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				Club de lecture du 
				Centre culturel de Chine 
				
				Année 2019-2020 
				
				  
				
				Compte rendu de la 
				première séance  
				
				et annonce de la 
				séance suivante 
				 par Brigitte 
				Duzan, 21 octobre 2019   
				
				La première séance de l’année 2019-2020 du Club de lecture du 
				Centre culturel de Chine s’est tenue le mardi 15 octobre 2019 
				dans la médiathèque du Centre ; elle était consacrée à 
				l’écrivain 
				A 
				Cheng (阿城).
				 
				  
				
				Figuraient au programme les 
				principales œuvres d’A Cheng traduites en français, par Noël 
				Dutrait :  
				
				- 
				
				Les Trois Rois (Le Roi 
				des échecs 
				
				《棋王》/ 
				Le Roi des arbres 
				《树王》), 
				Le Roi des enfants 
				《孩子王》)
				
				
				, 
				éditions de l’Aube 1998, 243 p.  
				
				- Perdre son chemin (Milu《迷路》), 
				recueil de textes du genre « écrits au fil du pinceau » 
				(笔记),
				
				
				l’Aube 1996, l’Aube poche 2001, 118 p. 
				
				- Le Roman et la Vie (Xianhua Xianshuo《闲话闲说》)
				
				
				
				, 
				essais, l’Aube 1995, l’Aube poche 2005,  
				
				215 p. 
				  
				
				Les membres du Club ont ajouté à leurs lectures deux recueils de 
				nouvelles : 
				
				- Injures célestes (《天骂》), 
				tr. Noël et Liliane Dutrait, l’Aube 
				1992 (également paru sous le titre « Chroniques », rééd. poche 
				2004) 
				
				- 
				
				
				Un recueil traduit en anglais : Unfilled Graves (《空坟》), 
				préface de 
				
				Wang Zengqi (汪曾祺), 
				tr. Bonnie McDougall, Chinese Literature Press (Panda books), 
				1995, 170 p. 
				
				
				 
				
				Recueil de dix nouvelles - essentiellement des portraits de 
				femmes aux marges de la société :  
				
				Unfilled Graves / The Kind-Hearted Prostitute / Six New Year 
				Sketches / Speaking of the Wangs /  
				
				Lao Liu / The Drowning in the Pond / Story of the Liangs / 
				Northeasterners / Salt Flats / Jiazi.  
				- 
				Sept de ces nouvelles sont reprises dans le recueil traduit en 
				français : La Prostituée innocente (《良娼》), 
				éd. Littérature chinoise, coll. Panda, 1998, 233 p. 
				  
				De 
				nombreux membres du Club présents à la séance avaient lu la 
				totalité des œuvres ci-dessus, et en avaient en outre lu 
				certaines en chinois, dont Xianhua Xianshuo. en s’aidant 
				au besoin de la traduction en français. 
				  
				
				Impressions de lecture 
				et commentaires  
				  
				
				Belle découverte, mais 
				difficultés initiales 
				  
				
				L’impression d’ensemble manifestée par les membres présents est 
				celle du bonheur d’une découverte – ou redécouverte pour 
				certains qui avaient lu quelques-uns de ces textes il y a une 
				quinzaine d’années - mais bonheur mitigé parfois par la 
				difficulté de compréhension des subtilités du texte dans le cas 
				de Xianhua Xianshuo. 
				
				  
				
				Une lectrice semble résumer la réaction de beaucoup : déroutés 
				dans un premier temps, l’intérêt venant à la lecture dans un 
				second temps, Xianhua Xianshuo apparaissant comme œuvre 
				de référence. L’intérêt, pour certains, s’est trouvé accru par 
				l’impression personnelle de retrouver une Chine disparue qu’ils 
				ont connue lors de voyages ou séjours à la fin des années 1970.
				 
