Auteurs de a à z

 
 
 
           

 

 

Zhang Kangkang 张抗抗

Présentation

par Brigitte Duzan, 12 mars 2015 

       

Le nom de Zhang Kangkang est aujourd’hui associé au succès populaire du « Totem du loup » (《狼图腾》), le bestseller de son mari, Jiang Rong (姜戎). Mais son œuvre a une toute autre importance.

        

Après avoir joué un rôle de premier plan dans la renaissance des lettres chinoises, dans les années 1980, elle s’est affirmée comme l’une des représentantes les plus éminentes de la littérature contemporaine chinoise, même si son nom est moins cité que celui de Wang Anyi (王安忆) ou de Tie Ning (铁凝). Sa renommée ne s’est pas limitée à la Chine : elle a été l’un des premiers écrivains chinois contemporains à avoir été découverts hors de Chine, après la mort de Mao.

        

Jeune instruite dans le Grand Désert du Nord

        

Née en juillet 1950 à Hangzhou, Zhang Kangkang (张抗抗)  a

 

Zhang Kangkang

été marquée dès son plus jeune âge par la condamnation injuste de son père, victime de l’une des chasses aux sorcières des débuts du régime maoïste.

        

Tragédie paternelle et influence maternelle

        

Née quelques semaines après le déclenchement de la guerre de Corée, comme beaucoup d’enfants nés à la même époque, elle a été prénommée Kangmei (抗美), c’est-à-dire « résister à l’Amérique ». Sa mère a ensuite changé ce prénom en Kangkang (抗抗), « résister, résister », en étendant tous azimuts l’idéal de résistance, devenu par la force des choses principe fondamental de survie.

        

Résistons à l’Amérique et venons en aide à la Corée 《抗美援朝》, 1951

 

Pendant la guerre, dans les années 1940, son père, Zhang Baihuai (张白怀), était journaliste à Shanghai dans les réseaux clandestins communistes, et, à l’avènement du régime communiste, il a été nommé rédacteur en chef du Quotidien de Shanghai (《上海日报》). Deux ans plus tard, il était accusé de collusion avec le Guomingdang, exclu de Parti et envoyé travailler en usine.

        

Le choc a été très dur. Zhang Kangkang n’avait que deux ans, mais toute son enfance a été marquée par ce premier coup du sort. Elle admirait secrètement son père, mais voulait en même temps afficher une volonté progressiste. Quand elle posa sa candidature pour devenir membre de la Ligue des Jeunesses communistes, cependant, elle fut rejetée : non conforme.

        

Sa mère, qui travaillait aussi pour le quotidien, fut également révoquée. Mais elle a eu la chance d’être transférée à un poste d’enseignante dans un collège. Son père avait écrit des nouvelles et dirigé une revue littéraire dans le Sichuan, dans les années 1940, avant de partir pour Shanghai. Mais c’est sa mère qui a eu le plus d’influence sur sa fille, à laquelle elle a insufflé l’amour de la lecture. Elle était spécialiste de littérature enfantine, et l’imaginaire de Zhang Kangkang a été nourri de contes pour enfants : contes d’Andersen, de Grimm, contes russes autant que légendes chinoises. La littérature, déjà, devenait espace de liberté.

        

A onze ans, Zhang Kangkang s’affirme comme une élève douée, et déjà écrivain en herbe : en 1961, la revue Lettres et arts des jeunes (《少年文艺》杂志)  publie un texte d’elle qui peut être considéré comme sa toute première œuvre : « Nous, petits élèves en médecine »  (《我们学做小医生》). Ses parents l’ont ensuite encouragée dans cette voie [1].

        

Les longues années dans le Grand Désert du Nord

        

Cinq and plus tard, cependant, quand éclate la Révolution culturelle, prise dans l’enthousiasme collectif, elle devient Garde rouge, membre d’une faction « rebelle » (bien que la différence entre les « rebelles » et les autres aient été ténue, admettra-t-elle). Elle participe aussi au grand chambardement de « l’échange de masse des expériences révolutionnaires » (大串连), sorte de pèlerinage qui jette les jeunes Gardes rouges sur les routes et dans les trains à l’appel de Mao, pour aller parfaire dans la capitale leur formation révolutionnaire [2]. Elle aussi fait le voyageà Pékin.

