’est pas un
manifeste féministe, mais une étude satirique de la société
chinoise actuelle, et des rouages psychologiques tout autant que
des conditions matérielles qui font que la situation des femmes
n’évolue guère.
Comme toujours chez Sheng Keyi, le style détermine le ton, avec
des descriptions vivantes et originales ; les personnages n’ont
pas de nom ni de prénom, ils sont désignés par des termes
généraux qui les typifient et les transforment en symboles : le
jeune garçon est « ce jeune » (“那小子”) ;
le récit est conté à la première personne par la sœur de la
« grande sœur » (姐姐)
qui est enceinte, et chacun des parents est désigné par son
statut parental.
2016 : Nouvelle moyenne
Un an plus tard, Sheng Keyi termine une nouvelle
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Un Paradis (publication chinoise) |
moyenne,
qui est publiée dans le numéro de mars 2016 de Shouhuo ; c’est
une autre satire de la société vue à travers le prisme féminin :
« Un
Paradis » (《福地》).
2018-2021 : La trilogie de l’utérus
Après « Barbaric Growth », Sheng Keyi s’est lancée dans
l’écriture de romans sur des destins de femmes. De passage à
Paris à la mi-septembre 2018 pour la sortie de la traduction en
français d’« Un
Paradis »,
elle a annoncé une « trilogie de l’utérus » (《子宫三部曲
》),
d’après le titre du second.
Le premier a été publié à Taiwan en septembre 2018 : « Le centre
de désintoxication des métaphores » (《锦灰》)
pour reprendre la traduction de Bruce Humes qui en a traduit un
extrait
(6).
Le Centre de désintoxication
des métaphores |
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Le Souffle de la terre |
Le second, initialement intitulé « Utérus » (《子宫》),
a été publié début 2019 sous le titre « Le Souffle de la terre »
(《息壤》).
Elle y imagine encore une fois un univers dystopique où le
gouvernement chinois veut absolument accroître les naissances,
et, n’ayant pas assez d’utérus à sa disposition, a l’idée de
faire appel à des utérus de fantômes…
Et le troisième volet de la trilogie, « Les Bonnes » (《女佣》),
encore inédit, est tout à fait dans l’esprit de Jean Genet ; il
croise des histoires de femmes de la campagne qui vont
s’embaucher chez des retraités en ville. Ces histoires sont
inspirées d’histoires vraies dont Sheng Keyi a entendu parler
dans son village natal, où elle a eu l’occasion de revenir plus
souvent qu’auparavant après la mort de son père, pour aller voir
sa mère restée seule.
2018-2022 Souvenirs d’enfance
Parallèlement à cette trilogie, Sheng Keyi a publié deux
recueils de textes courts, illustrés d’une série de nouveaux
lavis, sur ses souvenirs d’enfance dans son village du Hunan.
- Le
premier, intitulé « Souvenirs du pays natal » (Huánxiāng
shū
《还乡书》),
est sorti en 2018. Il a presque aussitôt été traduit en
français, et la traduction est parue en mai 2021 aux éditons
Picquier, sous un titre différent choisi par l’éditeur comme
étant représentatif de l’esprit du recueil :
« Le
goût sucré des pastèques volées ».
C’est en fait le titre de l’un des 75 textes courts du recueil
qui évoquent avec nostalgie le paradis perdu à la fois de
l’enfance et du village. Tableau poétique, et même parfois
idyllique, du jardin maternel, avec ses légumes géants (au moins
dans les yeux de l’enfant) et ses jeux interdits. Mais non sans
une certaine rage au cœur, aussi, devant les dégâts
environnementaux constatés à chaque retour dans la maison
familiale, chaque texte se concluant par une réflexion amère sur
le présent.
- Le deuxième recueil,
« Regarder le monde du
dos d’un poisson » (《骑鱼看世界》),
est paru en janvier 2022. Dans le même genre de
textes courts, Sheng Keyi revient une nouvelle fois
sur ses souvenirs d’enfance, mais cette fois sous un
aspect de contes, pour adultes autant que pour
enfants, revisitant les grands classiques qui
étaient au programme des écoles quand elle était en
âge d’y aller. Mais elle en offre une vision
décalée, pleine d’humour, avec toujours la chute
dans le présent à la fin, comme un réveil brutal
après le rêve du passé.
