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Zhang Kangkang
张抗抗
Présentation
par Brigitte Duzan, 12 mars 2015
Le nom de Zhang Kangkang est aujourd’hui associé au
succès populaire du « Totem
du loup » (《狼图腾》),
le bestseller de son mari,
Jiang Rong (姜戎).
Mais son œuvre a une toute autre importance.
Après avoir joué un rôle de premier plan dans la
renaissance des lettres chinoises, dans les années 1980,
elle s’est affirmée comme l’une des représentantes les
plus éminentes de la littérature contemporaine chinoise,
même si son nom est moins cité que celui de
Wang Anyi (王安忆)
ou de
Tie Ning (铁凝).
Sa renommée ne s’est pas limitée à la Chine : elle a été
l’un des premiers écrivains chinois contemporains à
avoir été découverts hors de Chine, après la mort de
Mao.
Jeune instruite dans le Grand Désert du Nord
Née en juillet 1950 à Hangzhou, Zhang Kangkang (张抗抗)
a |
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Zhang Kangkang |
été marquée dès son plus jeune âge par la condamnation injuste
de son père, victime de l’une des chasses aux sorcières des
débuts du régime maoïste.
Tragédie paternelle et influence maternelle
Née quelques semaines après le déclenchement de la guerre de
Corée, comme beaucoup d’enfants nés à la même époque, elle a été
prénommée Kangmei (抗美),
c’est-à-dire « résister à l’Amérique ». Sa mère a ensuite changé
ce prénom en Kangkang (抗抗),
« résister, résister », en étendant tous azimuts l’idéal de
résistance, devenu par la force des choses principe fondamental
de survie.
Résistons à l’Amérique et venons en aide
à la Corée 《抗美援朝》, 1951 |
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Pendant la guerre, dans les années 1940, son père, Zhang
Baihuai (张白怀),
était journaliste à Shanghai dans les réseaux
clandestins communistes, et, à l’avènement du régime
communiste, il a été nommé rédacteur en chef du
Quotidien de Shanghai (《上海日报》).
Deux ans plus tard, il était accusé de collusion avec le
Guomingdang, exclu de Parti et envoyé travailler en
usine. |
Le choc a été très dur. Zhang Kangkang n’avait que deux ans,
mais toute son enfance a été marquée par ce premier coup du
sort. Elle admirait secrètement son père, mais voulait en même
temps afficher une volonté progressiste. Quand elle posa sa
candidature pour devenir membre de la Ligue des Jeunesses
communistes, cependant, elle fut rejetée : non conforme.
Sa mère, qui travaillait aussi pour le quotidien, fut également
révoquée. Mais elle a eu la chance d’être transférée à un poste
d’enseignante dans un collège. Son père avait écrit des
nouvelles et dirigé une revue littéraire dans le Sichuan, dans
les années 1940, avant de partir pour Shanghai. Mais c’est sa
mère qui a eu le plus d’influence sur sa fille, à laquelle elle
a insufflé l’amour de la lecture. Elle était spécialiste de
littérature enfantine, et l’imaginaire de Zhang Kangkang a été
nourri de contes pour enfants : contes d’Andersen, de Grimm,
contes russes autant que légendes chinoises. La littérature,
déjà, devenait espace de liberté.
A onze ans, Zhang Kangkang s’affirme comme une élève douée, et
déjà écrivain en herbe : en 1961, la revue Lettres et arts des
jeunes (《少年文艺》杂志)
publie un texte d’elle qui peut être considéré comme sa toute
première œuvre : « Nous, petits élèves en médecine » (《我们学做小医生》).
Ses parents l’ont ensuite encouragée dans cette voie
.
Les longues années dans le Grand Désert du Nord
Cinq and plus tard, cependant, quand éclate la Révolution
culturelle, prise dans l’enthousiasme collectif, elle devient Garde rouge, membre d’une faction « rebelle » (bien que la
différence entre les « rebelles » et les autres aient été ténue,
admettra-t-elle). Elle participe aussi au grand chambardement de
« l’échange de masse des expériences révolutionnaires » (大串连),
sorte de pèlerinage qui jette les jeunes Gardes rouges sur les
routes et dans les trains à l’appel de Mao, pour aller parfaire
dans la capitale leur formation révolutionnaire
.
Elle aussi fait le voyageà Pékin.
