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Chi Li 池莉
Présentation
par Brigitte Duzan, 10 janvier
2011, actualisé 10 septembre 2021
Chi Li est une
romancière populaire et prolifique, qui émerge
régulièrement à la une de l’actualité depuis ses
premiers pas en littérature au tout début des années
1980. Elle a commencé par écrire de la poésie, mais
ce sont ses romans et nouvelles qui ont fait sa
notoriété. La plupart ont été des bestsellers, et
nombre d’entre eux ont été adaptés à la télévision
et au cinéma, ce qui a encore ajouté à leur
popularité.
Peintre de la
réalité sociale, mais essentiellement urbaine, elle
est une représentante du mouvement dit
« néo-réaliste » (新写实小说)
qui s’est
développé au milieu des années 1980 – quasiment en
même temps que le courant de
littérature d’avant-garde
(先锋文学)
- en réaction aux deux principaux courants qui ont
marqué le renouveau de la littérature chinoise après
la Révolution |
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Chi Li (photo sohu, septembre 2020) |
culturelle : la « recherche
des racines » (寻根文学)
et la « littérature d’introspection »
(反思文学).
C’est sans doute parce qu’elle
s’attache à dépeindre les petites gens, les citadins ordinaires
oubliés des manuels d’histoire, en restant au plus près de leurs
gestes et soucis quotidiens, qu’elle connaît une telle vogue
tant en Chine qu’à l’étranger, et en particulier en France où un
dixième titre est venu en 2018 s’ajouter à ceux déjà traduits,
et publiés depuis 1998. Chacun de ses romans, chacune de ses
nouvelles apporte un témoignage supplémentaire sur les
transformations de la société chinoise dans les trente dernières
années, formant un kaléidoscope vivant et coloré traduisant la
réalité immédiate, hors discours officiel.
Malgré ses succès de librairie,
Chi Li reste cependant un personnage élusif, qui fuit les
célébrations et évite les journalistes. Elle se qualifie
elle-même de solitaire (独行侠). Bien qu’elle ait été présidente de la Fédération
des lettres et des arts de Wuhan (武汉市文联主席)
pendant dix-sept ans, on n’a connu d’elle pendant longtemps que
les bribes de sa vie et de sa carrière qu’elle a bien voulu
divulguer. Depuis les années 2010, on dispose il est vrai de
beaucoup plus d’interviews, avec plus de détails sur ses années
d’enfance et d’adolescence, mais c’est toujours son œuvre,
finalement, qui nous en apprend le plus sur elle.
Néo-réalisme
Chi Li est née le 30 mai 1957 ;
ses modèles sont les grands auteurs qui ont émergé en Chine dans
les années 1950 et 1960, ceux nés dans les années 1930-1940 dont
elle cite le plus souvent comme références
Wang
Meng,
Zhang Xianliang et
Liu
Xinwu (王蒙、张贤亮、刘心武那一代),
mais elle se sent proche aussi de
Yan
Lianke (阎连科)
qui est son cadet d’un an et a vécu à peu près les mêmes
vicissitudes, à commencer par la faim.
Wang Shuo (王朔)
est l’un des rares écrivains dont elle dit qu’il compte parmi
ses « copains » (我哥们)
et avec lequel elle aime bavarder ; en 1997, il a même pensé
adapter une de ses nouvelles au cinéma - « Départ sans
perspective de retour » (《一去永不回》)
– mais le scénario n’a pas plu à la censure.
Chi Li est née en outre dans le
district de Xiantao, dans
le Hubei (湖北仙桃),
à une soixantaine de kilomètres de Wuhan (武汉)
– Wuhan qui, depuis plus de vingt ans, constitue la toile de
fond de la plupart de ses récits, ou plutôt en est un
« personnage important », comme elle l’a dit elle-même. Et si
ses personnages sont essentiellement des citoyens ordinaires de
Wuhan, c’est qu’elle trouve qu’ils représentent bien la majorité
des Chinois ordinaires.
