Histoire littéraire

 
 
 
        

 

 

Brève histoire du xiaoshuo et de ses diverses formes,

de la nouvelle au roman

VII. 20ème siècle : nouvelles courtes et moyennes contre roman

1. La mini-nouvelle (小小说)

par Brigitte Duzan, 1er janvier 2017    

 

La très courte nouvelle pose d’abord un problème de terminologie, car, si le terme de xiao xiaoshuo (小小说) est le plus répandu, on trouve de plus en plus de termes concurrents, comme le remarque Lu Ling (卢翎) dans sa préface au recueil qu’elle a édité en 2015, « Sélection des meilleures très courtes nouvelles de l’année 2015 » (2015小小说选粹》) :

 

翻阅2015刊载小小说作品的文学期刊,我发现不少文学期刊不再按照惯常方式使用微型小说小小说等约定俗成的称谓。而是别出心裁地重新“命名”,并力求做出期刊的自我定位与阐释。像《人民文学》的“微篇小说”,编者强调:相信读者朋友仔细看过就会知道,这些作品在名称上应该,在质地上更是区别于通常意义的“小小说”和“微型小说”的,那么顺着纯文学的名称序列:长篇小说、中篇小说、短篇小说,直到微篇小说,还是可以的吧...

En parcourant les très courtes nouvelles parues en 2015 dans les revues littéraires, j’ai remarqué

 

Sélection des meilleures très courtes nouvelles de l’année 2015

qu’un nombre non négligeable de ces revues n’utilisent plus les termes habituels de très courte nouvelle xiǎo xiǎoshuō (小小说) ou de micro-nouvelle wēixíng xiǎoshuō (微型小说), mais adoptent des appellations nouvelles dans le but de souligner et expliciter la position originale de la revue. Par exemple, le rédacteur de Littérature du peuple explique ainsi son choix du terme mini-nouvelle wēipiān xiǎoshuō (微篇小说) : « Je suis sûr que, en considérant leurs détails, le lecteur peut comprendre la différence formelle qu’il y a entre ce terme de mini-nouvelle et les termes habituels : la mini-nouvelle wēipiān xiǎoshuō se place dans la suite logique des trois catégories de fiction - roman [en tant que forme longue] / nouvelle moyenne / nouvelle courte (长篇小说、中篇小说、短篇小说) ; en ce sens le terme de wēixíng xiǎoshuō est aussi possible…

 

La multiplicité des termes traduit tout simplement l’effervescence d’un genre qui est en plein essor depuis une trentaine d’années.

 

Un genre en plein essor

 

La revue Sélection de très courtes

 nouvelles 《小小说选刊》, n° 4

 

La très courte nouvelle a en effet connu en Chine un essor rapide à partir du début des années 1980, parallèlement au développement de la nouvelle courte (短篇小说) et de la nouvelle moyenne (中篇小说). Le mouvement a été en s’amplifiant à partir de la création, en 1984 à Zhengzhou (郑州) dans le Henan, d’une revue bimensuelle dédiée à ce genre de nouvelles : « Sélection de très courtes nouvelles » (《小小说选刊》).

 

Son succès a entraîné l’apparition de nombreux journaux concurrents : « Sélection de mini-nouvelles » (《微型小说选刊》), créé en 1990, puis « Sélection des meilleures mini-nouvelles » (《微型小说精品》), « Le vaste monde des très courtes nouvelles » (《小小说大世界》) ou encore le « Mensuel de la très courte nouvelle » (《微型小说月报》). Cette multiplication des journaux a en retour entraîné celle des lecteurs, surtout jeunes, et répondant à un phénomène de mode, et l’apparition de nouveaux

auteurs spécialisés dans  ce genre, répondant à un besoin de lecture rapide dans un monde où le roman est en crise [1].

