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La
littérature féminine en Chine continentale, d’hier à
aujourd’hui (1919-2019)
II.
Renaissance et essor de la littérature chinoise après 1976
par Brigitte Duzan, 10 février
2019
La mort de Mao en
septembre 1976 et la chute de la Bande des quatre en octobre
marquent la fin de la Révolution culturelle. Deng Xiaoping lance
la politique d’ouverture en décembre 1978. Avec le dégel
idéologique, un vent de libéralisation souffle sur tout le pays,
qui se traduit tout particulièrement en littérature. La fin des
années 1970 et le début des années 1980 sont marqués par divers
courants littéraires où les femmes ont plus d’importance que
jamais : leurs combats personnels sont représentatifs du climat
de l’époque. Au fur et à mesure qu’on avance dans la décennie,
les souvenirs du passé (récent) font place à la réflexion sur le
présent et à des revendications, puis à une certaine désillusion
quant à toute possibilité de changement.
1.
Années
1980 :
affirmation d’une écriture féminine
La fin des années 1970
et toute la décennie des années 1980 est une période d’intense
bouillonnement culturel marquée, en littérature, par une
succession de courants –
littérature des cicatrices
pour témoigner des souffrances de la Révolution
culturelle, littérature d’introspection, de recherche des
racines, d’avant-garde – qui reflètent l’effervescence des
esprits. Les femmes, dans ce contexte, restent un peu en marge,
mais leurs écrits témoignent d’une volonté d’expression
personnelle défiant les tabous.
En ce sens, les années
1980 apparaissent comme un miroir des années 1920, avec un
phénomène semblable d’explosion créatrice après un long silence
forcé. De grandes plumes féminines réapparaissent ou font leur
apparition dans un climat de relative liberté d’expression et de
publication, malgré les campagnes idéologiques, les controverses
et les critiques.
Qui suis-je ?
Après une nouvelle plus
spécifiquement caractéristique de la littérature des cicatrices,
c’est-à-dire qui revient sur la condition des intellectuels
pendant la Révolution culturelle,
Zong
Pu ouvre le ban, en 1979, avec sa nouvelle
« Qui suis-je ? » (《我是谁》) :
à travers les cauchemars d’une jeune femme dont le compagnon
s’est suicidé, la nouvelle dépeint son malaise existentiel, sa
quête identitaire pour tenter de retrouver une vie normale, mais
elle finit elle aussi par se suicider.
Le récit de Zong Pu est
précurseur d’un courant de recherche de nouvelles valeurs
humaines, un courant « humaniste » aussitôt critiqué comme
relevant d’une mentalité bourgeoise, opposée à la théorie de Mao
selon laquelle il n’y a pas de nature humaine, seulement une
nature de classe. Mais la littérature féminine du début des
années 1980 est à replacer dans ce contexte : elle apporte à ce
mouvement d’idées une déclinaison proprement féminine, sinon
féministe.
Ne pas oublier
l’amour
L’une des écrivaines
les plus représentatives de ce renouveau littéraire est
Zhang Jie (张洁),
connue pour diverses publications traitant avec une grande
sensibilité de la question féminine et des sentiments féminin
dans la Chine nouvelle, et prix Mao Dun en 1985 pour son roman
« Ailes de plomb » (《沉重的翅膀》).
Plusieurs
de ses romans et nouvelles reflètent les conflits
intérieurs des femmes, dans la Chine de l’époque, et
leurs questionnements, et d’abord, en 1979
également, « L’amour, à ne pas oublier » (《爱,是不能忘记的》),
auquel en répondent d’autres, dont, publiée en mars
la même année dans la revue
Shouhuo,
la nouvelle
« Le droit à
l’amour » (《爱的权利》),
de
Zhang Kangkang (张抗抗).
