La
Légende du Serpent blanc et son histoire : sources et évolution
par Brigitte
Duzan, 27 juillet 2021, actualisé 31 octobre 2021
La « Légende du Serpent blanc » (《白蛇传》)
est l’une des « quatre grandes légendes chinoises »,
avec « Le Bouvier et la tisserande » (《牛郎织女》)
[1],
« L’histoire de Meng Jiang » (《孟姜女》)
[2]
et « La Romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai » (《梁山伯与祝英台》)
[3].
C’est une très ancienne légende dont on trace les
origines dans la tradition orale, dans des récits
fantastiques de zhiguai (志怪),
transcrits et développés en
huaben
(话本)
sous les Song,
puis édités et popularisés sous les Ming. L’une des
sources la plus anciennes est sans doute le « Livre
des monts et des mers » ou
Shanhaijing
(《山海经》)
où apparaissent deux images de serpents monstrueux,
l’une dans le
La Légende du serpent blanc
« Traité des montagnes de l’Ouest » (《山海经·西山
经》)
et l’autre dans le « Traité des grandes étendues
désertes du Nord » (《山海经·大荒
北经》).
Il faudrait également citer la représentation
traditionnelle des deux ancêtres mythiques Fuxi (伏羲)
et
Nüwa
(女娲)
comme deux êtres monstrueux mi-humains mi-serpents enlaçant
leurs queues.
Le site de la légende : le lac de
l’Ouest avec la pagode Leifeng
Anonyme, Encre sur papier. Période des Song
du sud (1127-1279), musée de
Shanghai.
La « Légende du Serpent blanc » a pris forme
progressivement, dans un contexte de frayeurs et
superstitions ancestrales concernant le serpent,
quand plusieurs éléments de récits fantastiques ont
fini par constituer une trame narrative de base : un
jeune homme est séduit par une jeune femme en blanc
accompagnée de sa servante au bord du lac de l’Ouest
à Hangzhou ; or ce sont des femmes-serpents
descendues sur terre poussées par la curiosité de
découvrir le monde humain. Le Serpent blanc et le
jeune homme forment un couple
heureux, mais la nature transgressive de cette union attire la colère du moine Fa
Hai qui, ayant reconnu dans la jeune femme un serpent,
décide de l’exorciser et de l’éliminer.
La légende
a ensuite été l’objet de multiples développements et variantes,
en littérature d’abord, avant de faire l’objet d’adaptations à
l’opéra et au cinéma qui en ont chaque fois fait évoluer le
récit et les manières de le lire.
I. Les
sources et les origines de la légende
Le serpent
fait partie de l’imaginaire du peuple chinois tout autant que
des peuples asiatiques dans leur ensemble, sans parler de
l’Occident. Depuis l’aube des temps, il est objet à la fois de
fascination, de frayeur et de répulsion. Le serpent blanc
participe de cette image ambigüe, avec des récits où le
personnage de la femme-serpent évolue avec le temps.
1.L’image
ambivalente du serpent
La
rencontre avec un serpent est généralement considérée comme un
mauvais présage. L’un des premiers récits où l’on trouve des
traces de la légende du serpent blanc est celui qui nous conte
l’histoire du futur lingyin (令尹),
ou chancelier, du roi Zhuang de Chu (楚莊王,
613-591
av. J.C.), pendant la période des Printemps et Automnes : Sunshu
Ao (孙叔敖).
Dans la
première de ses « Nouvelles Préfaces » (Xin Xu
《新序·杂事一》),
l’historien Liu Xiang (刘向),
sous les Han de l’Ouest, raconte que, tout jeune encore, Sunshu
Ao rencontra un jour sur son chemin un serpent à deux têtes,
animal réputé particulièrement néfaste. Il le tua et l’enterra.
Rentrant chez lui, il était tellement angoissé qu’il n’arrivait
pas à manger. Sa mère lui ayant demandé ce qui lui arrivait, il
lui raconta le serpent qu’il avait vu : « J’ai entendu dire que
celui qui voit un serpent à deux têtes est promis à une mort
certaine. J’ai très peur de devoir bientôt quitter ma mère ».
Comme celle-ci lui demandait où était le serpent, il lui
répondit : « Comme j’avais peur que quelqu’un d’autre le
rencontre, je l’ai tué et enterré. » Alors sa mère le rassura en
lui disant que les gens comme lui qui avaient une vertu cachée
étaient promis à un bel avenir, et qu’il ferait certainement une
brillante carrière dans l’Etat de Chu.
Le caractère maléfique du serpent se retrouve dans
bien d’autres histoires, mais on trouve aussi des
récits où la rencontre d’un serpent se révèle
ensuite bénéfique. Ainsi, dans « À la recherche des
esprits » (Soushen ji《搜神记》),
un recueil d’histoires étranges (zhiguai xiaoshuo
志怪小说)
compilé par Gan Bao (干宝)
au 4e siècle, à l’époque des Jin de l’Est
(东晋),
on trouve l’histoire du Marquis de Sui qui, ayant
sauvé un serpent, reçut en récompense une perle (《隋侯救蛇得珠》)
[4].
Ou encore, au juan 456 du
Taiping Guangji
(《太平广记》)
compilé sous les
Song du Nord, à la fin du 10e siècle
[5],
le très bref récit de deux lignes intitulé « Feng
Gun » (馮緄)
évoque l’histoire d’un général qui rencontre deux
serpents
Le serpent ba (巴蛇) des
montagnes
de l’Ouest du Shanhaijing
rouges (赤蛇) ;
il est terrorisé, mais un devin le rassure :
« C’est un signe de bon augure ». Cinq ans plus tard, il
était promu général en chef.
Les
serpents peuvent parfois aussi être des sortes d’esprits
protecteurs, pourvoyeurs de richesses, comme dans l’histoire
de Li Linfu (李林甫)
contée au juan 457 du
Taiping Guangji (《太平广记》).
Li Linfu a servi comme chancelier pendant 18 ans (734-752)
pendant le règne de l’empereur Xuanzong des Tang (唐玄宗)
[6].
L’apogée de sa carrière, selon le Taiping Guangji, aurait
suivi son installation dans une maison dont l’auvent abritait
des serpents ; mais il voulut agrandir la porte afin de pouvoir
y faire passer un superbe cheval qu’on venait de lui offrir,
l’auvent fut détruit, les serpents aussi : Li Linfu mourut
l’année suivante.