 

Cependant, plus profondément, tout au long de l’histoire de la littérature chinoise, la très courte nouvelle apparaît comme un genre d’avant-garde, dont la forme même permet et favorise les expérimentations, sur la langue en particulier. Tout en étant l’une des formes les plus raffinées de la littérature en langue classique, elle a également accompagné le développement de celle en langue vernaculaire, jusqu’à être adoptée aujourd’hui par les meilleurs auteurs qui en font un genre en pleine évolution, dans des styles très divers, à la croisée du conte, de la poésie et de l’essai.

 

Flash-back : De la langue classique au baihua

 

Des mythes de création …

 

La très courte nouvelle est en fait aux origines de la nouvelle elle-même, elle en est la forme la plus ancienne. Dans son essai “Old Wine in New Bottles?” [2], Qi Shouhua (祁寿华) la fait même remonter aux premiers récits de la mythologie chinoise : les mythes de création de Nüwa, Fuxi et Pangu.

 

Ainsi l’histoire de Pangu (盘古), le géant légendaire issu du chaos originel qui a séparé le ciel de la terre et fait de son corps l’univers vivant, a été notée pour la première fois par Xu Zheng (徐整), ministre des cérémonies (太常) de l’Etat de Wu oriental (东吴), pendant la période des Trois Royaumes, au 3ème siècle de notre ère ; l’histoire était inconnue auparavant, ce qui tendrait à indiquer des sources étrangères. Elle apparaît dans deux textes différents qui ont été

 

Chronique des Trois (Augustes) et

des Cinq (Empereurs) 《三五历记》

conservés dans des ouvrages ultérieurs : la « Chronique des trois [Augustes] et des cinq [Empereurs] » (《三五历记》) et les « Annales des cinq éléments » (《五运历年纪》).

 

天地浑沌,盘古生其中,一日九变,神于天,圣于地,主于天地。天日高一丈,地日厚一丈,盘古亦长一丈,如此万八千年,然后天地开辟。盘古龙身人首,……开目成昼,合目成夜,呼为暑,吸为寒,吹气成风云,叱声为雷霆。盘古死,……目为日月,髭为星辰,眉为斗枢,九窍为九州,乳为昆仑,膝为南岳,股为太山,尻为鱼鳖,手为飞鸟,爪为龟龙,骨为金银,发为草木,毫毛为凫鸭,齿为玉石。汗为雨水,大肠为江海,小肠为淮泗,膀胱为百川,面轮为洞庭。

Ciel et terre étaient confusément mêlés, Pangu est né là, mutant neuf fois par jour, le divin allant vers le ciel, le sacré vers la terre, le maître vers le ciel-terre. Le ciel s’élevait chaque jour d’un pouce, la terre s’épaississait chaque jour d’autant, et Pangu grandissait d’un pouce aussi ; ainsi, au bout de dix-huit mille ans, le ciel et la terre se séparèrent. Pangu avait un corps de dragon et une tête d’homme, … il ouvrit les yeux et ce fut le jour, il les ferma et ce fut la nuit, il expira et ce fut l’été, il inspira et ce fut l’hiver, il souffla et créa le vent et les nuages, il se fâcha et créa le tonnerre. Quand il mourut, … ses yeux devinrent le soleil et la lune, sa moustache forma les étoiles, ses sourcils donnèrent la Grande Ourse, les neuf orifices de son corps les neuf préfectures, sa poitrine le mont Kunlun, ses genoux le mont Heng, ses cuisses le mont Tai [etc…].

 

aux contes et anecdotes

 

On a là, déjà, l’essence de la mini-nouvelle : une narration pleine d’imagination, mais dans une forme à la fois concise et poétique. On retrouve ces caractères dans les anecdotes des Han relatant des « rumeurs de rues et de ruelles » (街谈巷语), développées ensuite sous forme de contes et fabliaux pleins d’humour [3]. Les histoires de fantômes se développeront en contes extraordinaires dont on trouve une série dès le Livre des Sui et évolueront vers le chuanqi sous les Tang.

