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Dai Houying
戴厚英
Présentation
par
Brigitte Duzan, 9 juillet 2017
Dai Houying est une romancière célèbre pour les deux
ouvrages qu’elle a publiés au début des années 1980:
« L’humanité ah, l’humanité ! »
(《人啊,人》)
et « La mort d’un poète » (《诗人之死》), tous
deux représentatifs de la
littérature des cicatrices
(伤痕文学),
certes, mais surtout d’un courant de défense de
valeurs humanistes qui a soulevé de vives
controverses à l’époque.
Eléments biographiques
Dai Houying (戴厚英)
est née en mars 1938 dans le district de Yingshang,
dans le nord-ouest de l’Anhui (安徽省颍上县).
C’est là qu’elle a passé son enfance, avant d’aller
au collège dans la ville-préfecture de Fuyang (阜阳),
le centre administratif de la région. |
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Dai Houying |
Sa famille était pauvre, et elle fut la première femme de sa
famille à poursuivre des études. Sa mère était illettrée et
travaillait dans un petit atelier de couture du quartier, pour
un salaire de misère. Son père avait réussi à étudier deux ans
dans une école privée traditionnelle, et tenait une boutique
pour le compte de la municipalité qui en était propriétaire.
Dai Houying étudiante en 1961, avec
deux camarades |
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En 1957, cependant, pour avoir émis quelques
critiques de la politique gouvernementale de
commercialisation des produits agricoles, il est
déclaré droitiste, label qui eut des conséquences
dramatiques pour la douzaine de membres de la
famille qui dépendaient de lui ; il avait en effet
pris en charge une tante dont le mari s’était
suicidé pour avoir été faussement accusé de vol et
qui avait deux enfants. La famille est désormais
réduite à la misère. Dai Houying lui versera une
bonne partie de son salaire. |
Elle était entrée en 1956 à l’Université normale de
la Chine de l’Est (华东师范大学),
à Shanghai, pour faire des études de littérature
chinoise. Elle réussit à continuer et obtient son
diplôme en 1960. Elle commence alors à travailler
comme critique littéraire à l’Institut de recherche
littéraire de l’Association des écrivains de
Shanghai. Elle publie des essais et des articles sur
le marxisme selon la conception du communisme
chinois, mais elle les a plus tard répudiés comme
étant écrits sous le contrôle du Parti. |
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Avec le poète Wen Jie |
Pendant la Révolution culturelle, au moment de la campagne
« Frapper les trois Anti » (“一打三反”)
,
lancée en 1970, elle est jugée « Contre-révolutionnaire active »
(“现行反革命分子”),
et persécutée comme telle.
Dai Houying en 1980, lors de
la sortie de son premier roman |
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Elle était mariée à un Garde rouge dont elle divorce
en 1971, année du suicide du poète Wen Jie (闻捷).
Elle avait eu pour mission d’enquêter sur lui au
début de la Révolution culturelle, mais se rapprocha
de lui quand sa femme se suicida après avoir été
attaquée par un groupe de Gardes rouges ; elle avait
été chargée de lui apporter la nouvelle. Par la
suite elle tomba amoureuse de lui quand ils furent
assignés à la même Ecole de cadres. Quand Wen Jie
revint à Shanghai, cependant, il fut à nouveau
soumis à persécution, et finit par se suicider après
une séance particulièrement dure. Dai
Houying mit longtemps à surmonter le choc.
En 1979, elle obtient un poste de chargée de cours à
l’université Fudan, pour enseigner la théorie
littéraire.
Elle meurt le 25 août 1996, assassinée chez elle,
par un jeune homme également originaire de Yingshang
qu’elle |
avait beaucoup aidé et qui s’était introduit chez elle en
son absence pour voler.
Défense de l’humanisme
Romans
Dai Houying a commencé à écrire en 1978 et à publier
en 1980. Ses principales publications forment une
suite de quatre romans sur le sort des
intellectuels de sa génération.
