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La littérature
chinoise après 1979
I. Les années 1980 :
renaissance de la littérature
par Brigitte Duzan, 27 octobre 2011
Deng Xiaoping en 1979 |
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Après la mort
du président Mao, le 9 septembre 1976, et
l’arrestation
de la Bande des Quatre en octobre, la Chine entre dans
une ère nouvelle qui rompt peu à peu avec la politique
claustrophobe des décennies précédentes. Sous la
conduite de Deng Xiaoping, un vent d’ouverture et de
libéralisation souffle sur le pays après la troisième
session plénière du 11ème Comité central du
Parti, en décembre 1978 : les décisions politiques qui y
sont annoncées entraînent un dégel idéologique et
stimulent la création dans tous les domaines,
artistiques en particulier.
Si le dégel
s’est réalisé progressivement, 1979 apparaît bien comme
une véritable année charnière. |
1. L’environnement politique
et littéraire
a) L’environnement
politique
L’ouverture et la
modernisation : les grandes dates
En août 1977,
le 11ème Comité central du Parti, à Pékin,
déclara lors de sa première session que l’écrasement de
la Bande des Quatre était le symbole de la fin de la
Révolution culturelle. Les documents émanant de cette
séance historique désignaient la période qu’elle
instaurait du terme de « nouvelle période »
(新时期)
de la révolution socialiste et de la construction
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Affiche sur le thème ‘Abattre la Bande
des Quatre’ ( 打'四人帮'),
septembre 1978 |
du socialisme en
Chine. Les cercles littéraires et artistiques furent prompts à
s’emparer du terme ; dans toute la société naquit alors une
« conscience de la nouvelle période », fondée sur une notion de
rupture avec le passé proche ; la littérature postérieure à la
Révolution culturelle fut baptisée « littérature de la nouvelle
période » (新时期文学).
« notre cœur bat au même rythme
que celui du président Hua » |
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Un nouveau
jalon dans la libération des esprits fut un article,
publié en mai 1978 dans le Guangming ribao
(光明日报),
et intitulé « La pratique est le seul critère permettant
de tester la vérité » (《时间是检验真理的唯一标准》). C’était une rupture avec la domination exclusive de l’idéologie et,
en prévision de la prochaine session du 11ème
Comité central, une attaque implicite de Hua Guofeng (华国锋)
visant à le fragiliser, lui et sa théorie des « deux
quelles que soient » (两个凡是)
qui affirmait une soumission absolue aux diktats
d’un homme qui
avait conduit le pays à |
l’impasse (1). Deng
Xiaoping avait lancé l’offensive en déclarant, dès septembre
1977, lors d’une réunion avec le ministre de l’Education, que
rechercher la vérité dans les faits était le noyau de la pensée
de Mao Zedong.
L’article déclencha
comme il se doit un débat national sur « le critère de vérité »
qui amorça les décisions historiques prises ultérieurement au 3ème
plénum du 11ème Comité central du Parti, en
décembre 1978. L’une des décisions majeures de cette 3ème
séance plénière fut l’abandon du slogan de lutte des classes
comme principe directeur de toute action, le but du Parti étant
désormais « la construction de la modernisation socialiste ».
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Lancement de la campagne de modernisation
(juin 1979) |
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Dans les cercles
littéraires, le travail de libération des esprits prit la forme
d’un autre slogan : « faire surgir l’ordre du chaos » pour
préparer la littérature à entrer dans la « nouvelle période ».
En mai 1978, le 3ème Congrès étendu du 3ème
Conseil de la fédération littéraire de Chine déclara la reprise
de toutes les activités suspendues pendant la Révolution
culturelle, et en particulier des revues et publications
littéraires. Ce n’était en fait qu’un retour à la situation des
années 1950 et du début des années 1960. Mais c’était un début.
1979-1989 : une
décennie instable
On a tendance à
considérer que cette décennie fut généralement propice à
la création, littéraire en particulier, à part quelques
épisodes de durcissement idéologique, dont la fameuse
campagne « contre la pollution spirituelle ».
C’est une
impression superficielle. La littérature fut soumise
tout au long de la décennie à des attaques répétées et à
un contrôle étroit limitant les possibilités
d’expression.
