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				Yang Mo 杨沫 
				1914-1995 
				Présentation 
				par Brigitte Duzan, 25 
				décembre 2010, dernière 
				révision 23 octobre 2014          
					
						| 
						Si Yang Mo (杨沫1914-1995) 
						a marqué la littérature chinoise des années 1950 d’une 
						encre indélébile, on a du mal à imaginer aujourd’hui la 
						gloire qu’elle connut à partir de 1958, lorsque fut 
						publié son roman  « Le chant de 
						la jeunesse »
						 
						
						(《青春之歌》), 
						et surtout lorsque celui-ci fut adapté au cinéma l’année 
						suivante. C’était 
						le premier 
						roman chinois à décrire un mouvement d’étudiants 
						patriotes et d’intellectuels révolutionnaires sous la 
						direction du Parti communiste.          
						
						Ce roman, comme les nouvelles qui l’ont précédé, tout en 
						restant globalement conforme aux critères stylistiques 
						fixés par Mao dans les 
						 |  | 
						 
						Yang Mo adulte |  
						
						« Causeries 
						sur 
						
						la littérature 
						et 
						les arts 
				
				à Yan’an », en 1942, 
				représente 
				un précurseur d’une tendance littéraire que Mao formulera en un 
				nouveau slogan au troisième Congrès national des travailleurs 
				des lettres et des 
				
				arts, 
				en 
				1960, appelant à remplacer le « socialisme réaliste » par « une 
				combinaison de réalisme révolutionnaire et de romantisme 
				révolutionnaire » (1).           
					
						| 
						 
						3ème congrès national des lettres et des 
						arts |  | 
						
						Yang Mo en est devenue le fer de lance, se posant en 
						héritière de Ba Jin dans la description des vies 
						turbulentes des jeunes révolutionnaires chinois au cours 
						de la période où elle-même a partagé leurs idéaux et 
						leurs combats : de 1931 à l’avènement de la République 
						populaire. C’est son thème de prédilection.          
						
						Il est significatif que son œuvre ait connu un bref 
						regain d’intérêt à la fin des années 1970, mais surtout 
						au début des années 
						
						1980, alors que les écrivains chinois en revenaient aux 
						succès oubliés des quinze premières années  |  
				
						de la République comme base 
				du renouveau littéraire de ces années-là (2). « Le chant de la 
				jeunesse » est même explicitement cité au début de la nouvelle 
				de 
				Lu 
				Xinhua  
				qui marque le début de 
				la « littérature des cicatrices »,
				« La cicatrice »
				(《伤痕》).
				 
				          
				Dans le climat de 
				reconstruction spirituelle et morale de l’époque,
				« Le chant de la jeunesse » évoquait une période quasiment 
				mythique, où les idéaux révolutionnaires avaient encore toute 
				leur pureté et leur ferveur.  
				          
				Enfance solitaire et morne adolescence           
				Yang Mo est née en août 
				1914 à Pékin, dans une famille de fonctionnaires originaire du 
				Hunan.           
					
						| 
						Elle s’appelait 
						en réalité Yang Chengye (杨成业) 
						mais a utilisé divers noms de plume, comme autant de 
						mues successives à la recherche d’une identité : Yáng Jūnmò 
						(杨君茉), le ‘jasmin blanc du seigneur’, mais, parce que trop « parfumé » à son 
						goût, bientôt changé en 
						杨君默, 
						ce caractère 
						mò 
						(silencieux) étant plutôt à prendre ici au sens 
						dérivé de ‘écrire de mémoire’, ce premier pseudonyme 
						étant finalement simplifié en Yáng Mò : 
						杨默 puis
						
						杨沫 
						, 
						mò 
						pour l’écume, comme 
						l’écume des jours chère à Boris Vian, emblème dans l’un 
						comme l’autre cas d’une œuvre « vraie puisque 
						imaginée ».           
						La famille de 
						Yang Mo était certainement un environnement favorable à 
						l’éclosion de talents artistiques. Son père était un 
						intellectuel qui avait créé une université privée. Sa 
						troisième sœur, Yang Chengyun (杨成芸), 
						née en 1920,  |  | 
						 
						Bai Yang |  
				
				devint
				une actrice célèbre, de théâtre, d’opéra mais aussi de cinéma, 
				qui tourna une vingtaine de films avec la société Lianhua (联华公司) 
				sous le nom de Bai Yang (白杨).
				          