Alors, en 1969, quand Mao lance son mot d’ordre pour inciter les
jeunes à partir dans les régions les plus reculées du pays se
former auprès des paysans
,
elle est volontaire, comme des millions d’autres. Ses parents
lui ont trouvé un endroit pas trop éloigné, un village assez
riche où vivait sa grand-mère maternelle, non : elle veut faire
mieux, aller plus loin… et, bien sûr aussi, suivre son petit
copain Garde rouge. Elle choisit de partir dans le Grand Désert
du Nord (北大荒),
dans une ferme militaire du Heilongjiang, au nord de la
Songhua.
Elle a dix-neuf ans. Elle va y travailler huit ans :
travailleuse agricole, ouvrière dans une briquèterie, et à la
fin, un peu de journalisme. Elle revient vite, comme les autres,
de son emballement initial en découvrant une vie monotone et
rude, une région arriérée, des hivers longs et glacials, des
cadres corrompus dont il faut subir les brimades. Elle a un
enfant, divorce. C’est la littérature qui la sauve.
Le salut par l’écriture
Contrairement à l’idée répandue qui veut que les œuvres
d’un auteur et un seul aient été publiées pendant toute
la durée de la Révolution culturelle, celles de
Hao Ran (浩然),
des nouvelles ont recommencé à être publiées à partir de
1972 ; c’est le début de ce qu’on a appelé la
« littérature des jeunes |
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Une œuvre de « zhiqing » |
instruits » (知青文学),
et les premières publications de Zhang Kangkang en font partie.
La ligne de démarcation 1975 |
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Son premier récit publié est une nouvelle courte, « La
lampe » (《灯》),
qui paraît en 1972 dans le Quotidien de la Libération (《解放日报》).
Un premier roman paraît trois ans plus tard, en 1975 :
« La lignede démarcation » (《分界线》).
En fait, ce sont des œuvres écrites dans le contexte de
l’époque, avec les contraintes imposées aux écrivains,
et en particulier la nécessité de louer le mouvement qui
avait envoyé les gens de son âge à la campagne. Surtout,
il fallait que les personnages changent, que leur
caractère évolue dans le courant du récit. Elle trouvait
difficile d’écrire des nouvelles courtes dans ces
conditions ; après « La lampe », elle pensa écrire une
nouvelle de taille moyenne (中篇小说),
commença à l’écrire en 1974, mais elle est finalement
devenue un roman.
Le personnage principal est un « jeune instruit » qui
rêve au départ de quitter la campagne pour aller faire
des études universitaires, mais, ensuite, « s’éveille »
et promet de rester |
à la campagne. En fait, le roman reflète les contradictions des
jeunes de l’époque, et celle de l’auteur en particulier. Et le
changement d’attitude de son personnage était une manière de
cacher son propre état d’esprit.
« La ligne de démarcation » a été publié à Shanghai. Elle a
expliqué
que les éditeurs considéraient que l’aide apportée à un « jeune
instruit » relevait de l’esprit révolutionnaire. A la ferme,
dans le Heilongjiang, les cadres le voyaient d’un autre œil…
Après la publication du roman, les éditeurs lui ont demandé de
rester quelque temps pour les aider à compiler un recueil
d’essais écrits par d’autres jeunes instruits. Elle y est restée
six mois, mais a ensuite été obligée de revenir à la ferme – son
hukou l’assignait là. Elle y est restée un an de plus,
mais affectée à la section de propagande de la ferme.
Le roman, cependant, a attiré l’attention du Bureau de la
culture de Harbin (la capitale de la province du Heilongjiang).
Au début de 1977, ils ont demandé le transfert de son hukou,
de la ferme chez eux. C’était après la chute de la Bande des
quatre, et l’Ecole d’art dramatique de la province (黑龙江省艺术学校)
commençait à recruter des étudiants pour les former au métier de
dramaturge. Ils l’ont attirée en lui promettant qu’elle
deviendrait écrivain professionnel à la fin de ses études.
Comme, à l’époque, les universités étaient encore fermées,
c’était une proposition très intéressante. Elle l’a donc
acceptée, et s’est engagée pour une période de deux ans, de 1977
à 1979.
Elle l’a regretté quand le concours d’entrée des universités a
été réinstauré, peu de temps plus tard, mais, en 1979, à la fin
de ses études, la branche du Heilongjiang de l’Association des
écrivains venait de reprendre ses fonctions et cherchait du sang
neuf. Zhang Kangkang en est devenue membre, puis
vice-présidente. Elle a été reconnaissante aux responsables de
la province de lui avoir fourni ce premier tremplin, et elle est
restée longtemps rattachée à la branche du Heilongjiang, même
quand elle est allée s’installer à Pékin.