Le récit de Zhang Jie, le plus célèbre, crée une
sensation en proclamant que l’amour doit être la
considération première pour envisager le mariage et,
comme celui de Zhang Kangkang, en revendiquant comme
droit fondamental celui pour l’individu de vivre
libre, selon ses propres désirs, hors des
contraintes imposées par la société. La narratrice
raconte, en la découvrant à sa mort, l’histoire de
sa mère, mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, et
qui a aimé toute sa vie un homme marié lui aussi par
devoir. Ce n’est qu’à la |
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L’amour, à ne pas oublier |
fin de leur vie qu’ils réussissent à se marier, mais ils
n’ont même pas le temps d’en profiter.
La nouvelle suscita un
débat passionné, entre ceux qui s’opposaient aussi aux mariages
arrangés, et ceux qui reprochaient à la mère d’avoir entretenu
toute sa vie un amour interdit car hors mariage – comme si en on
était encore au début du siècle : les mentalités n’avaient guère
évolué.
Revendications
d’égalité
Arrivé à l’âge mur, adaptation
cinématographique 1981 |
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On en
revient toujours au même problème : comment la femme
peut-elle accéder à une vie à l’égal des hommes,
quand elle doit concilier vie professionnelle et vie
familiale, avec la lourde tâche d’élever les
enfants. C’est cette réflexion qui sous-tend la
nouvelle de
Shen Rong (谌容)
« Arrivé à l’âge mûr » (《人到中年》),
c’est-à- dire, comme les femmes de sa génération, au
milieu du gué sans avoir vraiment eu de jeunesse
.
Primée en 1980, et adaptée au cinéma deux ans plus
tard, la nouvelle part de l’accident
cardio-vasculaire arrivé à une ophtalmologue d’âge
moyen, Lu Wenting, épuisée après une vie de labeur
consacrée en priorité à ses patients, mais avec en
outre la charge de son foyer. Le récit est conté en
flashback par la camarade de Lu Wenting, qui a,
elle, obtenu de pouvoir partir à l’étranger. Lu
Wenting rentre chez elle après plus |
d’un mois
d’hôpital, mais sa santé est fragile, et elle n’est qu’une
parmi tant d’autres…
Le problème
est posé de manière sensiblement différente par
Zhang Xinxin (张辛欣)
dans plusieurs de ses publications de ce début des
années 1980, mais si le style est différent, le
message est similaire : publiée en 1981 dans la
revue
Shouhuo,
l’une de ses premières nouvelles,
« Sur la même
ligne d’horizon » (《在同一地平线上》)
,
en particulier, partiellement autobiographique,
reflète les tensions psychologiques des jeunes
couples de son temps :
une jeune femme juste mariée suit des cours à
l’Institut du cinéma car elle veut devenir cinéaste,
son mari est peintre et aspire à être reconnu ;
leurs ambitions réciproques alimentent des
dissensions constantes qui les amènent à divorcer,
ce qui ne les empêche pas de continuer à se faire
des reproches tout en regrettant de s’être séparés.
Les
tensions sont nettes dans une autre nouvelle célèbre
datant de cette période, « L’Arche » (《方舟》),
de |
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Sur la même ligne d’horizon |
Zhang Jie, publiée
en 1981.
Zhang Jie y décrit les vies de trois femmes qui partagent le
même appartement après avoir divorcé ou être sur le point de
le faire, et revendiquent leur indépendance et le droit de
vivre à leur manière. Elles sont éduquées et gagnent toutes
trois leur vie, même si la sécurité de leurs revenus est
assez fragile, pourtant se pose toujours la question posée
par Lu Xun en 1923 : que va devenir Nora après être partie
de chez elle ? Les femmes modernes de Zhang Jie peuvent
gagner leur vie, elles souffrent toujours autant d’abus et
de discrimination. Ce qui leur reste, c’est de pouvoir se
soutenir et s’épauler.