 

Toutes ces histoires alimentent un fond de récits caractérisés par leur brièveté. Mais le chuanqi tel qu’il se développe à partir du 8ème siècle constitue un nouveau courant qui se dégage des anecdotes de la vie courante pour devenir récit de fiction. Ces récits empreints de merveilleux sont amenés, dès lors, à se développer, sous l’effet de l’imagination, et d’abord des conteurs.

 

… et aux récits de Pu Songling et Feng Menglong

 

San Yan Er Pai, le recueil des récits de

Feng Menglong et Ling Mengchu

 

C’est à la fin des Ming que l’on retrouve des récits concis, où le style est aussi important que la narration, sous la plume de deux auteurs qui sont véritablement les précurseurs auxquels se réfèrent les auteurs de min-nouvelles d’aujourd’hui : Pu Songling (蒲松龄) et Feng Menglong (冯梦龙), l’un écrivant en langue classique, l’autre en langue vernaculaire.

 

Feng Menglong est un modèle auquel on songe en lisant les mini-nouvelles actuelles, surtout pour la teneur de ses récits : des tableaux satiriques de la vie de l’époque, avec de très beaux portraits féminins, et une propension à flatter le goût de son temps pour le non conventionnel. Sa langue est colorée, avec l’utilisation de dialogues qui rendent ses récits encore plus vivants. Mais il conserve des traits de conteur, avec des introductions sur le contexte historique, des développements descriptifs et des poèmes pour introduire l’action.

 

Les « Chroniques de l’étrange » (《聊斋志异》) de Pu Songling sont remarquables pour la concision du style et de la construction ; certaines font à peine une page. Elles ont été écrites par un lettré pour ses amis lettrés, son souci principal étant, selon son traducteur André Lévy, « d’échapper à la banalité ». On retrouve donc la fascination pour l’insolite qui caractérise la période Ming, mais c’est un insolite tiré du quotidien, la part insondable du quotidien. C’est ce trait, lié au raffinement de la langue, qui fait de Pu Songling le véritable maître du xiao xiaoshuo dans sa forme moderne.

 

 

Pourtant, celui-ci a véritablement pris son essor à partir de la fin des années 1910, en lien avec le développement de la littérature moderne en baihua [4].

 

… jusqu’aux premières mini-nouvelles du 20ème siècle

 

Les premiers numéros du Mensuel

de la fiction Xiaoshuo Yuebao

 

C’est dans l’effervescence culturelle et littéraire des années 1910 que s’est développée une « nouvelle vague de littérature de fiction » (小说新潮), nom donné à la rubrique confiée à Mao Dun (茅盾) quand, en 1920, il fut nommé rédacteur en chef du « Mensuel de la fiction » (Xiaoshuo Yuebao《小说月报》) édité par la Commercial Press à Shanghai.

 

Parallèlement était créée, à Pékin en janvier 1921, l’Association de recherche littéraire » (文学研究会) dont le mot d’ordre était la défense du réalisme en littérature, un réalisme à dimension humaine et sociale débouchant sur des thèmes satiriques et critiques, dont la nouvelle courte fut d’emblée le mode d’expression idéal, contre la poésie et sous

l’influence des nouvelles de la littérature russe et française.

 

Mais la langue elle-même en était encore au stade expérimental. La très courte nouvelle devint donc, au début, le format idéal pour les jeunes auteurs, avec pour modèle la nouvelle de 1918 de Lu Xun (魯迅) « Le Journal d’un fou » (《狂人日记》) qui est considérée comme le texte fondateur de la nouvelle littérature, celui qui donne ses lettres de noblesse au baihua.

 

Ce sont ces caractéristiques que l’on retrouve, par exemple, dans la première nouvelle de Lao She (老舍), publiée en mai 1921 ; c’est justement un texte à caractère expérimental, sous forme de mini-nouvelle offrant un très beau portrait féminin : « L’échec d’une femme » (《她的失败》). Lao She publiera d’autres très courtes nouvelles par la suite, avec un caractère satirique marqué et beaucoup d’humour, comme « Acheter un billet de loterie » (《买彩票》).