				Malheureusement, les 
				parents ne s’entendaient pas, et le climat familial était 
				totalement dénué de chaleur et d’affection. Yang Mo a grandi 
				dans une atmosphère délétère qui forçait l’enfant solitaire à se 
				réfugier, pour tout lot de consolation, dans la lecture et la 
				musique, et en particulier le kunqu (昆曲), qui est à l’opéra de Pékin ce que Puccini est au Cirque du Soleil : un 
				raffinement subtil.           
					
						| 
						 
						Yang Mo enfant |  | 
						
						En 1928, à quatorze ans, alors qu’il ne lui restait plus 
						qu’un an pour terminer ses études secondaires, elle 
						préféra éviter les scènes du foyer familial en se 
						réfugiant dans un lycée de filles du côté des Collines 
						de l’Ouest, dans la banlieue de Pékin (西山温泉女子中学). 
						Ses devoirs de classe expédiés, il lui restait encore du 
						temps pour lire : elle se plongea à corps perdu dans les 
						œuvres chinoises récentes, représentant l’émergence 
						d’une nouvelle littérature chinoise après 1919, et dans 
						celles des grands auteurs européens et japonais du 18ème 
						et 19ème siècle. C’est à cette époque que 
						naquit son amour de la littérature.          
						
						En 1931, son père fit faillite ; il partit sans laisser
						
						
						d’adresse et la famille se désintégra. Sa mère fit 
						revenir Yang Mo à Pékin ; à seize ans, elle se trouva 
						prise au piège 
						
						d’un  |  
						
						mariage arrangé 
				avec un officier du Guomingdang. Elle s’enfuit, revint au lycée 
				des Collines de l’Ouest puis fugua à Beidahe, sur quoi sa mère 
				lui coupa les vivres. Elle fit alors la connaissance d’un jeune 
				étudiant en littérature chinoise du nom de Zhang Xuan (张玄) 
				qui s’apitoya sur son sort. Comme elle était obligée de gagner 
				sa vie, il lui obtint un poste d’institutrice à Xianghe, dans le 
				Hebei (河北香河) ; 
				rappelée par sa mère malade, elle revint cependant à Pékin en 
				novembre 1932, et alla vivre avec lui. Mais elle était souvent 
				en proie à des crises de dépression. 
				       
				  
				
				Initiation au marxisme et engagement révolutionnaire          
					
						| 
						
						La fin de l’année 1932 lui apporta une occasion 
						inespérée d’apercevoir enfin le bout du tunnel. Invitée 
						pour la soirée du Nouvel An chez sa sœur Bai Yang, elle 
						s’y retrouva au milieu d’un groupe de jeunes étudiants 
						que l’occupation japonaise avait chassés du Dongbei 
						après l’incident de Mukden, ou incident du 18 septembre 
						[1931] (“九·一八”事变). 
						Il y avait quelques membres du Parti communiste, mais 
						c’étaient en majorité des membres d’organisations 
						satellites du Parti (共产党外围组织“剧联”成员).
						 |  | 
						 
						Shenyang occupée fin septembre 1931 |  
				          
				
				L’idéalisme de ces étudiants viscéralement patriotes la secoua 
				profondément. Elle affirmera plus tard : 
				       
				“听到他们对于国内国际大事的精辟分析,使我这个正在寻求真理,徘徊歧途的青年猛醒过来——啊, 
				      
				
				人生并不都是黑暗的,生活并不都是死水一潭!原来,中国共产党人为了拯救危亡的祖国,为了一个 
				      
				
				美好的社会的诞生正在浴血奋战!”(《青春是美好的》)« En entendant leurs 
				analyses pénétrantes de la situation politique tant
 
				      
				
				intérieure qu’extérieure, j’eus un soudain 
				sursaut de conscience, réalisant  
				      
				
				que, dans ma recherche de la vérité et mes 
				hésitations sur la voie à suivre  
				      
				
				– ah, tout n’était pas sombre, que la vie 
				n’était pas seulement une immense 
				     
				
				 étendue d’eau stagnante ! Ainsi, pour 
				sauver la nation en péril, pour créer  
				      
				
				une société radieuse, les militants du Parti 
				communiste chinois s’apprêtaient  
				      
