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				Lu Nei 路内 
				Présentation 
				par Brigitte Duzan, 23 mars 
				2013, actualisé 
				5 avril 2024 
				    
					
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						Lu Nei (路内) 
						fait partie des écrivains chinois de la  « génération 
						intermédiaire » (“中间代”)
						
						que l’on est en 
						train de découvrir : 
						la génération des jeunes nés dans les 
						années 1970 et arrivés à l’âge adulte dans les années 
						1990, au moment de la formidable reconversion économique 
						et industrielle menée par Deng Xiaoping. 
						
						   
						 
						
						A quarante ans, 
						Lu Nei a publié quelques nouvelles et quatre romans, 
						suffisamment pour pouvoir être considéré comme l’un des 
						plus prometteurs de ces écrivains « post-70 ». 
						 
						
						  
						 
						
						Usine et petits 
						boulots 
						
						  
						 
						
						De son vrai nom 
						Shang Junwei (商俊伟), 
						Lu Nei (路内)
						
						est né à Suzhou en 1973, en pleine 
						Révolution culturelle. On ne sait pas grand-chose de son 
						enfance, mais lui-même s’est décrit comme « l’un des 
						moins éduqués des jeunes écrivains chinois ».  |  | 
						
						 
						Lu Nei en décembre 2011 |  
				  
				A 19 
				ans, en effet, après des études dans un lycée technique dont ses 
				romans sont un vivant témoignage, il est entré en usine. Au 
				cours des années suivantes, il est passé de petit boulot en 
				petit boulot, d’embauche en licenciement et en nouvelle 
				embauche, tout en parcourant le pays, de Suzhou à Shanghai, puis 
				à Chongqing après un tour dans le Sud, avant de revenir à 
				Shanghai. Il a été simple ouvrier, vendeur, gardien d’entrepôt 
				et autres avant de décrocher un poste à la radio. 
				 
				  
				
				C’est alors qu’il avait un travail qui lui laissait de larges 
				plages de temps libre qu’il a commencé à 
				
				s’intéresser à la 
				littérature, en se fournissant en lecture à la bibliothèque de 
				l’usine. Il a ainsi beaucoup lu, 
				Su Tong (苏童) 
				en particulier, ainsi que les auteurs chinois dits 
				« d’avant-garde » dans les années 1990.  
				  
				Il 
				est aujourd’hui directeur artistique dans une agence de 
				publicité, à Shanghai, et continue d’écrire à ses heures de 
				loisirs, quand ses enfants sont couchés. Il considère l’écriture 
				un peu comme une drogue 
				: 
				"写书是件多余的事,但有点上瘾,跟抽烟一样。我本来应该写完一个长篇就歇菜的但是不知哪儿来的诱惑。" 
				Ecrire fait partie 
				des choses superflues, mais c’est pour moi une drogue dont je ne 
				peux me passer, un peu comme la cigarette. Je suis incapable de 
				m’arrêter avant d’avoir terminé un roman, je ne comprends pas 
				d’où vient cette attraction. 
				  
				Il a écrit des 
				nouvelles et des romans, mais pratiquement tous ses écrits ont 
				une large part autobiographique ; on y retrouve les mêmes 
				personnages qui sont calqués sur ses camarades de lycée et 
				d’usine. L’écriture a donc chez lui une sorte de fonction 
				cathartique, et c’est là sans doute là l’une des sources de sa 
				force d’attraction. 
				  
				Nouvelles et 
				romans 
				   
				Bien qu’il ait commencé 
				à publier dès 1998, c’est grâce à la publication de deux romans 
				dans la revue Shouhuo (《收获》),
				en 2007 et 
				2008, qu’il a commencé à se faire connaître.  
				  
				2007-2008 : Deux 
				premiers romans 
				  
					
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						1. Le premier 
						roman, publié en novembre 2007, s’intitule « Jeune 
						Babylone » (《少年巴比伦》). 
						C’est une introduction à l’univers de Lu Nei : la ville 
						fictive de Daicheng (戴城) et un groupe de jeunes ouvriers, en tête desquels son alter ego Lu 
						Xiaolu (路小路), 
						vingt ans, dont la plus grande ambition est de devenir 
						cadre pour passer son temps, au bureau, à lire les 
						journaux en sirotant du thé.  
						  
						Lu Xiaolu a 
						fait ses études dans un lycée technique lambda, avant 
						d’être embauché comme manœuvre dans une fabrique de 
						saccharine. Nous sommes en 1992, l’époque dorée des 
						travailleurs glorifiés comme fers de lance du régime 
						communiste aux côtés des paysans et des soldats est un 
						lointain souvenir ; l’époque est à la reconversion 
						industrielle, aux fermetures d’usines obsolètes et aux 
						licenciements. Pas surprenant que les jeunes soient 
						déboussolés, comme leurs parents. Les uns comme les 
						autres sont happés par la machine, |  | 
						
						 
						Babylone de jeunesse |  
				mais la 
				littérature et le cinéma chinois avaient surtout parlé jusqu’ici 
				des seconds.  
				  