 

La mini-nouvelle finit par devenir à la mode, comme un exercice de style. Témoin le petit texte ironique écrit à l’époque par Guo Moruo (郭沫若) : « Lui » (《他》).

 

Evoluant vers des formes hybrides, entre nouvelle et essai, sous la plume de Bing Xin (冰心), par exemple, la mini-nouvelle se retrouve naturellement à la pointe du développement littéraire dans une autre période d’intense créativité littéraire : les années 1980.

 

La mini-nouvelle aujourd’hui

 

Avant-gardiste et populaire

 

Après son nouvel essor dans le contexte des années 1980, la mini-nouvelle connaît depuis le début des années 2000 un regain de faveur tant auprès des écrivains que du public, grâce à la multiplication des revues spécialisées, mais aussi des supports numériques. Cependant, si certaines sont populaires auprès du grand public pour leur caractère humoristique, la mini-nouvelle reste fondamentalement un genre d’avant-garde, reflétant les recherches des meilleurs auteurs au niveau du style et de la forme.

 

Littérature grand public d’un niveau supérieur : c’est ainsi que la définit Lu Ling (卢翎) dans sa préface à sa sélection des meilleures très courtes nouvelles de l’année 2015 déjà citée :

小小说短小、凝练、精致与灵动,它深受广大文学爱好者喜爱,越来越多的人写小小说,为寻找一种精神慰藉,或者,圆自己的文学梦。它是一种“较高品位的大众文化”。同时,作为小说的一个品类,它是长篇小说等宏大形式的尖兵和后卫,……作为尖兵,它表现新的生活方式的预兆、萌芽、序幕;作为后卫,它表现业已逝去的历史时期中最具光采的碎片、插曲、尾声。[(卢卡契)在2015年的小小说中,我看到了小小说在这一方向上的努力,不拘文体界限、自由表达的尝试与努力,回望历史时,最为闪光的片断与最为深厚内涵的捕捉传达。]

La mini-nouvelle est brève, concise, raffinée et vive ; elle est profondément appréciée d’un vaste cercle d’amoureux de la littérature, et de plus en plus d’auteurs en écrivent, pour y chercher un réconfort spirituel ou pour concrétiser leur rêve littéraire. Elle représente une sorte de « littérature grand public d’un niveau supérieur ». En même temps, en tant que partie intégrante du domaine de la fiction, elle est le soldat d’élite et l’arrière garde de la grande forme romanesque. … En tant que soldat d’élite, elle constitue le signe précurseur, le bourgeonnement et le prologue du mode de vie moderne ; en tant qu’arrière-garde, elle représente le fragment le plus éclatant, à la fois intermède et épilogue, d’une période historique déjà révolue.
 

L’écrivain Lin Jinlan (林斤澜) insistait pour sa part sur le caractère avant-gardiste :

短小的生成灵活,灵活便于超前,做实验、当先锋

 Le récit très court donne quelque chose de vif et léger, en avance sur son temps, c’est expérimental, et en tant que tel avant-gardiste. 

 

Des bribes de quotidien prises sur le vif

 

C’est l’homme d’aujourd’hui, la société moderne, et la nature humaine en général, qui est le sujet principal de la mini-nouvelle d’aujourd’hui. Mais ce sont des récits d’une forme inhabituelle, où, contrairement à la nouvelle proprement dite, l’histoire (en tant qu’intrigue) a disparu, remplacée par une situation, un contexte, une atmosphère, toutes sortes d’impressions fugaces, d’instants succincts, qu’il est parfois difficile de cerner, comme dans la poésie.