				  
				
				Ces réserves faites, l’impression dominante est le bonheur de la 
				lecture. Bonheur qui répond très bien à la définition qu’en a 
				donnée Michèle Gazier sur France Culture lors de la Nuit de la 
				lecture 2019 : « C'est 
				cela le bonheur de la lecture : être toujours en relation avec 
				le monde, un autre monde, et son propre monde. » 
				
				  
				
				Bonheur de lecture 
				
				  
						
							| 
							
							1. La
							
							
							Trilogie des Rois
							a fait l’unanimité, bien qu’avec une ou deux 
							réserves : l’une des lectrices a commencé ses 
							lectures par « Le Roi des échecs », n’a pas 
							accroché, est passée au « Roi des arbres » qu’elle a 
							beaucoup aimé, a poursuivi avec le « Roi des 
							enfants » avant de revenir au « Roi des échecs ». Il 
							fallait sans doute un temps d’accoutumance 
							(plusieurs personnes disent avoir trouvé les textes 
							« dérangeants ») : quand elle a lu ensuite « Perdre 
							de son chemin », elle a beaucoup apprécié le côté 
							poétique de ces « petites vignettes », dit-elle, 
							poétique mais humoristique aussi.  
							
							  
							
							Une autre 
							lectrice a aimé l’empathie de l’auteur avec les 
							personnages modestes qu’il dépeint dans ses 
							nouvelles, ainsi que les liens étroits entre la 
							nature et les hommes. Un peu dans le même ordre 
							d’idées, le lecteur suivant a souligné la position 
							singulière de l’auteur : à la fois critique, donc 
							distancié, mais partie prenante dans son histoire, 
							proche de ses personnages, d’où un ton empreint de 
							chaleur humaine.  |  | 
							
							 
							Les Trois Rois |  
				   
				
				Une lectrice témoigne de son intérêt particulier pour « Le Roi 
				des enfants » : étant elle-même enseignante, elle y a retrouvé 
				bien des souvenirs, en particulier l’embarras du premier jour 
				devant une classe inconnue dont on se demande comment on va 
				l’approcher.     
				Le 
				« Roi des arbres » a été particulièrement apprécié, pour son 
				actualité encore aujourd’hui, où l’on voit la Chine tenter de 
				reboiser les zones désertifiées par les nécessités de politiques 
				de développement accéléré qui ont ruiné l’écologie. Un lecteur y 
				voit aussi une atmosphère un peu gothique, rappelant le « Roi 
				des Aulnes » 
				
				.
				 
				  
				
				Les lecteurs ont aussi fait des rapprochements avec des lectures 
				antérieures et des films. D’une part, le « Roi des arbres » a 
				été rapproché de l’univers de 
				
				Jia Pingwa dans sa symbiose du naturel et du 
				surnaturel – commentaire d’autant plus pertinent qu’A Cheng 
				considérait Jia Pingwa comme représentatif de cette littérature 
				« populaire » qu’il prônait (voir commentaires ci-dessous). Mais 
				A Cheng a été jugé plus facile à lire, sans doute parce que le 
				roman de référence évoqué était « Les fours anciens ». 
				  
				D’autre part, un 
				parallèle a été fait entre « Le Roi des enfants » et « Pas un de 
				moins » (《一个都不能少》), 
				le film de 1999 de Zhang Yimou qui, dans une approche 
				différente, a également pour sujet les difficiles conditions 
				d’enseignement en milieu rural, dans les zones reculées du pays.
				 
				  
				2. 
				Les autres nouvelles ont été très appréciées
				par ailleurs
				 
				  
				Au 
				passage, un lecteur demande : mais où a-t-il trouvé toutes ces 
				histoires ? C’est là tout son art de conteur, sachant magnifier 
				des récits entendus de-ci de-là, qu’il a développé pendant la 
				Révolution culturelle, auprès de ses camarades, à la campagne.   
				Le 
				recueil qui n’était pas au programme a rencontré le plus grand 
				succès : soit en traduction anglaise, « Unfilled Graves », selon 
				le titre de l’une des nouvelles, soit en traduction française 
				« La prostituée innocente » selon le titre d’une autre 
				(traduction contestée, à juste titre, voir commentaires 
				ci-dessous).   
				  