				Lu Xiaolu tombe 
				amoureux d’une jeune femme, Bai Lin (白蓝), 
				qui est médecin du travail, dans l’usine. Mais elle le quitte 
				pour partir à l’étranger. Lu Xiaolu en tire une amère leçon : il 
				s’inscrit aux cours du soir de l’université. Mais les 
				licenciements se multiplient… 
				  
				Le roman offre une 
				vision désabusée de la génération de l’auteur, écrite avec un 
				humour froid qui n’exclut pas beaucoup de chaleur envers ses 
				personnages. C’est ce ton humoristique qui a contribué au succès 
				du livre. 
				  
					
						| 
						2. Il a été 
						suivi l’année suivante d’un second roman, « En 
						suivant ses pas » (《追随她的旅程》), 
						qui est désormais présenté comme 
						le second volet 
						d’une trilogie commencée avec « Babylone de jeunesse » 
						mais nommée d’après ce second roman : « trilogie "en 
						suivant.." » (“追随三部曲”). 
						   
						Le récit commence cette 
						fois à la fin des années 1990, mais procède ensuite en 
						flash back. Lu Xiaolu se souvient de son premier amour, 
						Yu Xiaoqi (于小齐), rencontrée pendant les vacances de 
						l’été 1991. Ils avaient 18 ans. Lui était étudiant dans 
						un lycée technique ; elle, fille d’un professeur de 
						langue et littérature, était étudiante aux Beaux-Arts ; 
						elle rêvait de faire des bandes dessinées et d’aller 
						dans le Sud pour gagner de l’argent. Tous les copains de 
						Xiaolu avaient pour seule ambition de partir de Daicheng 
						pour ne jamais y revenir. Mais la mère de Xiaoqi meurt, 
						elle part seule, Xiaolu reste à Daicheng, la période 
						dorée de l’adolescence prend  |  | 
						 
						En suivant ses traces |  
						fin. Il 
				s’apprête à suivre son chemin à lui : entrer dans 
				l’usine de saccharine locale…
 « En suivant ses pas » a un ton beaucoup plus amer que le roman 
				précédent. C’est un récit qui donne l’impression que le temps, 
				soudain, s’est arrêté, le temps d’un été, le temps d’un espoir, 
				pour repartir ensuite comme si de rien n’était : l’horizon est 
				toujours aussi désespérément gris, la vision tout aussi 
				désenchantée ; dans un monde en profonde mutation, les jeunes 
				sont désorientés et amers. Les jeunes de Lu Nei font penser à 
				ceux de « Unknown Pleasures » (任逍遙) de Jia Zhangke, eux aussi 
				coincés dans une petite ville morne qui ne leur offre aucune 
				issue. Il leur manque l’humour sarcastique de Lu Nei.
 
 2009 : Trois nouvelles
 
 En 2008, Lu Nei est approché par Zhang Yueran (张悦然), jeune 
				romancière créatrice d’un nouveau concept de magazine 
				littéraire, avec un thème pour chaque numéro, qui préfigure les
				
				nouveaux magazines qui vont se 
				multiplier à partir de 2010. C’est un trimestriel qui s’appelle 
				« Li/Newriting » (《鲤/Newriting 》) et dont le premier numéro sort 
				en juin 2008.
 
 Lu Nei participe aux numéros de janvier, mars et mai 2009, sur 
				les thèmes du mensonge, de l’ambiguïté et des "meilleurs 
				moments", avec trois nouvelles, dont les deux premières,  « Le 
				piège de la déesse » (《女神陷阱》) et « Personne ne sait valser » 
				(《无人会跳华尔兹》), ont des styles et des sujets très différents.
 
 Mais, avec la troisième nouvelle,
				
				« Chronique du combat féroce des 
				quarante corbeaux » (《四十乌鸦鏖战记》), 
				il revient vers les thèmes de son début de trilogie : cette 
				nouvelle est en fait une extension du roman précédent, comme il 
				l’a expliqué lui-même. Elle figure d’ailleurs parmi les dix du 
				recueil « Œuvres représentatives de la génération 
				intermédiaire » (《代表作·中间代》) paru en juin 2012 (1).
 
 Cette nouvelle est comme une transition qui le ramène vers son 
				sujet, et un troisième roman.
 