 

L’un des deux grands écrivains contemporains spécialistes de la mini-nouvelle, avec Feng Jicai (冯骥才),  est Wang Zengqi (汪曾祺), et il a écrit un essai pour définir ce qu’est la mini-nouvelle dans sa forme actuelle : « Wang Zengqi discute de l’écriture de la mini-nouvelle » (汪曾祺谈小小说写作) [5] :

 

         小小说不就是小的小说、不只是它的外部特征。小小说仍然可

 

Wang Zengqi parle du xiao xiaoshuo

以看作是短篇小说的一个分支,但它又是短篇小说的边缘。短篇小说的一般素质,小小说是应该具备的。小小说和短篇小说在本质上既相近,又有所区别。大体上说,短篇小说散文的成份更多一些,而小小说则应有更多的诗的成份。小小说是短篇小说和诗杂交出来的一个新的品种。它不能有叙事诗那样的恢宏,也不如抒情诗有那样强的音乐性。它可以说是用散文写的比叙事诗更为空灵,较抒情诗更具情节性的那么一种东西。它又不是散文诗,因为它毕竟还是小说。因此它才有意思,才好玩,才叫人喜欢。

Le xiao xiaoshuo n’est pas seulement une nouvelle brève, qui possèderait les caractéristiques extérieures de la nouvelle. On peut, il est vrai, considérer la mini-nouvelle comme une branche de la nouvelle courte, mais elle en en constitue en fait la limite extrême. La mini-nouvelle possède forcément les propriétés essentielles de la nouvelle courte, mais, tout en en étant très proche, elle s’en distingue cependant. De manière générale, ce sont les caractères de la prose courte (sanwen 散文) que l’on trouve dans la nouvelle courte, tandis que la mini-nouvelle a bien plus d’affinités avec la poésie. La mini-nouvelle est un hybride de la nouvelle courte et du poème. Elle ne peut pas être aussi développée qu’un poème narratif, et elle n’a pas non plus la musicalité du poème lyrique. Elle a une prose d’un style bien plus libre et naturel que le poème narratif, et elle comporte une intrigue que n’a pas le poème lyrique. Et ce n’est pas un poème en prose car elle raconte une histoire. C’est de là que vient tout son intérêt …

 

小小说是小的小说。小的就是小的。从里到外都是小的。“小中见大”,是评论家随便说说的。有一点小小说创作经验的人都知道这在事实上是办不到的。谁也没有真的从一滴水里看见过大海。大形势、大问题、大题材,都是小小说所不能容纳的。要求小小说有广阔厚重的历史感,概括一个时代,这等于强迫一头毛驴去拉一列火车。

Pour définir le sujet de la mini-nouvelle, les critiques disent généralement que c’est « voir le grand dans le petit » (小中见大). Mais ceux qui en écrivent savent que c’est impossible. On ne verra jamais un océan dans une goutte d’eau. Les grands sujets, les grands problèmes, les grands événements, cela n’est pas du ressort de la mini-nouvelle. Vouloir donner dans une mini-nouvelle le sentiment d’une vaste période historique, c’est comme vouloir remorquer un train avec un âne.
 

小小说作者所发现、所思索、所表现的只能是生活的一个小小的片段,这个片段是别人没有表现过、没有思索过、没有发现过的。最重新的是发现。发现,必然就伴随着思索,同时也就比较容易地自然地找到合适的表现形式。文学本来都是发现。但是小小说的作者需要更有“慧眼”,因为引起小小说作者注意的,往往是平常人易于忽略的小事。这仵小事得是天生的一块小小说的材料。这样的材料并非俯拾皆是:随手抓就能抓得到的。

L’histoire d’une mini-nouvelle ne peut être qu’un bref pan de vie, une expérience vécue par l’auteur, et unique : quelque chose que personne d’autre n’a vécu, ressenti, observé. Et le plus important est l’observation, et une observation qui va de pair avec la réflexion et qui doit en même temps pouvoir être exprimée de façon aisée, naturelle et appropriée. Un texte littéraire est d’abord observation, mais, dans le cas d’une mini-nouvelle, c’est avant tout une perception mentale (慧眼) car, dans le cas d’un auteur de mini-nouvelles, ce qui attire son attention, ce sont des gens ordinaires et des faits infimes. Le sujet idéal est ce qui se trouve à portée de main.