Liberté, mais avec des limites
Il faut attendre 1985 pour voir le climat s’éclaircir dans
l’œuvre de Zhang Jie, reflétant la confiance accrue en un autre
avenir pour les femmes. Dans « Emeraude » (《祖母绿》),
elle décrit l’évolution d’une jeune fille qui, pendant la
Révolution culturelle, est allée jusqu’à endosser les crimes de
l’homme qu’elle aime et se faire envoyer à la campagne ;
enceinte, elle a souffert toutes sortes d’humiliations, puis
l’enfant est mort, la laissant désespérée. A la fin de la
Révolution culturelle, revenue en ville, elle trouve son ancien
amant marié, mais, en le revoyant, elle s’aperçoit qu’elle ne
l’aime plus. Les souffrances l’ont endurcie, lui ont fait perdre
son romantisme, elle désire désormais vivre pour elle-même.
Mais c’est toujours aussi difficile. Il est intéressant de voir
que 1985 est le début de la période du courant littéraire dit
« de recherche des racines » qui consiste en une recherche de
valeurs culturelles et identitaires dont a fait table rase la
période maoïste. Les femmes s’y inscrivent en marge, avec leurs
considérations personnelles. Les racines ont pour elles un autre
sens, qui n’est pas forcément positif quand elles sous-entendent
un retour à la tradition.
Yu Luojin, Le conte d’hiver |
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Les problèmes sont toujours aussi présents pour les
écrivaines dont la liberté d’expression est jugulée.
Les attaques ne cessent pas, témoin celles, en avril
1982, contre le
« Conte du printemps » (《春天的童话》),
seconde partie d’un récit autobiographique de
Yu Luojin (遇罗锦),
après le « Nouveau conte d’hiver » publié en
1980, mais dont l’écriture remonte à 1974
.
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Yu Luojin y conte l’histoire de l’épouse d’un paysan fortuné du
nord de la Chine, épousé pour assurer sa sécurité matérielle et
celle de sa famille, mais dont elle divorce dès qu’elle peut. Le
livre fit scandale pour les confidences intimes qu’il comporte
et la description de la nuit de noces.
Les éditeurs de la
revue Huacheng (《花城》)
dans laquelle la nouvelle parut furent même contraints de
présenter leurs excuses, sous forme d’un communiqué intitulé
« Notre erreur » (Wǒmen de shiwu 《我们的失误》),
publié en dernière page d’un numéro suivant.
Il est alors toujours aussi difficile en Chine d’exprimer les
sentiments féminins, et encore plus le désir féminin, comme en
témoigne encore le scandale provoqué par la
trilogie « de l’amour »
de
Wang
Anyi (王安忆)
qui s’affirme à partir de 1977 comme l’une des grandes
écrivaines de Chine continentale de la seconde moitié du 20e
siècle, et sans doute la plus traduite en français.
C’est l’époque du courant de « littérature d’avant-garde » : le
style de ces trois nouvelles, publiées en 1987-1988, leur
interdit d’y être rattachées, mais leur sujet est audacieux pour
l’époque bien qu’elles semblent relativement sobres aujourd’hui.
Amour dans une vallée (dés)enchantée
Ce sont trois nouvelles, publiées en France comme courts romans,
dont les deux premières,
« Amour dans une
petite ville » (《小城之恋》)
et « Amour sur une colline dénudée » (《荒山之恋》),
se répondent.
Ce qui s’en dégage, c’est, après la découverte de leur
sexualité,
les sentiments de frustration, de faute et de honte, de jeunes
filles qui n’y étaient pas préparées, dans un environnement
étouffant, voire claustrophobique, où toute expression publique
de sentiments continue d’être réprimée.
Dans ces deux
nouvelles, c’est un univers qui exclut toute ouverture, toute
expression personnelle, qui ne laisse aucun espoir aux femmes
(les hommes apparaissant essentiellement passifs), sauf le
suicide dans la seconde nouvelle - suicide comme seul élan
possible vers une vie autre. C’est aussi l’un des épisodes les
plus poignants jamais décrits par Wang Anyi, où la froideur
apparente derrière la retenue de son récit laisse soudain place
à une superbe envolée lyrique, mais bien vite contenue elle
aussi.