        

Alors, en 1969, quand Mao lance son mot d’ordre pour inciter les jeunes à partir dans les régions les plus reculées du pays se former auprès des paysans [3], elle est volontaire, comme des millions d’autres. Ses parents lui ont trouvé un endroit pas trop éloigné, un village assez riche où vivait sa grand-mère maternelle, non : elle veut faire mieux, aller plus loin… et, bien sûr aussi, suivre son petit copain Garde rouge. Elle choisit de partir dans le Grand Désert du Nord (北大荒), dans une ferme militaire du Heilongjiang, au nord de la Songhua. 

        

Elle a dix-neuf ans. Elle va y travailler huit ans : travailleuse agricole, ouvrière dans une briquèterie, et à la fin, un peu de journalisme. Elle revient vite, comme les autres, de son emballement initial en découvrant une vie monotone et rude, une région arriérée, des hivers longs et glacials, des cadres corrompus dont il faut subir les brimades. Elle a un enfant, divorce. C’est la littérature qui la sauve.

        

Le salut par l’écriture

       

Contrairement à l’idée répandue qui veut que les œuvres d’un auteur et un seul aient été publiées pendant toute la durée de la Révolution culturelle, celles de Hao Ran (浩然), des nouvelles ont recommencé à être publiées à partir de 1972 ; c’est le début de ce qu’on a appelé la « littérature des jeunes

 

Une œuvre de « zhiqing »

instruits » (知青文学), et les premières publications de Zhang Kangkang en font partie. 

        

La ligne de démarcation 1975

 

Son premier récit publié est une nouvelle courte, « La lampe » (《灯》), qui paraît en 1972 dans le Quotidien de la Libération (《解放日报》). Un premier roman paraît trois ans plus tard, en 1975 : « La lignede démarcation » (《分界线》). En fait, ce sont des œuvres écrites dans le contexte de l’époque, avec les contraintes imposées aux écrivains, et en particulier la nécessité de louer le mouvement qui avait envoyé les gens de son âge à la campagne. Surtout, il fallait que les personnages changent, que leur caractère évolue dans le courant du récit. Elle trouvait difficile d’écrire des nouvelles courtes dans ces conditions ; après « La lampe », elle pensa écrire une nouvelle de taille moyenne (中篇小说), commença à l’écrire en 1974, mais elle est finalement devenue un roman.

        

Le personnage principal est un « jeune instruit » qui rêve au départ de quitter la campagne pour aller faire des études universitaires, mais, ensuite, « s’éveille » et promet de rester

à la campagne. En fait, le roman reflète les contradictions des jeunes de l’époque, et celle de l’auteur en particulier. Et le changement d’attitude de son personnage était une manière de cacher son propre état d’esprit.

        

« La ligne de démarcation » a été publié à Shanghai. Elle a expliqué [4] que les éditeurs considéraient que l’aide apportée à un « jeune instruit » relevait de l’esprit révolutionnaire. A la ferme, dans le Heilongjiang, les cadres le voyaient d’un autre œil… Après la publication du roman, les éditeurs lui ont demandé de rester quelque temps pour les aider à compiler un recueil d’essais écrits par d’autres jeunes instruits. Elle y est restée six mois, mais a ensuite été obligée de revenir à la ferme – son hukou l’assignait là. Elle y est restée un an de plus, mais affectée à la section de propagande de la ferme.

         

Le roman, cependant, a attiré l’attention du Bureau de la culture de Harbin (la capitale de la province du Heilongjiang). Au début de 1977, ils ont demandé le transfert de son hukou, de la ferme chez eux. C’était après la chute de la Bande des quatre, et l’Ecole d’art dramatique de la province (黑龙江省艺术学校) commençait à recruter des étudiants pour les former au métier de dramaturge. Ils l’ont attirée en lui promettant qu’elle deviendrait écrivain professionnel à la fin de ses études. Comme, à l’époque, les universités étaient encore fermées, c’était une proposition très intéressante. Elle l’a donc acceptée, et s’est engagée pour une période de deux ans, de 1977 à 1979.