 

小小说的材料的获得往往带有偶然性,邂逅相逢,不期而遇。并且,往往要储存一段时间,作者才能大致弄清楚这件小事的意义。写小小说确实需要一点“禅机”。小小说不大可能有十分深刻的思想,也不宜于有很深刻的思想,小小说可以有一点哲理,但不能在里面进行严肃的哲学的思辨(中篇小说、长篇小说可以)。小小说的特点是思想清晰,半亩方塘,一湾溪水,浅而不露。小小说应当有一定程度的朦胧性。朦胧手法,而是作者的思想本来就不是十分清楚。有那么点意思,但是并不透彻。此中有真意,欲辩已忘言

Le sujet de la mini-nouvelle a donc un caractère occasionnel, voir accidentel : on le rencontre par hasard et il faut souvent le garder en réserve un moment avant de lui trouver un sens. Ecrire dans ces conditions relève un peu des visions allégoriques du bouddhisme chan (禅机). La pensée en est très profonde, et relève de la philosophie, mais on n’a pas le temps de développer un argument de ce genre (comme dans une nouvelle moyenne ou un roman) … En un certain sens, il y a une part d’obscurité dans ces récits, comme dans la poésie dite « obscure » (朦胧性), le sens n’est pas totalement clair. Il y a « sens vrai, désir de l’exprimer mais défaut de parole »
 

小小说不需要过多的热情,甚至不要热情。大喊大叫,指手画脚,是会叫读者厌烦的。小小说的作者对于他所发现的生活片段,最好超然一些,保持一个旁观者的态度,尽可能地不动声色。小小说总是有个态度的,但是要尽量收敛。可以对一个人表示欣赏,但不能夸成一朵花;可以对一件事加以讽刺,但不辛辣。小小说作者需要的是:聪明、安静、亲切。

La mini-nouvelle n’a pas besoin de passion, et même il ne lui en faut pas. Les cris et les gesticulations ne peuvent que fatiguer le lecteur. Pour raconter un fait qu’il a observé, l’auteur doit le transcender, garder une certaine distance, une attitude neutre, la plus grande retenue. Il peut manifester son appréciation d’une personne, mais ne pas la louer excessivement, critiquer un fait, mais le faire modérément. L’auteur de mii-nouvelles doit répondre à trois exigences : être intelligent, calme, et bienveillant.

 

小小说是一串鲜樱桃,一枝带露的白兰花,本色天然,充盈完美。小小说不是压缩饼干、脱水蔬菜。不能把一个短篇小说拧干了水分,紧压在一个小小的篇幅里,变成一篇小小说。当然也没有人干这种划不来的傻事。小小说不能写得很干涩很紧张很局促。越是篇幅有限,越要从容不迫。

Une mini-nouvelle est un bouquet de cerises fraîches, une fleur de lotus blanche couverte de rosée, aux couleurs naturelles et d’une exquise beauté ; ce n’est pas comme des biscuits de mer ou des légumes secs. On ne peut pas essorer un nouvelle pour en faire une mini-nouvelle… On ne peut pas écrire une mini-nouvelle dans la précipitation. Plus le texte est court, plus il demande de force tranquille.

         ……………….

小小说不是删削而成的。删得太狠的小说是可以看得出来的,往往不顺,不和谐,不圆满。应该在写的时候就控制住自己的笔,每琢磨一句,都要想一想:这一句是不是可以不写? ...

Une mini-nouvelle ne s’obtient pas en effaçant ou en élaguant... Il faut maîtriser sa plume quand on écrit, polir chaque phrase, réfléchir sans cesse en se demandant à chaque phrase si elle est nécessaire…

……………….