Quant à la troisième nouvelle,
« Amour
dans une vallée enchantée » (《锦绣谷之恋》)
,
elle
reprend le thème de la frustration du désir pour
aboutir à un non-événement. Il s’agit bien encore
d’une rencontre amoureuse, où les sentiments sont
exacerbés par le cadre également fermé où ils se
développent, autre environnement où la passion ne
peut s’exprimer ouvertement. Finalement, l’épisode
se termine sur une séparation sans rien de plus que
quelques baisers fougueux échangés dans le
brouillard, comme dans un songe. Le souvenir qu’il
en reste à la jeune femme est celui, très pur, d’un
rêve dans une vallée enchantée - rêve qui tranche
sur son quotidien tristement banal de femme mariée.
Cette nouvelle en rappelle une autre, de la
même auteure, |
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Amour dans une vallée enchantée |
initialement publiée en 1989 dans la revue
Shouhuo :
« Frères » (《弟兄们》).
Les « frères » en question sont trois jeune filles,
étudiantes au début du récit qui partagent la même chambre
et forment un groupe très uni et résolument non-conformiste.
Mais la plus jeune se marie, elles se dispersent et se
perdent de vue. Les deux aînées se retrouvent alors qu’elles
sont mariées et vivent une vie terne et ordinaire. Le
souvenir de leur amitié passionnée suffit à faire renaître
la flamme qui couvait, et à illuminer à nouveau leur
quotidien. Mais, là encore, l’embellie est de courte durée
et sans lendemain.
A la fin de la décennie, c’est le
désenchantement qui
semble prévaloir chez les femmes. Deux nouvelles de 1989 sont
caractéristiques de ce climat morose, qui est aussi celui des
lendemains des événements de Tian’anmen :
- « Femmes, êtres
humains » (《女性-人》)
de Zhu Lin (竹林)
qui raconte l’histoire de trois femmes de la même famille, qui
toutes ont échoué dans leurs tentatives d’émancipation ; la mère
a été amenée à se prostituer pour assurer la subsistance de sa
fille, qui claque la porte quand elle l’apprend, mais contracte
ensuite un mariage pour fuir la pauvreté, et se rend compte que
c’est une autre forme de prostitution – thème qui était déjà
courant chez les écrivaines des années 1920-1940.
Ce schéma des sagas
familiales de femmes reproduisant de génération en génération,
malgré l’évolution de la société, le modèle perdant de la
précédente est aussi courant au cinéma, avec des films comme
« Jasmine Women » (《茉莉花开》)
sorti en 2004, adapté d’une nouvelle de
Su
Tong (苏童),
« Vies de femmes » (《妇女生活》).
Dans ce cas, le regard rejoint celui de Zhu Lin, mais le style
de Su Tong est plus froid, sans la sensibilité de la nouvelle de
l’écrivaine.
- Citons encore, comme
reflet de l’atmosphère de 1989, « Pas de soleil aujourd’hui »
(《今天没有太阳》)
de Lu Xing’er (陆星儿)
dont l’histoire se situe dans un hôpital où plusieurs femmes
doivent subir un avortement. Si l’histoire personnelle de
chacune d’entre elles est différente, toutes font face à des
situations problématiques, et sont seules pour les résoudre. Ce
n’est pas aussi tragique que la nouvelle de 1936 de
Bai
Wei sur un sujet semblable,
mais, cinquante ans plus tard, on voit bien que la situation de
la femme est fondamentalement la même. Pire : c’est sur elle que
repose la limitation des naissances imposée par le gouvernement
à partir de 1979.
Le grand problème, pour
la femme, reste toujours de devenir un sujet autonome.
Dans « Le chant des regrets éternels » (《长恨歌》)
de Wang Anyi, publié en 1995, Wang Qiyao mourait sans y être
parvenue. C’était à l’aube de l’ouverture de la Chine, mais son
cas est emblématique.