				
				Enthousiaste, une lectrice fait au passage un résumé vivant de 
				trois des nouvelles de ce recueil, à la manière des conteurs :   
						
							| 
							
							-    « Unfilled 
							Graves » (les tombes vides,
							
							
							kōngfén《空坟》)
							
							
							se passe, raconte-t-elle, dans un petit village de 
							montagne habité uniquement par des femmes : l’eau 
							est toxique pour les hommes qui doivent aller vivre 
							ailleurs ; un jeune homme, s’étant perdu, est 
							recueilli dans le village, prend femme, et repart 
							après avoir conçu un enfant, mais il aura 
							entre-temps appris aux femmes comment recueillir 
							l’eau de pluie afin de ne plus être dépendant de 
							l’eau des puits ; les hommes pourront rester. 
							
							La nouvelle a déjà un peu de l’atmosphère du « Roi 
							des arbres ».  
							
							-    « La 
							prostituée innocente » ou plutôt « au bon cœur » (liáng
							
							chāng《良娼》), 
							est l’histoire d’une femme qui se prostitue par 
							nécessité, pour élever son fils infirme. 
							
							-    La 
							dernière nouvelle est l’histoire d’un village 
							d’idiots et d’handicapés de toutes sortes, dont la 
							règle veut que les mariages soient uniquement 
							consanguins. Une femme enceinte qui a eu une  |  | 
							
							 
							Unfilled Graves |  
				
				    
				 liaison 
				dans un village voisin se voit condamnée à mort, par son propre 
				grand-père qui est le chef du village ; elle sera exécutée et 
				enterrée avec son chat qui a commis une faute semblable. 
				 
				
				  
				
				La question qui se pose donc : qu’est-ce qu’un homme, un être 
				« normal » ? (voir commentaires ci-dessous)   
				3.
				Xianhua Xianshuo a très souvent posé des 
				problèmes de compréhension (et même une réaction de rejet) en 
				raison de l’immense culture dont témoignent ces essais, qui 
				apparaît là dans toute sa subtilité dans un style concis à 
				l’extrême ; A Chen prend plaisir à laisser souvent à la charge 
				du lecteur le soin de compléter, voire interpréter sa pensée au 
				gré de digressions interrompues en prétextant parfois le 
				hors-sujet. Comme l’indique le titre, où xián (闲) 
				signifie tout à loisir, en toute quiétude, A Cheng 
				prend la position (traditionnelle) du lettré oisif discutant ou 
				disputant nonchalamment de choses et d’autres.   
				
				  
						
							| 
							
							 
							Xianhua Xianshuo |  | 
							
							 
							Le Roman et la Vie |  
				  
				
				Beaucoup de lecteurs ont trouvé que la traduction aurait 
				nécessité bien plus de notes pour que les références 
				littéraires, au moins, puissent être bien comprises du lecteur 
				insuffisamment averti. Des questions précises ont été posées sur 
				quelques références jugées obscures : la littérature pure, la 
				nouvelle « Ordination » (voir les réponses et commentaires 
				développés ci-dessous).  
				  
						
							| 
							
							 
							Œuvres choisies d’A Cheng, 
							 
							Beijing Yanshan chubanshe, 
							2006 |  | 
							
							Un lecteur souligne l’humour latent dans le texte, 
							en citant un passage typique (chapitre 32) où A 
							Cheng explique une expression fondée comme souvent 
							sur un épisode historique : 
							
							
							wàngbā
							
							
							忘八, 
							expression devenue une injure avec une autre 
							orthographe, et qui a toute une histoire, méritant
							
							
							
							quelques précisions. 
							
							  
							
							De manière significative, l’explication donnée par A 
							Cheng se trouve à la fin du chapitre 32 du texte 
							original qui comporte au début une satire de Mao et 
							une critique de la théorie de la lutte des classes : 
							il est supprimé des éditions des œuvres d’A Cheng 
							éditées en Chine continentale, dont les œuvres 
							choisies éditées en 2006 dans la série des grands 
							classiques du 20ème siècle par les 
							éditions pékinoises Beijing Yanshan chubanshe 
							(《阿城精选集》北京燕山出版社).
							