Des zhiqing à la vie d’aujourd’hui
Une difficile reconversion
Cette période d’études coïncide avec un temps de
réflexion et de lecture pendant lequel elle cesse
d’écrire: il lui a fallu cette pause pour se libérer des
schémas formels avec lesquels elle avait commencé sa
carrière d’écrivain. Cependant, quand elle reprend la
plume, c’est son expérience de jeune instruite dans le
Grand Désert du Nord qui nourrit son œuvre, et continue
de l’inspirer pendant une bonne vingtaine d’années
ensuite.
En 1978, elle écrit une première nouvelle, « Le
Droit à l’amour » (《爱的权利》),
qui est publiée en mars 1979 dans la revue Shouhuo
(《收获》),
second numéro de la revue qui venait de renaître, sous
la direction de
Ba Jin (巴金),
après la pause de la Révolution culturelle.
La nouvelle fait sensation à sa parution. C’est une
tragédie familiale qui sert de cadre à la réaffirmation
de droits fondamentaux de l’individu – droit à l’amour
et à l’amitié, droit à une carrière, droit à la liberté
et à la dignité. C’est un |
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Le numéro de janvier 1979
de la revue Shouhuo |
appel à la résistance à tout ce qui oppresse l’individu et
l’empêche de s’épanouir dans une société corsetée. C’est une
revendication fondée sur des valeurs humanistes qui reprennent
tout leur sens alors que débute la politique d’ouverture et qui
constituent une ligne de force dans toute l’œuvre de Zhang
Kangkang.
1979-1982 : série de nouvelles
L’été |
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Cette première nouvelle marque le début d’une période
d’intense activité pendant laquelle elle publie un grand
nombre d’essais littéraires, mais aussi de nouvelles,
qui relèvent de la « littérature des jeunes instruits »
(知青文学),
tout en s’en distinguant par une approche humaniste,
déclinée sous différents aspects
.
La plupart sont publiées pendant les deux années 1980 et
1981, et beaucoup sont primées.
« L’été » (《夏》)
ouvre la période. Publiée dans la revue « Littérature du
peuple » (人民文学》)
en mai 1980, elle n’a pas directement pour thème,
justement, la vie des zhiqing. C’est l’une des
toutes premières nouvelles à prendre pour sujet la
première promotion d’étudiants après la chute de la
Bande des quatre, en grande partie dégagés des pires
contraintes politiques et idéologiques de la période
maoïste, mais soumis à d’autres tensions. |
Dans les nouvelles qui suivent s’affirme la primauté de
l’individu et de ses aspirations. Les plus connues sont
« Légère brume matinale » (《淡淡的晨雾》),
« L’aurore boréale » (《北极光》),
« Les pavots blancs » (《白罂粟》),
« La tour » (《塔》)…
Elles ont valeur humaniste, et valeur d’éveil.
Ces nouvelles
valent à leur auteur une première notoriété ; mais elle
sent le besoin d’une pause. Elles sont suivies, pendant
les années 1982-1984, d’une autre série de récits sur
des sujets différents, dont des nouvelles pour enfants.
En 1983, elle se remarie, avec Lü Jiamin (呂嘉民),
ancien zhiqing lui aussi, qui vient de prendre la
direction de la revue littéraire « Printemps de Pékin »
(《北京之春》) et deviendra écrivain à succès sous le nom de plume de
Jiang Rong (姜戎).
Mais, en même
temps, elle réfléchit et prépare un roman qu’elle
commence à écrire en 1984 et n’achève que deux ans plus
tard, après avoir découvert la psychanalyse et les
analyses de Freud sur le subconscient, et être revenue
deux fois à la ferme du Heilongjiang pour parfaire ses
recherches.
1986 : Le
compagnon caché
Ce roman a pour personnages principaux un couple de
« jeunes instruits » ; la jeune femme s’aperçoit que son
mari ne cesse de lui mentir ; elle décide donc de
divorcer, mais s’aperçoit ensuite qu’elle aussi ment et
trompe les gens autour d’elle : qu’il lui est impossible
de juguler son « moi caché ».
Ce qui intéresse Zhang Kangkang ici, ce n’est pas la
dimension historique du sujet, c’est la dimension
spirituelle de ses personnages, et leur part
d’inconscient. L’accent est mis la psychologie des
personnages, et sur les contradictions entre leur moi
conscient et celui du subconscient, d’où le titre : « Le
compagnon caché » (《隐形伴侣》).