 2011-2012 : deux autres romans
 
 
					
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						1. Ce troisième roman, 
						« Au milieu des nuées » (《云中人》) ou « L’homme dans les 
						nuées », n’est pas considéré comme la suite de la 
						trilogie, bien qu’il en soit très proche, car reprenant 
						les mêmes éléments autobiographiques et se passant dans 
						la même ville fictive de Daicheng. 
 Il a en fait été commencé dès 2008, mais terminé 
						seulement en 2010 puisqu’il a été mis de côté pour 
						écrire les trois nouvelles de 2009. Il est initialement 
						paru dans le magazine Shouhuo (收获) en mai 2011, avant 
						d’être publié en février 2012 chez l’éditeur Motie 
						(磨铁图书).
 
 Il a cependant une totalité différente de celle des deux 
						premiers romans, plus proche de la première nouvelle de 
						2009 : c’est un roman d’épouvante qui a pour thème la 
						folie meurtrière (关于杀人狂的小说). Il débute par l’histoire 
						d’une jeune étudiante qui est assommée par un fou ; il 
						est jugé et
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						Au milieu des nuées |  
				exécuté sans que l’affaire soit élucidée. Or, 
				trois ans plus tard, un cas semblable se reproduit…. La peur 
				s’installe chez les jeunes…
 Le roman décrit un monde chaotique et absurde, qui fait peur. Il 
				a obtenu des critiques élogieuses de nombreux autres écrivains, 
				dont 
				Zhou Yunpeng (周云蓬) (2) qui en a dit ceci :
 
 《云中人》发生于南方小城的一个没落校园,这里荒凉如丛林,年轻动物奋勇向前,猎奇猎艳,同时对于黑暗中
 
				      
				的牙齿心生恐惧。主人公怀揣小刀,贴墙疾走,追索或是逃窜。少年时光充满罅隙摇摇欲坠...。小说幽暗迷惘...L’histoire de « Yun zhong ren » se passe 
				dans une école décrépite d’une petite ville du sud, aussi
 
				       désolée 
				qu’en pleine brousse, où des jeunes luttent pour aller de 
				l’avant, avides de nouveauté et 
				       d’amour, 
				mais, en même temps, terrorisés par l’obscurité. Le personnage 
				principal porte sur lui      
				 un petit couteau et file en rasant les 
				murs. La jeunesse semble atteinte d’une fêlure intime et ne  
				 
				       tenir que 
				par un fil… La nouvelle a un ton sombre et désorienté…
 
					
						| 
						2. Lu Nei poursuit avec la 
						publication en juin 2012 d’un troisième roman qui est 
						bien, cette fois, la troisième partie de la trilogie 
						commencée avec ses deux premiers romans : « Le passé 
						de la rue des Fleurs » (《花街往事》).
 L’histoire, racontée à la première et troisième 
						personne, couvre cette fois les années 1966 à 1992, 
						toujours dans la ville de Daicheng, mais le cœur du 
						récit se déroule dans les années 1980. Le jeune Gu 
						Xiaoshan (顾小山) raconte l’histoire de sa famille. Son 
						père a fait la connaissance en 1966 de sa mère et de sa 
						jeune sœur qui ont ensuite été envoyées dans le Yunnan, 
						où, dans les années 1970, elles meurent dans un accident 
						de voiture en montagne. Le veuf reste seul avec deux 
						enfants, dont Gu Xiaoshan qui a un léger handicap. Dans 
						les années 1980, il est l’un des premiers à fonder une 
						entreprise privée pour enseigner la danse, qu’il avait 
						apprise dans les années 1950.
 |  | 
						 
						Le passé de la rue des Fleurs |  
				 Le roman continue en racontant l’histoire malheureuse d’une 
				élève, et celle de Gu Xiaoshan, méprisé parce que handicapé, et 
				amoureux de sa camarade de classe Luojia (罗佳) qui partage le 
				même banc que lui, à l’école, et qui, dans toute son existence, 
				sera son unique clarté – c’est le titre du dernier chapitre.
 
 Les sept premières parties du roman ont été publiées en 2012 
				dans la revue « Littérature du peuple » (人民文学杂志). La totalité 
				des huit chapitres sera publiée en 2013.
 
 Une œuvre en devenir
 
 Par ailleurs, Lu Nei a commencé la rédaction d’un nouvel ouvrage 
				qui se présentera sous la forme d’une suite de nouvelles dont 
				quatre ont déjà été publiées, uniquement sur internet (version 
				web ou téléphone portable), sur douban (豆瓣), sous le titre 
				général « Le jeune hussard de dix-sept ans » (《十七岁的轻骑兵》).
 