On
retrouve cette ambivalence de la figure légendaire du serpent
dans celle du Serpent blanc qui sème la frayeur quand elle
apparaît sous sa forme de serpent, mais dont les intentions ne
sont pas foncièrement mauvaises. Le problème est son pouvoir
séducteur quand il prend forme féminine.
2.La
séduction du serpent
Parmi les
quatre juan du Taiping Guangji consacrés à des
histoires de serpents (voir note 6), on trouve plusieurs brefs
récits qui décrivent les mésaventures de personnages séduits par
un serpent qui a pris apparence humaine, homme ou femme. Dans le
même juan 457, le cinquième récit, « Xue Zhong » (《薛重》),
est l’histoire de la femme d’un fonctionnaire séduite par un
serpent de forme humaine. Dans le juan 456, le dernier
récit –
« Zhu Jin » (《朱覲》)
– conte l’histoire d’un serpent transformé en jeune homme tout
de blanc vêtu, qui séduit une jeune fille ; l’histoire est
contée par un hôte de la famille qui entend du bruit dans la
chambre de la jeune fille la nuit ; au petit matin, il voit un
jeune homme sortir et lui décoche deux flèches, puis suit les
traces de sang : il finit par trouver un serpent d’une blancheur
immaculée mort au pied d’un arbre, deux flèches dans le corps.
Li Ji tue le serpent (lianhuanhua)
On trouve là un premier récit qui comporte un
serpent blanc séducteur, mais transformé en homme.
Dans le même juan 456, le récit
« Le lettré
de l’ère Taiyuan » (Taiyuan Shiren《太元士人》)
comporte une scène qui préfigure une scène
récurrente dans « La Légende du Serpent blanc » : un
lettré marie sa fille à un homme d’un
village voisin et l’envoie dans
la famille du son nouvel époux sous la conduite de son frère
cadet ; au milieu de la nuit de noces, sa nourrice l’entend
crier, se précipite et la voit enlacée par un gigantesque
serpent.
Très
populaires aussi sont les incarnations de serpents en femmes
séduisant des jeunes hommes, voire vivant en épouses de
fonctionnaires. Il y a dans le Taiping Guangji deux
récits d’épouses que leur époux voit se transformer un jour en
serpent : c’est le cas de « L’épouse de Wang Zhen » (《王真妻》),
avant-dernier récit du juan 456, et au juan 459 de
« Madame Zhang » (《張氏》)
qui se transforme en serpent après sa mort – preuve, nous donne
à penser le récit, qu’elle en était un de son vivant.
Également intéressant comme source de « La Légende
du Serpent blanc » est un huaben remontant à
la dynastie des Song et repris dans le recueil « Qingping
Shantang huaben » (《清平山堂话本》)
compilé par Hong Pian (洪楩)
dans la première moitié du 16e siècle et
traduit en français sous le titre « Contes de la
Montagne sereine » : « L’Histoire des trois pagodes
du lac de l’Ouest » (《西湖三塔记》)
[7].
Comme la
Les trois stupas du lac de l’Ouest
légende, ce huaben se
situe au bord du lac de l’Ouest à Hangzhou, mais dans une
tonalité différente ; c’est l’histoire d’un jeune garçon
nommé Xi Xuanzan (奚宣贊)
qui trouve un jour une fillette en pleurs qui s’est perdue.
Il l’emmène chez lui et, quinze jours plus tard, apparaît
une vieille femme en noir qui dit être sa grand-mère et veut
emmène le jeune homme avec elle pour que sa fille puisse le
remercier. La mère de la fillette apparaît, toute en blanc,
dans une superbe demeure. Mais c’est en fait un serpent
blanc transformé en femme qui, assisté de deux créatures
infernales, une poule noire et une loutre blanche (乌鸡、白獭),
séduit des jeunes gens dont ils arrachent le foie et le cœur
pour s’en nourrir ; un moine taoïste viendra à bout des
trois créatures et les enfermera dans des jarres enfouies
sous trois pagodes, d’où le titre
[8].
Illustration des Trois monstres de
Luoyang
Luoyang sanguai ji au Palais
d’été
Le même recueil comporte par ailleurs deux autres
huaben sur des esprits maléfiques qui émettent
des nuages de fumées magiques : « Les
trois monstres
de Luoyang » (Luoyang sanguai ji
《洛阳三怪记》)
et « Les trois monstres de Dingshan » (Dingshan
san guai《定山三怪》)
qui tous les deux se passent aussi au bord du lac de
l’Ouest et sont vraisemblablement de la même source.
Cet élément de fumées attaché au serpent est repris
dans certaines versions de « La Légende du Serpent
blanc ». Une anecdote notée au début du 17e
siècle
par un auteur originaire de
Hangzhou nommé Yu
Chunxi (虞淳熙)
raconte que la pagode s’était mise à cracher de la fumée qui
montait en spirale vers le ciel ; on disait que c’étaient
les deux serpents qui crachaient leur venin. En fait, il
s’agissait juste d’essaims d’insectes
[9].
Mais un
autre récit du Taiping Guangji, le dernier du juan
458 intitulé « Li Huang » (《李黄》),
semble être comme un prototype de l’histoire du Serpent blanc ;
le texte est bien plus long que les autres contes du recueil et
offre un véritable développement narratif : Li Huang est un
jeune garçon envoûté par une jeune veuve en blanc qui est en
fait un serpent. Elle le reçoit dans une superbe demeure, avec
sa tante, et lui offre trois jours de plaisirs. Mais quand il
rentre chez lui, il tombe malade, son corps se liquéfie, il ne
reste bientôt plus que sa tête. Quand on part ensuite à la
recherche de la femme en blanc, on trouve une maison abandonnée
dans un jardin en friche, dont les voisins disent qu’on y voit,
de temps en temps, un serpent blanc au pied d’un robinier
desséché.
Réédité à
la fin des Ming, le Taiping Guangji est devenu à la mode
auprès d’un public avide d’histoires fantastiques. Ces histoires
circulent et alimentent un marché de lecteurs urbains en pleine
croissance. On trouve même une histoire de femme-serpent dans
l’un des
contes du Liaozhai (《聊斋志异》)
de Pu Songling (蒲松龄) où
les histoires de serpents sont cependant rares : sur une île
déserte
[10],
un jeune homme part se promener et regrette de n’avoir personne
avec qui partager la beauté du lieu ; apparaît alors une femme
qui s’offre à lui, et lui dit qu’elle est venue là avec un
« prince de la mer » ; au milieu de leurs ébats, un grand vent
se met à souffler et des herbes émerge un immense serpent, le
prince en question, tandis que la femme disparaît… sans doute
elle-même un serpent, ajoute le narrateur.