Ses parents, par ailleurs,
étaient une anomalie dans la Chine d’alors, une famille en
rupture avec les conventions : son père était un paysan pauvre,
sa mère venait d’une famille de propriétaires terriens. Il était
rare à l’époque que des époux soient de milieux sociaux aussi
différents ; Chi Li y voit une source du regard nouveau qu’elle
a posé très tôt sur la société autour d’elle.
Elle a toujours eu une passion
pour la lecture, et la littérature. Elle a raconté – et c’est
l’un des rares souvenirs d’enfance que l’on connaît d’elle –
qu’elle allait souvent chez sa grand-mère maternelle pendant les
vacances d’été, quand elle était petite ; elle s’y cachait dans
une mansarde pour lire tous les livres qu’elle pouvait trouver ;
on la prit ainsi un jour à lire « Le rêve dans le pavillon
rouge », au grand dam de la maisonnée, qui surveilla ensuite
sérieusement ses lectures.
Poésie, enseignement et
médecine
Quand éclate la Révolution
culturelle, elle a dix ans, et les origines de classe de sa mère
valent bien des ennuis à la famille. La maison est saccagée par
les Gardes rouges. Elle a commencé à écrire des poèmes qu’elle a
cachés dans une petite boîte en bois ; elle est dénoncée par des
camarades de classe, obligée de rester debout, tête baissée,
pendant qu’on lui jette de l’encre. Elle meurt de peur et n’en
dort pas la nuit. Elle mettra longtemps à surmonter la peur
comme elle l’écrit dans la postface de son premier recueil de
poèmes, en 2016.
En 1974, à la fin de ses études
secondaires, elle est « envoyée à la campagne ». Elle enseigne
pendant deux ans dans une petite école de la brigade à laquelle
elle est affectée ; fini la peur : les parents lui font
confiance, les enfants l’admirent. Elle leur apprend à se laver
les dents, elle apprend à cultiver la terre. Elle écrit à ses
moments de loisir. L’un des souvenirs qui l’ont marquée : un
élève du secondaire ayant été admis dans une bonne université,
pauvre et terriblement complexé, il a été incapable de s’adapter
à sa nouvelle vie universitaire et urbaine, il est devenu fou et
en est mort.
Elle étudie ensuite la médecine
dans un institut médical de l’industrie métallurgique, devenu
aujourd’hui la faculté de médecine de l’université des sciences
et de la technologie de Wuhan (武汉科技大学医学院).
Diplômée en 1979, elle travaille trois ans dans un centre
médical de prévention des maladies des professions de la
métallurgie.
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La faculté de médecine |
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Débuts d’ écrivain, première
nouvelle
Les poèmes qu’elle
écrivait alors qu’elle était élève dans le
secondaire, dès l’âge de quinze ans, se retrouvaient
régulièrement collés sur le tableau d’affichage du
mur de l’école (学校的墙报上),
et même sur ceux d’autres écoles. Elle publie les
premiers en 1979, dans la revue « Lettres et arts de
Wugang » (《武钢文艺》).
C’est ensuite en
1982, à l’âge de vingt-cinq ans, qu’elle publie sa
première nouvelle, « La lune est bien » (《月儿好》),
dans la revue de l’Union des écrivains de la ville
de Wuhan, L’herbe parfumée (《芳草》).
La nouvelle connaît un succès immédiat : elle est
aussitôt publiée dans différentes revues littéraires
nationales.
Chi Li n’avait
cependant qu’une éducation limitée au secondaire. En
1983, elle passe donc le concours d’entrée à
l’université de Wuhan réservé aux adultes, et suit
les |
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« L’herbe parfumée »
(《芳草》) |
cours de langue et
littérature chinoises. Elle en sort diplômée en 1987 et
devient alors rédactrice de la revue L’herbe parfumée.
Naissance du néo-réalisme
Triste vie《烦恼人生》 |
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C’est alors, en 1987,
qu’elle publie sa nouvelle « moyenne » (中篇小说)
« Triste vie » (Fannao
rensheng《烦恼人生》)
,
dans la revue Littérature de Shanghai (《上海文学》).