							Le 
							chapitre se trouve dans la version de l’ouvrage 
							éditée à Taiwan 
							
							
							. |  
				  
				
				Questions, remarques et 
				commentaires 
				  
				
				
				1.      
				
				
				Sur les coutumes séculières chinoises  
				
				
				  
				
				Il ne faut pas négliger le sous-titre de Xianhua Xianshuo :
				« propos sur les coutumes séculières et la fiction en 
				Chine » (中国世俗与中国小说)
				
				
				
				.  
				C’est le thème de tout l’ouvrage, qui est une apologie des 
				coutumes séculières (shìsú 
				
				
				世俗), 
				à travers le taoïsme populaire érigé en fondement de la pensée 
				et de la vie du peuple qui y trouve refuge et consolation ; 
				partant de là, il se livre à une défense de la littérature 
				populaire qu’il désigne du même terme (世俗小说).   
						
							| 
				
				Ce retour aux coutumes traditionnelles comme fondement de la vie 
				du peuple est ce qui a fait de A Cheng un précurseur du courant 
				littéraire dit « de recherche des racines » (“寻根小说”) 
				qui va se développer à partir d’un article publié en décembre 
				1984 par 
				
				Han Shaogong (韩少功) 
				et intitulé « Les "racines" de la littérature » (《文学的“根”》). 
				C’est un véritable retour aux sources dans le contexte de crise 
				née du vide culturel engendré par la Révolution dite culturelle.
				 |  |  |  
				
				  
				
				Han Shaogong publie aussitôt après une nouvelle qui devient le 
				symbole du nouveau courant littéraire : c’est « PaPaPa » (《爸爸爸》), 
				écrite dans une langue allégorique, dont le personnage principal 
				est un idiot, né de père inconnu dans un village aux mentalités 
				conditionnées par les superstitions d’autrefois au point de 
				vouloir en faire une divinité capable de faire tomber la pluie. 
				
				  
				
				Cette figure de l’idiot amène une réflexion sur le sujet à 
				propos des remarques faites au cours de la séance à partir des 
				nouvelles d’A Cheng. 
				  
				
				              2.      
				
				La figure de l’idiot, 
				du simple d’esprit, du fou
				 
				  
				
				A travers son personnage d’idiot, Han Shaogong montrait la part 
				d’irrationnel et le poids des traditions dans les mentalités 
				chinoises, et
				
				combien la civilisation chinoise est conditionnée par l’histoire 
				et la culture populaire, par ses « racines », avec tout leur 
				poids de merveilleux et de fantastique. A Cheng a fait de même, 
				dès le début des années 1980. 
				
				  
						
							| 
							
							La nouvelle « Perdre son chemin » (《迷路》)
							
							
							
							
							
							a pour personnage principal un jeune garçon qui a eu 
							une méningite quand il était petit et en a gardé des 
							séquelles : on l’appelle l’Idiot (shǎzi 
							
							
							傻子), 
							mais il ne l’est pas autant qu’il y paraît : il 
							devient « infirmier aux pieds nus ».   
							
							  
							
							Des lecteurs remarquent qu’il y a des personnages de 
							ce genre – un peu étranges, en marge de la 
							« normalité » sociale - dans d’autres nouvelles d’A 
							Cheng : ainsi, la « prostituée au grand cœur » se 
							prostitue pour élever son fils, Petit Trésor (宝子), 
							qui est infirme (瘸子). 
							Dans la dernière nouvelle du même recueil, c’est 
							tout un village qui est peuplé d’idiots et de 
							simples d’esprit, condamnés à se reproduire comme 
							tels car seuls sont permis les mariages 
							consanguins.     
							
