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                  | 
				
				Sheng Keyi 
				盛可以 
				
				Présentation 
				
				par Brigitte Duzan, 31 juillet 2013, 
				actualisé 16 mars 2022   
					
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						Née en 1973, Sheng Keyi (盛可以) 
						est l’une de ces jeunes romancières chinoises qu’un 
						premier roman a soudain portée au pinacle. C’était en 
						2004 : elle a alors été saluée comme l’un des auteurs 
						(féminins) les plus prometteurs de sa génération. Le 
						roman - « Filles du Nord » (《北妹》) 
						-  a depuis lors été traduit en une demi-douzaine de 
						langues. 
						
						  
						
						« Filles du Nord » traitait, il est vrai, d’un sujet 
						inédit, en grande partie autobiographique, dans un ton 
						très libre traduisant une forte personnalité. C’est une 
						première œuvre, écrite sous l’impulsion du sentiment 
						très fort d’avoir à témoigner. Sheng Keyi a depuis lors 
						beaucoup travaillé. Elle a écrit six autres romans, dont 
						le dernier a été publié en janvier 2015, en même temps 
						qu’une nouvelle moyenne très originale, tant par le 
						sujet que la forme. Mais il ne faudrait pas pour autant 
						négliger ses nouvelles courtes. 
						
						  
						
						
						Mingong au féminin   |  | 
						 
						Sheng Keyi présentant 
						 
						un nouveau livre en 2016 |  
				
				  
				
				Sheng Keyi est née en 1973 à Lanxi (兰溪), 
				district de Yiyang, dans la province du Hunan (湖南益阳). 
				Son enfance au village, elle l’a décrite dans un article publié 
				le 2 décembre 2011 dans le New York Times sous le titre  « A 
				River’s Gift » (1) qui commence par cette confession : 
				
				
				« Quand j’étais plus jeune, j’avais honte d’admettre que je 
				venais d’un village perdu, mais je n’avais pas non plus le 
				courage de me vanter d’être de la ville ; en général, je disais 
				donc simplement que j’étais banlieusarde. Mais, maintenant, il 
				me faut avouer la vérité : je suis née dans un village isolé. » 
				
				
				  
				
				
				Petite campagnarde du Hunan 
				
				  
					
						| 
						
						 
						Une vieille rue de Lanxi |  | 
						
						Elle ne peut ni ne veut plus s’en cacher : ce misérable 
						village au bord d’une rivière,  c’est son point de 
						départ, là où elle serait encore, comme les autres, si 
						elle n’avait eu l’ambition et le courage de s’en 
						évader ; c’est aussi l’inspiration d’une partie de son 
						œuvre : ses nouvelles sur des sujets ruraux, moins 
						connues que ses romans ou ses nouvelles urbaines, où 
						elle prend parfois un ton bucolique et nostalgique pour 
						évoquer la beauté de la nature locale, préservée au 
						moins dans les souvenirs de son enfance.  |  
				
				  
				
				C’est là qu’elle a vécu la fin de la Révolution culturelle, la 
				chute de la Bande des Quatre et le lancement de la politique 
				d’ouverture, mais tout cela n’avait guère de résonance dans le 
				village. Ce dont elle se souvient, c’est de la pauvreté au 
				quotidien : sa mère luttant pour avoir du riz, ou vendant 
				quelques œufs pour payer ses frais de scolarité, et le chemin 
				pour aller à l’école, pieds nus dans la glaise dans le froid du 
				matin ; et malgré tout, elle garde aussi des souvenirs joyeux, 
				ceux des bons moments passés à se baigner, pêcher, attraper des 
				crevettes, comme tout enfant vivant au bord d’une rivière … 
				
				  
				
				La pauvreté, cependant, caractérisait aussi les conditions 
				d’enseignement. Quand elle était en classe élémentaire, le 
				bâtiment de l’école s’est effondré, et n’a pas été reconstruit 
				tout de suite. Pendant trois ans, c’est la pièce principale de 
				sa maison qui a tenu lieu de salle de classe provisoire, avec 
				des piles de briques comme bureaux. Non seulement il n’était pas 
				question de manuels ni de livres, mais même le papier blanc 
				était une rareté. Elle avait beau être une élève studieuse, 
				inutile de dire que, dans ces conditions, la littérature était 
				un monde inaccessible. 
				
				  
				
				Dans l’article du New York Times déjà cité, elle raconte ses 
				premières découvertes du plaisir de la lecture, par hasard, et 
				par effraction. A l’âge de six ou sept ans, alors qu’elle était 
				allée à Yiyang avec sa mère rendre visite à sa grand-mère et 
				qu’elle attendait le bateau pour revenir à Lanxi, elle 
				feuilletait un livre illustré sur les Trois Royaumes quand le 
				bateau arriva. Elle partit en volant le livre dont elle se 
				délecta ensuite des images, connaissant encore trop peu de 
				caractères pour pouvoir le lire. 
				