Sheng Keyi a peaufiné son style, aussi simple
apparemment que celui d’un conte d’enfant, mais
infiniment émouvant. À côté de ses grands romans,
c’est un autre aspect de son œuvre à ne pas
négliger.
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Regarder le monde du dos d’un poisson |
Ni
l’un ni l’autre, d’ailleurs, n’est très apprécié des
autorités chinoises. Ses livres sont peu à peu « retirés des
étagères » en Chine, comme beaucoup d’autres.
Notes
(1) Titre original :
《从一条卑微的河流说起》
Article publié sur son blog :
http://blog.sina.com.cn/s/blog_670c01470100vqpw.html
(2) Voir la présentation du roman par Eric
Abrahamsen pour sa traduction en anglais :
http://paper-republic.org/ericabrahamsen/northern-girls-extract/
Un extrait de la traduction :
http://media.paper-republic.org/files/samples/northern.pdf
Une interview en anglais de l’auteur sur son roman :
http://www.danwei.com/northern-girls-interview-with-author-sheng-keyi/
(3) Le terme
赋格曲
fùgéqǔ
désigne une fugue en théorie musicale. « Death Fugue » est une
référence au poème éponyme du poète roumain Paul Celan, datant
de 1948 dans sa version originale en allemand, qui est construit
selon des règles de répétition analogues à celles d’une fugue
musicale. Enigmatique, le poème évoque la « Todesmusik », ou
musique de mort, que les prisonniers des camps de concentration
devaient jouer pour leurs camarades qui allaient être gazés.
(4) Voir l’excellent article du New York Times sur le roman et
ses problèmes de publication :
http://www.nytimes.com/2014/10/11/world/asia/sheng-keyi-death-fugue-tiananmen-chinese-writer.html
(5)
Fructus toosenden ; un arbre utilisé pour ses propriétés
médicinales.
(6)
Extrait du « Metaphor Detox Centre » traduit par
Bruce Humes :
http://bruce-humes.com/archives/12635
Principales publications en Chine à
Taiwan
Romans
《水乳》────《收获》2002年秋冬卷──(2003年春风文艺出版社)
Emulsion d’eau et de lait, 1ère publication :
Shouhuo, automne/hiver 2002
《北妹》──《钟山》2003年春夏卷──(2004年长江文艺出版社)
Filles du Nord, 1ère publication : Zhonshan,
printemps/été 2003
《无爱一身轻》──《收获》2006年秋冬卷──(2006年作家出版社)
Si léger de ne pas aimer * : 1ère publication :
Shouhuo, automne/hiver 2006
《道德颂》《收获》2007年第1期──(2007年上海文艺出版社)
Daodesong : 1ère publication : Shouhuo, janvier 2007
《时间少女》───(2012年1月湖南文艺出版社)
Une jeune fille, comme le temps**, janvier 2012
《死亡赋格》───2013年2月台湾印刻出版社
Fugue de mort, publié à Taiwan, février 2013
《野蛮生长》───2015年1月北京十月文艺出版
Barbaric
Growth, publié à Pékin, janvier 2015.
《锦灰》───2018年9月聯經出版公司
Le Centre de désintoxication des métaphores, publié à Taiwan,
septembre 2018.
《息壤》───
2019年1月人民文学出版社
Le Souffle de la terre, publié à Pékin, janvier 2019
A venir
:
Les bonnes
《女佣》
Nouvelle moyenne ou roman court
Octobre 2016 Un
Paradis 《福地》
Recueils de nouvelles
2002
短篇小说《Turn
On》───Nouvelle
publiée
dans “Shouhuo”《收获》
2002
短篇小说集《谁侵占了我》───时代文艺出版社
Recueil de nouvelles courtes : “Qui m’a conquise ?”
2006
中篇小说集《取暖运动》───春风文艺出版社
Recueil de cinq nouvelles "moyennes" :
« Mesures pour se réchauffer »
Avril 2011
短篇小说集《可以书》───吉林出版集团
Recueil de nouvelles courtes : « Le livre de
Keyi » (ou : Le livre des possibles)
Octobre 2011短篇小说集《缺乏经验的世界》────海天出版社
Recueil de nouvelles courtes : « Un monde inexpérimenté »
Juin 2011
中篇小说集《在告别式上》────21世纪出版社
Recueil denouvelles "moyennes" : « Au moment
des adieux »
Décembre
2012
十年精选《留一个房间给你用》──北京燕山出版社
Recueil des meilleures nouvelles de
la
décennie :« Il reste une pièce pour toi »
* jeu de mots sur le chengyu
无官一身轻
wúguān
yìshēnqīng :
se sentir soulagé de ne plus avoir de poste officiel.