 La première nouvelle reprend le récit publié dans 
				« Li/Newriting » (《鲤/Newriting 》) en mai 2009, cette histoire du 
				combat des quarante corbeaux (《四十乌鸦鏖战记》) : Lu Nei repart d’où il 
				en était resté. Les personnages sont ceux de ses romans, ceux de 
				la trilogie : Lu Xiaolu (路小路), qui garde le rôle principal, Da 
				Fei (大飞), Huang Mao (黄毛), Kuo Bi (阔逼)… Ils sont inspirés de ses 
				anciens camarades de lycée, mais revus et peaufinés à l’aune de 
				son imagination, parce qu’ils ne cessent de le hanter, selon ses 
				propres dires.
 
 C’est 
				Wang Anyi (王安忆) qui en a signé 
				le descriptif, sur la page douban :
 某小城的化工技校,班中40人清一色男性,故得“四十乌鸦”的诨号。1991年的严冬,乌鸦们前往郊外的破工厂
 
				        
				实习。飘飞的雪花、破败的工厂、街边的洗头店……Une école 
				technique de formation aux métiers de l’industrie chimique, dans 
				une petite
 
				        
				ville quelconque, une classe de quarante garçons en uniforme, 
				surnommés « les quarante 
				        
				corbeaux ». Pendant l’hiver 1991, ils sont envoyés dans les 
				faubourgs pour participer à  
				        la 
				destruction d’une usine. Les flocons de neige virevoltent tandis 
				que l’usine est démantelée,  
				        et 
				au bord de la route sont alignées des échoppes de barbier… 
				
 Les trois autres nouvelles viennent compléter un tableau que 
				l’on découvre au fur et à mesure de son élaboration, comme un de 
				ces rouleaux horizontaux dont on pénètre le paysage en le 
				déroulant lentement. C’est une œuvre en devenir qui esquisse le 
				portrait d’une génération qui a grandi dans les années 1990, une 
				génération de jeunes ouvriers entrant dans le monde du travail 
				au moment où celui-ci est bouleversé par la nouvelle politique 
				économique, la reconversion industrielle et les fermetures 
				d’usines. On attend les prochains chapitres…
 
 
 
				Publications
 
 
				Romans :Jeune Babylone《少年巴比伦》, Shouhuo (《收获》), novembre 2007
 En lui emboîtant le pas 《追随她的旅程》, Shouhuo (《收获》), numéro 
				spécial, décembre 2008
 Au milieu des nuées《云中人》, Shouhuo (《收获》), mai 2011
 Le passé de la rue des Fleurs 《花街往事》, Littérature du peuple 
				(《人民文学》), juin 2012
 Compassion 《慈悲》, Shouhuo (《收获》), mars 2015.
 
 Nouvelles
 Le piège de la déesse 《女神陷阱》, Li/Le mensonge (《鲤·谎言》), janvier 
				2009
 Personne ne sait valser 《无人会跳华尔兹》, Li/L’ambiguïté (《鲤·暧昧》), mars 
				2009
 Chronique du combat féroce des quarante 
				corbeaux 《四十乌鸦鏖战记》,
 Li/Les meilleurs moments (《鲤·最好的时光》), mai 2009
 
 Le jeune hussard de dix-sept ans 《十七岁的轻骑兵》, recueil en cours 
				d’écriture
 1 Chronique du combat féroce des quarante corbeaux  《四十乌鸦鏖战记》
 2 La nuit de Noël《圣诞夜》
 sur douban : 
				http://read.douban.com/ebook/163992/
 3 En portant une petite fille sur le dos… 《驮一个女孩去莫镇》
 4 Tu es une sorcière 《你是魔女》
 sur douban : 
				http://read.douban.com/ebook/224764/
 
 
 
				Traduction en anglais
 
 Young Babylon, tr. Poppy Toland, Amazon Crossing, 2015.
 
 
 
				Traduction en français
 
 Jeune Babylone, trad. Johanna Gayde, Actes Sud (coll. « Lettres 
				chinoises »), 2024.
 
				  
				
				Notes
 (1) Voir Repères historiques, 
				
				La génération intermédiaire.
 
				(2) 
				Zhou Yunpeng est le 
				poète et chanteur aveugle qui a écrit le récit
				
				« Le train 
				vert » (《绿皮火车》)
				publié 
				dans le premier numéro du 
				
				magazine de Han Han.
				 
				   
 
				  
				A lire en complément 
				  
				
				Chronique du combat 
				féroce des quarante corbeaux  
				
				(extrait)《四十乌鸦鏖战记》片段  
				 
				  
				Keep Running, Little Brother 
				《阿弟,你慢慢跑》- texte chinois :
				
				
				http://www.douban.com/group/topic/17345980/
 - traduction en anglais par Rachel Henson, initialement publiée 
				dans le numéro d’été 2013 de la revue Pathlight et reprise dans 
				la sélection « Read Paper Republic » :
 http://paper-republic.org/pubs/read/keep-running-little-brother0/
 
				  
				  
				  
				  
				  
				  
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