C’est le
type de récit cauchemardesque qui a nourri l’imagination des
conteurs et dont le bestiaire semble inspiré du
Shanhaijing
(《山海经》).
Peu à peu se sont ainsi formées des bribes de la légende qui
apparaît à la fin des Ming dans une première version découlant
des anciens récits de zhiguai.
II. La
légende du Serpent blanc et son évolution
C’est
Feng Menglong (冯夢龙),
au début du 17e siècle, avec son récit en langue
vernaculaire « La Dame blanche ensevelie à tout jamais sous la
pagode du Pic du Tonnerre » ou pagode Leifeng (《白娘子永鎮雷峰塔》),
qui a contribué à immortaliser la légende sous sa forme la plus
connue : en soulignant la nature transgressive de cette
femme-serpent aussi redoutable dans sa sexualité conquérante que
dans son pouvoir destructeur, contrairement au modèle « Li
Huang », bien plus traditionnel, où c’est le jeune garçon qui
poursuit la femme de ses avances ; face à la dangereuse
séduction de cette femme, le moine Fa Hai est érigé en défenseur
des normes morales et sociales.
1.
La version Ming : Feng Menglong et Ueda Akinari
a)Le récit
canonique de Feng Menglong
Le récit a été publié dans le deuxième des « Trois
propos » (San yan
三言) -
« Propos pénétrants pour avertir le monde » (Jǐngshì
tōngyán
《警世通言》)
- paru en 1624
[11]. L’histoire du Serpent blanc - appelé
ici la Dame blanche ou Dame en blanc (Bai Niangzi
白娘子)
- est le 28ème des quarante récits du
recueil
[12].
Il se déroule en quatre épisodes successifs
correspondants à des lieux différents
1/ À Hangzhou, le jour de Qingming (la fête des
morts), le jeune Xu Xuan (许宣), commis dans un
herboristerie, sort prier au temple. Surpris par une
pluie soudaine, il emprunte un parapluie et
s’apprête à rentrer chez lui en
Bai niangzi rencontrant Xu Xuan,
illustration du récit de Feng
Menglong
bateau lorsqu’une femme en blanc et sa servante lui
demandent de les prendre sur le
bateau.
Débarquées, comme il pleut encore, elles lui demandent de
les raccompagner avec son parapluie. Mais il préfère le leur
laisser. Le lendemain, quand il va le récupérer, la femme
l’a prêté et l’invite à revenir le lendemain. Sur quoi, elle
lui déclare que leur union est prédestinée et lui propose le
mariage. Comme Xu Xuan n’a pas un sou, elle lui offre un
lingot d’argent pour faire face aux frais. Mais le lingot se
révèle faire partie d’un butin volé, Xu Xuan est dénoncé par
son beau-frère paniqué ; arrêté, il conduit les policiers à
l’adresse de la femme, mais ne trouvent qu’une maison à
l’abandon où la femme en blanc leur apparaît, mais se
volatilise aussitôt, en laissant le butin derrière elle. Xu
Xuan fait l’objet de la clémence du magistrat : il est juste
exilé à Suzhou.
2/ À Suzhou, il mène une vie paisible grâce aux
recommandations de son beau-frère. Mais, six mois
plus tard, il voit réapparaître la dame en blanc
accompagnée de sa servante. Xu Xuan furieux lui
reproche sa conduite qui lui a valu la déportation,
mais la femme accuse son défunt mari de ces vols et
le persuade de l’épouser. Initié aux plaisirs de
l’amour, le
La Légende du Serpent blanc, Xu Xuan
offrant son parapluie,
peinture de la grande galerie du Palais d’été
(Yiheyuan 颐和园)
jeune garçon coule
des jours heureux quand un prêtre taoïste rencontré dans un
temple décèle au-dessus de sa tête un nuage maléfique et lui
confie un charme pour venir à bout de l’esprit qui l’a
envoûté. Mais le prêtre est ridiculisé par les pouvoirs
infiniment supérieurs de la femme en blanc. La vie reprend
son cours. Mais Xu Xuan voulant se rendre dans un temple
pour la fête des bateaux-dragons, son épouse lui fait
revêtir de somptueux vêtements … qui se révèlent aussi avoir
été volés. La femme ayant disparu, Xu Xuan s’en tire avec
une nouvelle condamnation à la déportation, cette fois à
Zhenjiang.
3/ À
Zhenjiang, il est de nouveau bien accueilli grâce aux
recommandations de son beau-frère et trouve un nouvel emploi de
commis dans une herboristerie. Mais, comme à Suzhou, la femme
revient, calme la colère de Xu Xuan et s’installe. Le patron de
l’herboristerie, cependant, est tombé sous le charme de
l’épouse, l’attire chez lui sous prétexte d’une réception, tente
de la séduire, mais se retrouve face… à un énorme boa. Paniqué,
il s’enfuit mais ne dit rien de l’affaire. Peu après, à
l’incitation du moine Fa Hai (Fa Hai chanshi 法海禅师)
[13], Xu Xuan se rend en pèlerinage au
monastère de la Montagne d’or (Jinshan si金山寺).
Inquiète, son épouse l’y rejoint, mais le moine ayant décelé sa
véritable nature de serpent, elle se jette à l’eau et disparaît.
Le moine révèle alors l’identité réelle de sa femme à Xu Xuan
qui, paniqué, va s’installer chez son patron jusqu’à ce que,
bénéficiant d’une amnistie impériale, il rentre à Hangzhou, chez
son beau-frère.
4/ À Hangzhou, cependant, il est pour la troisième
fois rejoint par son épouse qui fait la conquête du
beau-frère et de sa femme qui l’invitent à rester
chez eux. Mais, un jour qu’il l’observe en cachette,
le beau-frère voit un gigantesque python sur le lit
de Xu Xuan. Terrorisé, il fait appel à un charmeur
de serpent… qui est lui-même effrayé quand la bête
se montre à lui et part en prenant les jambes à son
cou. Xu Xuan de plus en plus
Autre peinture du Palais d’été
illustrant la légende :
le Serpent
vert menaçant Xu Xuan terrorisé, protégé
par le Serpent blanc
paniqué est
sur le point de se suicider quand surgit le moine Fa Hai qui
lui donne un bol à appliquer sur la tête de son épouse pour
la maîtriser. Du coup elle reprend sa forme originelle, la
servante redevient un poisson, toutes les deux sont
enfermées sous la pagode Leifeng. Xu Xuan se fait moine.