				  
				
				Sa seconde expérience littéraire eut lieu quelques années plus 
				tard, quand elle était au lycée. Son grand-père était un grand 
				lecteur, mais enfermait jalousement ses livres sous clef. Or, un 
				jour qu’il avait laissé sa porte ouverte, s’étant glissée dans 
				sa chambre, la jeune Sheng Keyi ouvrit la « boîte aux trésors » 
				et y trouva un livre de Louis Cha, ou
				
				
				Jin Yong (金庸), 
				
				le grand maître de la 
				
				
				littérature de wuxia.
				
				
				Elle sélectionna quelques passages de romance et de combats, les 
				lut rapidement et remit le livre à sa place. Elle ressentit pour 
				la première fois la joie de la lecture, accrue par le frisson de 
				l’interdit. 
				
				  
				
				On mesure l’isolement, le retard économique et intellectuel, et 
				le désir de s’en sortir, désir qui l’a poussée, en 1994, à 
				partir à Shenzhen pour tenter de se faire une place dans 
				l’eldorado chinois. 
				
				  
				
				
				« Fille du Nord » à Shenzhen  
				
				  
					
						| 
						
						 
						Filles du Nord |  | 
						
						Son expérience de la ville, elle l’a décrite dans son 
						premier roman, « Filles 
						du Nord » (《北妹》), 
						publié en 2004. Ces « filles venues du nord », ce sont 
						toutes les filles comme elle, venues participer au boom 
						économique au début des années 1990, et au formidable 
						bouleversement social qui en est résulté, avec, 
						parallèlement, un processus d’urbanisation accéléré. 
						
						  
						
						Elle y décrit la lutte pour trouver des emplois, tous 
						précaires, et l’inévitable écueil, au bout du compte, 
						qui menace ces travailleuses mingong dont on 
						parle beaucoup moins que de leurs confrères : le corps 
						féminin comme ultime atout dans la course à la réussite 
						économique et à l’ascension sociale, avec les dérives 
						liées, les avortements à répétition en particulier (2).
						   
						
						Sheng Keyi a écrit son livre dans un état quasi 
						extatique, comme un cheval fou, dit-elle, dans la joie 
						de découvrir  |  
						
						une
				nouvelle liberté, celle d’écrire. Le roman traduit cet 
				enthousiasme, avec une fraîcheur de ton qui a séduit. Cet 
				enthousiasme même traduit cependant une spontanéité qui tient du 
				cri primal, et derrière laquelle affleure une légère 
				inexpérience. Elle dit elle-même en être consciente dans la 
				postface du roman, mais c’est aussi ce qui le lui rend très 
				cher, comme un premier né. La fin est ouvertement influencée par 
				le fameux « réalisme magique » latino-américain qui a "sidéré" 
				la littérature chinoise pendant plus de quinze ans (au sens 
				littéral de méduser), mais elle tient plus de l’univers 
				carnavalesque de Bakhtin que du monde de García Márquez et 
				laisse un vague sentiment de malaise.  
				
				  
				
				Cependant, il est certain que « Filles du Nord » traitait de la 
				condition féminine en Chine comme personne ne l’avait fait 
				auparavant, et le style général annonçait une œuvre qui n’a fait 
				ensuite que s’affiner en se diversifiant. 
				
				
				  
				
				
				A découvrir : romans et nouvelles 
				
				  
				
				Sheng Keyi a quitté Shenzhen en 2001 et vit aujourd’hui à Pékin, 
				dans le quartier de Chaoyang. C’est à son arrivée à Pékin 
				qu’elle a commencé à écrire, en débutant par quelques nouvelles, 
				publiées dès 2002. C’est cependant presque exclusivement pour 
				ses romans qu’elle est connue. 
				
				
				  
				
				
				Six autres romans 
				
				  
					
						| 
						
						« Filles du Nord » (《北妹》)
						
						
						 n’est pas le premier roman qu’elle a écrit. Son premier 
						roman fut en fait ce qui pourrait être traduit par « 
						Emulsion d’eau et de lait » (《水乳》), 
						initialement publié dans le numéro d’automne-hiver 2002 
						de la revue littéraire Shouhuo (《收获》). 
						Le sujet est représentatif des premiers écrits de Sheng 
						Keyi : c’est l’histoire d’une femme partagée entre sa 
						vie conjugale et une aventure extérieure, mais qui finit 
						par concilier les deux, comme l’indique l’image du 
						titre. 
						