C’est un récit de style quasiment documentaire sur
la vie quotidienne d’un employé ordinaire, entre les
problèmes à l’usine, la garde de son fils, les
queues innombrables, en particulier pour les
toilettes publiques (on est au milieu des années
1980), et la monotonie de la vie familiale à
laquelle il est pourtant profondément attaché, comme
à une bouée de sauvetage. La nouvelle tranchait avec
le réalisme socialiste : les ouvriers n’avaient plus
rien d’héroïque, ils étaient condamnés à des petites
vies misérables et insignifiantes, sans grand espoir
de s’en sortir, le tout conté d’une plume délicate,
avec une émotion discrète, en particulier dans la
peinture des relations entre le père et son fils.
Le rédacteur en chef
de Littérature de Shanghai, Zhou Jieren (周介人),
écrit en exergue de la nouvelle : « Un nouveau
concept est né – le néo-réalisme en littérature. » (一个主义开始了——新写实。
)
D’autres revues lui emboîtent |
le pas, comme le
Guangming Daily (《光明日报》), et même
le Quotidien du peuple
(《人民日报》).
Chi Li est sacrée écrivaine
représentative de ce nouveau
courant littéraire : le
néo-réalisme (“新写实”).
Trilogie de la vie
« Triste vie » est
considéré comme le premier volet d’une trilogie – la
trilogie de la vie (
“人生三部曲”
) -
dont les deux autres sont « Ne parlons pas d’amour »
(《不谈爱情》)
et « Soleil levant » (《太阳出世》).
Le deuxième volet, « Ne
parlons pas d’amour », est diabolique. Chi Li
décrit deux jeunes époux qui viennent de milieux
sociaux très différents (comme ses parents) et dont
le mariage est en train de partir à vau l’eau après
les premiers moments d’idylle. Mais le mari a la
perspective d’obtenir une mutation à l’étranger, et
les deux s’unissent donc pour tenter d’évincer les
autres candidats potentiels. Il n’est pas question
d’amour, mais d’ambition, de snobisme de classe et
de compromission. Un tableau grinçant de la société
‘moderne’, chinoise entre autres.
Le troisième volet,
« Soleil levant », raconte l’histoire d’un
couple qui doit partir en voyage de noces après un
mariage passablement mouvementé ; or, en attendant
l’avion à l’aéroport, ils apprennent à leur grande
stupéfaction que la jeune mariée est enceinte, d’où
une revue des difficultés qui les attendent :
possibilité d’un avortement, démarches
administratives pour obtenir l’autorisation de
naissance, et le certificat d’enfant unique,
réactions des grands parents, etc… La satire est
ironique : Chi Li brosse le tableau des premières
années de l’ère post-maoïste, entre incitation à
s’enrichir et découverte des joies de la
consommation.
Ces deux volets de la
trilogie ont été adaptés en série télévisée sous le
titre « Ne parlons pas d’amour ». Le scénario mêle
astucieusement les deux nouvelles pour raconter
l’histoire de deux familles réagissant de façon
totalement différentes à l’amour de leurs enfants.
Néo-réalisme et
nouvel historicisme |
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Ne parlons pas d’amour《不谈爱情》
Soleil levant《太阳出世》 |
Les autres nouvelles et romans de
Chi Li complètent ce tableau, par touches successives. Elle y
dépeint aussi, pour la plupart, les vies de jeunes gens
confrontés, dans le contexte d’une grande ville industrielle
moderne dont Wuhan est le modèle idéal, aux problèmes du
quotidien : travail, logement, mariage, éducation des enfants… Chi Li en dresse un tableau vivant et naturel, sans jargon
superflu, à partir de cas individuels, et surtout de
portraits féminins, « un ensemble de fictions empreintes
d’une compassion discrète vis-à-vis des conditions de vie
dégradées chez des habitants modestes ».