On
retrouve à la source l’idée du Li Huang séduit par une femme en
blanc – et en blanc parce que veuve - du récit du juan
458 du Taiping Guangji, mais avec la différence que c’est
maintenant la femme qui poursuit Xu Xuan, et non plus l’inverse.
Feng Menglong a habilement construit son récit autour du trio
central de la dame en blanc, du jeune Xu Xuan et du moine Fa Hai.
Il a créé une figure de femme active, obstinée dans la poursuite
de l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu, menaçante même
quand elle sent la moindre résistance, tandis que le jeune
homme, faible et froussard, se laisse manœuvrer comme un jouet.
Celui qui fait face à la femme en blanc et lui résiste, c’est le
moine Fa Hai, représentant de l’autorité et de la loi (même si
c’est ici la loi bouddhiste).
Le serpent blanc venant chercher le
remède miracle pour ressusciter Xu Xuan (Palais
d’été)
Feng
Menglong livre ainsi une fable morale où la séductrice cause le
malheur de l’homme qu’elle a charmé. Représentant toute la force
sensuelle du monde naturel à l’état primitif, plus spécialement
associée au monde aquatique, et à l’eau sous toutes ses formes à
commencer par la pluie qui scelle sa première rencontre avec Xu
Xuan, elle est finalement maîtrisée par une autorité supérieure,
morale et religieuse. Mais la passion de cette femme est
soudaine et sans guère de fondement : le jeune Xu Xuan a
simplement pour lui d’avoir un physique agréable, « comme les
gens de Hangzhou » lui explique la petite servante. La passion
incontrôlée de la femme est inexplicable, dans cette version
Ming, autrement que par la prédestination.
b)Le récit
revisité par le Japonais Ueda Akinari
C’est cet aspect
irrationnel que gomme la version élaborée par Ueda
Akinari dans un récit de son Ugetsu-monogatari
sous le titre traduit en français « L’impure passion
d’un serpent »
[14].
Le terme même de monogatari indiquait le
désir de retour aux sources classiques, à une époque
où l’on n’en écrivait plus, mais Akinari était par
ailleurs philologue et fin lettré : son recueil est
une sorte d’anthologie du conte fantastique. Quant à
son histoire de serpent nommée ici Manago (ce qui
signifie « la vraie femme »), elle s’inspire
ouvertement du récit de Feng Menglong ; on retrouve
des détails identiques qui tiennent d’ailleurs des
mêmes superstitions, au Japon comme en Chine
[15] ;
mais c’est une inspiration indirecte, car Akinari
fait allusion à une légende du temple Dôjô-ji de
Komatsubara connue par son adaptation au théâtre
nô
[16] :
c’est là que se trouve le moine Hôkai, alter ego de
Fa Hai. Akinari en fait ainsi un conte typiquement
L’Ugetsu monogatari de
Ueda Akinari (1776)
japonais où il n’est pas question de
serpent blanc ou vert.
C’est le
plus long récit du recueil, où Akinari a conservé la même
structure en quatre parties, ainsi que les personnages du récit
chinois, mais en les replaçant dans un contexte local, en
multipliant les descriptions et surtout en fouillant la
psychologie des personnages, tout particulièrement celle de
Manago. Il en fait une femme obstinée comme son modèle, perfide
et rusée, mais surtout le type de la femme séduisante et
sensuelle objet de l’opprobre des bouddhistes, cependant
finalement fidèle et attachante sous ses dehors de femme
passionnée, et jalouse. La Manago d’Akinari est un personnage de
roman, une vraie femme fatale. D’ailleurs, à la fin de
l’histoire, après le retour de Manago à sa forme originelle et
sa mort, la femme de Xu Xuan rebaptisé Toyoo en est en quelque
sorte la victime expiatoire ; c’est la seule différence avec le
récit chinois. Akinari est allé jusqu’au bout de sa logique. Il
a fait œuvre de romancier, là où Feng Menglong était resté dans
la logique du conteur.
Mais,
caractérisé d’abord par une vitalité exubérante, le comportement
du Serpent blanc dans ces récits que l’on peut dire fondateurs
reste fondamentalement scandaleux, car il est entaché de tares
répréhensibles du point de vue des trois religions : se laissant
aller à la vanité de la passion amoureuse sans lutter contre le
désir, la femme-serpent est la cible des bouddhistes comme des
taoïstes ;son ignorance des rites, et même des traditions les
plus fondamentales comme la nécessité d’une entremetteuse pour
engager des pourparlers de mariage, entraîne des dérèglement qui
la condamnent aussi bien aux yeux des confucéens. En même temps,
c’est l’opposition entre le caractère dominateur de la femme et
l’immaturité de l’objet de ses feux, doublée de la poursuite
tout aussi obstinée du moine, qui nourrit la tension du récit.
Par la
suite, dans les développements ultérieurs de la légende, cette
opposition frontale va s’atténuer, le personnage du Serpent
blanc va s’humaniser, dans des versions plus élaborées où le
personnage va perdre le caractère aveugle et abruptement
volontaire de sa passion, pour un jeune garçon sans qualités
particulières sauf la naïveté et la couardise. Avec le passage
du récit oral au conte écrit, l’histoire s’étoffe en répondant
aux interrogations du lecteur et en s’adaptant à l’évolution de
la société et du temps.
2.
Versions postérieures de la légende
De la
prédestination à la rétribution
Dans le
récit de Feng Menglong, on a du mal à comprendre la poursuite
obstinée du jeune garçon par la femme en blanc, et à accepter la
violence de sa passion, dans un texte où elle apparaît
prisonnière de celle-ci du fait de la prédestination. Dans des
récits postérieurs, son attitude pugnace est expliquée par des
faits antérieurs et ne ressort plus de la prédestination mais de
la rétribution. Ainsi, dans un récit d’inspiration bouddhiste,
un jeune garçon, dans une vie antérieure, a sauvé un petit
serpent blanc et, des années plus tard, celui-ci veut lui
témoigner sa gratitude. Incarné en femme, il lui propose le
mariage. On a donc là une justification morale à cette
initiative qui paraît arriver de manière soudaine et presque
éhontée dans le récit de Feng Menglong.