						  
						
						La condition féminine, dans ses romans comme dans ses 
						premières nouvelles, passe nécessairement par des 
						dilemmes sentimentaux ; les femmes sont conditionnées et 
						définies par leur sexualité, dans une société machiste 
						et patriarcale où la liberté sexuelle apparaît comme la 
						précondition de la liberté tout court. C’est sans doute 
						 |  | 
						 
						Emulsion de lait et d’eau |  
						
						le
				reflet de son expérience personnelle, traduite en termes durs, 
				dans un style froid et acéré. 
				
				  
					
						| 
						 
						Demaotang |  | 
						
						Ecrit dans le calme du village de Demaotang (道德颂), 
						au pied des monts Huangshan, qui a déjà  inspiré son 
						quatrième roman, publié en 2007, son sixième roman, « Death 
						Fugue » (《死亡赋格》), 
						paru en 2013, apparaît comme  une tentative d’élargir sa 
						thématique narrative (3). Il s’agit d’une sorte de fable 
						allégorique sur une quête illusoire de la liberté.
						 
						
						  
						
						Le personnage principal est un poète, plus rêveur que 
						radical. Au cours d’une manifestation, il rencontre une 
						physicienne dont il tombe amoureux. Alors que le 
						mouvement de protestation se développe, celle-ci en 
						prend ensuite la tête et disparaît quand l’armée  
						intervient pour rétablir l’ordre, dans un bain de sang. 
						Le poète perd ses idéaux et devient médecin, mais, 
						tourmenté par le passé, finit par partir à la recherche 
						de son amie. |  
				
				  
					
						| 
						
						Emporté par un cyclone, il se retrouve dans une vallée 
						perdue où il découvre une brillante civilisation qui 
						semble lui promettre liberté, ordre et beauté, et même 
						l’amour, sous les traits d’une autre femme. Mais ce ne 
						sont qu’apparences : il s’agit en fait d’une dictature 
						pratiquant les mariages arrangés par ordinateur, la 
						sélection génétique, l’élimination des bébés non 
						conformes et des vieillards. Le poète fait plusieurs 
						vaines tentatives de fuite avant de faire une découverte 
						sidérante qui clôt le roman… 
						
						  
						
						Sheng Keyi a affirmé qu’elle est plus influencée par ses 
						lectures que par ses expériences personnelles. On sent 
						ici l’influence directe des romans allégoriques de 
						Georges Orwell et du monde absurde de Cortazar, de même 
						qu’une analogie avec « La Source des pêchers en fleur » 
						(《桃花源记》)
						
						
						de Tao Yuanming (陶淵明).
						 |  | 
						 
						Death Fugue |  
				
				  
						
							| 
							
							 
							Barbaric Growth |  | 
				
				« Death Fugue » a été traduit en anglais, et la traduction 
				publiée en septembre 2014. En revanche, le sujet a fait peur aux 
				éditeurs chinois, y compris Penguin. Le roman est une claire 
				dénonciation des événements de Tian’anmen, en juin 1989. Sheng 
				Keyi n’en a longtemps connu que la version officielle, vue sur 
				le petit écran de télévision, chez elle, au village. C’est un 
				ami qui les avait vécus qui lui en a donné une autre version, 
				quand elle était à Shenzhen. Elle s’était alors juré d’en 
				témoigner (4). Le livre n’est paru qu’à Hong Kong et à Taiwan.
				 
				  
				
				En janvier 2015, elle a publié un septième roman, « Barbaric 
				Growth » (《野蛮生长》), 
				découpé en chapitres très courts, dans une écriture beaucoup 
				plus concise. Il est en outre illustré de ses propres dessins et 
				poèmes.  
				
				  
				
				Ces romans, cependant, ne doivent pas faire négliger les 
				nouvelles de Sheng Keyi. Elle apparaît plus percutante  |  
				
				dans la 
				forme courte, ce qui tient peut-être tout simplement à la 
				manière dont elle écrit : elle dit s’astreindre à écrire un 
				minimum de 1 500 caractères tous les matins quand elle écrit un 
				roman, alors qu’elle ne s’impose pas la même contrainte quand 
				elle écrit des nouvelles – et des nouvelles courtes plus 
				volontiers que des nouvelles "moyennes" : elle prend alors la 
				plume en toute liberté, poussée par l’inspiration. 
				  
				
				
				De nombreuses nouvelles 
				
				  
				
				Les premiers écrits publiés par Sheng Keyi furent des nouvelles, 
				en 2002. On suit ensuite l’évolution de sa thématique et de son 
				style d’un recueil à l’autre. 
				
				  
				
				
				1.      
				