Mais elle ne se borne pas à
raconter, avec un superbe sens de l’observation ; elle
approfondit les caractères de ses personnages jusqu’à dépasser
les cas individuels et faire ressortir l’essence même de la
nature humaine, et, en même temps, tous ces tableaux mis bout à
bout dressent celui d’une époque, celle de l’ouverture et de la
course à la croissance économique.
Tu es une rivière《你是一条河》 |
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En ce sens, on a
rapproché ces récits du nouvel historicisme,
qui s’est développé, justement, à partir des années
1980, et que certains critiques ont
évoqué à partir de la nouvelle parue fin 1990 :
« Tu
es une rivière »
(《你是一条河》).
Chi Li y conte l’histoire, à la fois cruelle et
ironique, d’une femme qui devient veuve à trente
ans, avec sept enfants, et bientôt un huitième. Le
récit se situe en 1964, période difficile en Chine,
au sortir de la grande famine et des problèmes
économiques consécutifs au Grand Bond en avant, et
se déroule sur vingt cinq ans.
A travers le prisme
des rapports entre la mère et les enfants, Chi Li
dresse l’histoire de ce quart de siècle tumultueux
qui a vu successivement la Révolution culturelle et
une fantastique période d’ouverture, jusqu’à la
nouvelle glaciation du pouvoir en 1989. En analysant
les comportements de chacun face aux événements,
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Chi Li réussit à relier la
petite et la grande histoire, tout en soulevant des
questions universelles, sur l’amour maternel en particulier.
Les textes sont le plus souvent
relativement courts, mordants et parfois ironiques, mais avec
une tendance, à déborder sur des formes un peu plus longues,
dans des romans comme « Va et vient » (《来来往往》)
paru en 1998 ou « Bonjour, mademoiselle » (《小姐,你早》)
paru en 1999, qui ont tous deux été adaptés en feuilletons
télévisés. C’est d’ailleurs un trait caractéristique de la
popularité de Chi Li : beaucoup de ses récits ont été adaptés à
la télévision, et avec succès.
Bonjour, mademoiselle
《小姐,你早》 |
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Le Show de la vie
《生活秀》 |
C’est aussi le cas de son roman
« Le show de la vie » (《生活秀》),
initialement publié en 2002, qui a donné lieu non seulement à
une série télévisée, mais aussi à une
adaptation cinématographique.
Chi Li continue,
malgré son succès, à mener une vie paisible, entre
sa fille, son chien et la musique. A la faveur des
médias elle préfère la proximité des lecteurs, qui
se confondent finalement avec ses personnages. C’est
l’existence qui lui permet de rester au contact de
la réalité autour d’elle, réalité humaine qui
nourrit son œuvre.
Au-delà des -ismes
À l’automne 2014, Chi
Li a participé au programme international d’écriture
(International Writing Program) de l’université de
l’Iowa.
En mai 2019, elle a
encore publié un nouveau roman paru avec un double
titre chinois-anglais : « Time Warp » (《大树小虫》). Il ne s’agit plus de la peinture incisive de |
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Time Warp 《大树小虫》,
2019 |
la vie d’une femme ou de
vies ordinaires de petites gens, mais d’une histoire
apparemment plus classique : celle de deux jeunes, Zhong
Xintao (钟鑫涛)
et Yu Siyu (俞思语),
dont le mariage va unir les deux familles et en perpétuer un
destin déjà centenaire, sur trois générations (两个人的结合,两个家族的联姻,延展出三代人近百年的跌宕命运。), comme un long fleuve.
La poésie comme nécessité
vitale
Auparavant, en
juillet 2016, Chi Li avait publié un recueil de
poésie : « 69 poèmes de Chi Li » (《池莉诗集·69》).
Il s’agit d’une sélection de poèmes écrits au cours
des vingt dernières années, et même plus, où elle
exprime ses douleurs et ses émotions les plus
secrètes, et dont se dégage une sorte de paisible
sagesse. Elle a complété le recueil
par une postface datée d’avril 2016 : « Brève
histoire de mon écriture de poésie » (后记 :
我的写诗简史).