							Mais le plus beau de ces personnages est « le fou 
							d’échecs » (“棋呆子”), 
							et l’on touche là à la folie au sens de passion 
							absolue et obsessive, le terme de 
							
							dāizi 
							(呆子)
							 |  | 
							
							 
							Perdre son chemin |  
				
				suggérant l’image de cette obsession maladive : dāi 
				
				
				呆 
				
				désigne étymologiquement une personne qui reste stupide, bouche 
				bée, le regard dans le vide, sans expression, avec le caractère
				kǒu 
				口 
				
				suggérant la bouche ouverte. Mais ici encore le « fou » est en 
				fait un être d’exception, formé aux pratiques taoïstes de 
				méditation et concentration qui sont à la base de son art des 
				échecs.    
				
				Le personnage de l’idiot, ou du fou, est courant dans la 
				littérature chinoise
				 : 
				être en marge, qui n’est pas conforme aux règles usuelles ; il 
				peut aussi bien inquiéter qu’être respecté pour une forme de 
				savoir irrationnel, ou apparemment tel. Plusieurs lecteurs et 
				lectrices ont cité l’exemple des
				
				« Fours 
				anciens » (《古炉》) 
				de 
				
				Jia Pingwa (贾平凹), 
				dont le personnage principal est le jeune Pissechien (狗尿苔) 
				qui sait communiquer avec les animaux et les plantes autour de 
				lui, tandis que sa grand-mère est aussi un peu bizarre, car elle 
				a des pouvoirs quasi magiques. Quant aux habitants du village, 
				la Révolution culturelle les rendra hystériques : fous à lier (狂人).   
				
				C’est un exemple d’autant plus judicieux que, dans Xianhua 
				xianshuo, Jia Pingwa est cité par A Cheng, aussitôt après
				
				
				Wang Zengqi (chapitre 65), comme un écrivain 
				du terroir dont « l’arrière-plan culturel est constitué par les 
				coutumes rurales » (平凹的文化功底在乡村世俗) 
				et dont les romans sont tous populaires (平凹的作品…都是世俗小说。).
				 
				
				  
						
							| 
							
							 
							Photographie 
							d’Henri Cartier-Bresson,  
							prise à Pékin en 
							décembre 1948 |  | 
							
							On pourrait poursuivre l’exercice en relevant les 
							« idiots », « fous » et anormaux de toutes sortes de 
							la littérature chinoise, à commencer par « Le 
							Journal d’un fou » (《狂人日记》) 
							de 
							
							Lu Xun (魯迅), 
							mais en continuant aussi avec le cinéma chinois, 
							dont les films de wuxia. On trouve maintenant 
							des idiots aussi dans la littérature de 
							science-fiction chinoise : récemment, lors d’un 
							colloque au Leeds Centre for New Chinese Writing, 
							l’écrivaine 
							
							Xia Jia (夏笳) 
							a fait une courte présentation du personnage du 
							« fou comme héros » dans la science-fiction : qu’ils 
							soient combattants, scientifiques ou enfants, leur 
							caractéristique commune est d’agir de manière 
							anormale.   
							
							  
							
							Enfin, voici une belle illustration : une 
							photographie d’Henri Cartier-Bresson, prise à Pékin 
							en décembre 1948, d’un simple d’esprit embauché pour 
							escorter le palanquin des jeunes mariées lors de 
							cérémonies de mariage.
							 |  
				
				         
				
				             3.      
				
				Le titre « La 
				prostituée innocente ». 
				  
				
				Une lectrice trouve – à juste titre – la traduction en français 
				contestable : le titre original chinois étant liáng
				
				chāng 
				
				《良娼》, 
				le sens est donc plutôt « La prostituée au grand cœur », ou « au 
				bon cœur » (comme en anglais « The Kindhearted Prostitute »). 
				Comme l’indique le caractère, le terme chāng
				désignait plus précisément, dans la Chine ancienne, 
				une chanteuse d’opéra, souvent courtisane plutôt que prostituée 
				(唱戏的女子) ; 
				c’était une artiste (歌舞女艺人).
				 
