|
Wang Anyi
王安忆
II. Les nouvelles
中短篇小说
par Brigitte Duzan, 29 janvier 2018,
actualisé 10 mars 2018
Bien que l’on trouve une dizaine de traductions en français de
textes de
Wang
Anyi (王安忆),
et des plus importants, ce sont surtout des romans. Outre
« Amère jeunesse » (《忧伤的年代》),
publiée chez Bleu de Chine, ont cependant été traduites les
trois nouvelles moyennes qui constituent la trilogie de l’amour
(《
三恋》),
son œuvre la plus représentative de la fin des années 1980.
Importance des
nouvelles dans son œuvre
Mais c’est insuffisant pour bien apprécier la richesse et la
diversité des écrits de Wang Anyi, car, comme très souvent chez
les grands écrivains chinois contemporains, c’est sur la base de
ses nouvelles qu’elle a construit un univers personnel,
partiellement autobiographique, sur fond de l’histoire de son
époque.
Elle a commencé par écrire des nouvelles, et d’abord des
nouvelles courtes, avant de se tourner peu à peu vers des formes
plus longues, en un processus progressif :
« Pour moi, les nouvelles courtes sont comme des comptines,
les nouvelles moyennes comme des mouvements musicaux, et les
romans comme des compositions orchestrales, » a-t-elle
expliqué, ce qui incite, en étendant la métaphore, à considérer
« Le Chant des regrets éternels » comme un opéra en trois actes.
Elle a d’ailleurs écrit un article pour expliquer l’importance
qu’elle accorde à la nouvelle courte et l’a intitulé « La
physique de la nouvelle courte » (《短篇小说的物理》)
.
Selon cette conception exigeante, la nouvelle courte demande une
grande concentration de moyens ; en outre, comme une belle
démonstration en physique ou en maths, sa beauté se définit en
termes d’"élégance" :
好的短篇小说就是精灵,它们极具弹性,就像物理范畴中的软物质。它们的活力并不决定于量的多少,而在于内部的结构。作为叙事艺术,跑不了是要结构一个故事,在短篇小说这样的逼仄空间里,就更是无处可逃避讲故事的职责。倘若是中篇或者长篇,许是有周旋的余地,能够在宽敞的地界内自圆其说,小说不就是自圆其说吗?将一个产生于假想之中的前提繁衍到结局。在这繁衍的过程中,中长篇有时机派生添加新条件,不断补充或者修正途径,也允许稍作旁骛,甚至停留。短篇却不成了,一旦开头就必要规划妥当,不能在途中作无谓的消磨。这并非暗示其中有什么捷径可走,有什么可被省略,倘若如此,必定会减损它的活力,这就背离我们创作的初衷了。
L’essence d’une bonne nouvelle courte est dans son esprit, elle
possède une élasticité qui la rapproche de la catégorie des
objets mous en physique. Son énergie ne tient pas à sa taille,
mais à sa structure interne. C’est tout un art de la narration,
car, dans un espace aussi restreint, on ne peut échapper au
devoir de conter une histoire. Dans le cas d’un roman ou d’une
nouvelle moyenne, il y a de la marge pour des digressions, on
peut le justifier dans un cadre aussi vaste ; la fiction
n’est-elle pas, après tout, une entreprise de justification ? En
partant de présupposés fictifs, on développe une structure
complexe. Au cours de ce processus de création d’un roman ou
d’une nouvelle moyenne, il arrive par moments que naissent et
s’ajoutent de nouveaux développements qui viennent enrichir ou
amender le parcours, en permettant aussi des pauses temporaires,
voire de véritables arrêts [dans la narration]. On n’a pas
autant de latitude dans la nouvelle courte ; dès le point de
départ, il faut suivre un plan, on ne peut pas se permettre de
digressions sans raison. Cela implique aussi qu’on ne peut faire
de raccourcis ni d’omissions sans affaiblir la force du texte,
en s’éloignant de l’intention originale.