         

Elle l’a regretté quand le concours d’entrée des universités a été réinstauré, peu de temps plus tard, mais, en 1979, à la fin de ses études, la branche du Heilongjiang de l’Association des écrivains venait de reprendre ses fonctions et cherchait du sang neuf. Zhang Kangkang en est devenue membre, puis vice-présidente. Elle a été reconnaissante aux responsables de la province de lui avoir fourni ce premier tremplin, et elle est restée longtemps rattachée à la branche du Heilongjiang, même quand elle est allée s’installer à Pékin.

        

Des zhiqing à la vie d’aujourd’hui

        

Une difficile reconversion

        

Cette période d’études coïncide avec un temps de réflexion et de lecture pendant lequel elle cesse d’écrire: il lui a fallu cette pause pour se libérer des schémas formels avec lesquels elle avait commencé sa carrière d’écrivain. Cependant, quand elle reprend la plume, c’est son expérience de jeune instruite dans le Grand Désert du Nord qui nourrit son œuvre, et continue de l’inspirer pendant une bonne vingtaine d’années ensuite.

        

En 1978, elle écrit une première nouvelle,  « Le Droit à l’amour » (《爱的权利》), qui est publiée en mars 1979 dans la revue Shouhuo (《收获》), second numéro de la revue qui venait de renaître, sous la direction de Ba Jin (巴金), après la pause de la Révolution culturelle.

       

La nouvelle fait sensation à sa parution. C’est une tragédie familiale qui sert de cadre à la réaffirmation de droits fondamentaux de l’individu – droit à l’amour et à l’amitié, droit à une carrière, droit à la liberté et à la dignité. C’est un

 

Le numéro de janvier 1979

de la revue Shouhuo

appel à la résistance à tout ce qui oppresse l’individu et l’empêche de s’épanouir dans une société corsetée. C’est une revendication fondée sur des valeurs humanistes qui reprennent tout leur sens alors que débute la politique d’ouverture et qui constituent une ligne de force dans toute l’œuvre de Zhang Kangkang.  

        

1979-1982 : série de nouvelles

        

L’été

 

Cette première nouvelle marque le début d’une période d’intense activité pendant laquelle elle publie un grand nombre d’essais littéraires, mais aussi de nouvelles, qui relèvent de la « littérature des jeunes instruits » (知青文学), tout en s’en distinguant par une approche humaniste, déclinée sous différents aspects [5]. La plupart sont publiées pendant les deux années 1980 et 1981, et beaucoup sont primées.

       

« L’été » (《夏》) ouvre la période. Publiée dans la revue « Littérature du peuple » (人民文学》) en mai 1980, elle n’a pas directement pour thème, justement, la vie des zhiqing. C’est l’une des toutes premières nouvelles à prendre pour sujet la première promotion d’étudiants après la chute de la Bande des quatre, en grande partie dégagés des pires contraintes politiques et idéologiques de la période maoïste, mais soumis à d’autres tensions.

        

Dans les nouvelles qui suivent s’affirme la primauté de l’individu et de ses aspirations. Les plus connues sont « Légère brume matinale » (《淡淡的晨雾》), «  L’aurore boréale » (《北极光》), « Les pavots blancs » (《白罂粟》), « La tour » ()… Elles ont valeur humaniste, et valeur d’éveil.

       

Ces nouvelles valent à leur auteur une première notoriété ; mais elle sent le besoin d’une pause. Elles sont suivies, pendant les années 1982-1984, d’une autre série de récits sur des sujets différents, dont des nouvelles pour enfants. En 1983, elle se remarie, avec Lü Jiamin (呂嘉民), ancien zhiqing lui aussi, qui vient de prendre la direction de la revue littéraire « Printemps de Pékin » (北京之春) et deviendra écrivain à succès sous le nom de plume de Jiang Rong (姜戎).

       

Mais, en même temps, elle réfléchit et prépare un roman qu’elle commence à écrire en 1984 et n’achève que deux ans plus tard, après avoir découvert la psychanalyse et les analyses de Freud sur le subconscient, et être revenue deux fois à la ferme du Heilongjiang pour parfaire ses recherches.