1. Son
premier roman,
« La mort d’un poète » (Shiren
zhi si 《诗人之死》),
reflète l’émotion intense ressentie à la mort du
poète Wen Jie (闻捷),
en 1971. Elle n’a écrit le roman que sept ans plus
tard, en 1978, et l’a achevé en un an. En raison de
problèmes politiques, il ne sera cependant publié
qu’en 1981, après la publication de son second
roman.
En partant de son expérience vécue, en termes de
destin personnel, de vie émotionnelle et de parcours
intellectuel, elle dresse en fait le bilan d’une vie
sous un régime autoritaire, en forme de chronique
historiographique de la Révolution culturelle
mettant en scène différentes générations et courants
d’idées. |
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La mort d’un poète |
2. Mais c’est son second roman, « L’humanité
ah, l’humanité » (Ren a, ren
《人啊,人》),
publié avant le premier en 1980, qui la rend
aussitôt célèbre. C’est une tentative douloureuse de
catharsis, d’exorcisme des propres ombres du passé.
Elle y raconte l’histoire, pendant la Révolution
culturelle, de trois intellectuels, une femme nommée
Sun Yue (孙悦),
son ancien mari qui l’a abandonnée avec sa petite
fille, et un homme qui l’a toujours aimée, le
narrateur étant un ancien Garde rouge devenu
professeur de littérature à Shanghai. Ces
intellectuels et leurs amis ont fait partie de
factions différentes, se sont attaqués et combattus,
mais tous gardent un grand respect pour Sun Yue qui
n’a jamais trahi ses idéaux de jeunesse. Dai Houying
dépeint les atteintes à l’intégrité personnelle et à
la dignité, en invoquant rêves et regrets par des
dialogues directs, une narration en flux de
conscience et de nombreux flash-backs. |
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Ren a, ren |
Ren a, ren, réédition |
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Sur ce fond d’histoire traumatique, elle brosse un
tableau des efforts réalisés au lendemain de la
chute de la Bande des quatre pour résoudre la crise
de conscience, les sentiments de culpabilité de
chacun, sur la base d’une restauration de relations
de confiance mutuelle ouvrant la voie au pardon, et
au retour de l’idéalisme, ou tout simplement de
l’espoir. Ce sont des efforts individuels,
personnels, pour retrouver des valeurs humanistes,
comme une quête d’âme, en dépit des pressions
politiques.
Le roman
sort en plein débat sur la question de l’humanisme
qui sera l’une des plus controversée du début des
années 1980, car elle était liée à la |
contestation du
concept de lutte des classes qui dominait la vie
socio-politique chinoise depuis 1949. Après le retour des
conservateurs sur le devant de la scène et la campagne
contre la pollution spirituelle, fin 1983, de nombreuses
interdictions furent promulguées, de films en particulier
.
Le roman de Dai Houying fut lui-même interdit de 1983 à 1986.
Mais la controverse s’est poursuivie jusqu’à la fin de la
décennie, sur le rôle de l’"humanisme" comme alternative à la
lutte des classes.
3. Dai Houying a poursuivi avec deux autres romans :
« Des bruits de pas dans le vide » (Kongzhong
de zuyin
《空中的足音》),
et « Fissure cérébrale » (Naolie 《脑裂》),
publiés respectivement en 1986 et 1994. Elle y
dépeint les efforts d’intellectuels tentant de
conquérir une indépendance intellectuelle et une
liberté de pensée malgré la domination idéologique
du Parti et l’emprise de la bureaucratie, joints au
développement de la sphère marchande au début des
années 1990.
Dans le second de ces deux romans, elle adopte un
ton ironique et tente des innovations stylistiques.
Malheureusement, elle est arrêtée net dans ses
expérimentations par sa mort soudaine.