				
				Sujets urbains 
				
				  
						
							| 
						
						Il semble y avoir un tournant dans son œuvre en 2008, 
						c’est-à-dire après le début de ses retraites à 
						Demaotang. Comme noté plus haut, son style était au 
						départ acéré et sans aménité, un peu dans le genre des 
						nouvelles de Carver ou celles de Salinger, auquel elle 
						voue d’ailleurs une grande admiration. Un style ciselé 
						au scalpel, comme celui triturant les chairs pour 
						éradiquer une tumeur dans sa nouvelle « Opération » (《手术》) . 
						
						  
						
						Le recueil de 2006, « Mesures prises pour se 
						réchauffer » (《取暖运动》), 
						est encore une série de cinq « histoires d’amour peu 
						ordinaires », qui est son thème de prédilection depuis 
						ses débuts. Peu à peu, cependant,  les nouvelles 
						changent de ton : elles ne sont plus aussi sombres et 
						acerbes, les thèmes se diversifient, les narrations 
						étant désormais bâties autour d’un élément de mystère 
						qui n’est dévoilé qu’à la fin. Peu à peu, Sheng Keyi 
						réussit à joindre l’intérêt narratif à la qualité 
						stylistique. |  | 
						 
						Mesures pour se réchauffer |  
				  
					
						| 
						 
						Un monde inexpérimenté |  | 
						
						La nouvelle « Un monde inexpérimenté » (《缺乏经验的世界》), 
						publiée en 2008, reste peu probante. Sheng Keyi y 
						dépeint une romancière d’âge mûr soudain attirée par un 
						jeune garçon qui se trouve être son voisin dans un 
						train ; le style descriptif  tente de décrire sa 
						psychologie, mais reste vaguement superficiel : la femme 
						est réduite à sa qualité d’écrivain et à son attirance 
						pour son voisin épisodique, l’une venant relayer 
						l’autre, comme si une femme ne pouvait être décrite en 
						profondeur que par ses pulsions physiques. C’est l’une 
						des caractéristiques courantes des femmes de Sheng Keyi. 
						
						  
						
						La nouvelle qui marque la transition a en fait été 
						publiée début 2010 dans la revue littéraire Shouhuo (《收获》) et 
						c’est aujourd’hui l’une des plus célèbres de l’auteur : 
						« Les prairies blanches » (《白草地》). 
						Sheng Keyi y relate l’histoire d’un homme, vendeur dans 
						un grand magasin de  |  
						
							| 
				
				produits de luxe américains, qui a une double relation 
				extra-conjugale, avec Maya (玛雅) 
				et Duoli (多丽) 
				qui a subi l’ablation d’un sein à la suite d’un cancer – thème 
				que l’on trouvait déjà dans « Opération ». Malgré tout, sa femme 
				prend soin de lui. Au moins en apparence, car la fin de la 
				nouvelle révèle un plan démoniaque.  
				  
				
				Sheng Keyi a délaissé le scalpel, ou du moins l’a enrobé 
				d’humour et d’une certaine chaleur humaine qui est la marque de 
				ses nouvelles récentes.  
				
				  
				
				
				2.      
				
				
				Sujets ruraux 
				  
				
				Ses nouvelles les plus connues – comme celles citées ci-dessus - 
				ont des sujets urbains, mais il ne faudrait pas négliger pour 
				autant celles qui ont la campagne pour thème. C’est dans ces 
				récits que se révèle une Sheng Keyi plus humaine, plus profonde, 
				sensible à la nature et surtout à celle qu’elle a connue enfant, 
				dans son Lanxi  |  | 
						  
						 
						Le livre de Keyi 
						  |  
				
				natal. On y
				ressent la beauté des paysages, du fleuve et de la végétation 
				alentour. 
				  
						
							| 
						 
						Au moment des adieux |  | 
						
						C’est le cas des nouvelles « Le saule jaune pâle » (《淡黄柳》), 
						« L’incident du pont de la rivière Lanxi » (《兰溪河桥的一次事件》)
						
						
						ou « Le nid dans le jujubier amer » (《苦枣树上的巢》) 
						
						
						(5), toutes incluses dans le recueil « Le livre de 
						Keyi » (《可以书》), 
						publié en avril 2011. 
						  
						
						C’est aussi le sentiment que dégage l’une de ses 
						dernières nouvelles, datée de mai 2012 :
						
						« Le dit du pêcheur » (《捕鱼者说》). 
						Elle est écrite à la première personne, par une enfant 
						de six ans, et l’on y devine en arrière-plan la jeune 
						Sheng Keyi et la rivière Lanxi avec son petit peuple de 
						pêcheurs.  
						