所以,并不是简化的方式,而是什么呢?还是借用物理的概念,爱因斯坦一派有一个观点,就是认为理论的最高原则是以“优雅”与否为判别。“优雅”在于理论又如何解释呢?爱因斯坦的意见是:“尽可能地简单,但却不能再行简化。”我以为这解释同样可用于虚构的方式。也因此,好的短篇小说就有了一个定义,就是优雅。
Ainsi, la nouvelle
courte n’est pas une manière de simplifier l’écriture, mais
alors qu’est-ce ? Cela reprend un concept utilisé en physique,
et un point de vue cher à Einstein, c’est-à-dire le principe
selon lequel la théorie la plus sophistiquée est évaluée comme
telle en termes d’"élégance". Comment définir cette "élégance"
d’une théorie
?
Selon Einstein, c’est « une simplification maximale, excluant
toute possibilité de poursuivre la simplification. » Je pense
que l’on peut utiliser cette explication aussi pour la fiction.
En ce sens, une bonne nouvelle courte se définit par son
élégance.
Comme
Mo Yan
(莫言)
dans son
discours de
réception du prix Nobel, Wang Anyi en revient
à la tradition du conteur, et c’est sur cet art qu’elle se base
pour expliquer le caractère fondamental, à ses yeux, de la
structure de la nouvelle courte :
在围着火炉讲故事的时代,我想短篇小说应该是一个晚上讲完,让听故事的人心满意足地回去睡觉。那时候,还没有电力照明,火盆里的烧柴得节省着用,白昼的劳作也让人经不起熬夜,所以那故事不能太过冗长。即便是《天方夜谭》里的谢赫拉查达,为保住性命必须不中断讲述,可实际上,她是深谙如何将一个故事和下一个故事连接起来。每晚,她依然是只讲一个故事,也就是一个短篇小说。这么看来,短篇小说对于讲故事是有相当的余裕,完全有机会制造悬念,让人物入套,再解开扣,让套中物脱身。还可能,或者说必须持有讲述的风趣,否则怎么笼络得住听众?那时代里,创作者和受众的关系简单直接,没有掩体可作迂回。
Du temps où l’on écoutait les conteurs autour d’un feu, je pense
qu’il fallait que les récits soient terminés en une soirée pour
que les auditeurs puissent rentrer chez eux et dormir
parfaitement satisfaits. A l’époque, il n’y avait pas
d’électricité, on utilisait du petit bois brûlé dans des
braseros, et par ailleurs le travail de la journée empêchait les
gens de veiller longtemps ; les récits ne pouvaient donc pas
être trop longs. C’est ainsi que, pour conter « Les mille et une
nuits » en préservant la vie de son récit, Shéhérazade ne
pouvait pas le couper ; elle était donc rompue à l’art de conter
des histoires en liant chacune à la précédente : elle racontait
chaque soir une histoire qui était en fait une nouvelle courte.
La nouvelle courte est ainsi étroitement liée à l’art du
conteur ; à la fin, on peut ménager un suspense en gelant
provisoirement les personnages, puis on les fait renaître sous
une autre forme. […] A cette époque, les relations entre auteurs
et spectateurs étaient simples et directes ; il n’y avait pas de
lignes narratives détournées.
Beaucoup de nouvelles courtes dérivent donc de cette tradition
classique. Et celles de Wang Anyi sont à considérer dans cette
optique, qui complète sa métaphore musicale. C’est-à-dire que
ses romans, comme ses nouvelles moyennes, sont à apprécier comme
émanations de la nouvelle courte, dans la tradition du roman
chinois traditionnel : le roman dit « à chapitres », dont les
épisodes se prêtaient à des parutions en feuilleton dans la
presse, celle-ci se substituant au conteur.