C’est son premier
recueil de poésie jamais publié. Pourtant, elle a
dit à ce propos l’importance qu’a la poésie pour
elle :
诗歌就像水和空气,对于我来说非同小可。
La
poésie est pour moi comme l’air et
comme l’eau :
quelque chose d’essentiel.
Mais la poésie est
aussi pour elle une longue histoire douloureuse qui
est justement le sujet de sa postface. Ses premiers
poèmes, écrits à dix ans et conservés dans |
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69 poèmes de Chi Li《池莉诗集·69》,
2016 |
une petite boîte en bois,
lui valent les pires ennuis. À quinze ans, cependant, elle
est reconnue pour ses qualités d’écriture et protégée par
ses professeurs, mais elle fait très attention.
La fin de la Révolution
culturelle marque le début d’une nouvelle ère en littérature,
comme une éruption volcanique, dit-elle dans la postface à son
recueil de poèmes. Ses poèmes écrits entre les âges de 20 et 23
ans expriment ses blessures cachées, comme toute sa génération.
Cependant, l’un d’eux, « Le Chant de Lei Feng » (《雷锋之歌》),
est récité en public par un camarade et entre au répertoire de
l’Équipe de propagande de la pensée de Mao Zedong (红小兵毛泽东思想宣传队).
Un rédacteur d’une revue littéraire qui était présent à la
performance publie le poème qui l’a touché. C’est le début d’une
série de publications de poèmes. Elle a dit avec une pointe
d’humour : « c’est mon poème le plus superficiel et le plus
prétentieux qui a lancé ma carrière d’écrivaine » (由自己一首最浅薄最装腔作势的诗,我走进了写作生涯。)
Après ces premiers succès, elle
entre à l’université de Wuhan, mais continue d’écrire des
poèmes, poèmes d’amour qui lui valent de nouveaux déboires et de
nouvelles humiliations : les poèmes sont volés, diffusés, et
elle est traînée en justice, l’ami coupable est condamné à une
peine de prison. Après cela, une nuit, elle brûle ses poèmes et
cesse d’en écrire pour se consacrer uniquement à la fiction.
Elle continue en fait d’en écrire, mais en secret, pour répondre
à un besoin intime. Mais elle brûle ses poèmes pour la deuxième
fois, pour sceller son divorce, après seize ans de mariage.
Des amis l’encouragent pourtant à
recommencer à en écrire. Mais c’est lors de sa résidence à
l’université de l’Iowa, dans le cadre du programme international
d’écriture de cette université, d’août à novembre 2014, qu’elle
a ressenti de nouveau le désir irrépressible d’écrire de la
poésie, pour traduire les couleurs de l’automne sur le bleu du
ciel, avec des nuages si blancs, un air si pur… De retour en
Chine, en 2015, elle a fait une sélection, l’a présentée à
l’éditeur de Shanghai Purui Culture (上海浦睿文化),
et c’est ainsi qu’est né le recueil sorti en 2016, comme une
sorte de processus cathartique marquant la fin de la peur, peur
des autres et peur d’une nouvelle humiliation.
La paix descend, enfin (平和降临,终于。),
dit-elle à la fin de sa postface, comme on parle de la paix du
soir.
C’est en fait un retour aux
sources. Quand elle a commencé à écrire ses premières nouvelles,
après la Révolution culturelle, son style s’est affiné sous une
double influence : celle de la poésie et celle de la
littérature d’avant-garde.
Un style à la croisée de la
poésie et de la littérature d’avant-garde
Le néoréalisme correspond à une
réaction à la fois contre le réalisme socialiste devenu un
boulet à traîner et contre la
littérature d’avant-garde
qui s’est développée dans la deuxième moitié des années 1980.
C’est quand celle-ci a périclité que le néoréalisme a pris son
essor, comme mouvement, en outre, correspondant aux rapides
changements sociaux des années 1980, puis 1990. Fini les héros,
fini aussi la campagne, il s’agissait désormais de représenter
les petits citadins (xiao shimin
小市民)
comme ceux, justement, des récits de Chi Li, dans une sorte de
mimétisme de la vie réelle.