				
				à se battre et sacrifier leur vie ! » (« La 
				jeunesse est belle »)
 
					
						| 
						 
						Livre de Song Zhide (« Les envahisseurs »
						《打击侵略者》) |  | 
						Cette soirée 
						fut un tournant déterminant dans sa vie, et elle l’a 
						repris sous une forme idéalisée pour en faire un passage 
						fondamental de son roman « Le chant de la jeunesse » 
						(《青春之歌》), 
						par ailleurs largement autobiographique. C’est à partir 
						de cette soirée que les jeunes étudiants qu’elle y avait 
						rencontrés, et en particulier l’écrivain Song Zhide (宋之的), 
						l’initièrent au marxisme-léninisme, lui insufflèrent 
						leur ferveur révolutionnaire, leur patriotisme 
						anti-japonais et leur mépris du Guomingdang. Outre les 
						livres de théorie, elle lut aussi 
						 |  
				beaucoup de romans soviétiques en 
				vogue à l’époque, dont « La mère » de Gorki, qui la marqua 
				profondément. 
						          
					
						| 
						Elle supportait 
						de plus en plus mal la dépendance qui était la sienne 
						dans son ménage, et tenta de se libérer de ces liens en 
						cherchant du travail. De 1932 à 1936, elle occupa ainsi 
						plusieurs postes d’institutrice dans des écoles 
						primaires, de tuteur privé chez des particuliers et même 
						de vendeuse dans une librairie. En même temps, elle 
						suivait des cours à 
						l’université de 
						Pékin. Elle alla même visiter en prison des membres du 
						Parti qui avaient été arrêtés et leur rendit divers 
						services. 
						  
						
						Premiers pas d’écrivain 
						          
						Le 15 mars 1934 
						paraît sa première œuvre, dans la revue  
						bi-mensuelle 
						‘Noir et Blanc’ (《黑白》) 
						éditée par des réfugiés du Dongbei : un essai intitulé 
						« Esquisse  
						
						de la vie des habitants de la région montagneuse au sud 
						de la province de Rehe » (《热南山地居民生活 
						
						素描》) ;  elle y expose en 
						particulier la réalité des exactions commises à l’égard 
						de la population paysanne par  |  | 
						 
						« La mère » de Gorki, édition chinoise
						 |  
				les propriétaires terriens 
				de cette province qui s’étendait alors sur une partie des 
				provinces actuelles du Hebei, du Liaoning et de Mongolie 
				intérieure.          
				Recoupant des souvenirs 
				d’enfance, l’essai témoigne de sa nouvelle conscience de classe, 
				nimbée de  
				chaleur humaine. Elle 
				utilise alors le nom de plume Xiao Hui (“小慧”) 
				pour publier, dans  
				
				diverses revues, des essais, reportages et nouvelles. L’une 
				d’une série de quatre nouvelles, publiées en 1937, s’intitule 
				« Vagues de colère » (《怒涛》) : 
				elle y décrit l’histoire d’une jeune étudiante nommée Meizhen (美真) 
				qui ne peut se satisfaire de l’amour de son mari et de ses 
				enfants, et abandonne la chaleur de son foyer pour aller lutter 
				et se sacrifier pour le bonheur du peuple, sur fond de 
				résistance des jeunes intellectuels chinois à l’envahisseur 
				japonais.  
				          
				La 
				nouvelle a un côté autobiographique, et son héroïne annonce et 
				préfigure, en une sorte de modèle miniature, le personnage 
				principal du roman 
				
				« Le chant de la 
				jeunesse » publié près de vingt ans plus tard. 
				 
				          
				La guerre et après 
				          
				En 1936, Yang Mo devint 
				membre du Parti communiste. 
				          