Evolution thématique et
stylistique
Au-delà de l’aspect structurel et formel, l’analyse des
nouvelles permet de suivre également l’évolution thématique de
l’œuvre de Wang Anyi, en complétant les thèmes des romans, le
premier, et le plus célèbre, étant « Le Chant des regrets
éternels », paru en 1995. C’est un fait reconnu : Wang Anyi n’a
cessé de se renouveler depuis ses débuts.
·
Années 1980 : des
souvenirs du passé à la peinture des sentiments
a) Première peinture
des sentiments
L’une des
premières nouvelles de Wang Anyi publiées au début
des années 1980 – « Le
chuchotis de la pluie » (《雨,沙沙沙》)
- tranche par sa thématique et son style sur le
courant dominant de la période ; la
littérature des cicatrices.
Ce dont il s’agit, ce n’est pas des souffrances
subies pendant les dix années de la Révolution
culturelle, mais des peines de cœur d’une jeune
fille qui vient de rentrer à Shanghai après avoir
passé plusieurs années dans un village, et qui
espère contre vents et marées retrouver le garçon
dont elle est amoureuse et qu’elle a perdu de vue.
Résolument
à contre-courant, la nouvelle annonce une écriture
personnelle, résolument novatrice : novatrice par le
thème, puisqu’elle est centrée sur la peinture
subjective des sentiments féminins, mais aussi par
le style car elle évite tout pathos, tout
sentimentalisme ; le ton reste toujours froidement
réaliste. |
|
Le chuchotis de la pluie《雨,沙沙沙》,
éd. 1981 |
a) Evocation de la
période de la Révolution culturelle et de ses lendemains
Au
début des années 1980, elle a cependant écrit une série de
nouvelles qui s’insèrent dans le courant de
littérature des cicatrices,
mais, fidèle à cette première ébauche, ses récits sont en
majeure partie le reflet d’une vision de l’époque calquée sur
son expérience personnelle.
Le manuscrit de « La base du mur »
《墙基》 |
|
« Destination
finale » (《本次列车终点》),
qui ouvre cette série, ne traite pas tant de la vie
pendant la Révolution culturelle, que des problèmes
rencontrés par les « jeunes instruits » à leur
retour en ville, en l’occurrence Shanghai. Le
personnage principal de cette nouvelle est le plus
jeune de deux frères qui est parti à la campagne, au
début du mouvement des « jeunes instruits », pour
éviter à son frère aîné, plus fragile que lui, d’y
aller. Mais quand il revient, plein de joie et
d’enthousiasme, c’est pour constater que son frère
est marié, et que lui n’a sa place nulle part : pas
d’endroit où loger, pas de travail, pas d’amis.
Amère désillusion qui forme comme le contexte
|
des nouvelles qui
suivent, mais sans désespoir, juste la prise de conscience
réaliste, par le jeune Chen Xin, de tout le chemin qu’il lui
reste à parcourir pour trouver sa « destination finale ».
Dans les
nouvelles suivantes, on sent une forte dimension
autobiographique qui leur donne toute leur
originalité ; Wang Anyi croise plusieurs thèmes qui
tracent un tableau personnel de la vie à Shanghai
pendant la Révolution culturelle, vue d’un point de
vue féminin :
-
première
évocation, dans « Souvenirs d’une petite cour »
(《小院琐记》),
de la vie de l’auteure dans une troupe culturelle (文工团),
à Xuzhou à partir de 1972 : thème
de la vie
étouffante de jeunes qui n’ont pour vivre qu’un
tout petit local où ils font aussi leurs
répétitions,
que l’on
retrouvera comme toile de fond des deux premiers
volets de la trilogie de l’amour ;
-
dans « La
base du mur » (《墙基》),
lutte entre classes sociales exacerbée par
l’idéologie de l’époque, mais dépeinte au niveau des
enfants, et symbolisée par la destruction d’un mur
entre deux allées, dont il reste toujours la base ;
-
dans « La
fuite du temps » (《流逝》),
peinture du combat quotidien pour la survie au jour
le jour, à travers les |
|
Wang Anyi enfant
(à l’âge dépeint dans La base du mur) |
efforts d’une
femme d’une famille anciennement aisée pour trouver des
petits boulots afin de gagner un peu d’argent.