Les expérimentations formelles furent souvent tentées
pour sortir d’impasses |
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Affiches appelant à accélérer la
réalisation
des Quatre modernisations |
créatrices, en
contournant les directives du Parti fixant normes et limites à
l’expression.
La décennie fut en fait
marquée par une suite de réchauffements et refroidissements,
chaque période
d’ouverture étant
suivie d’une reprise en main des conservateurs.
i/ 1979 :
tâtonnements
Wei Jinsheng et la 5ème modernisation |
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L’année 1979, à
elle seule, en est un exemple typique.
Le premier
trimestre de 1979 fut la période de réchauffement la
plus nette depuis 1949, faisant suite aux avancées
réalisées au cours de l’année 1978 ; mais les trois mois
qui suivirent furent marqués par un nouveau
refroidissement, débutant par l’arrestation le 29 mars
de Wei Jinsheng (魏京生).
En décembre
1978, des activistes du Mouvement
pour la Démocratie
avaient créé le Mur de la |
Démocratie, à Xidan (西单民主墙),
pour y inscrire nouvelles et idées en conformité avec la
politique récemment édictée par le Parti : chercher la vérité
dans les faits (实事求是).
Ils furent à l’origine incités à critiquer la Bande des Quatre
et certaines politiques gouvernementales qui avaient été
reconnues comme des échecs, mais le mouvement dégénéra vite.
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Chercher la vérité dans les faits (calligraphie
de Deng Xiaoping) |
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Wei Jingsheng (魏京生)
y avait collé une première affiche le 5 décembre 1978 : en
réponse à la campagne des « Quatre modernisations » (四个现代化)
lancée ce même mois de décembre lors de la 3ème
session plénière du 11ème comité central du Parti, il
demandait plus de libertés individuelles, affirmant que la seule
« modernisation » qui comptait était la liberté, et non
l’amélioration des conditions de vie. Il
fut arrêté fin mars
1979 et condamné à quinze ans de prison pour avoir divulgué des
secrets militaires concernant la guerre contre le Vietnam.
Cette
arrestation fut suivie de celle de responsables de
diverses publications officieuses qui avaient vu le jour
à Canton et disparurent avec eux. En même temps était
publié un article du ministre adjoint du département de
la propagande de la province du Guangdong intitulé
« Regarde en avant, littérature ! » (向前看啊,文艺 !) : il y distinguait trois sortes d’œuvres littéraires dénonçant la
Bande des Quatre, la troisième, regroupant les
œuvres
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Affiches sur le mur de la démocratie |
s’attardant sur
les souffrances subies par le peuple, étant à éviter car
contribuant à susciter des sentiments ‘négatifs’ chez le
lecteur.
L’auteur rappelait les
directives du troisième plénum : libérer l’esprit, certes, mais
sans oublier de
« s’unir et regarder
vers l’avenir ». Toute une faction du Parti, soucieuse de
préserver l’héritage maoïste, craignait, justement, les
conséquences d’une excessive libération des esprits (思想解放).
La controverse culmina fin juillet, avec un échange de libelles
dans la presse, et l’atmosphère se calma après l’intervention de Deng
Xiaoping. Suivit un automne à nouveau très ‘doux’, plus ‘doux’
même que le printemps qui l’avait précédé…
Liu Binyan au début des années 1980 |
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En septembre
1979 fut publié dans ‘La littérature du peuple’ (人民文学)
un reportage de Liu Binyan
(刘宾雁)
intitulé
« Entre
hommes et démons »
(《人妖之间》)
dénonçant la corruption de cadres du Parti dans un
district du Heilongjiang, province que l’auteur
connaissait bien pour y avoir été élevé. Œuvre d’un
spécialiste réputé de la dénonciation des abus et de la
corruption de la bureaucratie locale, condamné pour cela
comme droitier en 1957, le reportage reçut un accueil
enthousiaste de la
part du public. |
Le réchauffement fut
ensuite ‘officialisé’ au 4ème Congrès de la
Fédération nationale des travailleurs de la littérature et des
arts, qui se tint à Pékin du 30 octobre au 15 novembre.