						  
						
						Loin des influences littéraires et bien plus que ses 
						romans, c’est dans ces récits originaux que l’on perçoit 
						la voix personnelle et chaleureuse d’une Sheng Keyi en 
						pleine maturité, dix ans après ses premiers pas 
						d’écrivains.  |  
				  
				
				
				3.      
				
				
				Sujets sur la condition féminine 
				
				  
				
				Vers le milieu des années 2010, elle s’est orientée vers des 
				sujets traitant plus particulièrement de la condition de la 
				femme, de sa place dans la société chinoise moderne, des droits 
				qu’elle y a, ou continue de ne pas y avoir.  
				  
				
				
				2015 : Nouvelle courte  
				
				  
					
						| 
						
						L’une de ses meilleures nouvelles, dans ce cadre, est 
						celle, publiée dans Shouhuo début janvier 2015, 
						qui figure dans plusieurs sélections de nouvelles de 
						l’année, dont celle éditée par Lin Ting (2015年短篇小说选萃-林霆-主编) :
						Xiao shengming ou « Une infime existence » (《小生命》). 
						
						  
						
						L’histoire est celle d’une jeune fille de seize ans qui 
						rentre soudain chez elle enceinte de sept mois. Emoi 
						dans la famille, qui convoque celle de l’impétrant qui 
						clame son amour, tandis que la jeune fille, elle, reste 
						silencieuse. Suit un huis-clos pesant entre le père du 
						garçon, venu avec sa compagne avec laquelle il n’est pas 
						marié, ce qui ne rend pas les négociations faciles. La 
						famille du garçon rejette l’idée du mariage, mais on se 
						rend compte peu à peu que c’est tout simplement parce 
						qu’ils n’ont pas les moyens de le financer, et encore 
						moins de participer à l’achat d’un logement pour le 
						couple.  |  | 
						 
						Shouhuo (Harvest), janvier 2005 (n° 1) 
						 
						avec 《小生命》 |  
				
				  
						
							| 
				
				Tout se termine d’une manière assez inattendue, mais qui trahit 
				les pensées profondes de l’auteur. La nouvelle n’est pas un 
				manifeste féministe, mais une étude satirique de la société 
				chinoise actuelle, et des rouages psychologiques tout autant que 
				des conditions matérielles qui font que la situation des femmes 
				n’évolue guère.  
				  
				
				Comme toujours chez Sheng Keyi, le style détermine le ton, avec 
				des descriptions vivantes et originales ; les personnages n’ont 
				pas de nom ni de prénom, ils sont désignés par des termes 
				généraux qui les typifient et les transforment en symboles : le 
				jeune garçon est « ce jeune » (“那小子”) ; 
				le récit est conté à la première personne par la sœur de la 
				« grande sœur » (姐姐) 
				qui est enceinte, et chacun des parents est désigné par son 
				statut parental.  
				
				  
				
				
				2016 : Nouvelle moyenne 
				
				  
				
				Un an plus tard, Sheng Keyi termine une nouvelle  |  | 
							
							 
							Un Paradis (publication chinoise) |  
				
				moyenne,
				qui est publiée dans le numéro de mars 2016 de Shouhuo ; c’est 
				une autre satire de la société vue à travers le prisme féminin :
				
				
				« Un 
				Paradis » (《福地》).
				  
				  
				
				
				2018-2021 : La trilogie de l’utérus 
				
				  
				
				Après « Barbaric Growth », Sheng Keyi s’est lancée dans 
				l’écriture de romans sur des destins de femmes. De passage à 
				Paris à la mi-septembre 2018 pour la sortie de la traduction en 
				français d’« Un 
				Paradis », 
				elle a annoncé une « trilogie de l’utérus » (《子宫三部曲
				》), 
				d’après le titre du second. 
				  
				
				Le premier a été publié à Taiwan en septembre 2018 : « Le centre 
				de désintoxication des métaphores » (《锦灰》) 
				pour reprendre la traduction de Bruce Humes qui en a traduit un 
				extrait 
						
						(6).
				 
				
				  
							
								| 
								
								 
								Le Centre de désintoxication 
								 des métaphores |   | 
								
								 
								Le Souffle de la terre |  
				  
				
				Le second, initialement intitulé « Utérus » (《子宫》), 
				a été publié début 2019 sous le titre « Le Souffle de la terre » 
				(《息壤》). 
				Elle y imagine encore une fois un univers dystopique où le 
				gouvernement chinois veut absolument accroître les naissances, 
				et, n’ayant pas assez d’utérus à sa disposition, a l’idée de 
				faire appel à des utérus de fantômes… 
				
				  
				
				Et le troisième volet de la trilogie, « Les Bonnes » (《女佣》), 
				encore inédit, est tout à fait dans l’esprit de Jean Genet ; il 
				croise des histoires de femmes de la campagne qui vont 
				s’embaucher chez des retraités en ville. Ces histoires sont 
				inspirées d’histoires vraies dont Sheng Keyi a entendu parler 
				dans son village natal, où elle a eu l’occasion de revenir plus 
				souvent qu’auparavant après la mort de son père, pour aller voir 
				sa mère restée seule. 
				  