La fuite du temps 《流逝》 |
|
Ces deux
dernières nouvelles sont comme deux volets d’un
diptyque. « La base du mur » est la peinture d’un
quartier divisé en deux ruelles, celle des pauvres
et celle des anciens nantis, les enfants de la
seconde vivant dans une peur perpétuelle, des
agressions et des représailles. Mais l’un des
garçons qui sèment la terreur étant tombé sur le
journal intime de l’une des filles des familles
désormais honnies, il découvre ce que peut être
l’amour, l’amitié et la chaleur humaine. Wang Anyi
livre là l’un de ses récits les plus émouvants, mais
dans une parfaite retenue, toute en allusions. Il se
termine sur un descriptif qui semble anodin de ce
que sont devenus les protagonistes de l’histoire
après 1976 : tout est rentré dans l’ordre, mais les
deux ruelles ont repris leur distance, le mur a
disparu, mais la base est toujours là…
|
« La fuite du temps » semble compléter ce tableau vu par un
regard féminin. Ce qui frappe, ici, c’est l’énergie qu’il faut
dépenser au jour le jour pour réussir à réunir juste le minimum
vital. Mais les difficultés du quotidien sont aussi un
formidable stimulus, et quand elles disparaissent, ou
s’atténuent, la vie de la femme devient insipide et c’est la
monotonie qui s’installe, thème qui va devenir récurrent dans
les récits de Wang Anyi. Mais il est aussi doublé d’une
conscience du caractère aliénant du travail répétitif.
Ici, finalement, la Révolution culturelle a été, pour une
intellectuelle qui n’avait jamais travaillé, l’occasion d’une
ouverture sur des vies différentes, des familles populaires. A
la fin de la nouvelle, Ouyang Duanli se réjouit que tout soit
fini, mais avec l’espoir que cela n’ait pas été en vain :
“是过去了。”端丽同意,可是她却想,要真是这么一无痕迹,一无所得地过去,则是一桩极不合算的事。难道这十年的苦,就这么白白地吃了?...
”
« Oui, c’est fini [la
Révolution culturelle], » opina Duanli. Mais elle pensa : et si
tout cela passait sans laisser de traces ? S’il n’en restait
rien, ce serait un épisode historique sans valeur. Ces dix
années de souffrances pourraient-elles avoir été subies pour
rien ? »
b) Le petit bourg des Bao
En 1985, Wang Anyi amorce un tournant en publiant
une nouvelle qui s’inscrit dans le mouvement de
« recherche des racines », mouvement général de
retour sur le passé, vers les traditions gommées par
la Révolution culturelle et les racines culturelles
inscrites dans l’histoire de chaque région. C’est « Le
petit bourg des Bao »
(《小鲍庄》).
Dans le passé – incertain mais préservé dans la
mémoire collective - ce petit bourg a été détruit
par une inondation catastrophique due à la
négligence de villageois qui avaient mal entretenu
les digues. Le village semble continuer à souffrir
de cette ancienne faute, les malheurs s’y succédant
sans trêve, jusqu’à ce que, lors d’une autre
inondation, le sacrifice d’un jeune garçon tentant
de sauver son grand-père vienne racheter la faute
initiale. La nouvelle apparaît donc comme un éloge
des valeurs traditionnelles de solidarité et de
responsabilité collective, mais la fin ménage un ton
critique : le jeune héros est érigé en icône
révolutionnaire par l’appareil de propagande du
Parti. |
|
Le petit bourg des Bao 《小鲍庄》, éd.