       

1986 : Le compagnon caché

        

Ce roman a pour personnages principaux un couple de « jeunes instruits » ; la jeune femme s’aperçoit que son mari ne cesse de lui mentir ; elle décide donc de divorcer, mais s’aperçoit ensuite qu’elle aussi ment et trompe les gens autour d’elle : qu’il lui est impossible de juguler son « moi caché ».

        

Ce qui intéresse Zhang Kangkang ici, ce n’est pas la dimension historique du sujet, c’est la dimension spirituelle de ses personnages, et leur part d’inconscient. L’accent est mis la psychologie des personnages, et sur les contradictions entre leur moi conscient et celui du subconscient, d’où le titre : « Le compagnon caché » (《隐形伴侣》).

       

C’est un roman fondamental, tant dans son œuvre personnelle, que dans la littérature de l’époque. Mais il sort en décembre 1986 : c’est le début de la campagne contre le libéralisme bourgeois (反对资产阶级自由化), qui va durer jusqu’au printemps 1987. Personne n’ose parler d’un roman qui donne tant d’importance au subconscient. Mais c’est un sommet de son œuvre.

        

Zhang Kangkang est célèbre, et sa notoriété s’étend à l’étranger, où les traductions de ses nouvelles se multiplient.

        

Fin des années 1980 : expérimentation

        

 

L’aurore boréale

 

La tour

 

Recueil de nouvelles moyennes juillet 1982

En même temps, à la fin de ces années 1980, à un moment où la littérature chinoise se diversifie en courants modernistes de recherche et d’expérimentation, en grande partie sous l’influence de la littérature étrangère, Zhang Kangkang tente des expériences stylistiques nouvelles, et moins connues, orientées vers un lectorat plus sélectif, avide de nouveauté. 

        

Ce sont des récits plus courts, comme « La toile d’Indra » (《因陀罗的网》), une sorte de conte philosophique publié en 1987. Mais Zhang Kangkang a poursuivi ces expériences au début des années 1990, avec, autre exemple, « La tour penchée » (《斜厦》), satire socio-politique pleine d’humour écrite en 1991 et inspirée par le théâtre de l’absurde.

        

Un architecte volontariste bâtit un immense bâtiment sur le sable ; évidemment, il se met à pencher, et, quand les cadres en prennent conscience, ils cherchent comment l’empêcher de s’effondrer, mais en refusant la solution la plus radicale : détruire et reconstruire sur des bases plus saines. La solution retenue est un compromis : on laisse la construction en l’état, on la consolide, et on compense la déclivité intérieure par des meubles spécialement adaptés… L’ironie est d’autant plus mordante quand on lit le texte quinze ans plus tard, alors qu’on continue à adapter le système légué par Mao, sans trop en changer les fondements.

        

Ce sont des récits qui montrent la diversité stylistique dont est capable Zhang Kangkang, mais qui ne sont pas représentatifs de son œuvre. Elle est au meilleur d’elle-même dans le style réaliste critique, et c’est vers ce style qu’elle revient dans les années 1990.

        

Années 1990 : retour au réalisme

        

Recueil Tuoluosha 1992

 

En 1991, elle débute la décennie avec une nouvelle courageuse dans le contexte tendu de l’époque : « Cols bleus » (蓝领), récit qui traite d’une grève ouvrière dans une entreprise d’Etat, en montrant l’inanité du syndicat officiel. Il reflète sans doute l’expérience de son mari, qui fut arrêté en 1989, au lendemain des événements de Tian’anmen, et emprisonné pendant 18 mois pour son implication dans le mouvement syndical chinois. La nouvelle reste cependant anecdotique.

        

Les nouvelles les plus intéressantes de la décennie sont des réflexions, les unes sur son expérience de zhiqing, les autres sur la société chinoise moderne.