2.
Années
1990 : réalisme et marchandisation
Après 1989, le pays se
referme sur un certain mutisme ; en même temps, Deng Xiaoping
compense la répression par la reprise de la croissance
économique, dans une sorte de contrat implicite passé avec la
nation : la richesse contre la liberté. L’économie est
« marchandisée » à grande allure, tout le monde doit faire des
profits, y compris les journaux et les maisons d’édition. Fini
la littérature d’avant-garde, l’heure est au réalisme, appelé
néo-réalisme pour le distinguer du réalisme socialiste.
Réalisme au féminin
Chi Li, Triste vie |
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Les grandes
écrivaines de l’époque s’inscrivent dans ce
mouvement.
Chi Li (池莉) a
commencé dès 1987, avec « Triste vie » (《烦恼人生》)
qui décrit les milles petits tracas de la vie
quotidienne d’un couple d’ouvriers qui n’ont plus
rien d’héroïques, entre leur logement exigu, les
queues qu’il faut faire pour prendre le bus ou aller
aux toilettes publiques au coin de la rue, et leurs
difficultés d’approvisionnement dès que les produits
dépassent la consommation courante.
A partir de
là, elle dépeint de récit en récit, comme en un
kaléidoscope, l’évolution des modes de vie et de la
société chinoise, vue au travers de la vie des
classes populaires des villes chinoises ; c’est la
réalité urbaine de la Chine profonde, parfois avec
un certain cynisme, comme dans « Ne parlez pas
d’amour » en 1990 où elle décrit deux jeunes époux
qui ne s’entendent plus, mais qui s’unissent pour
évincer les rivaux quand le mari a la perspective
d’une mutation à l’étranger. |
Peu à peu se dessine
une série de portraits féminins avec un trait récurrent :
l’image d’une femme forte qui fait face, comme la Shuangyang du
« Show
de la vie » (《生活秀》)
devenue une célébrité dans sa rue, une mère seule qui soutient
toute une maisonnée, à commencer par son frère drogué, et sa
belle-sœur au chômage qui lui laisse son fils à garder pour
jouer en bourse…
« Tu es
une rivière » (《你是一条河》)
commence carrément par la mort du mari de Lala, une
Lala qui repousse les avances de son ancien amant,
ainsi que celles de son beau-frère, qui tentent tous
les deux de la séduire. Si elle veut demeurer
célibataire, c’est pour la raison simple qu’elle n’a
pas besoin d’un homme pour assurer sa subsistance,
d’autant que ceux qu’elle connaît ne l’aideraient
pas beaucoup.
Chez Chi
Li, le père a disparu, c’est la mère qui l’a
remplacé et qui perpétue la tradition familiale.
C’était déjà le cas dès 1989 chez
Tie Ning (铁凝),
autre grande écrivaine, depuis 2006 présidente de
l’Association nationale des écrivains : dans son
roman « La
Porte des Roses » (《玫瑰门》),
qui n’a malheureusement pas été traduit en français,
les personnages masculins sont diminués ou absents -
un beau-père faible, un époux irresponsable et
infidèle, un fils qui ne parvient pas à grandir, un
amant disparu - autant de |
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Tie Ning, La porte des roses |
mâles velléitaires
qui contrastent avec la force de caractère, la vitalité et
la sexualité des personnages féminins. La faiblesse des
personnages masculins est aussi un trait propre aux romans
et nouvelles de
Wang Anyi.
… et réalisme au
vitriol
Fang Fang, Soleil du crépuscule |
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Chez Chi
Li, le réalisme reste malgré tout avenant, voire
teinté d’ironie, il se fait noir chez
Fang Fang (方方).