Le Xihu jiahua de Mo Langzi
(1673)
Dans la version des « Contes merveilleux des sites
anciens et modernes du lac de l’Ouest »
(Xihu jiahua gujin yiji《西湖佳話古今遺跡》) de
Mo Langzi (墨浪子)
datant de 1673,
l’explication est carrément tirée par les cheveux :
elle fait intervenir Lü Dongbin (吕洞宾),
le plus connu des huit Immortels de la tradition
taoïste (八仙),
en vendeur de boulettes de riz au bord du lac de
l’Ouest. Après avoir avalé une de ses boulettes, un
enfant se sent mal et ne peut plus rien avaler.
Trois jours plus tard, le père affolé le ramène à Lü
Dongbin qui l’attrape tout simplement par les pieds
pour lui faire recracher la boulette : elle tombe
dans le lac où un serpent l’avale à son tour. Or
c’était une boulette magique : sous son effet, le
serpent se transforme en femme : il devient la Dame
en blanc (Bai niangzi
白娘子).
Dix-huit ans plus tard, elle n’a pas oublié l’enfant
auquel elle est redevable de sa forme féminine, même
s’il n’y est pour rien ; elle
recherche donc le jeune
garçon ici appelé Xu Xian (许仙)
[17],
pour lui témoigner sa gratitude. La justification
de son attitude est passée de la
prédestination à la rétribution, toujours dans un contexte
bouddhiste.
Evolution du rôle du petit serpent
Dans tous ces récits, la femme en blanc est
accompagnée d’une petite servante. Dans une version
du début du 16e siècle de Tian Rucheng (田汝成),
un lettré, poète et homme politique de Hangzhou
(1503-1557) qui a laissé quatre recueils de récits,
dont un intitulé « Chroniques de promenades au lac
de l’Ouest » (《西湖游览志》)
[18],
il est question d’un serpent blanc et d’un petit
poisson bleu incarnés en femmes, l’une étant la
servante de l’autre : selon l’une des histoires, qui
faisait partie du répertoire des conteurs, un jeune
homme fait la rencontre d’une belle femme
accompagnée de sa servante ; à la fin d’une nuit de
plaisirs, la femme offre en souvenir à l’homme un
« éventail aux deux poissons » (双鱼扇)
[19]
; il se réveille près de sa tombe.
L’histoire du serpent blanc et du petit poisson,
devenu
Les Chroniques du lac de l’Ouest
de Tian Rucheng
serpent pour mieux afficher son caractère de double
du premier (bleu ou vert selon les traductions, car il
s’agit du
caractère
qīng
青
désignant une couleur entre le vert et le bleu, voire le
noir) remonte à une autre source de la légende du Serpent
blanc. Il y avait jadis sur le mont Emei (峨嵋山)
[20]
un serpent blanc (féminin) dont était amoureux un petit
serpent vert. Le serpent blanc proposa un combat au serpent
vert : s’il était victorieux, elle consentait à l’épouser ;
sinon, le serpent vert deviendrait sa servante. Et c’est ce
qui s’est passé.
Eventail aux deux poissons, par
Badashanren 八大山人 (17e siècle)
Nommée
Xiao Qing (小青),
ce petit serpent devenu servante du serpent blanc après sa
métamorphose est venu doubler le personnage du Serpent blanc en
en reprenant certains traits : ainsi, c’est elle qui, dans
certaines versions, fait pleuvoir pour permettre la rencontre
initiale au Pont brisé. Surtout, alors que dans la version
d’origine, c’est le Serpent blanc qui menace Xu Xuan de mille
maux en lui reprochant son manque de confiance, c’est ensuite
Xiao Qing qui se charge de le vitupérer. Dans certains récits,
le Serpent blanc est obligé de protéger Xu Xuan contre sa
colère, élément narratif qui sera repris à l’opéra avec des
effets comiques accentuant le caractère froussard du jeune
homme.
Surtout,
Xiao Qing ajoute à l’histoire un aspect ambigu dont ont joué les
adaptations ultérieures, surtout en littérature et au cinéma.
Evolution des personnages et de l’histoire sous les Qing
L’histoire du Serpent blanc a beaucoup évolué
ensuite au 18ème siècle, et désormais
sous l’effet des adaptations au théâtre,
essentiellement par deux dramaturges.
La première pièce est une
pièce de type
chuanqide 1738 de Huang Tubi (黄图珌)
[21]
adaptée pour le théâtre du récit de Feng Menglong :
« La Légende de la pagode Leifeng » (《雷峰塔传奇》).
Huang Tubi a construit son récit autour de la
pagode, d’où le changement de titre, et a tout
particulièrement soigné le rôle de Xiao Qing, en
petite servante, modeste mais vive et délurée comme
dans ce type de rôle à l’opéra.
La légende de la pagode
Leifeng Leifengta chuanqi
La Pagode Leifeng de Fang Chengpei
Trente ans plus tard, dans une autre pièce de type
chuanqi intitulée de même « La Pagode
Leifeng » (《雷峰塔》)
publiée en 1771
[22],
Fang Chengpei (方成培)
a adapté la pièce antérieure et transformé à la fois
la personne de la « Dame blanche » (Bai Niangzi
白娘子)
reprise du récit de Feng Menglong et la fin de
l’histoire en donnant une part importante à la
servante devenue une sorte d’héroïne martiale,
proche des intrépides nüxia
des
chuanqi des Tang.
Le contexte de la création de la pièce n’est pas
sans importance : il s’agit d’une adaptation conçue
à la demande des marchands de sel de la Huai (两淮盐商)
pour célébrer l’anniversaire de l’impératrice
douairière dans la 36ème année du
règne de l’empereur
Qianlong (本年皇太后万寿圣节).
Elle fut
représentée en grande pompe lors de l’un des six « tours
d’inspection dans le sud » (南巡)
de l’empereur. Ce contexte explique en grande partie les
changements apportés par Feng Chengpei à la pièce.