       

Dans la première catégorie, citons deux nouvelles qui ont été traduites en français. L’une – « Tempêtes de sable » (《沙暴》) – se passe en Mongolie intérieure, où se trouvait Jiang 

Rong pendant la Révolution culturelle. L’autre - « L’impitoyable » (《残忍》) - se passe dans le Grand

Désert du Nord, où elle-même était. La première, publiée en février 1993, dans la revue Xiaoshuo Jie (《小说界》), est une satire féroce du monde des zhiqing, et de leur reconversion dans la Chine de l’ouverture, les uns condamnés à la médiocrité par manque d’ambition, les autres jouant la carte du développement avec un cynisme pervers ; c’est aussi une histoire de la destruction de l’équilibre écologique en Mongolie, sans autre considération que la recherche du profit personnel.

        

Quant à la seconde nouvelle, publiée en avril 1995 dans la revue Littérature de Shanghai

 

 

Photo de Zhang Kangkang dans le recueil Tuoluosha, 1992

(《上海文学》), c’est un conte d’une cruauté froide, qui commence comme une sorte de roman policier, et se termine sur le constat amer que les sacrifices ont été vains, que l’époque est finie, et que la vie continue, pour ceux qui ont survécu…

         

Quatre nuances de rouge 1994

 

Cette même année 1995, Zhang Kangkang publie un roman qui montre un autre aspect de son écriture : la réflexion sur l’histoire, et non plus les sujets contemporains ou fondés sur l’expérience vécue. « Les quatre nuances de rouge » (赤彤丹朱) est une évocation de la vie des intellectuels révolutionnaires chinois depuis les années 1930, à travers la vie d’un couple inspirée de celle de ses parents : Zhu Xiaoling (朱小玲) pour sa mère, Zhang Kaizhi (张恺之) pour son père. C’est comme une stèle élevée à leur mémoire, et c’est l’un de ses plus beaux livres, où perce l’émotion.

        

Elle y décrit, en particulier, leurs activités dans la clandestinité communiste, et le traitement injuste qui leur a été infligé par le Parti auquel ils avaient consacré leur existence. Les quatre caractères du titre signifient « rouge », avec des nuances (chì/tóng/dān/zhū écarlate/rougeâtre/vermillon/rouge brillant) : c’est la couleur

de la génération de ses parents, pour qui la légende n’était pas dorée, mais rouge, comme le soleil, comme l’avenir.

       

L’année suivante, en 1996, elle publie un roman à l’opposé de son réalisme habituel, qui connaît un tel succès qu’il est réimprimé sept fois en l’espace de deux ans, dont l’une à Taïwan fin 1998 : « La galerie de l’amour » (《情爱画廊》). C’est une nouvelle satire sociale, à travers l’analyse de la relation entre l’amour et le sexe ; c’est aussi une galerie de personnages qui restent nobles même trompés : un riche mari trahi qui s’assure que sa femme et son amant ont tout ce qu’il faut pour être heureux ; l’ex-petite amie d’un peintre qui s’occupe de réconforter la fille de l’épouse infidèle tombée amoureuse du peintre… Ce qui a fait le succès du roman, cependant, c’est le lyrisme de ses passages érotiques.

        

Ce roman marque un passage à des thèmes contemporains à partir du tournant du millénaire.

        

Critique de la société contemporaine

 

La galerie de l’amour 1995

        

A partir de 2000, dans ses nouvelles et romans, mais aussi dans ses nombreux recueils d’essais, Zhang Kangkang se tourne vers l’observation de la société contemporaine, et en particulier sous l’angle de la place de la femme dans cette société. Elle y fait preuve de la même sensibilité que celle qui transparaît dans ses œuvres sur les zhiqing.

       

Zuonü – Women on the Edge

 

Son premier roman sur le thème de la femme d’aujourd’hui est, en 2002, Zuonü’ ou « Une femme fantasque », (作女) [6].  L’héroïne du récit, Zhuo’er (卓尔), est une femme rebelle, ou du moins fantaisiste, de celles qui n’en font qu’à leur tête, et représentent une sorte de modèle fantasmé pour les jeunes.  Zhuo’er a un bon boulot mais rêve de se faire licencier pour partir au Pôle Sud ; elle a une crème de mari mais divorce pour vivre avec un homme marié sans intention de se remarier.