Elle décrit pourtant à peu près le même milieu, la
même vie quotidienne en milieu urbain, et en plus,
comme Chi Li, elle est de Wuhan. On la connaît moins
en France car on a beaucoup moins de traductions de
ses œuvres, trois en fait, datant de la fin des
années 1990 et épuisées. La plus remarquable est
« Une vue splendide » (《风景》),
initialement publiée en 1987 en Chine : elle est
considérée comme la nouvelle qui a ouvert la voie au
mouvement néo-réaliste, justement.
C’est une
peinture peu amène de la société, dans un style
sobre, sans état d’âme. Une famille de onze enfants
qui vit dans une cabane de treize mètres carrés
secouée toutes les sept minutes par le passage d’un
train est décrite par Petit |
Huitième qui, lui,
a eu la chance de mourir à seize jours, et observe ce qui se
passe de son cercueil, enterré devant la maison : un père
alcoolique et violent, une mère aguicheuse qui se laisse
battre, le septième frère, bouc émissaire du père, qui dort
sous le lit des parents faute de place, et le frère aîné qui
travaille de nuit pour pouvoir dormir le jour, également
faute de place … Ce qui est le plus atterrant, dans
l’histoire, c’est le réalisme, justement, avec lequel tout
cela est décrit, avec un luxe de détails cruels.
Suivent des récits dans
le même style qui décrivent la misère du prolétariat urbain dans
la Chine du miracle économique – comme « Soleil du crépuscule »
(《落日》),
publié en 1991,
qui apparaît comme une suite
donnée au récit précédent
– ou comme « Au fil de l’eau glissent les nuages » (《行云流水》)
en 1992. Elle
décrit les conditions de survie de personnages au bas de
l’échelle sociale, des existences misérables dont elle analyse
les faiblesses, des destins tragiques auxquels elle cherche à
trouver un sens. Dans
le ton perce souvent une forme d’humour froid propre à Fang
Fang.
La grande différence
avec Chi Li est que Fang Fang a beaucoup évolué par la suite,
alors que Chi Li continue à écrire dans le même style.
Littérature de la
vie privée et écriture du corps
Hormis le néo-réalisme,
il est, dans les années 1990, un autre courant de la littérature
féminine dont on ne parle pas beaucoup, mais qui n’en est pas
moins essentiel : c’est ce qu’on a appelé « littérature de la
vie privée », voire « écriture du corps », et ce courant
représente une nouvelle manière, plus audacieuse, plus directe,
d’exprimer le féminin dans son expérience la plus intime. Deux
écrivaines en sont représentatives.
a) L’une est
Lin
Bai (林白),
dont on n’a malheureusement pas de traductions disponibles en
français. Son parcours est caractéristique des difficultés que
peuvent rencontrer les écrivaines aujourd’hui.
Elle a commencé à
écrire des poèmes en 1977, mais, victime d’un plagiat, a arrêté
d’écrire jusqu’en 1983. Dans les années 1990, elle s’oriente
vers l’évocation nostalgique de souvenirs personnels, avec des
narrations volontairement fragmentaires d’où se dégage une grand
force émotionnelle liée aux sentiments évoqués ainsi qu’à son
style. Il y a toujours quelque chose de mystérieux et de très
subtil, dans les narrations de Lin Bai, avec souvent des
personnages disparus, des morts étranges que l’on peine à
comprendre.
Malheureusement,
initialement publié dans la presse en février 1994 sans susciter
d’émoi particulier, son roman « Une
guerre personnelle » (《一个人的战争》)
a attiré l’attention sur elle en déclenchant une violente
polémique à cause de la manière sans scrupules dont il a été
ensuite publié, par les éditions du Gansu.