				
				2018-2022 Souvenirs d’enfance 
				  
				
				Parallèlement à cette trilogie, Sheng Keyi a publié deux 
				recueils de textes courts, illustrés d’une série de nouveaux 
				lavis, sur ses souvenirs d’enfance dans son village du Hunan.
				 
				  
				- Le 
				premier, intitulé « Souvenirs du pays natal » (Huánxiāng 
				shū
				《还乡书》), 
				est sorti en 2018. Il a presque aussitôt été traduit en 
				français, et la traduction est parue en mai 2021 aux éditons 
				Picquier, sous un titre différent choisi par l’éditeur comme 
				étant représentatif de l’esprit du recueil :
				
				« Le 
				goût sucré des pastèques volées ».
				 
				
				  
				
				C’est en fait le titre de l’un des 75 textes courts du recueil 
				qui évoquent avec nostalgie le paradis perdu à la fois de 
				l’enfance et du village. Tableau poétique, et même parfois 
				idyllique, du jardin maternel, avec ses légumes géants (au moins 
				dans les yeux de l’enfant) et ses jeux interdits. Mais non sans 
				une certaine rage au cœur, aussi, devant les dégâts 
				environnementaux constatés à chaque retour dans la maison 
				familiale, chaque texte se concluant par une réflexion amère sur 
				le présent. 
				
				  
						
							| 
							
							- Le deuxième recueil, 
							
							
							« Regarder le monde du 
							dos d’un poisson » (《骑鱼看世界》), 
							est paru en janvier 2022. Dans le même genre de 
							textes courts, Sheng Keyi revient une nouvelle fois 
							sur ses souvenirs d’enfance, mais cette fois sous un 
							aspect de contes, pour adultes autant que pour 
							enfants, revisitant les grands classiques qui 
							étaient au programme des écoles quand elle était en 
							âge d’y aller. Mais elle en offre une vision 
							décalée, pleine d’humour, avec toujours la chute 
							dans le présent à la fin, comme un réveil brutal 
							après le rêve du passé.  
							
							  
							
							Sheng Keyi a peaufiné son style, aussi simple 
							apparemment que celui d’un conte d’enfant, mais 
							infiniment émouvant. À côté de ses grands romans, 
							c’est un autre aspect de son œuvre à ne pas 
							négliger.    |  | 
							
							 
							Regarder le monde du dos d’un poisson |  
					Ni 
					l’un ni l’autre, d’ailleurs, n’est très apprécié des 
					autorités chinoises. Ses livres sont peu à peu « retirés des 
					étagères » en Chine, comme beaucoup d’autres. 
				
				  
				  
				  
				  
				
				
				Notes 
				
				(1) Titre original : 
				
				《从一条卑微的河流说起》 
				
				Article publié sur son blog : 
				
				
				http://blog.sina.com.cn/s/blog_670c01470100vqpw.html 
				
				(2) Voir la présentation du roman par Eric
				
				
				Abrahamsen pour sa traduction en anglais : 
				
				
				
				http://paper-republic.org/ericabrahamsen/northern-girls-extract/ 
				
				Un extrait de la traduction : 
				
				
				http://media.paper-republic.org/files/samples/northern.pdf 
				
				Une interview en anglais de l’auteur sur son roman :  
				
				
				
				http://www.danwei.com/northern-girls-interview-with-author-sheng-keyi/ 
				
				(3) Le terme  
				赋格曲
				
				
				fùgéqǔ  
				désigne une fugue en théorie musicale. « Death Fugue » est une 
				référence au poème éponyme du poète roumain Paul Celan, datant 
				de 1948 dans sa version originale en allemand, qui est construit 
				selon des règles de répétition analogues à celles d’une fugue 
				musicale. Enigmatique, le poème évoque la « Todesmusik », ou 
				musique de mort, que les prisonniers des camps de concentration 
				devaient jouer pour leurs camarades qui allaient être gazés.
				 
				
				(4) Voir l’excellent article du New York Times sur le roman et 
				ses problèmes de publication : 
				
				
				
				http://www.nytimes.com/2014/10/11/world/asia/sheng-keyi-death-fugue-tiananmen-chinese-writer.html 
				
				(5) 
				Fructus toosenden ; un arbre utilisé pour ses propriétés 
				médicinales.  
						