        

Zhang Kangkang semble se faire l’apôtre du diable. Elle a expliqué ainsi l’idée qui l’a poussée à écrire cette histoire : « Le terme ‘zuo’ implique vitalité et créativité. Pour être ‘zuo’, une femme doit être dynamique, entreprenante. Lorsque c’est un homme qui est ‘zuo’, il est considéré comme quelqu’un de compétent, plein de vigueur. Quand il s’agit d’une femme, on voit les choses autrement. C’est la raison pour laquelle, j’ai voulu écrire ce roman. Si toutes les femmes sont raisonnables

et agissent comme le veut la tradition, la situation des femmes ne changera jamais. » 

                      

Aujourd’hui encore, cependant, ce sont ses nouvelles qui sont les plus révélatrices de ses thèmes et de son style. Elle est passée insensiblement de l’observation des jeunes instruites de sa jeunesse à celle des jeunes femmes brimées par la société moderne, et en particulier les jeunes migrantes venues de la campagne travailler en ville ; finalement, les problèmes se ressemblent beaucoup.

        

Un recueil récent – traduit en anglais - montre bien ce passage d’un thème à l’autre, lié par une idée commune : celle de la migration – migration des zhiqing vers la campagne dans un cas, et migration des ruraux vers les villes dans l’autre, avec, dans les deux cas, déracinement et problèmes d’intégration. C’est un recueil de six nouvelles, publié sous le titre de la première, et la plus célèbre : « White Poppies » (《白罂粟》). On part donc de ce début des années 1980 qui a été la grande période des nouvelles sur les zhiqing. La seconde nouvelle du recueil (« Yanni’s Secret ») est une histoire de jeune instruite qui se présente comme une intrigue dont le ressort caché est le moteur de la narration, comme dans « L’impitoyable » [7].

        

Après deux autres nouvelles qui forment comme une transition [8], les deux dernières du recueil sont des critiques de la société moderne : « Zhima » (《芝麻》) et « Atop Beijing’s Mountain of Gold » (《北京的金山上》), ces montagnes d’or étant les montagnes de détritus de la capitale sur lesquelles vivent des migrants en récupérant tout ce qui peut être recyclé.

        

C’est « Zhima » la nouvelle la plus intéressante, originale et écrite dans ce style froid qui est le meilleur de Zhang Kangkang ; c’est d’ailleurs la nouvelle qu’elle cite le plus souvent, avec Zuonü, quand on lui demande ce qu’elle préfère dans son œuvre. Zhima est une migrante venue travailler dans la capitale, son mari étant resté au village s’occuper des cochons de la famille ; c’est un portrait formidable et très original, dans la masse de littérature sur le sujet. [9]

 

Sélection personnelle décembre 2006

(作女,请带我走,芝麻)

               

Zhang Kangkang est aujourd’hui un écrivain reconnu et officiel. En 2006, elle a été élue vice-présidente de l’Association des écrivains de Chine, et, trois ans plus tard, membre du Bureau des conseillers relevant du Conseil des Affaires d’Etat. Elle publie régulièrement articles et essais sur les problèmes sociaux et urbains actuels, avec une position féministe affirmée.

        

        

Traductions en français

- L'Impitoyable, recueil de deux nouvelles (L'Impitoyable 《残忍》 et Tempêtes de sable 《沙暴》) traduites par Françoise Naour, Bleu de Chine 1997.

- Les Pavots blancs 《白罂粟》, nouvelle traduite par Rosalie Casella et Chantai Chen-Andro in La Remontée vers le jour, nouvelles de Chine 1978-1988, trad. Baiyun, Jean-Philippe Béja, Isabelle Bijon, Rosalie Casella, [et al.], préface de Claude Roy, éditions Alinéa 1988, 270 p.

        

Traductions en anglais

        

- ‘The Wasted Years’ 《空白》 tr. Shen Zhen, in Seven Contemporary Chinese Women Writers, Panda Books, 1982, p 235-48 + Chinese Literature 3, 1982. P 5-16.

- ‘The Right to Love’ 《爱的权利》, tr. R.A. Roberts and Angela Knox, in One Half of the Sky: Selection  from Contemporary Women Writers of China, William Heinemann London 1987, pp. 51-81

- ‘The Tolling of a Distant Bell’ 《悠远的钟声》 tr. by Daniel Bryant in Contemporary Chinese Literature: an Anthology of Post-Mao Fiction, ed. Michael Duke, M.E. Sharpe 1984, 98-105

- ‘Northern Lights’ 《北极光》, Chapter 7 translated by Daniel Bryant in Chinese Literature, Winter 1988, pp. 92–102.