Recueils de nouvelles et essais |
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Des bruits de pas dans le vide |
Dès le début des années 1980, elle a
également écrit des essais, mais aussi de nombreuses nouvelles,
dont elle a publié deux recueils : l’un – « Douces sont les
chaînes » (《锁链,是柔软的》)
– en 1982, et l’autre « Chute » (《落》)
– en 1993.
Dans ces récits, elle développe la même
problématique sur les valeurs humanistes que dans ses romans. La
nouvelle qui donne son titre au premier recueil, par exemple,
est une nouvelle ‘moyenne’ (zhongpian
中篇)
soù elle dépeint l’étonnement et l’amertume d’une paysanne
veuvequi s’est sacrifiée pour respecter la tradition en ne se
remariant pas, et qui observe les changements de normes sociales
dans la génération de ses enfants dont l’hommage n’est qu’une
manifestation vide de sens.
Projet de romans sur le nord-ouest de l’Anhui
Dai Houying projetait également d’écrire une série de romans sur
sa région natale, le nord-ouest de l’Anhui, série qui devait
porter comme titre général « La rivière Huai en pleurs »
(《流泪的淮河》).
Elle a écrit deux titres de cette série, publiés à Hong Kong en
1989 et 1992 : « Autres temps » (《风水轮流》)
et « Intersection dans les airs » (《悬空的十字路口》).
Comme l’a remarqué Lily Xiao Hong dans son « Biographical
Dictionnary of Chinese Women »
,
peu de ses textes ont été inclus dans des anthologies de
littérature chinoise publiées en Occident ; Dai Houying est en
effet plutôt considérée comme une activiste politique et un
phénomène historique lié aux années 1980 plutôt que comme auteur
d’une œuvre littéraire.
Elle est pourtant une romancière sophistiquée dont les écrits
sont aussi intéressants pour leur style que pour le fond. C’est
tout particulièrement le cas de son roman "Ren a, ren"
pour lequel elle a expérimenté sur la forme narrative en
recourant à des points de vue différents, avec des dialogues
adaptés à chacun de ses personnages, et à une narration en flux
de conscience avec flashbacks. Autant d’expériences d’autant
plus difficiles que le climat politique avant la publication de
l’œuvre était particulièrement lourd.
Dans son dernier roman, « Fissure cérébrale », le réalisme
psychologique dépeint bien la confusion des esprits dont il est
question. Et ses nouvelles mériteraient aussi d’être mieux
connues.
Principales publications
Romans
1980 L’humanité ah, l’humanité ! Ren a, ren
《人啊,人》
1981 La mort d’un poète Shiren zhi si
《诗人之死》
1986 Des bruits de pas dans le vide Kongzhong de zuyin
《空中的足音》
1988 Un passé inoubliable Wangshi nanwang
《往事难忘》
1994 Fissure cérébrale Naolie
《脑裂》
Recueils de nouvelles
1982 Doucessont les chaînes
《锁链,是柔软的》
1993 Chute
《落》
Deux traductions de Ren a, ren
《人啊,人》
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en français
Etincelles dans les ténèbres, tr. Tche Hua-li, Pénélope
Bourgeois et Jacqueline Alézaïs, éditons du Seuil octobre 1987,
441 p.
-
en anglais
Stones of the Wall, tr.
Frances Wood, Michael Joseph Ltd, 1ère édition août 1985.
[ la traduction du titre est inspirée d’une image du roman :
chaque personnage est comparé à « une pierre dans la Grande
Muraille » vivant « une vieille histoire, impressionnante et
tortueuse ». ]
A lire en complément
On Behalf of Humanism : the Confession of a
Former Leftist, tr. Frances La Fleur, in : Modern Chinese
Writers : Self-Portrayals, Helmut Martin ed, M.E. Sharpe
1992, pp 27-33.
Humanism in Modern Chinese Literature : the
Case of Dai Houying, by Carolyn S. Pruyn, Studienverlag
Brockmeyer 1988.
Voir
The Monster That is History : History, Violence and
Fictional Writing
by David Der-wei Wang,
University of California Press, oct. 2004, pp.
229-230.
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