La « Dame
blanche » n’est plus la femme dominatrice et dangereuse du récit
de Feng Menglong qui menaçait de mettre la ville à feu et à sang
si Xu Xuan ne lui obéissait pas. Fang Chengpei en fait une femme
éperdument amoureuse qui entre bien plus dans les schémas
d’histoires d’amour de jeunes lettrés et courtisanes, mais
schéma ici inversé, où la femme a le rôle dominant. Elle fait
presque pitié quand elle s’adresse en pleurs à Xu Xuan qui la
rejette : « Depuis que je suis ta femme, je ne t’ai pas fait de
ma. Alors pourquoi écoutes-tu toujours ceux qui te disent du mal
de moi ? Je suis ton épouse et dois donc te suivre, où
pourrais-je aller d’autre ? »
En même
temps, c’est un amour monstrueux, contraire à toutes les normes
établies, qui appelle donc à une lecture critique du système
éthique et social de la Chine patriarcale. La Dame blanche
ignore les lois bouddhistes autant que les impératifs
confucéens, pour n’écouter que la loi de son cœur, et même bien
plus de son corps – elle est à l’origine une immortelle
d’essence taoïste. La tragédie de cette femme est celle des
rebelles contre l’ordre établi, surtout lorsque ce sont des
femmes. Et face à elle se dresse le représentant de cet ordre
moral, et religieux, contre lequel elle s’élève : le moine Fa
Hai. C’est le moine qui devient élément diabolique, prenant sous
sa coupe un Xu Xuan qui refuse de lui obéir et prend le parti de
sa femme contre lui quand il s’aperçoit que le moine l’a trompé
et, déguisé en colporteur, lui a vendu un diadème qui est en
fait l’instrument pour subjuguer le serpent.
Fang
Chengpei a en outre donné une conclusion heureuse à sa pièce
devenue bien plus romanesque : Bai Niangzi a donné naissance à
un fils, qui, par sa piété filiale, émeut le Bouddha grâce
auquel, finalement, sa mère et sa compagne seront libérées
[23].
Cependant,
dans des versions ultérieures brodant sur cet heureux
dénouement, c’est en fait Xiao Qing qui, après des années de
perfectionnement, revient au lac de l’Ouest et parvient à
libérer celle qui est, selon ces versions, sa « sœur jurée ».
Xiao Qing prend là une identité toute autre, qui remonte aux
origines de la légende, quand elle était petit serpent (ou
poisson) amoureux du serpent blanc.
C’est
cette pièce qui a exercé une grande influence au 20e
siècle, tant à l’opéra qu’au cinéma et en littérature.
III.
Évolution de la légende au 20e siècle
Il est
frappant de voir la légende continuer à nourrir l’imagination
des écrivains et des dramaturges au début du 20e
siècle, en redonnant une nouvelle vie au Serpent blanc.
C’est
ainsi que Zhou Zuoren (周作人),
le frère de Lu Xun
(魯迅),
a défendu le personnage dans un essai intitulé « La Pagode du
Pic du Tonnerre » (Leifengta
《雷峰塔》)
publié dans un recueil paru en 1949-1950
[24].
C’était sa manière d’exorciser les fantômes honnis par la
Nouvelle Culture : en leur donnant visage humain, en les rendant
ainsi inoffensifs. Au-delà de la tendance courante en son temps
à considérer les croyances aux fantômes comme des superstitions
entravant le développement de la civilisation, Zhou Zuoren
propose de les considérer « du point de vue de l’art » : on peut
ainsi, dit-il, entrevoir dans les contes de l’étrange « les
peines et les terreurs communes à l’humanité »
[25].
Il réhabilite, en quelque sorte, le Serpent blanc comme il
réhabilite les fantômes et autres esprits peuplant la
littérature fantastique.
Il est frappant aussi que l’un des romans
autobiographiques de la trilogie que
Zhang Ailing (张爱玲)
a écrite aux Etats-Unis dans les années 1970 – avec
« Little Reunions » (《小团圆》)
et « Le Livre des mutations » (《易经》)
– soit justement intitulé « La Pagode Leifeng » (《雷峰塔》) ;
le roman était initialement la première partie du
« Livre des mutations ». La légende du Serpent blanc
n’y apparaît que comme une belle histoire racontée
aux enfants tel un conte de fées, celle d’un serpent
devenu une belle jeune femme épousant un jeune
lettré. Le roman est en fait construit autour de la
chute de la pagode comme symbole de la chute de
l’empire et de l’ordre féodal, métaphore aussi de
l’effondrement de la famille et du chaos du temps.
Et qu’est-il advenu du Serpent blanc ? demande l’un
des enfants. Il s’est échappé, leur est-il répondu.
1.
Opéra : de Tian Han à aujourd’hui
La pagode Leifeng de Zhang Ailing
C’est à
l’opéra que le Serpent blanc va renaître au milieu du 20ème
siècle, grâce au grand dramaturgeTian Han (田汉)
qui publie au tout début des années 1950 un livret d’opéra qui
fait date. Mais, au même moment, la légende subit une
métamorphose qui va dans le même sens que le livret de Tian
Han : c’était dans l’air du temps.
a)Le
précédent de Zhao Qingge
Auteure de
diverses histoires d’amour des plus célèbres livrets d’opéras,
Zhao Qingge (趙清閣/赵清阁1914-1999)
pousse à des extrêmes les caractères des personnages et leurs
relations dans sa « Légende du Serpent blanc » (Baishezhuan
《白蛇传》)
publiée à Shanghai en 1956, et rééditée en version bilingue
chinois-anglais en 1982. Elle reflète en fait l’idéologie de
l’époque. Son Fa Hai est un sombre personnage qui utilise sa
magie pour tromper les gens, sa religion ne s’élevant pas
au-dessus de la superstition. L’auteure renforce en revanche
l’amour et l’entente entre les deux époux, ainsi que la bonté du
Serpent blanc envers les hommes qu’elle protège de l’inondation
provoquée pour noyer le monastère et vaincre le moine dans le
combat de la Montagne d’or. Quant à Xiao Qing, son attachement
envers le Serpent blanc transcende les simples sentiments de
loyauté et d’affection envers une « sœur jurée ».
b)Le livret
de Tian Han
Le livret
d’opéra de Pékin adapté de la légende – et toujours intitulé
Baishezhuan (《白蛇传》)
- achevé par Tian Hanen
1952 en est l’une des versions les plus célèbres car elle a
donné lieu à de nombreuses adaptations au théâtre et au cinéma,
en plus de l’opéra. L’un des plus importants dramaturges de
gauche en Chine dans les années 1920 et 1930, puis pendant la
guerre de Résistance contre le Japon, Tian Han a poursuivi sa
carrière dans la Chine de Mao, créant la première grande école
de théâtre de Chine en 1950. Son intérêt pour la légende du
Serpent blanc, et le personnage du Serpent blanc lui-même,
remonte aux années 1920, dans le contexte des débuts du
mouvement de la Nouvelle Culture, et en particulier des idées
nouvelles concernant l’émancipation des femmes, aboutissant à la
« Modern Girl » (新女性)
exubérante et indépendante à l’image de la moga
japonaise.