C’est un roman fondamental, tant dans son œuvre
personnelle, que dans la littérature de l’époque. Mais
il sort en décembre 1986 : c’est le début de la campagne
contre le libéralisme bourgeois (反对资产阶级自由化),
qui va durer jusqu’au printemps 1987. Personne n’ose
parler d’un roman qui donne tant d’importance au
subconscient. Mais c’est un sommet de son œuvre.
Zhang Kangkang est célèbre, et sa notoriété s’étend à
l’étranger, où les traductions de ses nouvelles se
multiplient.
Fin des années 1980 : expérimentation
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L’aurore boréale
La tour
Recueil de nouvelles moyennes juillet
1982 |
En même temps, à la fin de ces années 1980, à un moment où la
littérature chinoise se diversifie en courants modernistes de
recherche et d’expérimentation, en grande partie sous
l’influence de la littérature étrangère, Zhang Kangkang tente
des expériences stylistiques nouvelles, et moins connues,
orientées vers un lectorat plus sélectif, avide de nouveauté.
Ce sont des récits plus courts, comme « La toile d’Indra »
(《因陀罗的网》),
une sorte de conte philosophique publié en 1987. Mais Zhang
Kangkang a poursuivi ces expériences au début des années 1990,
avec, autre exemple, « La tour penchée » (《斜厦》),
satire socio-politique pleine d’humour écrite en 1991 et
inspirée par le théâtre de l’absurde.
Un architecte volontariste bâtit un immense bâtiment sur le
sable ; évidemment, il se met à pencher, et, quand les cadres en
prennent conscience, ils cherchent comment l’empêcher de
s’effondrer, mais en refusant la solution la plus radicale :
détruire et reconstruire sur des bases plus saines. La solution
retenue est un compromis : on laisse la construction en l’état,
on la consolide, et on compense la déclivité intérieure par des
meubles spécialement adaptés… L’ironie est d’autant plus
mordante quand on lit le texte quinze ans plus tard, alors qu’on
continue à adapter le système légué par Mao, sans trop en
changer les fondements.
Ce sont des récits qui montrent la diversité stylistique dont
est capable Zhang Kangkang, mais qui ne sont pas représentatifs
de son œuvre. Elle est au meilleur d’elle-même dans le style
réaliste critique, et c’est vers ce style qu’elle revient dans
les années 1990.
Années 1990 : retour au réalisme
Recueil Tuoluosha 1992 |
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En 1991, elle débute la décennie avec une nouvelle
courageuse dans le contexte tendu de l’époque : « Cols
bleus » (《蓝领》),
récit qui traite d’une grève ouvrière dans une
entreprise d’Etat, en montrant l’inanité du syndicat
officiel. Il reflète sans doute l’expérience de son
mari, qui fut arrêté en 1989, au lendemain des
événements de Tian’anmen, et emprisonné pendant 18 mois
pour son implication dans le mouvement syndical chinois.
La nouvelle reste cependant anecdotique.
Les nouvelles les plus intéressantes de la décennie sont
des réflexions, les unes sur son expérience de
zhiqing, les autres sur la société chinoise moderne.
Dans la première catégorie, citons deux nouvelles qui
ont été traduites en français. L’une – « Tempêtes de
sable » (《沙暴》)
– se passe en Mongolie intérieure, où se trouvait Jiang
|
Rong pendant la Révolution culturelle. L’autre - « L’impitoyable »
(《残忍》)
- se passe dans le Grand
Désert du Nord, où elle-même était. La première, publiée
en février 1993, dans la revue Xiaoshuo Jie (《小说界》),
est une satire féroce du monde des zhiqing, et de
leur reconversion dans la Chine de l’ouverture, les uns
condamnés à la médiocrité par manque d’ambition, les
autres jouant la carte du développement avec un cynisme
pervers ; c’est aussi une histoire de la destruction de
l’équilibre écologique en Mongolie, sans autre
considération que la recherche du profit personnel.