Liu
Binyan et d’autres écrivains
qui avaient été condamnés lors de la campagne anti-droitiers
prononcèrent des discours ovationnés sur l’hypocrisie politique
et les distorsions apportées à la littérature par
l’idéologie.
Ce Congrès
marqua une étape importante dans la libéralisation des
lettres et des arts en entreprenant la longue tâche d’en
changer le principal mot d’ordre. C’est le réformiste Hu
Yaobang (胡耀邦)
qui prononça le discours demandant de renoncer au slogan
« La littérature au service de la politique » (“文艺为政治服务”)
qui datait du forum de Yan’an, en 1942, et n’avait
jamais été remis en question.
Aucun consensus
ne se dégagea du forum sur ce point, mais le slogan
disparut de la scène politique et des médias, entraînant
un vide qui ne fut comblé que huit mois plus tard. Ce
que le Congrès apporta cependant de positif, ce fut
l’assurance qu’il n’y aurait pas de retour aux
aberrations de la Révolution culturelle, synthétisée
dans le slogan des « Trois pas » : pas d’attaques
personnelles, pas |
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Hu Yaobang |
d’étiquettes
politiques, pas de « crêpage de chignon » (profiter de la
moindre erreur pour discréditer quelqu’un).
Pourtant, peu de temps
plus tard, le 6 décembre 1979, un autre événement marqua
le début d’une nouvelle période de refroidissement : la
suppression du mur de la démocratie, ou plus exactement son
transfert au parc du temple du Soleil (日坛公园);
néanmoins, comme il fallait présenter des papiers et payer pour
y accéder, le mouvement ne continua pas longtemps.
ii/ 1980 : la
littérature au service du peuple et du socialisme
Deng Xiaoping mit
clairement les points sur les i dans un discours du 16
janvier 1980 prononcé lors
d’une réunion
plénière des cadres du Parti, du gouvernement et de l’armée.
Il fallait, dit-il, distinguer entre « démocratie
bourgeoise » et « démocratie socialiste ». Ce n’est pas parce
qu’on devait réévaluer le slogan « La littérature au service de
la politique » qu’il fallait pour autant accepter que la
littérature soit séparée de la politique.
Dans les semaines qui
suivirent, la presse se fit l’écho du nouveau message, en le
complétant : si le Parti maintenait les « trois pas », les
écrivains ne pouvaient cependant pas espérer les « trois
sans » : sans leadership, sans critiques, sans directives. En
même temps, les autorités commencèrent une critique en règle des
« erreurs » contenues dans nouvelles et pièces de théâtre,
erreurs qui étaient de deux sortes : erreurs morales et erreurs
politiques risquant de déstabiliser le pouvoir par des attaques
excessives contre la corruption, les abus, etc…
En février 1980,
cette position fut concrétisée dans un nouveau slogan lancé au
Congrès des auteurs de théâtre (剧本座谈会) :
la littérature et les arts devaient « prendre en compte les
effets sociaux », autrement dit ne pas se comporter de façon
socialement (donc politiquement) irresponsable. Ce durcissement
entraîna un abandon par les écrivains des sujets sociaux dès
lors dangereux, et un repli sur l’expérimentation de nouvelles
techniques littéraires, souvent sous l’influence du cinéma
(narration non linéaire) ou de mouvements occidentaux (flux de
conscience).
Kang Sheng |
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Le 26
juillet 1980, à la 11ème session
du 3ème Congrès du Parti, Deng Xiaoping
dévoila enfin le nouveau slogan qui allait remplacer
celui du forum de Yan’an : « La littérature au
service du peuple et du socialisme » (“文艺为人民服务,为社会主义服务”),
ce qu’on appela aussitôt « les 2 wei » (两为).
Les écrivains pouvaient être apolitiques. Mais ils
devaient respecter les principes du socialisme. La
littérature continuait d’être indissociables de la
politique (文艺是不可能脱离政治的).
Un léger
réchauffement s’ensuivit, marqué par deux avancées
significatives par leur portée symbolique : les journaux
pouvaient désormais faire référence à la Révolution
culturelle entre guillemets, suggérant que cela n’avait
été une Révolution culturelle que de nom ; |
par ailleurs, il était possible
d’attaquer nominativement Kang Sheng (康生),
sombre personnage longtemps à la tête des services secrets, père
des laogai et initiateur des principales purges du régime
maoïste.