						(6) 
				Extrait du « Metaphor Detox Centre » traduit par 
				Bruce Humes :  
				
				
				
				http://bruce-humes.com/archives/12635 
				
				  
 
				
				   
				
				
				Principales publications en Chine à 
				Taiwan 
				
				
				  
				
				
				Romans   
				《水乳》────《收获》2002年秋冬卷──(2003年春风文艺出版社) 
				         
				
				
				Emulsion d’eau et de lait, 1ère publication : 
				Shouhuo, automne/hiver 2002  
				《北妹》──《钟山》2003年春夏卷──(2004年长江文艺出版社) 
				
				       
				
				 
				Filles du Nord, 1ère publication : Zhonshan, 
				printemps/été 2003  
				《无爱一身轻》──《收获》2006年秋冬卷──(2006年作家出版社) 
				
				         
				
				Si léger de ne pas aimer * : 1ère publication : 
				Shouhuo, automne/hiver 2006  
				《道德颂》《收获》2007年第1期──(2007年上海文艺出版社) 
				
				       
				
				 
				Daodesong : 1ère publication : Shouhuo, janvier 2007
				 
				《时间少女》───(2012年1月湖南文艺出版社) 
				         
				
				
				Une jeune fille, comme le temps**, janvier 2012 
				《死亡赋格》───2013年2月台湾印刻出版社 
				          
				
				
				Fugue de mort, publié à Taiwan, février 2013 
				
				《野蛮生长》───2015年1月北京十月文艺出版 
				
				          
				
				Barbaric
				
				
				Growth, publié à Pékin, janvier 2015. 
				
				《锦灰》───2018年9月聯經出版公司Le Centre de désintoxication des métaphores, publié à Taiwan, 
				septembre 2018.
 
				《息壤》───
				2019年1月人民文学出版社 
				
				         Le Souffle de la terre, publié à Pékin, janvier 2019 
				
				  
				
				
				A venir 
				: 
				
				Les bonnes 
				《女佣》 
				
				  
				
				
				Nouvelle moyenne ou roman court 
				
				  
				
				Octobre 2016 Un 
				Paradis 《福地》 
				
				  
				
				
				Recueils de nouvelles 
						  
						
						2002      
						短篇小说《Turn 
						On》───Nouvelle 
						publiée  
						
						           
						
						
						dans “Shouhuo”《收获》 
						
						2002     
						
						短篇小说集《谁侵占了我》───时代文艺出版社 
						
						         
						  
						
						
						Recueil de nouvelles courtes : “Qui m’a conquise ?” 
						
						2006      
						
						中篇小说集《取暖运动》───春风文艺出版社 
						
						      
						     
						
						
						Recueil de cinq nouvelles "moyennes" :  
						
						            
						
						
						« Mesures pour se réchauffer » 
						
						Avril 2011 
						
						短篇小说集《可以书》───吉林出版集团 
						
						      
						      
						
						
						Recueil de nouvelles courtes : « Le livre de  
						
						             
						
						
						Keyi » (ou : Le livre des possibles) 
						
						Octobre 2011短篇小说集《缺乏经验的世界》────海天出版社 
						
						       
						      
						
						
						Recueil de nouvelles courtes : « Un monde inexpérimenté » 
						
						Juin 2011 
						中篇小说集《在告别式上》────21世纪出版社 
						
						       
						      
						
						
						Recueil denouvelles "moyennes" : « Au moment 
						des adieux » 
						
						Décembre 
						2012 
						十年精选《留一个房间给你用》──北京燕山出版社 
						
						Recueil des meilleures nouvelles de 
				 
						             
						
						
						la
						décennie :« Il reste une pièce pour toi » 
						
						  
						
						* jeu de mots sur le chengyu
						
						
						无官一身轻 
						
						wúguān
						
						
						yìshēnqīng : 
						se sentir soulagé de ne plus avoir de poste officiel. 
						
						** une fille, c’est comme le temps : une fois sa 
						chasteté envolée, elle ne revient pas. 
						               
 
						   
						  
						 
						
						
						Traductions en anglais : 
						 par Shelly Bryant
 - Northern Girls 《北妹》, Penguin China/Australia, mai 
						2012.
 - Wild Fruit 《野蛮生长》, Penguin eBooks, novembre 2018
 - Death Fugue 《死亡赋格》, Giramondo Publishing, septembre 
						2014, Restless Books août 2021.
 
 
   
				
				
				Traductions en français  
				
				
				  
				
				
				« Le Dit du pêcheur » (《捕鱼者说》), 
				nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu, 
				
				Publiée dans Books magazine, n° 49 décembre 2013.  
				