				Activités pendant la 
				guerre 
				        
				 
					
						| 
						 
						La défense du pont Marco Polo par les 
						soldats chinois |  | 
						Quand commença 
						la guerre de résistance contre le Japon, le 7 juillet 
						1937, après l’incident du pont Marco Polo (卢沟桥事变), 
						encore appelé « incident du 7.7 » (七七事变), 
						Yang Mo partit dans la région frontalière 
						Shanxi-Chahar-Hebei (晋察冀 Jìn-Chá-Jì) où elle devint directrice de l’Association des femmes pour la 
						sauvegarde nationale (妇救会)du 
						district 
						d’Anguo (安国), 
						dans le Hebei, et directrice du bureau d’information de 
						la même association pour la zone du centre du Hebei (3). 
						          
						En 1942, elle 
						devint rédactrice du Quotidien de la 
				Lumière de l’Aube (《黎明报》), 
						du Quotidien 
						 |  
				de la 
				région 
				Shanxi-Chahar-Hebei (《晋察冀日报》) 
				et du Quotidien du Peuple (《人民日报》) 
				de la région, en charge également des suppléments de ces 
				quotidiens.           
				En mai 1949, elle fut 
				nommée chef du service d’information de la Fédération des femmes 
				de Pékin (北京市妇联宣传部副部长), 
				mais, en 1952, pour raisons de santé, fut mutée au bureau des 
				scénarios du Bureau central de l’administration 
				cinématographique, continuant là son activité de rédactrice. 
				          
				En 1950, 
				elle publia la nouvelle ‘de taille moyenne’ « Chronique du Lac 
				aux Ajoncs » (《苇塘纪事》) 
				qui est un témoignage dans un style très réaliste, conforme aux 
				prescriptions des « causeries de Yan’an », sur la Guerre de 
				Résistance contre le Japon. Elle y décrit la campagne 
				d’encerclement menée par les Japonais contre la Huitième Armée 
				dans la région du lac Weitang (ou lac aux ajoncs) dans la région 
				de Suzhou : le groupe de guérilla local, sous la conduite du 
				secrétaire du Parti du village, sert d’appât aux Japonais pour 
				que l’armée puisse lancer une contre-offensive. 
				  
				Le Chant de la 
				jeunesse 
				          
					
						| 
						C’est en 1958 
						que fut publié son roman
						
						“Le 
						chant de la jeunesse ” (《青春之歌》), 
						qui, tiré à cinq millions d’exemplaires, devint l’un des 
						plus gros succès de librairie de la Chine nouvelle. En 
						septembre 1959 sortait une adaptation cinématographique 
						éponyme, tournée pour le dixième anniversaire de la 
						fondation de la République, qui devint à son tour l’un 
						des grands classiques du cinéma de la période et 
						paracheva la célébrité de Yang Mo et la carrière du 
						roman.  
						  
						On 
						a peine à imaginer l’influence qu’a exercée ce roman et 
						l’aura qu’il a longtemps conservée. Au début des années 
						1950, il était en phase avec les sentiments des Chinois 
						qui avaient vécu les événements difficiles des années 
						1930 et 1940, et en gardaient un souvenir très vivant ; 
						l’idéalisme révolutionnaire appelant à l’autosacrifice, 
						dépeint en termes passionnés dans le roman, répondait au 
						leur ; c’était une adhésion spontanée et vibrante. Il 
						faudra la  |  | 
						
						 
						“Le chant de la jeunesse 
						” 
						 
						(《青春之歌》) |  
				campagne 
				contre les droitiers en 1957, puis les absurdités du Grand Bond 
				en avant et la famine résultante, pour que cet idéalisme 
				enthousiaste soit remis en question. 
				  
				Les deux 
				romans généralement considérés comme les plus populaires dans 
				les années 1950 et au début des années 1960 sont « Red Crag » (《红岩》) 
				de Luo Guangbin (罗广斌) 
				et Yang Yiyan (杨益言), 
				sorti en 1961, et « Le Chant de la jeunesse » (4). Ce dernier 
				roman n’arrive qu’en quatrième position parmi les tirages de la 
				période des « 19 années », mais il a continué à avoir une 
				popularité et une influence bien plus longtemps que les autres.
				 