Quant à la seconde nouvelle, publiée en avril 1995 dans
la revue Littérature de Shanghai |
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Photo de Zhang Kangkang dans le recueil
Tuoluosha, 1992 |
(《上海文学》),
c’est un conte d’une cruauté froide, qui commence comme une
sorte de roman policier, et se termine sur le constat amer que
les sacrifices ont été vains, que l’époque est finie, et que la
vie continue, pour ceux qui ont survécu…
Quatre nuances de rouge 1994 |
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Cette même année 1995, Zhang Kangkang publie un roman
qui montre un autre aspect de son écriture : la
réflexion sur l’histoire, et non plus les sujets
contemporains ou fondés sur l’expérience vécue. « Les
quatre nuances de rouge » (《赤彤丹朱》)
est une évocation de la vie des intellectuels
révolutionnaires chinois depuis les années 1930, à
travers la vie d’un couple inspirée de celle de ses
parents : Zhu Xiaoling (朱小玲)
pour sa mère, Zhang Kaizhi (张恺之)
pour son père. C’est comme une stèle élevée à leur
mémoire, et c’est l’un de ses plus beaux livres, où
perce l’émotion.
Elle y décrit,
en particulier, leurs activités dans la clandestinité
communiste, et le traitement injuste qui leur a été
infligé par le Parti auquel ils avaient consacré leur
existence. Les quatre caractères du titre signifient
« rouge », avec des nuances (chì/tóng/dān/zhū
écarlate/rougeâtre/vermillon/rouge
brillant) : c’est la couleur |
de la génération de ses parents, pour qui la légende n’était pas
dorée, mais rouge, comme le soleil, comme l’avenir.
L’année suivante, en 1996, elle publie un roman à
l’opposé de son réalisme habituel, qui connaît un tel
succès qu’il est
réimprimé sept fois en l’espace de deux ans, dont l’une
à Taïwan fin 1998 : « La galerie de l’amour » (《情爱画廊》).
C’est une nouvelle satire sociale, à travers l’analyse
de la relation entre l’amour et le sexe ; c’est aussi
une galerie de personnages qui restent nobles même
trompés : un riche mari trahi qui s’assure que sa femme
et son amant ont tout ce qu’il faut pour être heureux ;
l’ex-petite amie d’un peintre qui s’occupe de
réconforter la fille de l’épouse infidèle tombée
amoureuse du peintre… Ce qui a fait le succès du roman,
cependant, c’est le lyrisme de ses passages érotiques.
Ce
roman marque un passage à des thèmes contemporains à
partir du tournant du millénaire.
Critique de la société contemporaine |
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La galerie de l’amour 1995 |
A partir de
2000, dans ses nouvelles et romans, mais aussi dans ses nombreux
recueils d’essais, Zhang Kangkang se tourne vers l’observation
de la société contemporaine, et en particulier sous l’angle de
la place de la femme dans cette société. Elle y fait preuve de
la même sensibilité que celle qui transparaît dans ses œuvres
sur les zhiqing.
Zuonü – Women on the Edge |
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Son premier roman sur le thème de la femme d’aujourd’hui
est, en 2002, ‘Zuonü’ ou « Une femme
fantasque », (《作女》)
.
L’héroïne du récit, Zhuo’er (卓尔),
est une femme rebelle, ou du moins fantaisiste, de
celles qui n’en font qu’à leur tête, et représentent une
sorte de modèle fantasmé pour les jeunes. Zhuo’er a un
bon boulot mais rêve de se faire licencier pour partir
au Pôle Sud ; elle a une crème de mari mais divorce pour
vivre avec un homme marié sans intention de se remarier.
Zhang Kangkang semble se faire l’apôtre du diable. Elle
a expliqué ainsi l’idée qui l’a poussée à écrire cette
histoire :
« Le terme ‘zuo’ implique vitalité et créativité.
Pour être ‘zuo’, une femme doit être dynamique,
entreprenante. Lorsque c’est un homme qui est ‘zuo’,
il est considéré comme quelqu’un de compétent, plein de
vigueur. Quand il s’agit d’une femme, on voit les choses
autrement. C’est la raison pour laquelle, j’ai voulu
écrire ce roman. Si toutes les femmes sont raisonnables
|
et agissent comme le veut la tradition, la situation des femmes
ne changera jamais. »
Aujourd’hui encore, cependant, ce sont ses nouvelles qui sont
les plus révélatrices de ses thèmes et de son style. Elle est
passée insensiblement de l’observation des jeunes instruites de
sa jeunesse à celle des jeunes femmes brimées par la société
moderne, et en particulier les jeunes migrantes venues de la
campagne travailler en ville ; finalement, les problèmes se
ressemblent beaucoup.
Un recueil récent – traduit en anglais - montre bien ce passage
d’un thème à l’autre, lié par une idée commune : celle de la
migration – migration des zhiqing vers la campagne dans
un cas, et migration des ruraux vers les villes dans l’autre,
avec, dans les deux cas, déracinement et problèmes
d’intégration. C’est un recueil de six nouvelles, publié sous le
titre de la première, et la plus célèbre : « White Poppies » (《白罂粟》).