1986 |
C’est un épisode sans lendemain dans l’œuvre de Wang Anyi qui,
sans doute sous l’influence de son séjour aux Etats-Unis
,
se tourne ensuite vers ce qui va devenir le fer de lance de son
écriture : la peinture subjective des sentiments féminins, et
d’abord dans la trilogie dite de l’amour (三恋)
car c’est le thème annoncé dans chacun des titres.
c) La trilogie de l’amour
Les Trois amours 三恋, première édition
des trois nouvelles ensemble, septembre 2001 |
|
Les trois nouvelles (moyennes) qui forment cette
trilogie constituent une première en Chine dans le
domaine de la peinture intime des sentiments
féminins : peinture intime et subjective, toute en
allusions subtiles, incluant une ouverture sur la
sexualité en rupture totale avec la littérature
chinoise de l’époque, mais en termes voilés. Les
nouvelles ont quand même suscité émoi et
controverses quand elles ont été publiées.
On ne les classe pas dans la littérature
d’avant-garde de cette fin des années 1980 ;
pourtant, si elles ne s’y rattachent pas
expressément par leur style, elles en font partie
par leur sujet.
Les deux premières - « Amour sur une colline
dénudée » (《荒山之恋》)
et « Amour dans une petite ville » (《小城之恋》)
- se répondent. Ce qui prime, c’est, après la
découverte de leur sexualité par des jeunes filles
|
qui n’y étaient pas préparées, les sentiments de
frustration, de faute, de honte, dans un environnement qui
continue à réprimer toute expression publique des
sentiments.
S’y ajoute la description d’un cadre de vie étouffant remontant
aux souvenirs personnels de Wang Anyi déjà évoqués dans
« Souvenirs d’une petite cour ». Dans les deux cas, c’est un
univers qui exclut toute ouverture, toute expression
personnelle, qui ne laisse aucun espoir aux femmes (les hommes
apparaissant essentiellement passifs), sauf le suicide dans la
seconde nouvelle. Suicide comme seul élan possible vers une vie
autre. C’est aussi l’un des épisodes les plus poignants jamais
décrits par Wang Anyi, où la froideur apparente derrière la
retenue de son récit laisse soudain place à une superbe envolée
lyrique, mais bien vite contenue elle aussi.
La troisième nouvelle, traduite sous le titre « Amour dans
une vallée enchantée » (《锦绣谷之恋》),
reprend le thème de la frustration du désir pour aboutir à une
épure. Il s’agit bien encore d’une rencontre amoureuse, où les
sentiments sont exacerbés par le cadre également fermé où ils se
développent, autre environnement où la passion ne peut
s’exprimer ouvertement. Finalement, l’épisode se termine sur une
séparation sans rien de plus que quelques baisers fougueux
échangés dans le brouillard, comme dans un songe. Le souvenir
qu’il en reste à la jeune femme est celui, très pur, d’un rêve
dans une vallée enchantée. Rêve qui tranche sur son quotidien
banal et tristounet de femme mariée.
d) Frères
Cette vie monotone de femme mariée est l’un des
thèmes qui ressort de sa nouvelle sans doute la plus
étonnante de la période, initialement publiée dans
le quatrième numéro de 1989 de la revue
Shouhuo : « Frères » (《弟兄们》).
Les trois personnages qui s’appellent frères
sont en fait des jeunes femmes, qui ont été
étudiantes ensemble, et ont formé un groupe très
uni, et remarqué pour leur non-conformisme. Après
s’être perdues de vue, deux d’entre elles se
retrouvent alors qu’elles sont mariées et vivent une
vie terne et ordinaire. Le souvenir de leur amitié
passionnée suffit à faire renaître la flamme qui
couvait, et à illuminer à nouveau leur quotidien.
Wang Anyi puise ici dans toute une tradition de
relations féminines exclusives qui s’est
concrétisée, dans l’histoire chinoise, jusqu’au
début du 20è siècle, dans des sociétés de |
|
Frères 《弟兄们》 |
femmes qui vivaient ensemble en refusant de se marier (ou de
se remarier dans le cas de veuves). Wang Anyi oppose ici un
idéal de vie féminin à celui du couple traditionnel érigé en
modèle non seulement par le confucianisme mais aussi par le
communisme. Mais elle reste quand même dans les normes
sociales - quand l’une des femmes finit par avouer son amour
à sa consœur, l’histoire tourne court : trop tard, dit
l’autre, vaguement effrayée. Chacune repart dans les chemins
bien balisés du mariage, et il n’en restera, comme dans
« Amour dans une vallée enchantée », que le souvenir très
doux, mais un peu amer aussi, d’une histoire qui aurait pu
être mais n’a pas été.