En même temps,
à l’automne,
fut orchestré un débat public sur la question « Comment animer
la littérature ? ». Quelques nouvelles animèrent en effet le
paysage littéraire, mais entraînèrent un nouveau refroidissement
au début de 1981…
iii/ de 1981 au mouvement « contre la pollution spirituelle »,
fin 1983
Au printemps
1981, c’est de l’Armée que vint le premier signe de
refroidissement : un article publié dans Les nouvelles
de l’Armée de Libération recensa les grandes
contributions de Mao Zedong à la révolution chinoise, en
le décrivant comme un héros d’épopée grandiose.
L’article
annonçait la campagne qui suivit dix jours plus tard :
l’attaque surprise contre la nouvelle de
Bai Hua (白桦)
« Un douloureux amour » (《苦恋》)
dont
l’adaptation cinématographique venait de sortir (3) et
s’était, dit-on, attiré la réprobation de |
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La nouvelle de Bai Hua |
Deng Xiaoping. C’était
une nouvelle sans prétentions, basée sur une histoire vraie,
dont la
L’affiche du film |
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publication en septembre 1979 dans la revue « Octobre »
(《十月》) était passée inaperçue : décrivant les malheurs d’un peintre revenu en
Chine après l’accession de Mao au pouvoir pour y être
pourchassé et condamné, et mourir pendant la Révolution
culturelle, elle suggérait que le pays rendait bien mal
l’amour que lui portaient ses intellectuels, l’amour du
titre.
Bai Hua servit d’exemple.
La campagne
continua pendant l’été, et, à la fin du mois de
septembre, à l’occasion d’un colloque international
en commémoration de
Lu Xun, Hu
Yaobang fit un discours qui dut faire bondir le grand
écrivain dans sa tombe : il y proclama les dangers d’un
« libéralisme bourgeois » mal défini et menaça ceux qui
voudraient s’en prévaloir. Le ton était
donné, et confirmé
dans un discours ultérieur de l’ultra-conservateur Hu Qiaomu
(胡乔木). |
Il persista
en 1982, à quelques variantes locales près. En
avril, trois œuvres littéraires furent critiquées à
Pékin : « Les Vagues » (《波动》),
long récit du poète Zhao Zhenkai (趙振開),
plus connu sous son pseudonyme de
Bei Dao (北岛),
« La légende
de la montagne Tianyun » (《天云山传奇》),
scénario de
Lu Yanzhou (鲁彦周),
et « Conte de fée du printemps » (《春天的童话》),
seconde partie d’un récit autobiogaphique de Yu Luojin (遇罗锦).
La nouvelle de
Zhao Zhenkai, qui utilisait des techniques modernistes,
fut attaquée pour son « existentialisme ». Le scénario
de Lu Yanzhou le fut pour le portrait peu flatteur qu’il
dressait d’un secrétaire du Parti (4) ; quant au roman
de Yu Luojin, qui racontait une histoire d’amour, il fut
critiqué pour être entaché de toute une série d’erreurs
tenant du « libéralisme bourgeois ». La romancière
devint le second exemple négatif donné symboliquement
aux |
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La légende de la montagne Tianyun |
écrivains, après Bai Hua.
Yu Luojin |
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Le climat se
détendit ensuite, jusqu’au printemps de 1983.
Influent critique et théoricien littéraire libéral, Zhou
Yang (周扬)
publia un essai affirmant ce que personne n’avait osé
dire jusque là : que l’humanisme était possible dans le
régime socialiste chinois, mais aussi l’aliénation, une
aliénation idéologique créée par la distance entre le
discours officiel et la réalité, une aliénation
politique générée par le fossé existant entre
l’arrogance des cadres et l’humilité du peuple, et même
une aliénation économique des travailleurs induite par
les conditions de travail.
Il était allé
trop loin : il dut faire son autocritique et devint la
première cible de la campagne « contre la pollution
spirituelle » (清除精神污染), lancée en septembre 1983 par
Hu Qiaomu (胡乔木). Cette campagne n’était pas vraiment une
remise en cause des progrès réalisés depuis 1978, comme
on le lit souvent. Elle était bien dans la
logique d’un
équilibre politique qui penchait en faveur |
des
forces conservatrices, mais dans certaines limites.