空白,是小小说的特点。可以说,小小说是空白的艺术,中国画讲究计白当黑,以为应使字之上下左右皆有字,因为注意留白,小小说的天地便很宽余了。所谓“留白”,简单直截地说,就是少写。

Le vide est une caractéristique de la mini-nouvelle. On peut même dire que c’est l’essence de l’art de la mini-nouvelle, de même que la peinture chinoise lui accorde une attention particulière … [Il faut] « laisser du blanc », c’est-à-dire tout simplement écrire modérément.
 
    
 

Personnages peu communs du monde ordinaire (avec les illustrations de l’auteur)

 

L’auteur de mini-nouvelles, ainsi, utilise au mieux la forme poétique, avec la plus grande liberté, mais il puise aussi à la fois dans les genres de la nouvelle, de l’essai et de la fable, et utilise les éléments d’origines les plus diverses : le texte est ainsi inclassable, nécessairement. La mini-nouvelle est devenu un genre raffiné, où se lit la personnalité de chacun des auteurs.

 

Celles de Lao Ma (劳马) séduisent un large public par leur humour ; celles de Feng Jicai et de Weng Zengqi sont des galeries de portraits de petites gens qui ont un côté de fine satire sociale ; les récits de Da Jie (大解) relèvent de l’absurde au quotidien poussé jusqu’au bout de sa logique, jusqu’à définir tout un univers mental… Ce sont des exemples parmi les centaines d’auteurs dont on ne connaît souvent qu’un ou deux récits.

 

C’est aussi un genre qui grignote sur les genres voisins, en particulier la nouvelle courte ou moyenne. Il est caractéristique, par exemple, de voir Cao Kou (曹寇) être passé de la nouvelle moyenne à la mini-nouvelle dans l’un de ses deux recueils publiés fin 2016, « Crise » (《风波》), l’autre étant un recueil de « notes au fil de la plume », donc un autre genre de prose très courte. La littérature d’avant-garde est bien là.

 


 

A lire en complément

 

Feng Jicai : extraits du recueil « Personnages peu communs du monde ordinaire » 《俗世奇人》

La vieille pocharde 《酒婆》

Li la Brosse 《刷子李》 et Su Sept Yuans 《苏七块》

Wang Zengqi : La Queue 《尾巴》

Jia Pingwa : Wu Song tue sa belle-sœur 《武松杀嫂》

Da Jie :  Fables de l’Idiot 《傻子寓言》 (cinq extraits)

Chroniques de l’Idiot 《老傻记》 (trois extraits) 

Cao Kou : Peng Fei et Wang Aishu 《彭飞和王爱书》 (extrait du recueil « Crise »)

 


 

Traduction en français

 

- Lao Ma, Tout va changer, recueil de mini-nouvelles traduites par Lucie Modde, éditions Philippe Picquier, avril 2015.

 

Traductions en anglais

 

- Lao Ma, Individuals, 55 récits tr. Li Qisheng et Li Ping, Fortysix, mars 2015.

- Pearl Jacket and other stories, 120 short short stories edited and translated by Qi Shouhua, Stonebridge Press, November 2008.

- Loud Sparrows- Contemporary Chinese Short-Shorts, selected and translated by Aili Mu, Julie Chiu et Howard Goldblatt, Columbia University Press mars 2008.

 

 


[1] Un phénomène semblable a eu lieu à Taiwan où la section des très courtes pièces de la page littéraire du United Daily a entraîné la vogue de ce genre au début des années 1980 ; les journaux ont alors ouvert des rubriques où les écrivains ont côtoyé les amateurs qui ont activement participé à l’essor du genre. A Hong Kong, des très courtes nouvelles ont commencé à paraître dans les journaux dès les années 1950, en tant que divertissement, mais ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’elles ont été publiées dans les revues littéraires en tant que genre littéraire à part entière.

[2] In : The Rose Metal Press Field Guide to Writing Flash Fiction : Tips from Editors, Teachers, and Writers in the Field, 2009. Qi Shouhua est l’éditeur du recueil Flash Fiction (voir Traductions).

 

 

     

    

          

         

 

 

 

 

     

 

 

 

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