En un
sens, le personnage du Serpent blanc de Tian Han, Bai Suzhen (白素贞),
est une femme moderne, forte et combattive, s’affirmant
résolument face à un mari faible, toujours prêt à céder aux
menaces ou aux belles paroles. Le dramaturge s’en explique dans
sa préface : Xu Xuan mène une lutte incessante entre son amour
et son désir de se sauver, il a bon cœur mais il est faible ;
s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de tragédie. Il
finit cependant par se libérer de sa méfiance à l’égard de sa
femme, et à comprendre la profondeur de son amour pour lui. Il
tente donc, mais sans y parvenir, de casser le bol du moine.
Outre la
modern girl des années 1920, cette forte femme qu’est le
Serpent blanc de Tian Han n’est pas sans rappeler aussi les
« filles de fer » (铁姑娘)
du maoïsme triomphant ; ou même la Li Shuangshuang (《李双双》)
de Li
Zhun (李准)
[26].
Face à elle, le moine Fa Hai est un personnage retors,
incarnation du mal. Il réussit à séparer le couple et à
emprisonner le Serpent blanc sous la pagode Leifeng ; quand elle
réussit à s’en évader, son mari et son fils sont morts depuis
longtemps. Si elle réussit à détruire la pagode, et finit donc
par être victorieuse, cette victoire a un goût amer puisqu’il
est trop tard pour qu’elle puisse la partager.
Il faut
noter que Tian Han se démarque de la version moralisante de Fang
Chenpei faisant appel au fils pour sauver sa mère, et donne au
contraire au Serpent vert, la compagne attentive et fidèle, un
rôle déterminant dans le dénouement de la pièce puisque c’est
elle qui, après une longue période de perfectionnement dans les
arts martiaux et la pratique de la magie comme une nüxia des chuanqi des Tang,
réussira à sauver le Serpent blanc. Le personnage du Serpent
vert est ainsi développé de manière ambivalente : comme un rôle
de suivante, comme dans l’opéra traditionnel chinois, avec la
truculence et la vivacité propres à ces rôles, mais aussi avec
des qualités combattives qui en font un rôle original de
wudan (武旦).
Tian Han
n’a pas supprimé tout élément fantastique, le fantastique est
inhérent à l’histoire comme dans bien d’autres livrets d’opéra
adaptés de légendes : les serpents se transforment en femmes,
des créatures célestes et démoniaques se livrent combat, le
moine déploie ses ressources magiques. Mais le fantastique est
ici au service d’une histoire bien plus profonde où l’amour est
confronté à la soif de pouvoir. Le fantastique se fond dans le
romantisme qui est l’élément finalement dominant de l’opéra.
La scène
la plus célèbre, d’ailleurs souvent représentée séparément,
celle du « Pont brisé » (《断桥》),
est d’un romantisme digne des plus grands mélodrames chinois :
le Serpent blanc et Xu Xian se retrouvent près du pont où ils se
sont rencontrés la première fois ; elle vient de remporter une
victoire durement acquise contre le moine à la bataille de la
Montagne d’or, ils se réconcilient après la tempête, le Serpent
blanc pleure d’émotion en retenant la colère de sa compagne,
furieuse de la traîtrise de cet homme lâche. L’avenir semble
leur être promis.
Typique de
l’idéologie communiste, à l’époque, faisant feu de tout bois
contre les superstitions et autres opiums du peuple, Tian Han
mène une attaque frontale contre les « trois religions »,
confucianisme, taoïsme et bouddhisme : le dompteur de serpent
s’enfuit épouvanté, le moine taoïste est tourné en ridicule, Fa
Hai devient l’esprit du mal et abuse même le peuple, alors que
le dompteur de serpents, lui, au moins, est honnête et rembourse
les honoraires indûment perçus.
Le
caractère maléfique de Fa Hai remonte à la version de la légende
popularisée dans les « Contes populaires du lac de l’Ouest ».
Dans cette version, Fa Hai était à l’origine une tortue qui
s’était cachée sous le siège du Bouddha en forme de fleur de
lotus. Profitant de son sommeil, elle réussit à lui voler ses
trois trésors - bol d’or, kasaya et bâton de méditation – et
prend la fuite. Elle se transforme ensuite en moine qui tue le
supérieur du monastère de la Montagne d’or à Zhenjiang et prend
sa place. Si Fa Hai déteste autant le Serpent blanc, c’est que
celle-ci, grâce à ses pouvoirs magiques, aide Xu Xuan à
fabriquer des médicaments pour guérir les malades atteints des
épidémies que le moine lui-même a propagées. C’est pour se
venger, en fait, qu’il capture le Serpent blanc, mais il ne fait
pas le poids face aux pouvoirs acquis par le Serpent vert après
des années de perfectionnement. Il finira dans le ventre d’un
crabe au fond du lac de l’Ouest.
c)Les
représentations, de Mei Lanfang à Zhang Huoding
L’opéra de
Tian Han est magique, non pour ses éléments de fantastique, mais
bien plutôt pour la magie avec laquelle il opère une symbiose
entre fantastique et romantisme, à travers les relations
subtiles entre les personnages, rendues par la gestuelle très
fluide de l’opéra et par la musique. Le Serpent blanc a été l’un
des derniers grands rôles de Mei Lanfang (梅兰芳)
qu’il a créé en 1955, en version kunqu, avec Yu Zhenfei (俞振飞)
dans le rôle de Xu Xian et Mei Biaojiu (梅葆玖)
dans celui du Serpent vert
[27].
Leur interprétation pleine d’humour fait ressortir les traits de
caractères des personnages : le côté timoré de Xu Xian, effrayé
par la rencontre et terrorisé par le Serpent vert qui veut se
venger de lui, le caractère martial du Serpent vert et la
sentimentalité un rien maternelle du Serpent blanc qui console
Xu Xian comme un enfant apeuré en lui disant : « N’aie pas
peur » (不要害怕).