				  
				Le 
				choix de ce terme n’est sans doute pas anodin. On peut y voir 
				une référence 
				
				 
				à une pièce du dramaturge de la dynastie des Yuan Guan Hanqing (关汉卿), 
				célèbre auteur de pièces zaju qui sont pour la plupart 
				des histoires de femmes. Eminent représentant d’un courant dit 
				de la « couleur naturelle » (‘bense’ pai 
				“本色”派), 
				il incarne un courant populaire semblable à celui défendu par A 
				Cheng : dans le Xianhua xianshuo, il consacre un 
				chapitre, le 41, au théâtre zaju des Yuan. 
				 
				  
				Un 
				simple titre peut parfois être révélateur de significations plus 
				profondes qu’il n’y paraît, surtout chez A Cheng dont les 
				subtilités d’écriture ne sont pas toujours faciles à déchiffrer, 
				en particulier dans le Xianhua xianshuo. Les lecteurs 
				présents ont soulevé quelques points qui méritent quelques 
				commentaires, en particulier autour du concept de « littérature 
				pure » et de la nouvelle « Ordination ». 
				  
				
				              4.      
				
				La littérature « pure » 
				  
				Le
				Xianhua xianshuo est écrit en partie en défense du roman 
				populaire, dont il parle après les « coutumes séculières », 
				comme il l’annonce au début du chapitre 38 
				
				
				 : 
				
				         
				
				 大致观过了世俗,再来试观中国小说。 
				
				Traduction de Noël Dutrait : « Maintenant que j’ai parlé des 
				coutumes séculières, je vais essayer d’examiner le roman 
				chinois » – traduction qui pose le problème déjà mentionné de la 
				traduction de xiaoshuo, mais qui peut se justifier dans 
				ce cas car A Cheng se propose ici, après un bref historique, de 
				parler du roman populaire en tant que genre né des histoires 
				étranges et contes merveilleux des Tang et jusqu’aux Ming, en 
				passant par les huaben des Song et des Yuan 
				
				
				. 
				  
				
				Or, ce sont justement ces origines « impures » qui faisaient du 
				roman un genre méprisé des lettrés dont les genres de 
				prédilection étaient la poésie et l’essai, genres non 
				fictionnels dont la maîtrise était la clé de la réussite aux 
				examens mandarinaux. A Cheng souligne bien, au chapitre 41, que 
				le théâtre zaju est un important développement dans l’art 
				populaire chinois car, les lettrés se voyant refuser l’accès aux 
				examens mandarinaux, donc ne pouvant accéder aux postes 
				officiels (不能科举做官), 
				ils n’ont eu d’autre alternative que d’écrire des zaju, 
				genre qui dénotait jusque-là surtout des zashua (杂耍), 
				c’est-à-dire des vaudevilles et autres divertissements 
				populaires 
				
				
				. 
				
				  
				
				A Cheng souligne bien les liens entre roman et théâtre, y 
				compris dans sa version opéra qui a toujours été un art 
				populaire en Chine. C’est quand le roman se développe, sous les 
				Ming, que le genre du zaju commence à décliner, comme par 
				un effet de balancier : ils d’adressaient au même public, en 
				langue vulgaire, comme il montre dans ses chapitres sur les 
				grands romans, et surtout sur le Hongloumeng, le Rêve 
				dans le pavillon rouge (《红楼梦》), 
				dont il fait l’œuvre-type du roman populaire (chapitre 46).
				 
				
				  
				
				Ses brefs développements sur ce roman sont d’une extrême 
				richesse dans leur concision ; il capte l’esprit du roman quand 
				il dit (chapitre 47) :  
				
				我既说《红楼梦》是世俗小说,但《红楼梦》另有因素使它成为中国古典小说的顶峰,这因素竟然也是诗,但不是小说中角色的诗,而是曹雪芹将中国诗的意识引入小说。 
				
				
				« Même si j’ai dit que "Le Rêve dans le pavillon rouge" est un 
				roman populaire, il est un autre facteur qui en a fait l’un des 
				sommets du roman classique chinois, c’est bien sûr la poésie, et 
				ce non tant en raison des poèmes des personnages, mais pour la 
				conscience poétique que Cao Xuequin a introduite dans son 
				roman. » 
				