Elle s’acheva
aussi soudainement qu’elle avait commencé,
au début de
janvier 1984, car, la paix sociale étant
conditionnée par une croissance économique très
dépendante des investissements étrangers, quand la
campagne contre la pollution spirituelle les menaça,
Deng Xiaoping intervint pour y mettre fin.
Ce qui est
intéressant, c’est que la plupart des écrivains et
intellectuels courbèrent le dos en attendant des jours
meilleurs, mais pas tous. On vit des libéraux aguerris
tourner (apparemment) leur veste, comme le poète Ai Qing
(艾青),
condamné en 1957 comme droitier à la déportation en
Mandchourie puis au Xinjiang, célèbre pour son
indépendance farouche et son opposition aux contrôles
sur la littérature (5), et qui soutint pourtant la
campagne. C’est là que l’on mesure toute l’ambiguïté et
la complexité de
positions personnelles
cherchant à établir un équilibre |
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Zhou Yang |
toujours remis en question
entre influence occidentale et essence chinoise, et qui était au
cœur de la campagne.
iv/ de 1984
à janvier 1987 : relative détente
1984
amorça
ensuite une période relativement favorable. Décembre
1984, avec le 4ème Congrès de la
Fédération nationale des Ecrivains chinois
(中国作家协会第四次会员代表大会),
marque sans doute, pour la littérature, la période la
plus ouverte et libérale de la décennie : le
représentant du gouvernement, Hu Qili (胡启立),
s’y exprima en faveur d’une « liberté créatrice » pour
les écrivains (创作自由).
On considéra que cela sonnait le glas de la campagne
contre le « libéralisme bourgeois ».
A cette même
réunion, par ailleurs, les écrivains furent autorisés
pour la première fois à élire un conseil
d’administration. C’est
Ba Jin (巴金)
qui en fut élu président, Liu Binyan (刘宾雁)
vice-président, tandis que
Ding Ling (丁玲)
subissait une humiliation publique pour ses
compromissions avec le pouvoir.
En même temps, cependant, on
observait une diminution du nombre de lecteurs, de moins
en moins intéressés par des œuvres d’écrivains limitées
dans leurs possibilités |
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Affiche de 1983 (campagne
contre la pollution spirituelle)
扶植正气, 抵制歪风, 拒腐蚀, 永不沾
promouvoir le bon esprit, résister aux influences
néfastes, lutter contre la corruption, ne jamais s’en
laisser maculer |
d’expression sur les sujets contemporains
qui les intéressaient, et qui se tournaient de plus en plus vers
les romans populaires et la télévision.
Les éditeurs ayant été
autorisés en 1984 à publier des rééditions de romans populaires
de Hong Kong et de Taiwan, les romans de wuxia de
Jin
Yong (金庸)
devinrent des best-sellers, puis les romans d’amour à l’eau de
rose de la Taiwanaise Qiong Yao (琼瑶).
Pendant
l’été 1986, pourtant, la nomination de
Wang
Meng (王蒙)
au poste de
ministre de la Culture
fit
naître un grand espoir. Mais il fut de courte durée. Les
manifestations étudiantes de décembre 1986, en
protestation contre des manipulations d’élections au sein du
Parti, firent renaître les tensions en dégénérant en un
mouvement demandant la démocratie et la « liberté », et soutenu
par des intellectuels et des chercheurs, comme
l’astrophysicien
Fang Lizhi (方励之).
v/ de janvier 1987 à
juin 1989 : tension croissante
En
janvier 1987,
la chute de
Hu Yaobang, le secrétaire général du Parti qui était en faveur de réformes
rapides, fut suivie d’une période de durcissement et
d’intimidations.
Liu Binyan, qui avait
bénéficié de son appui, fut exclus du
|
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Ba Jin |
Parti avant même sa
destitution. D’autres critiques furent également exclus. Le
slogan « luttons contre le libéralisme bourgeois » fut remis en
vigueur.