** une fille, c’est comme le temps : une fois sa
chasteté envolée, elle ne revient pas.
Traductions en anglais :
par Shelly Bryant
- Northern Girls 《北妹》, Penguin China/Australia, mai
2012.
- Wild Fruit 《野蛮生长》, Penguin eBooks, novembre 2018
- Death Fugue 《死亡赋格》, Giramondo Publishing, septembre
2014, Restless Books août 2021.
Traductions en français
« Le Dit du pêcheur » (《捕鱼者说》),
nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu,
Publiée dans Books magazine, n° 49 décembre 2013.
http://www.books.fr/litterature-et-arts/paroles-de-pecheur/
« A l’article de
la mort » (《弥留之际》), nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu
Dans l’anthologie : Les rubans du cerf-volant, Gallimard/ Bleu
de Chine, mars 2014, pp 163-181.
« Le sieur de l’encens »
(《香烛先生》), nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu
Publiée dans Promesses littéraires, Editions en langues
étrangères, Pékin 2014, p. 52-67.
« Un
Paradis » (《福地》), roman
traduit par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu
Philippe Picquier, septembre 2018, 176 p. Picquier poche, mai
2021, 192 p.
«
Le Goût sucré des pastèques volées
»
《还乡书》, recueil de souvenirs d’enfance illustrés
d’aquarelles de l’auteure, traduits par Brigitte Duzan/Ji
Qiaowei, éditions Picquier, mai 2021, 176 p.
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Le Goût sucré des pastèques volées |
Sheng Keyi est
également peintre et poète.
L’une de ses peintures récentes (mai 2016) est une vision
onirique de sa campagne natale, un souvenir d'enfance. On
imagine la petite Keyi comme l’enfant en rouge au centre, avec
son petit chien. Les deux petits personnages sont devenus sa
signature. Ils ne sont pas sans lien avec la jeune narratrice d'Un
paradis....
Peintures de Sheng Keyi exposées à Pékin lors de sa première
exposition, en janvier 2015 :
http://mp.weixin.qq.com/s?__biz=MzA4NTE1NDIxMA==&mid=203314008&idx=5&sn=b997f5973e27
7a5339ad88672f3f42f9&scene=2&from=timeline&isappinstalled=0#rd
Quant à ses poèmes, en voici un publié sur sa page
Facebook le 6 août 2013, mais elle dit ne pas en écrire
beaucoup car elle veut raconter des histoires, et les poèmes ne
s’y prêtent pas.
有时候
Parfois
热情是一种恐吓
la passion est menace
令爱情受惊
dont l’amour est effrayé
仿佛兔子
tel un lièvre apeuré
躲进草从
tapi dans l’herbe haute
寻找失踪的声音
cherchant trace d’une voix en allée
怀疑
doutant
它是否真的
de sa réalité
曾经光顾耳朵的客厅
dans le salon où jadis les oreilles bruissaient
沙发上留下凹印与体温
le sofa garde en creux un reste de chaleur
在隐匿的警界线上
à un signal d’alarme caché
你收起了行李和触角
tu as plié antenne et valise
我顿时双目失明
et m’a un temps laissée dans l’ombre
顿看见你写下的单词
à contempler les mots que tu avais écrits
东方/错误
orient / erreur
疾速的列车撞上山崖
un train fou a heurté la falaise
事故中无人伤亡
ni morts ni blessés dans l’accident
只有心的碎裂-----
un cœur déchiré seulement……………
(即日即刻。打字睡觉) (écrit ce
jour cette heure, endormie sitôt fini)
(traduction Brigitte Duzan, 9 août 2013)
A lire en complément :
Extrait du roman
« Hymne à la vertu »《道德颂》
« Le Dit du pêcheur »《捕鱼者说》
« Le Sieur de l’encens »
《香烛先生》
Sheng Keyi priée d’expurger son roman « Filles
du Nord » en vue de sa réédition
« Un Paradis »
《福地》
(présentation et extraits de traduction)
Sortie d’un
recueil de lavis et essais de Sheng Keyi (juin 2014)
Hommage à Cui Xiuwen et à ses Anges
blancs, anges disparus d’« Un Paradis »
« Regarder le monde du
dos d’un poisson » (《骑鱼看世界》)
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