·
Années 1990 et après : peinture de Shanghai et des femmes de
Shanghai
« Frères » se passe à Nankin. C’est un tournant. A partir du
début des années 1990, Wang Anyi se tourne vers Shanghai pour
faire des portraits successifs de femmes qui sont le reflet,
l’incarnation de la ville sous diverses facettes. Bien
qu’entretenant des relations qu’elle dit tendues avec sa ville
d’élection plus que de naissance
,
elle en est devenue l’écrivaine emblématique.
Tonsure |
|
Toute son œuvre à partir des années 1990, dit-elle,
est en fait un long soliloque avec elle-même, pour
compenser l’immense obstacle qui lui bloque l’accès
direct à la ville : la langue. Elle cultive sa
différence de femme dans une ville où elle reste
« nouvelle ». En même temps, elle ne s’intéresse
qu’aux classes modestes de la population, à des vies
féminines apparemment sans éclat, et cela contribue
à donner l’impression d’une écriture du même ordre.
Mais elle est à apprécier sur la durée, dans ses
constantes mutations et son soin minutieux du détail
quotidien, comme les diverses facettes d’un
caléidoscope.
Les années
1990 commencent avec le roman qui lui a valu une
célébrité mondiale : « Le Chant des regrets
éternels » (《长恨歌》).
C’est à partir du personnage emblématique de Wang
Qiyao (王琦瑶),
« l’archétype des jeunes filles des ruelles de
Shanghai » (典型的上海弄堂的女儿),
qu’elle bâtit une galerie de portraits féminins qui
sont |
des reflets
diffractés de la ville, ou d’un aspect de la ville. On
dirait parfois que c’est la ville qui se reflète dans le
personnage, ou devient le personnage principal, la ville
nocturne, par exemple, dans « Le plus clair de la lune » (《月色撩人》).
Mais l’œuvre de Wang Anyi est en perpétuelle mutation. A la fin
des années 2000 s’amorce un nouveau tournant…
·
Années 2010 : nouveau
tournant
Ce nouveau
tournant s’amorce dans les nouvelles – le recueil
« Cacophonie ambiante » (《众声喧哗》)
publié en 2013 – et s’épanouit deux ans plus tard
dans le roman
« Incognito » (Niming《匿名》),
sorti en 2015, à la surprise générale : c’est une
Wang Anyi totalement différente qui apparaît là et
désarçonne les critiques comme les lecteurs. C’est
une écriture aux limites du symbolisme, loin du
réalisme de ses débuts. Ce n’est plus une thématique
féminine, mais on retrouve certains des thèmes des
récits antérieurs.
La première nouvelle du recueil, celle qui lui donne
son titre, annonce le ton et le style. Elle conte
l’histoire de trois personnages apparemment sans
relief, mais bizarres. Le premier est un homme assez
âgé, ancien réparateur de voitures qui, après la
mort de son collègue, a ouvert un magasin de
boutons ; sa vie, d’un ennui mortel, s’anime à
|
|
Cacophonie ambiante, rééd. 2017 |
l’arrivée des deux autres – rappelant en cela la nouvelle
« Brothers ». L’un est un jeune garçon dans les trente ans,
gardien du quartier, timide et renfermé, affecté d’une
infection de la bouche qui le rapproche du vieil homme qui,
lui, est en train de perdre l’usage de la parole à la suite
d’une grave maladie. Quant à l’autre, c’est une jeune sans
toit ni loi qui vient louer une partie de la boutique de
boutons pour vendre des vêtements.