Wang Meng |
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La crainte d’un retour
à la Révolution culturelle commença à se répandre dans le monde
littéraire. La confiance réciproque entre l’intelligentsia
littéraire et l’élite politique s’évapora. Après toutes ces
années, le Parti avait perdu toute crédibilité comme garant non
tellement d’une stabilité institutionnelle mais d’un
environnement stable pour la création artistique.
En octobre
1987, lors du 13ème Congrès, cependant,
le Parti réussit à établir un compromis entre
réformateurs et conservateurs. Zhao Ziyang (赵紫阳)
devint le
nouveau Secrétaire général tandis que plus de
quatre-vingt dix vétérans du Parti, dont les plus
conservateurs, étaient acculés à la retraite.
Zhao Ziyang mit
l’accent sur le développement économique, mais
l’inflation devint vite galopante, suscitant, avec la |
corruption
et l’opportunisme ambiant, une ambiance délétère et des
mouvements sociaux, accentuant le phénomène de perte de
crédibilité du Parti.
Le blocage du
système mena aux événements du 4 juin 1989 dont les
répercussions allaient se faire sentir pendant des
années, entraînant un exode des intellectuels et
supprimant la liberté d’expression et de création de
ceux qui restaient.
b) L’environnement
littéraire
Dans ce contexte
instable, les grands mouvements littéraires se coulent dans
l’espace laissé libre par le pouvoir, en tentant des percées
stylistiques et des recherches modernistes quand cet espace est
trop étroit.
Ferveur du
renouveau littéraire, un œil sur l’Occident
Si l’ouverture était
nécessaire pour que prospère la littérature, il était non moins
nécessaire de recréer les bases théoriques, esthétiques et
formelles qui avaient été détruites par près de trente ans de
discours doctrinaire puis, carrément, de gel de la création. La
littérature était aussi exsangue que le reste du pays.
Comme chaque fois
qu’il avait été dans le passé question de modernisation, le
premier recours fut la culture
|
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Zhao Ziyang |
occidentale. A la fin des années
1970 furent republiées en masse des traductions datant des
années 1950 et 1960, les grands classiques de référence du 19ème
siècle et avant, ainsi que des œuvres de théorie et de critique.
Entre 1978 et 1982, ce sont plus de quatre cents traductions qui
furent ainsi publiées, avec essais introductifs et commentaires
explicatifs.
Des collections
entières furent lancées : d’œuvres de lauréats du prix Nobel de
littérature, par exemple, ou de grands auteurs classiques
(Shakespeare, Balzac, Hemingway, Faulkner, …) qui aussitôt
exercèrent une grande influence sur les écrivains émergents
chinois. Au début des années 1980, les mouvements modernistes
occidentaux, mêlés dans un vaste concept d’ « école moderniste
occidentale », incluant indifféremment expressionnisme,
symbolisme, futurisme, surréalisme, existentialisme, flux de
conscience, nouveau roman, théâtre de l’absurde ou réalisme
magique, devinrent des sujets d’étude et d’inspiration.
En même temps étaient
introduites des œuvres de philosophie occidentale, et de théorie
littéraire, qui mettaient l’accent sur l’indépendance et
l’autosuffisance des artistes, ainsi que la transcendance du
créateur par rapport aux questions sociopolitiques. Ce qui ne
manqua pas de soulever des controverses sur l’évaluation de ce
modernisme et la place à lui accorder, et des débats sur des
concepts tels que humanisme, aliénation, subjectivité… toutes
choses qui étaient déjà au centre des débats dans les années 20.
Dans ce contexte, les
écoles et auteurs chinois du début du siècle qui avaient été
eux-mêmes influencés par le modernisme occidental, mais qui
avaient ensuite été remisés dans les années 1950 et 1960, puis
oubliés, furent remis à l’honneur, comme exemplaires d’un
modernisme bien chinois : école du Croissant (新月派),
école
symboliste (象征主义派),
poésie
moderniste des années 1920/30, néo-sensationnisme ((新感觉派)
du
haipai des années 30, etc…
En même temps, certains auteurs établis étaient soumis à
révision et redécouverte : c’est ainsi que furent, par exemple,
redécouvertes les nouvelles de
Lu Xun,
et en particulier son recueil « Les herbes sauvages » (《野草》).