				  
				
				C’est cette « conscience poétique » (诗的意识) 
				dont A Cheng fait le point fort du roman. Il fait aux chapitres 
				suivants un développement complémentaire sur la poésie pour en 
				expliquer les origines et l’importance, avant de revenir à Cao 
				Xuequin. Il pose la poésie chinoise comme l’émanation de 
				l’esprit le plus raffiné (中国艺术的高雅精神传之在诗。), 
				puis fait participer le roman de cet esprit :  
				
				         
				小说要入诗的意识,才可能将中国小说既不脱俗又脱俗,就是一种理性… 
				
				Ce n’est qu’en 
				pénétrant la conscience poétique que le roman chinois peut se 
				détacher du vulgaire tout en continuant de s’y rattacher. 
				  
				
				Une fois « réhabilité » le roman classique, il fait de même pour 
				la littérature de l’école dite des
				
				« canards 
				mandarins et papillons » (鸳鸯蝴蝶派) 
				de la fin des Qing, en liant le développement de ces romans 
				éminemment populaires à la suppression des examens mandarinaux 
				(en 1905), donc en reprenant son argumentation pour le 
				développement du zaju sous les Yuan. Mais s’y ajoutent 
				alors l’essor de l’imprimerie (et des journaux) et la croissance 
				d’une population urbaine avide de lectures nouvelles. 
				
				  
				
				Au total, ce qu’il défend là, c’est le roman populaire (世俗小说) 
				opposée au « roman pur » (“纯”小说) 
				(fin du chapitre 53), relevant de ce qu’il est 
				traditionnellement convenu de désigner du terme de « littérature 
				pure » (纯文学) 
				(chapitre 62), c’est-à-dire la poésie, apanage de l’esprit 
				lettré le plus noble et le plus raffiné. 
				
				  
				
				              5.      
				
				Ordination 
				 
				
				  
				
				Dans le même ordre d’idées, à partir du chapitre 60, il poursuit 
				l’analyse de l’évolution de la littérature chinoise après la 
				mort de Mao. Citant 
				
				Wang Zengqi (汪曾祺) 
				comme auteur de référence, il dit au début du chapitre 64 
				
				
				
				 : 
				
				         
				
				八十年代开始有世俗之眼的作品,是汪曾祺先生的 《受戒》。 
				
				Au début des années 
				1980, il y a une œuvre à une coloration populaire, c’est [la 
				nouvelle] « Ordination » de Wang Zengqi. 
				  
				
				Plusieurs lecteurs se sont arrêtés sur cette phrase, à juste 
				titre, en se demandant de quelle nouvelle il s’agissait 
				exactement. C’est un récit écrit en 1980, et traduit 
				« Initiation d’un jeune bonze » dans un recueil de onze 
				nouvelles de Wang Zengqi (outre un texte de présentation 
				autobiographique) paru en 1989 dans la collection Panda 
				
				
				
				.
				 
				
				  
				
				C’est 
				une nouvelle
				
				
				touchante dans sa simplicité : un jeune garçon devenu moine par 
				nécessité alimentaire suit sans se poser de questions le chemin 
				qui lui a été tracé par sa famille, mais accepte tout aussi 
				naturellement l’offre de mariage d’une ancienne compagne de jeux 
				de son enfance, Xiao Yingzi, rencontrée par hasard sur le bateau 
				qui l’emmène au monastère où il doit prononcer ses vœux, et 
				qu’il revoit régulièrement en marge de sa vie au monastère. 
				