Les boutons sont évidemment emblématiques : les trois
personnages de l’histoire sont comme des boutons dépareillés et
bizarres, qui n’ont nulle part leur place ….
Cette nouvelle annonce le ton, très libre, des nouvelles courtes
qui suivent, dont l’originalité tient autant au sujet qu’à la
forme. La première date de 2008, et a été écrite pour répondre à
une commande sur le sujet suivant : une histoire où l’amour sera
défini en termes matériels. D’où l’idée exprimée dans le titre :
« Je t’aime
comme une poupée russe » (《爱套娃一样爱你》).
Wang Anyi a ensuite écrit les cinq autres sur des thèmes
similaires.
Elles datent de 2012, la dernière de novembre, et elles
mériteraient d’être traduites :
Je
t’aime comme une poupée russe
《爱套娃一样爱你》
Interprétation d’un rêve
《释梦》/
Une grotte dans la
forêt《林窟》
Bavardage amoureux
《恋人絮语》/
Shanling《闪灵》/
Mikado《游戏棒》
Edition complète des
nouvelles courtes, par ordre chronologique
王安忆短篇小说编年
Vol. 1
(卷1)
Nouvelles courtes de la période 1978-1981 (29) :
« La base du mur »
《墙基》
https://www.amazon.cn/%E7%8E%8B%E5%AE%89%E5%BF%86%E7%9F%AD%E7%AF%87%
E5%B0%8F%E8%AF%B4%E7%BC%96%E5%B9%B4-%E5%A2%99%E5%9F%BA-%E7%8E%8B
%E5%AE%89%E5%BF%86/dp/B001V9L6TI
Vol. 2
(卷2)
Nouvelles courtes de la période 1982-1989 (31) :
« Le petit monde de la scène »
《舞台小世界》
https://www.amazon.cn/gp/product/B001V9L6HU/ref=pd_bxgy_14_2?ie=UTF8&psc=1&refRID=
HJD72D6HX5YSDXTM5AAC
Vol. 3
(卷3)
Nouvelles courtes de la période 1997-2000 (28) :
« Le mariage d’une immortelle »
《天仙配》
https://www.amazon.cn/gp/product/B001V9L6IO/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&psc=1&refRID
=HEFNJYNCE6EPKGZC5W57
Vol. 4
(卷4)
Nouvelles courtes de la période 2001-2007 (32) :
« L’allée noire »
《黑弄堂》
Sélection de nouvelles courtes et moyennes
中短篇小说
Nouvelles courtes
短篇小说
1978 Dans la plaine《平原上》
1980 Destination finale
《本次列车终点》
1981 Le chuchotis de la pluie《雨,沙沙沙》
百花文艺出版社
1981 La base du mur
《墙基》
1982 Noir et blanc《黑黑白白》Nouvelles
pour enfants
少年儿童出版社
1983 Le petit monde de la scène
《舞台小世界》
1983 Epilogue《尾声》
四川人民出版社
1986 Au collège en 1969
《六九屆初中生》
1988 Chasser le cerf au milieu de la rue
《逐鹿中街》
1989 Rêve de prospérité
《海上繁荣梦》 花城出版社
1994 Poème utopique《乌托邦诗篇》
华艺出版社
1995 Triste Pacifique《伤心太平洋》
华艺出版社
1996 Un monde de poussière《人世的浮尘》
文汇出版社
1997 Sœurs《姊妹们》
华夏出版社
1997 Contes sur le toit《屋顶上的童话》
山东友谊出版社
1999 L’âge des ermites《隐居的时代》
上海文艺出版社
2000 Tonsure《剃度》Recueil
de 15 nouvelles et trois contes
南海出版公司
2004
Discours amoureux dans un salon de coiffure
《发廊情话》Prix
Lu Xun
2013 Cacophonie ambiante
zhòngshēng xuānhuá《众声喧哗》
Recueil de sept nouvelles
Une nouvelle moyenne (la nouvelle-titre) et six nouvelles
courtes récentes, jusque-là inédites :
Nouvelles moyennes
中篇小说
1983 La fuite du temps《流逝》
四川人民出版社
Texte chinois :
https://www.kanunu8.com/book3/6959/index.html