On part donc de ce début des années 1980 qui a été la grande
période des nouvelles sur les zhiqing. La seconde
nouvelle du recueil (« Yanni’s Secret ») est une histoire de
jeune instruite qui se présente comme une intrigue dont le
ressort caché est le moteur de la narration, comme dans
« L’impitoyable ».
Après deux
autres nouvelles qui forment comme une transition,
les deux dernières du recueil sont des critiques de la
société moderne : « Zhima » (《芝麻》)
et « Atop Beijing’s Mountain of Gold » (《北京的金山上》),
ces montagnes d’or étant les montagnes de détritus de la
capitale sur lesquelles vivent des migrants en
récupérant tout ce qui peut être recyclé.
C’est
« Zhima » la
nouvelle la plus intéressante, originale et écrite dans
ce style froid qui est le meilleur de Zhang Kangkang ;
c’est d’ailleurs la nouvelle qu’elle cite le plus
souvent, avec Zuonü, quand on lui demande ce
qu’elle préfère dans son œuvre. Zhima est une
migrante venue travailler dans la capitale, son mari
étant resté au village s’occuper des cochons de la
famille ; c’est un portrait formidable et très original,
dans la masse de littérature sur le sujet.
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Sélection personnelle décembre 2006
(作女,请带我走,芝麻) |
Zhang Kangkang est aujourd’hui un écrivain reconnu et officiel.
En 2006,
elle a été élue vice-présidente de l’Association des écrivains
de Chine, et, trois ans plus tard, membre du Bureau des
conseillers relevant du Conseil des Affaires d’Etat. Elle publie
régulièrement articles et essais sur les problèmes sociaux et
urbains actuels, avec une position féministe affirmée.
Traductions en français
-
L'Impitoyable,
recueil de deux nouvelles (L'Impitoyable
《残忍》
et Tempêtes de
sable
《沙暴》)
traduites par
Françoise Naour, Bleu de Chine
1997.
-
Les Pavots blancs 《白罂粟》,
nouvelle traduite par Rosalie Casella et Chantai Chen-Andro in La
Remontée vers le jour, nouvelles de Chine 1978-1988,
trad. Baiyun, Jean-Philippe Béja, Isabelle Bijon, Rosalie
Casella, [et al.],
préface
de Claude Roy, éditions Alinéa 1988, 270 p.
Traductions en
anglais
- ‘The Wasted
Years’
《空白》
tr. Shen Zhen,
in Seven Contemporary Chinese Women Writers, Panda Books, 1982,
p 235-48 + Chinese Literature 3, 1982. P 5-16.
- ‘The Right to
Love’
《爱的权利》,
tr. R.A. Roberts and Angela Knox, in One Half of the Sky:
Selection from Contemporary Women Writers of China, William
Heinemann London 1987, pp. 51-81
- ‘The Tolling of a
Distant Bell’
《悠远的钟声》
tr. by Daniel
Bryant in Contemporary Chinese Literature: an Anthology of
Post-Mao Fiction, ed. Michael Duke, M.E. Sharpe 1984, 98-105
- ‘Northern Lights’
《北极光》,
Chapter 7 translated by Daniel Bryant in Chinese Literature,
Winter 1988, pp. 92–102.
- ‘The Spirit of
Fire’
《火的精灵》,
tr. Nienling Liu, in The Rose-Coloured Dinner, Joint Publishing
Comp. HK 1988, pp. 51-59.
- ‘The Invisible
Companion’
《隐形伴侣》,
tr. by Daniel Bryant, Beijing New World Press, 1996.
- ‘Cruelty’
《残忍》,
Renditions n° 49, printemps 1998.
- ‘The Peony
Garden’
《牡丹园》,
tr. by Daniel Bryant, Renditions n° 58, 2002, pp. 127-39.
- White Poppies
and Other Stories, , tr. by Karen Gernant and Chen Zeping,
Cornell University East Asia Program, Jan. 2011.
Adaptations pour la
télévision
《隐形伴侣》
(Le compagnon caché) adapté en série télévisée de huit épisodes
《情爱画廊》
(La galerie de l’amour) adapté en série télévisée de vingt
épisodes
《红罂粟》
(Les pavots rouges) adapté en série télévisée de trente
épisodes (diffusée en janvier 2003)
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