Nouveaux courants,
nouveaux auteurs
Après la longue
abstinence forcée auxquels avaient été soumis les écrivains,
comme les autres artistes, c’est un flot d’idées qui se déversa
ainsi brusquement, reçues et débattues avec l’excitation que
l’on peut imaginer chez des gens qui avaient été coupés du monde
depuis si longtemps. Tout donne l’impression d’une création dans
l’urgence, ou dans une sorte de ferveur gidienne. Quelques
œuvres avaient bien commencé à circuler sous le manteau avant
même la fin de la Révolution culturelle, mais très peu.
Les nouveaux courants
qui virent le jour, à la fin des années 1970, répondirent
cependant d’abord au besoin quasi viscéral d’exprimer les
souffrances subies pendant la Révolution culturelle, expression
brute d’une douleur personnelle qui n’avait pu trouver jusqu’ici
d’exutoire. Cela donna ce que l’on a appelé la « littérature
des cicatrices » (伤痕文学).
En même temps se
développa une « littérature de reportage » (报告文学),
genre
très ancien en Chine, mais qui retrouva une faveur auprès de
certains écrivains de cette fin des années 1970 car il
permettait d’exprimer de façon indirecte des idées qui
n’auraient pu l’être autrement.
Puis, à partir du
début des années 1980, émergea un autre courant, complémentaire
des précédents, qui chercha à analyser, par le biais de la
nouvelle ou du roman, la situation pendant la Révolution
culturelle et ses conséquences ultérieures. Ce fut la « littérature
de réflexion », ou « d’introspection » (反思文学).
C’est alors, une fois
commencée l’assimilation des idées étrangères récemment
introduites, que naquit un mouvement au contact de ces idées,
une littérature « moderniste », voire expérimentale, en
réaction à laquelle se produisit ensuite, à partir de 1984/5, un
mouvement de retour à la tradition : la littérature de « recherche
des racines » (寻根文学).
En réaction enfin à la
fois aux deux courants précédents, moderniste et de recherche
des racines, et à
l’hermétisme de certaines de leurs œuvres,
déroutantes pour beaucoup de lecteurs, apparut alors, à la toute
fin de la décennie, un courant de roman néo-réaliste (新写实小说),
en phase
avec son temps.
La décennie se
présente ainsi en deux périodes distinctes, l’année 1985
apparaissant comme l’année charnière entre les deux.
Notes
(1) Hua Guofeng, qui
avait succédé à Zhou Enlai en avril 1976, prit la tête du Parti,
et donc du pays, après la mort de Mao. Il professait une
soumission absolue aux préceptes de Mao Zedong, ainsi
énoncée dans un éditorial publié encore en février 1977 dans
plusieurs journaux dont le Quotidien du Peuple :
凡是毛主席作出的决策,我们都坚决维护;
凡是毛主席的指示,我们都始终不渝地遵循
Quelles que soient les décisions politiques prises par le président Mao,
nous devons résolument les défendre ;
quelles que soient les instructions données par le président Mao,
nous devons inébranlablement les suivre.
(2) « Laissez cent
fleurs s’épanouir » avait dit Mao, pour tenter de reprendre la
main après son échec au 8ème Congrès du Parti. Mais
il fit vite machine arrière lorsque les critiques qu’il voulait
dirigées contre la gabegie et la corruption dans le Parti se
retournèrent contre lui.
(3) Intitulé « Le
soleil et l’homme » (《太阳和人》),
le film a disparu. Il en reste une affiche et quelques photos.
Quant à Bai Hua, il était entré dans l’armée en 1947, avait été
condamné comme droitier en 1957 et avait déjà fait l’objet de
critiques peu de temps auparavant.
(4) Le film, sorti en
1980, est signé Xie Jin (谢晋)
(5) Il est le père d’Ai
Weiwei (艾未未).
Bibliographie :
- The Literature of
China in the 20th Century, Bonnie S. McDougall-Kam Louie,
Columbia University Press, 1997 (surtout chap. 10, p. 325-344)
- The Uses of
Literature, Life in the Socialist Chinese Literary System, Perry
Link, Princeton University Press, 2000 (chap. 1, Historical
setting, p. 13-55)
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