				  
				Il 
				circulait sous le manteau pendant la Révolution culturelle, 
				alors même que Yang Mo  était sérieusement dénoncée, et il 
				retrouva une nouvelle vie lorsqu’il fut réédité, après la 
				Révolution culturelle, au début de la période d’ouverture, avec 
				nombre d’autres œuvres du réalisme socialiste des années 
				1949-1966. Les autorités chinoises soutenaient ces rééditions, 
				car elles voulaient faire renaître l’esprit d’adhésion spontanée 
				aux idéaux du régime que dépeignent ces romans. Les tirages au 
				début des années 1980 sont frappants : « Le Chant de la 
				jeunesse » vient en seconde position, avec « Le Voyage en 
				Occident »  (derrière un recueil de pièces de Shakespeare !). 
				(5) En 1980, une enquête auprès d’étudiants à Canton révéla 
				qu’il était leur roman favori. En 1983, aux termes d’une enquête 
				auprès d’étudiants universitaires à Pékin, il est arrivé en 3ème 
				position d’une sélection de 55 célèbres œuvres mondiales. 
				  
				Sa 
				popularité et son impact pendant les années 1980 tiennent d’une 
				nostalgie du passé embaumée dans des souvenirs de jeunesse. On 
				en a  des témoignages dans la littérature. 
				Outre le cas de
				Lu 
				Xinhua déjà mentionné, c’est celui, par exemple, de
				
				Liu 
				Xinwu (刘心武) 
				qui cite le roman parmi les œuvres retenues dans sa nouvelle 
				« Le professeur principal ». Il souligne dans ses 
				
				Mémoires 
				l’influence qu’a exercée le roman sur lui : c’est l’un des 
				romans cités parmi ceux des « 19 années » qui l’ont le plus 
				influencé (6). 
				  
				Et 
				après… 
				  
				Yang Mo 
				publia par la suite une série d’autres romans qui portent le 
				titre « Chant de… » (《…之歌》), 
				mais dont aucun n’a l’attrait fascinant du premier. Un recueil 
				de nouvelles sortit en 1964 : « L’étoile du matin rouge » (《红红的山丹花》). 
				Elle est l’un des rares écrivains qui ait publié de la fiction 
				pendant la Révolution culturelle. Elle refit en effet surface en 
				1972 en publiant « Aurore à l’Est » (《东方欲晓》) : 
				un récit des luttes internes dans le Parti et une description 
				des changements d’allégeance des intellectuels pendant la guerre 
				de Résistance. La nouvelle fut rééditée dans une version révisée 
				en 1979. 
				  
				Une suite au roman « Le 
				chant de la jeunesse » parut encore en 1985, mais sans susciter 
				d’intérêt. Ses œuvres complètes sont 
				désormais publiées en sept volumes, comprenant nouvelles et 
				romans, essais et textes divers. 
				  
				Elle est 
				décédée, de maladie, à Pékin, le 11 décembre 1995. 
				         
				  
				         
				Eléments autobiographiques dans son œuvre  
				          
				On ne peut 
				cependant en rester là pour comprendre Yang Mo. Sa vie privée et 
				affective ne doit pas être négligée, car elle a une incidence 
				sur le ‘décodage’ de son œuvre en général, et de son premier 
				roman en particulier. A partir de sa première nouvelle, 
				en 1934, elle n’a fait, grosso modo, que se raconter et se 
				mettre en scène, sous une forme ou une autre. 
				          
				
				Marquée comme au fer rouge, dans son enfance, par la désunion de 
				ses parents et le manque d’amour maternel, c’était un personnage 
				complexe, légèrement névrosé. Elle ne supportait pas le bruit et 
				les pleurs, et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle 
				laissa ses quatre enfants (survivants, le premier étant mort à 
				l’âge d’un an) à la charge de nourrices successives. C’était 
				aussi la condition nécessaire à la préservation de sa liberté, 
				liberté de femme moderne dans une Chine en train de s’émanciper 
				du ‘féodalisme’.           
					
						| 
						
						Son caractère libertaire et passionné se retrouve dans 
						celui de nombre de ses héroïnes, mais les deux hommes 
						qu’elle a connus et aimés sont aussi les modèles, entre 
						autres, des deux héros de son roman « Le chant de la 
						jeunesse ». 
						