Autobiographique, le roman conte l’histoire d’une
femme nommée Lin Duomi qui est la narratrice et
relate sa vie à la première personne. Il se présente
comme le monologue d’une femme qui réfléchit sur son
passage à l’âge adulte et les luttes que cela
sous-entend pour atteindre son plein potentiel dans
une société essentiellement masculine. Lin Bai
dépeint en fait son propre parcours, ses débuts
d’écrivain, les difficultés pour se faire publier,
son mariage, son licenciement ; mais le plus
intéressant est la peinture de la psychologie et des
sentiments de son alter ego, une Lin Duomi
intelligente et audacieuse, mais aussi paranoïaque
et vulnérable à qui il faudra des années avant de se
libérer de sa vision romantique de l’amour, et
déclarer ne plus vouloir aimer aucun homme… |
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Lin Bai, Une guerre personnelle |
C’est très bien écrit,
la sexualité et la description du désir féminin en particulier,
même le tout début du premier paragraphe – par qui le scandale
est arrivé : Lin Duomi raconte qu’elle se masturbait toute
petite, mais le fait en termes poétiques, comme, justement, par
la bouche d’un enfant. Malheureusement, le roman a été édité et
commercialisé de sorte à induire dans l’esprit des lecteurs
l’idée qu’il s’agissait de soft porn ! Si elle a attisé la
curiosité, cette image a nui au roman, en en faisant un
bestseller qui a même fini par être piraté.
D’abord, l’éditeur a
choisi pour la couverture la photo de deux personnes en train de
faire l’amour, même si ses couleurs sombres le rendaient moins
évident. Ensuite, le début du premier paragraphe – désormais
célèbre - a été déplacé sur une page séparée suivant
immédiatement la page titre, et servant ainsi d’épigraphe à
l’ensemble du roman. Le résultat a été un tollé, au grand dam de
Lin Bai. Le roman a été défendu par la critique féministe Dai
Jinhua, mais elle s’est elle-même fait critiquer, et le roman a
été attaqué de manière virulente.
Lin Bai a eu du mal à
trouver un autre éditeur. Seule les Editions du peuple de
Mongolie intérieure (内蒙古人民出版社),
connues pour publier des œuvres controversées, finirent par
éditer le roman, avec quelques coupes pour en limiter le contenu
sexuel, mais dans une collection des « Œuvres de Lin Bai » qui
remettait le roman en perspective. Cette édition est ensuite
devenue la référence
Replacé dans le cadre
du développement de la littérature féminine chinoise au
vingtième siècle, « Une guerre personnelle » a une signification
spéciale. Après « Le journal de miss Sophie » (《莎菲女士的日记》)
de
Ding
Ling (丁玲),
en 1928, la littérature féminine chinoise a été étouffée dans
l’œuf par la guerre et les normes idéologiques. Les questions
proprement féminines sont passées au second plan.
Les récits de Lin Bai
s’inscrivent en rupture de ce consensus et ouvrent des
perspectives nouvelles. Dans son sillage se profilent
Chen
Ran (陈染)
et son roman
« Vie privée » (
《私人生活》)
en 1996, Xu Xiaobin (徐小斌)
et son « Serpent à plumes » (《羽蛇》)
publié initialement en 1998, etc…
b)
Chen Ran (陈染)
mérite un développement. Elle a attiré l’attention dès 1986 pour
son exploration novatrice de la subjectivité féminine dans sa
nouvelle « La maladie du siècle » (《世纪病》).
La maladie sera d’ailleurs un thème récurrent dans son œuvre,
avec une propension au rêve et à la poésie.
Chen Ran, Vie privée |
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C’est avec
son premier roman « Vie privée » (《私人生活》),
publié en 1996, qu’elle devient célèbre, mais en
déclenchant une vive controverse. Le roman décrit la
vie de la jeune Niuniu, de son enfance dans les
années 1960, à sa jeunesse dans les années 1990, une
Niuniu qui fait l’expérience de trois institutions
représentatives de l’autorité patriarcale : la
famille, l’école et l’hôpital, avec les figures
paternelles correspondantes : le père, l’instituteur
et le docteur, tous trois jouant un rôle négatif
dans son existence, à un moment ou à un autre.