1985 Le petit bourg des Bao《小鲍庄》
上海文艺出版社
Texte chinois :
https://www.kanunu8.com/book3/6944/index.html
1986/88
La trilogie de l’amour《
三恋》
Amour sur une colline dénudée Huangshan zhi lian《荒山之恋》
Amour dans une petite ville Chengshi zhi lian
《小城之恋》
Amour dans une vallée enchantée Jinxiugu zhi lian
《锦绣谷之恋》
1989 Le siècle sur la crête《岗上的世纪》
云南人民出版社
1989 Frères《弟兄们》
2000 J’aime Bill《我爱比尔》
南海出版公司
2013 Série de 8 recueils de nouvelles moyennes
王安忆中篇小说系列
Aux éditions des lettres et des arts de Shanghai
上海文艺出版社
Traductions en français
- Amère jeunesse, tr. Eric Jacquemin, Bleu de Chine/Chine
en poche, 2004
- La trilogie :
Amour sur une colline dénudée,
tr. Stéphane Lévêque, Philippe Picquier 2008 / Amour dans une
petite ville & Amour dans une vallée enchantée, tr. Yvonne
André, Philippe Picquier, 2007/2008
- Liu Jianhua, travailleur migrant, nouvelle traduite par
Nicolas Idier, in Shanghai, Robert Laffont, coll. Bouquins 2010,
pp. 1181-1187
Traductions en anglais
- Lapse of Time, recueil de sept nouvelles et une note
biographique, introduction by Jeffrey Kinkley, Chinese
Literature, coll. Panda, 1988
Six nouvelles courtes et une nouvelle moyenne (la nouvelle
titre)
The Destination (Destination finale)
《本次列车终点》
And the Rain Patters On (Le chuchotis de la pluie)
《雨,沙沙沙》
Life in a Small Courtyard (Souvenirs d’une petite cour)
《小院琐记》
The Stage, a Miniature World (Le petit monde de la scène)
《舞台小世界》
The Base of the Wall (La base du mur)
《墙基》
Between Themselves (Entre eux)
Lapse of Time (La fuite du temps)
《流逝》
Biographical Note – My Wall (Note biographique – Mon mur)
-
Baotown,
Viking, mai 1989
- The Death of an Artist, tr. Hu Ying, in : The Mystified
Boat, Postmodern Stories form China, Frank Stewart & Herbert J.
Batt ed., University of Hawai’s Press, 2003, pp.135-141.
- Granny, tr. Howard Goldblatt, in :The Columbia
Anthology of Modern Chinese Literature, Joseph S.M. Lau & Howard
Goldblatt ed. Columbia University Press, 2000, pp. 462-469.
-
The Little
Restaurant,
stories by contemporary writers from Shanghai, Betterlink Press,
November 2010
-
The Sanctimonious Cobbler《骄傲的皮匠》
By the River, Seven Contemporary Chinese Novellas, ed. by
Charles A. Laughlin, Liu Hongtao and Jonathan Stalling,
University of Oklahoma Press, Chinese Literature Today (CLT)
Book Series, 2016, pp. 283-333.
Texte chinois en 5 chapitres
http://www.shuku.net/novels/dangdai/cranelkb/cranelkb.html
Traductions en anglais à lire en ligne
Fu Ping
《富萍》(extrait),
tr.
Howard Goldblatt, Asymptote
https://www.asymptotejournal.com/fiction/wang-anyi-fu-ping/
Wang Hanfang
《王汉芳》,
tr. Hu Ying, Words without Borders, April 2008
(nouvelle qui se passe pendant la Révolution culturelle)
https://www.wordswithoutborders.org/article/wang-hanfang
|
|