						          
						
						Zhang Zhongxing          
						Le 
						premier homme dans sa vie s’appelait Zhang Xuan 
						 
						(张玄), 
						mais est plus connu sous le nom de Zhang Zhongxing 
						(张中行).
						Né en 
						1909, c’était un personnage de la « vieille Chine », 
						comme on dit de la vieille école. Il avait été marié à 
						l’âge de trois ans à une fillette du même village qu’il 
						épousa ensuite en 1926, à l’âge de dix-sept ans, et avec 
						laquelle il 
						finira ses 
						jours : épouse  |  | 
						
						 
						
						Zhang Zhongxing (张中行) |  
				
						effacée dans 
				la grande tradition confucéenne, qui ne lui reprochera jamais son affaire 
				avec Yang Mo. 
				
				          
				
				Il connut celle-ci 
				alors qu’elle avait dix-sept ans et venait de fuir le mariage 
				arrangé par sa mère. Il l’a décrite ainsi : 
				“她17岁,中等身材,不胖而偏于丰满,眼睛明亮有神。言谈举止都清爽,有理想,不世俗,像是也富于感情。”(张中行《流年碎影》) 
				Elle 
				avait 17 ans, était de taille moyenne, pas vraiment grosse mais 
				bien ronde, avec des yeux brillants et expressifs. Sa façon de 
				parler, de se comporter, tout chez elle était d’une paisible 
				fraîcheur, d’un idéalisme hors du commun, et elle donnait 
				l’impression d’une grande émotivité.  
				
				                                               (Zhang Zhongxing, 
				« Ombres brisées du temps passé ») 
				          
				On n’a pas l’impression 
				de quelqu’un de follement amoureux, on sent plutôt un ton 
				légèrement protecteur. Il commença par lui trouver, grâce à son 
				frère, un poste d’enseignante à Xianghe (香河), 
				dans le Hebei, d’où il était originaire ; elle débuta au début 
				de septembre 1931. Mais ils s’étaient vus plusieurs fois avant 
				qu’elle parte, et ils continuèrent une liaison épistolaire. Au 
				bout de deux mois, cependant, la mère de Yang Mo tomba malade, 
				et elle envoya quelqu’un demander à sa fille de revenir à Pékin.
				 
				          
				Lorsque Yang Mo revint, 
				sa mère était déjà gravement malade et alitée. Comme elle 
				s’était fâchée avec son mari et son frère, elle était seule avec 
				les deux petites sœurs de Yang Mo. Celle-ci, cependant, toute à 
				sa passion pour Zhang Zhongxing, alla 
				vivre avec lui, au comble du bonheur, sans s’occuper de sa mère.
				 
				          
				Mais elle 
				tomba vite enceinte, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à Zhang 
				Zhongxing. Il s’en est expliqué un jour à la fille aînée de Yang 
				Mo, Xuran (徐然) : 
				“你妈只看表面,不是我负心冷淡,当时生活艰难,加上她怀孕,就更困难,心情沉重,你妈就以为我冷淡她……”
				 
				Ta mère 
				s’en est tenue aux apparences, je n’ai pas été froid ou sans 
				cœur, simplement, à 
				l’époque, la vie n’était pas facile, avec 
				elle enceinte, c’était encore plus difficile, alors j’avais le 
				cœur lourd, et ta mère a pris cela pour de la froideur… 
				          
				Quoi qu’il 
				en soit, leur relation commença à se détériorer. Lorsque la mère 
				de Yang Mo mourut fin 1931, faute d’argent pour la procession 
				funèbre, son cercueil resta près de deux mois dans sa chambre 
				avant que l’argent des funérailles ait été rassemblé, grâce à un 
				oncle qui vendit des terres… 
				          
				Quant à 
				Yang Mo, elle alla accoucher seule, l’été 1932, chez la nourrice 
				de sa sœur Bai Yang, dans le village de  Xiaotangshan (小汤山), 
				dans la banlieue nord de Pékin. 
				Mais elle 
				dut en partir précipitamment douze jours plus tard, pour fuir 
				une épidémie de choléra qui s’y était déclarée, emportant son 
				bébé dans une charrette tirée par un âne. Elle laissa l’enfant à 
				une nourrice qu’elle paya de ses propres deniers sans rien 
				demander à 
				Zhang 
				Zhongxing.  
				          