				  
				
				
				La nouvelle dépeint la vie des moines aussi bien que celle de la 
				famille de Yingzi, sans faire de séparation nette entre les 
				deux : toutes deux sont marquées par les mêmes fêtes et 
				traditions, rites religieux et gestes quotidiens. C’est en ce 
				sens qu’A Cheng peut en faire une nouvelle représentative du 
				renouveau de la littérature populaire après la mort de Mao. 
				« Pour moi, a dit Wang Zengqi, la nouvelle devrait ressembler à 
				une conversation que l’on peut avoir avec un ami sur des sujets 
				familiers. » 
				
				
				 
				- xianhua xianshuo, aurait dit A Cheng… 
				
				  
				
				On aura l’occasion de revenir sur Wang Zengqi lors de la 
				troisième séance de l’année du Club de lecture consacrée à
				
				
				Shen Congwen (沈从文) : 
				Wang Zengqi était un de ses élèves et disciples.  
				
				  
				
				Chaque page de Xianhua xianshuo se prêterait à des 
				analyses et commentaires du même ordre, du fait de leur 
				concision même.  
				
				  
   
				
				
				Séances complémentaires de cinéma 
				
				  
				
				Nous aurons en novembre deux séances de cinéma adaptées de deux 
				des nouvelles de la Trilogie des Rois, ce qui permettra de 
				revenir sur ces deux récits ; les projections auront lieu dans 
				la médiathèque du Centre culturel, dans le cadre des séances de 
				cinéma du samedi à 15 heures, et elles seront également ouvertes 
				à tous : 
				
				-         
				
				
				Le samedi 9 novembre : 
				
				 Le 
				Roi des échecs《棋王》
				
				
				de Teng Wenji 
				
				滕文骥, 
				1988. 
				
				-         
				
				
				Le samedi 16 novembre : 
				
				Le Roi des enfants 
				
				《孩子王》 
				de Chen Kaige 
				
				陈凯歌, 
				1987. 
				
				  
				
				Il manquait jusqu’ici une adaptation de la troisième nouvelle de 
				la trilogie, Le Roi des arbres (《树王》). 
				Tian Zhuangzhuang (田壮壮) 
				est en train de la tourner ! 
				
				
				 
				
				  
 
				
				  
				
				
				Prochaine séance 
				  
				
				La prochaine séance du Club de lecture aura lieu le mardi 3 
				décembre et sera consacrée à l’écrivain
				
				Lu 
				Wenfu (陆文夫), 
				auteur d’une œuvre tournée vers la peinture et la défense de la 
				culture raffinée des lettrés chinois qui était aussi la sienne 
				et qu’atteste son nom même : wenfu 
				
				文夫, 
				le maître des lettres ! 
				
				  
				
				
				Lectures proposées  
				
				  
				
				
				Deux nouvelles moyennes (中篇小说) 
				traduites par Annie Curien et Feng Chen, parues chez Philippe 
				Picquier : 
				
				- Vie et passion d’un gastronome chinois (《美食家》), 
				roman, préface de Françoise Sabban, 1994, Picquier poche 1998, 
				187 p. 
				
				- Le Puits (《井》), 
				1998, 192 p. 
				
				  
				
				
				Aux éditions Littérature chinoise de Pékin : 
				
				- Le Puits, éditions Littérature chinoise, collection Panda, 
				1998, recueil de six nouvelles :  
				
				Au fond de la ruelle《小巷深处》/ 
				Le Puits《井》/ 
				Le Gourmet《美食家》/ 
				Le Mur《围墙》/ Une 
				ancienne famille de colporteurs《小贩世家》/ 
				La sonnette《门铃》 
				  
				
				
				Lecture complémentaire : 
				
				- 
				
				 Nid d’hommes《人之窝》, roman 
				traduit du chinois par Chantal Chen-Andro, Seuil 2002, 720 p.
				 
				  
				
				
				Séance complémentaire de cinéma 
				
				
				  
				           -         
				
				
				Le samedi 7 décembre, 15 h : 
				Le Puits《井》de 
				Li Yalin 
				
				李亚林, 
				1987. 
				  
				  
					
 
						
						
						 
						
						 
						 
						
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						
						
						
						
						
						Traduit « attractions » par Noël Dutrait. 
						 
						 
						 
						 
				
				
 
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