Chi Li avec son chien |
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C’est avec la
nouvelle Fannao rensheng (en
français Triste vie) en 1987 que Chi Li se
pose en écrivain majeur de la réalité urbaine.
L’apogée se situe à la fin des années 1990, avec la
publication de la nouvelle moyenne (ou novella) « Va
et vient » (《来来往往》)
et son adaptation très populaire en série télévisée.
C’est un tournant dans son écriture où elle passe du
district de Mianshui (绵水)
à la ville de Wuhan comme cadre de ses récits,
district de Mianshui que la critique littéraire
Dai Jinhua (戴锦华) a comparé au “Yoknapatawpha County” de William
Faulkner.
Néo-réalisme et
avant-gardisme étaient en fait parallèles, à
l’origine ; c’était une question de rapport à la
réalité, appréhendée de manière différente, mais
avec une incidence directe sur le style. Dans un
cas, le réel est illusoire et absurde ; dans
l’autre, il est trivial, mais cette |
trivialité, pour ne pas
devenir vulgaire, passe par la recherche de style. Chez Chi
Li, il est épuré, concis, sans l’ombre (au moins apparente)
de sentiment.
Ce style n’est
évidemment pas apprécié par tout le monde. Si ses
lecteurs, dans le grand public, adorent ses
histoires, certains critiques lui reprochent un
excès de banalité, reproches synthétisés par
Gong Haomin
en trois groupes de quatre caractères
零度情感,
世俗人生,
琐细笔法
língdù
qínggǎn,
shìsú
rénshēng,
suǒxì
bǐfǎ
zéro
émotion, vie banale, narration triviale
C’est Dai Jinhua
(戴锦华)
qui a écrit les analyses les plus profondes sur Chi
Li, en particulier dans un livre de 1995, « Rompre
l’encerclement de la ville-miroir » (
jìngchéng tūwéi
《镜城突围》). Elle ne considère pas du tout comme un défaut le manque de
transcendance (超越型)
qu’on a reproché aux récits de Chi Li ; au
contraire, elle voit dans cette non-transcendance,
dans cette peinture de la vie quotidienne au ras du
sol, une qualité de nature « sacrée » (神圣).
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Jìngchéng tūwéi
《镜城突围》, Dai Jinhua 1995 |
Traductions en français
Dix titres parus chez Actes Sud
- Triste vie (《烦恼人生》1987),
trad. Shao Baoqing, novembre 1998.
- Pour
qui te prends-tu ? (《你以为你是谁》1995),
novembre 2000.
Néo-réaliste, mais dans le
registre ironique.
- Trouée
dans les nuages (《云破处》1997),
trad. Isabelle Rabut et Shao Baoqing, octobre 2001.
Quand un couple revient sur son
passé…
-
Préméditation (《预谋杀人》1993),
trad. Angel Pino et Shao Baoqing, novembre 2002.
L’histoire d’une vengeance rêvée
par un paysan pauvre malchanceux en amour contre son rival, un
propriétaire foncier. Où la grande histoire est revue au prisme
des passions individuelles.
- Tu es
une rivière (《你是一条河》1995),
trad. Angel Pino et Isabelle Rabut, mars 2004.
Vingt-cinq ans d’histoire
chinoise vus à travers les tribulations d’une jeune veuve et de
ses huit enfants.
- Soleil levant (《太阳出世》1990),
trad. Angel Pino, mai 2005.
Après une cérémonie de mariage
mouvementée, un jeune couple a une surprise de taille alors
qu’ils partent en voyage de noce.
Les mille et un tracas d’une vie
d’ouvrier, dans la Chine post-maoïste.
- Un homme bien sous tous
rapports (《有了快感你就喊》2003),
trad. Hervé Denès, août 2006.
Emouvant portrait d’un homme
blessé.