- ‘The Spirit of Fire’ 《火的精灵》, tr. Nienling Liu, in The Rose-Coloured Dinner, Joint Publishing Comp. HK 1988, pp. 51-59.

- ‘The Invisible Companion’ 《隐形伴侣》, tr. by Daniel Bryant, Beijing New World Press, 1996.

- ‘Cruelty’ 《残忍》, Renditions n° 49, printemps 1998.

- ‘The Peony Garden’ 《牡丹园》, tr. by Daniel Bryant, Renditions n° 58, 2002, pp. 127-39.

-  White Poppies and Other Stories, , tr. by Karen Gernant and Chen Zeping, Cornell University East Asia Program, Jan. 2011.

        

Adaptations pour la télévision

        

《隐形伴侣》 (Le compagnon caché) adapté en série télévisée de huit épisodes

《情爱画廊》 (La galerie de l’amour) adapté en série télévisée de vingt épisodes

《红罂粟》 (Les pavots rouges) adapté en série télévisée de trente épisodes  (diffusée en janvier 2003)

        

       
       


[1] Voir Morning Sun, Interviews with Chinese Writers of the Lost Generation, by Laifong Leung, M.E. Sharpe 1994, p. 229-239.

[2] Mouvement favorisé par Mao, culminant dans le grand bain de foule du 18 août 1966, et encore encouragé par une circulaire du Comité central du 5 septembre. Mais la pagaïe est telle qu’une nouvelle circulaire, le 29 octobre, demande instamment aux intéressés de repousser leur voyage. Néanmoins, le mouvement continue ; le Comité révolutionnaire de la municipalité de Pékin est obligé d’émettre une nouvelle circulaire le 30 juin 1968 pour l’endiguer. Finalement, Mao va lancer le grand mouvement d’envoi des jeunes à la campagne pour y mettre un terme, tout en trouvant un exutoire à tous ces jeunes battant le pavé faute de pouvoir continuer leurs études, les universités étant fermées.  

[3] Mouvement d’envoi à la campagne des « jeunes instruits », dit shàngshānxiàxiāng (上山下乡运动), relancé par Mao fin 1969 (après une première vague en 1955). Ces jeunes instruits ou zhiqing (知青) sont d’abord ceux qui, comme Zhang Kangkang, ayant terminé le secondaire en 1966, 1967 et 1968, n’avaient aucune qualification et aucune possibilité de trouver du travail en ville. Ce sont « les trois promotions » (三届学生).

[4] Dans son interview avec Laifong Leung, dans Morning Sun… (op. cité)

[5] Commentant sa nouvelle « Les pavots blancs », Zhang Kangkang a fait remarquer qu’il s’agit effectivement d’une histoire de zhiqing, mais que ce n’est pas le personnage principal, et que la nouvelle ne devrait donc pas être considérée comme faisant partie de cette littérature – il est difficile, cependant, de ne pas l’en rapprocher, et même, plus précisément, de la littérature des jeunes instruits du Grand Désert du Nord (北大荒知青文学), dont fait partie un auteur qui l’a beaucoup marquée, Lu Xin’er (陆星儿).

Elle s’est d’ailleurs constamment démarquée du courant de récits idéalisant a posteriori une expérience traumatisante, en la considérant d’un œil nostalgique. Elle a expliqué que c’était une réaction logique au retour difficile des zhiqing en ville, où très peu ont pu facilement se réinsérer, manquant d’éducation et de qualifications pour trouver un emploi, et de la culture adéquate pour vivre dans la société urbaine. Aucun de ces jeunes nostalgiques, selon elle, n’aurait pourtant été heureux de revenir sur les lieux de leur exil temporaire, et très peu l’ont fait.

[6] Traduit en anglais « Woman on Edge ».

[8]Are Birds Better at Walking or Flying” 《鸟善走还是善飞》 et “Please Take Me with You” 《请带我走》

       

       

       

    

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.