				Celui-ci 
				eut cependant des remords et revint vivre avec elle. Ils étaient 
				extrêmement pauvres, mais Zhang Zhongxing lui écrivait des 
				poèmes, et lui donnait le sentiment d’une vie intellectuelle 
				raffinée qui compensait les déficiences de la vie matérielle. 
				Yang Mo savourait le plaisir de cette chaleur partagée qui lui 
				faisait oublier la carence affective dont elle avait souffert 
				toute son enfance.    
				       
				  
				Quand 
				elle mourut, il refusa d’assister à ses obsèques, mais c’est lui 
				qui lui a quand même rendu le plus bel hommage, lorsqu’il la 
				défendit pendant la Révolution culturelle : 
				“她直爽,热情,有济世救民的理想,并且有求其实现的魄力。” 
				Elle 
				était droite et passionnée, avait pour idéal de secourir le 
				peuple et sauver le monde, et le courage de le réaliser. 
				          
				Ma Jianmin          
					
						| 
						 
						Yang 
						Mo et son 
						époux Ma Jianmin |  | 
						Le 
						deuxième homme fut 
						son époux Ma Jianmin (马建民). 
						Originaire, lui aussi, d’un village du Hebei, son 
						parcours fut totalement différent. Né en 1911, il 
						s’engagea dès quinze ans dans les forces 
						révolutionnaires, en 1927, se joignit aux jeunesses 
						communistes, et, en 1930, devint membre du Parti. 
						C’était un authentique révolutionnaire et leader 
						étudiant, aux antipodes du poète épris de tradition 
						qu’était Zhang Zhongxing. 
						Après 1949, il occupa 
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				diverses 
				fonctions officielles dans 
				l’enseignement et la recherche historique. 
				          
				Il 
				accompagna Yang Mo dans la deuxième partie de son existence, 
				après la réunion du Nouvel An 1932 chez sa sœur, qui détermina 
				son engagement révolutionnaire.          
				L’un l’avait sauvée de 
				la solitude et du désespoir, l’autre la conduisit sur les 
				sentiers de la révolution, et l’accompagna dans sa 
				quête idéaliste d’une société meilleure. Il mourut dix ans avant 
				elle, en 1985, au moment où ses œuvres avaient été brièvement 
				remises à l’honneur. Mais une autre époque avait commencé, une 
				époque de progrès matériel où l’idéal révolutionnaire n’était 
				plus de mise, sauf dans quelques esprits perdus dans le siècle 
				et leurs souvenirs… 
				         
				  
				
				Notes 
				(1) Voir Repères 
				historiques 1937-1965 (chapitres en préparation) 
				(2) Voir Repères 
				historiques (La littérature 
				chinoise après 1979 : I.  Les années 
				1980 : renaissance) 
				(3) 
				晋Jìn : 
				le Shanxi - 
				察 
				 
				
				Chá 
				 le Chahar 
				(察哈尔), 
				couvrant trois anciennes subdivisions administratives de 
				Mongolie intérieure - 
				冀Jì 
				le Hebei. 
				(4) D’après The 
				Uses of Literature, Life in the Socialist Chinese Literary 
				System, Perry Link, Princeton University Press, 2000, p. 250. 
				(5) Id, p. 170. 
				(6) Liu Xinwu, Je suis 
				né un 4 juin, traduit du chinois par Roger Darrobers, 
				Gallimard/Bleu de Chine, 2013, pp 288-89. 
				         
				  
				On trouve peu de choses 
				sur Yang Mo en français, et même en anglais : 
				- une référence dans le 
				Que sais-je de Paul Bady sur « La littérature chinoise moderne » 
				(1993), p. 87. 
				- une entrée dans le 
				« Dictionnaire de littérature chinoise » d’André Lévy, PUF, 
				novembre 2000, p. 366. 
				- une notice 
				biographique dans « The Literature of China in the 20th 
				Century », de Bonnie S McDougall et Kam Louie, Columbia 
				University Press, 1997, pp 243-245 (la moitié consacrée à “Song 
				of Youth”). 
				A ma connaissance, 
				aucune de ses œuvres n’a été traduite.           
          
				A lire en 
				complément : 
				
				« Le 
				chant de la jeunesse »
				 (《青春之歌》) : le 
				roman et l’adaptation cinématographique.                     
				       
				
 
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