(les connotations sexuelles du
titre - en anglais ‘yell if you feel high’ - ont largement
contribué à la notoriété du livre, mais il s’agit en fait d’une
référence à un logo des GI américains pour se donner du courage,
a expliqué Chi Li, la phrase était imprimée sur leurs boîtes
d’allumettes.
- Les sentinelles des blés
(《看麦娘》2001),
trad. Angel Pino et Shao Baoqing, octobre 2008.
L’histoire de Mingli, mère
adoptive de la fille de son amie d'enfance devenue folle après
avoir été abandonnée
- Le show de la vie (《生活秀》2000), trad. Hervé Denès, janvier 2011
- Une ville à soi (《她的城》2000)*,
trad. Hang Ling et Vanessa Teilhet, novembre 2018.
Une veuve qui tient une échoppe
de cirage de chaussures, une voisine qui vient s’y réfugier pour
fuir son mari ou le reconquérir, et la formidable belle-mère de
la première, un trio de wuhanaises choc.
Un recueil de nouvelles
- Les tribulations de la vie,
trois nouvelles « moyennes » et une nouvelle courte, avec
préface de l’auteure, éd. Littérature chinoise, coll. Panda,
1996
(Les tribulations de la vie
《烦恼人生》/
Sans parler d’amour
《不谈爱情》/ Le lever du soleil
《太阳出世》/
Canicule ou pas, il faut bien vivre《
热也好冷也好活着就好》.
[cette dernière nouvelle est
intéressante pour son style, en particulier : elle est
construite sur la base de dialogues]
Quelques nouvelles traduites
en anglais :
- “Willow
Waist 《细腰》,
tr.
Scott W. Galer, in Chairman Mao Would Not Be Amused, Fiction
from Today’s China, ed. by Howard Goldblatt, Grove Press,
1996, pp. 262-268.
- “Trials and
Tribulations” 《来来往往》,
tr. Stephen Fleming, Chinese
Literature Winter 1988, pp. 112-60.
- “Fine Moon”
《月儿好》,
tr. Wang Ying. Chinese
Literature Autumn 1991, pp.121-29.
- “Apart
from Love”
《不谈爱情》,
Panda
Books, 1994.
- “Hot or
Cold–Life’s Okay”, tr. Michael Cody, in Dragonflies:
Fiction by Chinese Women in the Twentieth Century (East
Asia Series 115), Shu-ning Sciban and Fred Edwards eds, Cornell
University (Ithaca: East Asia Program), 2003, pp. 174-86.
A lire en complément :
« Le show de la vie » » (《生活秀》),
analyse comparée de la nouvelle et du film
La nouvelle
« Une taille de guêpe » 《细腰》,
texte original et traduction par Brigitte Duzan
Le compte rendu de la séance du
Club de lecture consacrée à Chi Li
« J’ai toujours été solitaire » (我从来都是独行侠),tel est le titre d’un long article sur elle et son œuvre publié par le
Renwu zhoukan (《人物周刊》)
en 2018 :
https://www.nfpeople.com/article/5928
L’article se termine par
une interview où Chi Li se montre étonnamment critique
vis-à-vis de la société et du gouvernement, et qui
incite donc à lire ses récits en évitant de rester à la
superficie de la narration.
Séries télévisées
diffusées sur CCTV :
Comes and goes
(《来来往往》)
: série en 18 épisodes
diffusée en 1998.
Don’t talk about love
(《不谈爱情》) :
série en 22
épisodes diffusée en 2006.
https://www.bilibili.com/bangumi/play/ss21404
Good morning, lady
(《小姐,你早》):
série en 20 épisodes diffusée en 2000.
Shout if you’re happy
(《幸福来了你就喊》):
série en 22 épisodes diffusée en 2006.
Dans son étude de l’œuvre de Chi Li :
Constructing a
Neorealist Reality : Petty Urbanites, Mundaneness and
Chi Li’s Fiction, Modern Chinese Literature and Culture
7.1.2010, pp. 59-95.
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