Niuniu est
sensible et solitaire. Ses parents sont divorcés,
elle vit avec sa mère, et entretient un lien
homosexuel avec sa voisine, la veuve He (禾).
A l’université, elle noue une relation amoureuse
avec l’un de ses camarades, Yinnan. Mais elle perd
bientôt tous ceux qu’elle aime : He meurt dans un
incendie, sa mère décède, Yinnan disparaît après
|
les événements
tragiques de la place Tian’anmen. Elle sombre alors dans la
dépression, se coupe du monde et vit entre ses souvenirs et
les fruits de son imagination.
Vers la fin du roman,
elle s’enferme dans la salle de bains et, se regardant dans la
glace, se caresse en imaginant que ce sont les mains de He et de
Yinnan. Cette scène de masturbation qui a fait couler beaucoup
d’encre est pourtant teintée de beaucoup de poésie. L’auteure
emprunte à la poésie classique des images symboliques évoquant
la beauté et la douceur féminines : des plumes, des pétales de
rose, des cerises mûres, le vent doux de l’automne…, c’est une
combinaison d’expérience esthétique et d’accomplissement du
désir. La « chambre à soi » de Virginia Woolf est devenue salle
de bains.
« Vie privée » peut
être considéré comme une sorte de manifeste pour une
écriture libérée des normes, une écriture faisant une
utilisation consciente de la psychanalyse pour dévoiler des
pulsions sexuelles, jusqu’au narcissisme. C’est avant tout une
méditation poétique sur la féminité, mais aussi sur la mémoire,
et la distinction souvent floue et arbitraire entre la folie et
la normalité, l’aliénation et l’intégration au monde. Son point
fort est d’être écrite d’un point de vue féminin et intime, de
manière très personnelle, en plaçant au cœur de ses récits le
corps féminin, et en utilisant une langue sensuelle et poétique
pour décrire le monde physique.
Dans les années 2000,
Chen
Ran s’est ensuite orientée vers une écriture
plus réflexive tandis que Lin Bai a également abandonné le style
autobiographique et subjectif de ses débuts pour se tourner vers
des « chroniques » écrites à partir d’histoires de femmes qu’on
lui a racontées et qu’elle rapporte comme les chroniqueurs
d’antan.
Dans la partie du « Petit précis à l’usage de l’amateur
de littérature chinoise contemporaine » de Noël Dutrait
traitant de ce mouvement, d’ailleurs intitulée « La
question de la tradition », il est révélateur que
l’auteur ne cite aucun écrivain féminin – pourtant
quelques noms auraient pu l’être, comme Wang Anyi avec
son « Petit bourg des Bao » (《小鲍庄》)
ou Tie Ning avec sa « Meule de paille de blé » (《麦秸垛》).
Dans ce même courant d’écriture du corps, à la
fin des années 1990, s’inscrivent les romans de trois
écrivaines shanghaïennes à sensation, comme le
« Shanghai Baby » (《上海宝贝》)
de Wei Hui (卫慧)
ou les « Bonbons chinois » (《糖》)
de Mian Mian (棉棉 ) ;
romans à succès, ils continuent d’évoquer dans beaucoup
d’esprits la nostalgie d’une période tumultueuse de leur
jeunesse, mais ne dépassent guère la description de
consommation effrénée de sexe comme de drogues,
accompagnée de musique de rock’n roll. Mian Mian
elle-même a décrit son roman comme sa thérapie miracle
pour s’affranchir de sa dépendance à l’héroïne.
Phénomènes d’édition, ces romans ont surtout valeur de
témoignage d’une certaine marginalité urbaine en Chine
au tournant du millénaire.
Ces romancières ont été qualifiées de « meinü zuojia »
(美女作家),
les « belles écrivaines », terme qui, appliqué de
manière péjorative à d’autres, dont Lin Bai. a contribué
à dévaluer la littérature féminine et à susciter des
réactions de rejet comme celle de Wang Anyi refusant d’y
être assimilée.
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