				
				
				
				http://www.books.fr/litterature-et-arts/paroles-de-pecheur/ 
				
				  
					
						| 
						« A l’article de 
				la mort » (《弥留之际》), nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu 
				
				Dans l’anthologie : Les rubans du cerf-volant, Gallimard/ Bleu 
				de Chine, mars 2014, pp 163-181. 
				  
				
				« Le sieur de l’encens » 
				(《香烛先生》), nouvelle traduite par Brigitte Duzan/Zhang Xiaoqiu 
				
				Publiée dans Promesses littéraires, Editions en langues 
				étrangères, Pékin 2014, p. 52-67. 
				
				  
				
				
				
				« Un 
				Paradis » (《福地》), roman 
				traduit par Brigitte Duzan/Zhang XiaoqiuPhilippe Picquier, septembre 2018, 176 p. Picquier poche, mai 
				2021, 192 p.
 
				  
				
				
				
				« 
				 
				Le Goût sucré des pastèques volées 
				» 
				《还乡书》, recueil de souvenirs d’enfance illustrés 
				d’aquarelles de l’auteure, traduits par Brigitte Duzan/Ji 
				Qiaowei, éditions Picquier, mai 2021, 176 p. |  | 
						
						 
						Le Goût sucré des pastèques volées |  
				
				  
 
				
				
				  
				Sheng Keyi est 
				également peintre et poète.
 L’une de ses peintures récentes (mai 2016) est une vision 
				onirique de sa campagne natale, un souvenir d'enfance. On 
				imagine la petite Keyi comme l’enfant en rouge au centre, avec 
				son petit chien. Les deux petits personnages sont devenus sa 
				signature. Ils ne sont pas sans lien avec la jeune narratrice d'Un 
				paradis....
 
 
				
				
				     Peintures de Sheng Keyi exposées à Pékin lors de sa première 
				exposition, en janvier 2015 :
 http://mp.weixin.qq.com/s?__biz=MzA4NTE1NDIxMA==&mid=203314008&idx=5&sn=b997f5973e27
 
				
				
				
				7a5339ad88672f3f42f9&scene=2&from=timeline&isappinstalled=0#rd 
				  
				Quant à ses poèmes, en voici un publié sur sa page 
				Facebook le 6 août 2013, mais elle dit ne pas en écrire 
				beaucoup car elle veut raconter des histoires, et les poèmes ne 
				s’y prêtent pas.
 有时候                              
				Parfois
 热情是一种恐吓                   
				la passion est menace
 令爱情受惊                         
				dont l’amour est effrayé
 仿佛兔子                            
				tel un lièvre apeuré
 躲进草从                            
				tapi dans l’herbe haute
 寻找失踪的声音                   
				cherchant trace d’une voix en allée
 怀疑                                 
				doutant
 它是否真的                         
				de sa réalité
 曾经光顾耳朵的客厅              
				dans le salon où jadis les oreilles bruissaient
 沙发上留下凹印与体温           
				le sofa garde en creux un reste de chaleur
 在隐匿的警界线上                 
				à un signal d’alarme caché
 你收起了行李和触角              
				tu as plié antenne et valise
 我顿时双目失明                    
				et m’a un temps laissée dans l’ombre
 顿看见你写下的单词              
				à contempler les mots que tu avais écrits
 东方/错误                         
				orient / erreur
 疾速的列车撞上山崖              
				un train fou a heurté la falaise
 事故中无人伤亡                   
				ni morts ni blessés dans l’accident
 只有心的碎裂-----               
				un cœur déchiré seulement……………
 (即日即刻。打字睡觉)        (écrit ce 
				jour cette heure, endormie sitôt fini)
 
 (traduction Brigitte Duzan, 9 août 2013)
 
				
				
				     
				 
 
				
				
				      
				
				
				A lire en complément : 
				
				
				      
				
				Extrait du roman 
				« Hymne à la vertu »《道德颂》 
				  
				
				
				« Le Dit du pêcheur »《捕鱼者说》 
				
				
				     
				
				
				« Le Sieur de l’encens » 
				
				《香烛先生》  
				  
			
				
				Sheng Keyi priée d’expurger son roman « Filles 
			du Nord » en vue de sa réédition 
				  
				
				
				« Un Paradis » 
				 
				
				
				《福地》
				
				
				(présentation et extraits de traduction) 
				  
				
				Sortie d’un 
				recueil de lavis et essais de Sheng Keyi (juin 2014)    
				 
				
				
				
				Hommage à Cui Xiuwen et à ses Anges 
				blancs, anges disparus d’« Un Paradis » 
				  
				
							
							« Regarder le monde du 
							dos d’un poisson » (《骑鱼看世界》) 
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