L’opéra
sera ensuite représenté plusieurs fois jusqu’au début des années
1960, et encore en 1964 à Pékin en version opéra de Pékin, cette
fois avec Du Jinfang (杜近芳)
dans le rôle du Serpent blanc, Ye Shenglan (叶盛兰)
dans celui de Xu Xian et Dan Timing (单体明)
dans celui du Serpent vert. Élève et disciple de Mei Lanfang née
en 1932 et disparue en avril 2021, Du Jinfang était la première
femme à interpréter le rôle (son prénom signifie « près de
[Lan]fang », soulignant l’héritage qu’elle incarnait.).
L’interprétation souligne ici le caractère martial du Serpent
vert, son affection pour le Serpent blanc et son aversion
empreinte de jalousie envers Xu Xian.
Le Pont
brisé, enregistrement par la télévision en 1976, avec Du Jinfang杜近芳,
Xiao Runde
萧润德
(doublé par Ye Shenglan 叶盛兰配音)
et Dan Timing 单体明
[28]
C’est l’un des derniers grands opéras chinois écrits
et représentés avant la Révolution culturelle. Il
continue d’être mis en scène avec des interprètes
prestigieux et représenté à l’étranger. C’est le cas
de l’adaptation en opéra de Pékin « Legend of the
White Snake » (《白蛇传》)
donnée en septembre 2015 au
David H. Koch Theater du Lincoln Centre à New
York, avec la grande actrice Zhang Huoding (张火丁)
dans le rôle principal du Serpent blanc. On est ici
aux antipodes de
Zhang Huoding dans “Legend of the
White Snake”
au Lincoln Center
l’interprétation de Mei
Lanfang et de ses
élèves : Zhang Huoding fait de Bai Suzhen une femme
courageuse, en butte aux interdits de toutes sortes, mais
humaine et infiniment émouvante, tandis que le rythme
beaucoup plus rapide et marqué du tempo musical donne à
cette adaptation un caractère moderne, mais où l’on pourra
regretter la douceur du kunqu.
Legend of
the White Snake 《白蛇传》avec
Zhang Huoding
Dans ces
dernières incarnations, Bai Suzhen fait preuve d’un esprit
indépendant, en opposition à l’autoritarisme, un esprit moderne
qui transcende les schémas convenus, tandis que le Serpent vert
à ses côtés est l’image d’une sexualité ambiguë et troublante.
On a renversé la version initiale de l’histoire fondée sur les
peurs ancestrales des serpents devenus monstres terrifiants dans
l’imagination populaire, tout autant que reflétant le dédain de
Confucius pour toutes ces histoires fantastiques dont il
convenait « de ne pas parler ». L’étrange a été gommé, réintégré
au quotidien, pour devenir « l’autre », non plus terrifiant mais
intriguant, voire attachant. Et dans le même mouvement, la
pagode Leifeng dûment restaurée est devenu site remarquable du
lac de l’Ouest et lieu touristique, avec le Pont brisé
[29].
C’est
cette image démythifiée, recherchant la femme sous son
travestissement dans la légende, que se sont attachés à rendre
les auteurs chinois contemporains.
2.
Adaptations littéraires
Trois
écrivains chinois contemporains ont écrit « leur » histoire du
Serpent blanc : l’écrivaine hongkongaise Lilian Lee (Li
Bihua
李碧华),
l’écrivaine Yan
Geling (严歌苓)
et l’écrivain Li Rui (李锐).
a)1986 :
« Le Serpent vert », de Lilian Lee
« Le Serpent vert» (《青蛇》)
est l’un des trois romans écrits par Lilian Lee au
début de sa carrière sur des histoires de fantômes
ou des récits fantastiques, avec « Rouge » (《胭脂扣》),
et « La réincarnation de Pan Jinlian » (《潘金莲之前世今生》)
publiés respectivement en 1985 et 1989 et aussitôt
adaptés au cinéma, par Stanley Kwan et Clara Law.
« Green Snake » date de 1986, donc s’inscrit dans la
même veine, mais a été révisé en 1993 au moment où
le roman a été adapté au cinéma, sous le même titre,
par Tsui Hark
[30].
Comme l’indique le titre, « Le Serpent vert»
est l’histoire du Serpent blanc vue du point de vue
du Serpent vert qui en est la narratrice, à la
première personne ; c’est en quelque sorte
l’autobiographie du Serpent vert. La romancière
n’est pas tendre pour Xu Xuan : le Serpent vert
tente de le séduire elle aussi,
« Le Serpent vert » de Lilian Lee
mais elle se rend compte que ce n’est qu’un médiocre
qui n’en vaut pas la
peine et se désole que sa compagne se soit amourachée de
lui. Quand il a maîtrisé sa femme en lui mettant sur la tête
le bol du moine, il a soudain peur de subir le même sort et
s’enfuit, paniqué ; furieuse, le Serpent vert le tue d’un
coup d’épée.
Jusque-là,
le récit suivait l’histoire traditionnelle dans ses grandes
lignes, mais avec une différence marquée dans le caractère des
deux femmes : le serpent blanc aspirant à une vie d’épouse dans
l’ombre de son mari, le serpent vert étant reformatée en
séductrice, avec un clin d’œil aux deux femmes de la nouvelle de
Zhang Ailing,
« Rose
rouge, Rose blanche » (《红玫瑰与白玫瑰》).
À partir de là, cependant, le roman réserve au contraire
quelques surprises de taille, pleines d’humour. Ce n’est ni son
fils ni le Serpent vert qui sauve le Serpent blanc en la
libérant de dessous la pagode : ce sont les Gardes rouges qui
viennent démolir la pagode dans leur campagne de destruction des
« vieilleries » et des superstitions, dont celles concernant les
« serpents venimeux transformés en belles femmes » (化成美女的毒蛇).
Et l’histoire recommence : libérée, portant jeans et lunettes de
soleil, la Dame en blanc avise un jeune garçon cherchant à se
protéger de la pluie dans un pavillon près du Pont brisé et
s’apprête à l’approcher. Le Serpent vert comprend qu’il s’agit
de la réincarnation de Xu Xuan et rejoint sa compagne pour la
seconder dans cette nouvelle aventure.
Le roman a
fait l’objet d’une adaptation au cinéma, par Tsui Hark en 1993,
mais aussi au théâtre, en 2013, par la metteuse en scène
d’avant-garde du Théâtre national de Chine dont elle a été
nommée directrice en décembre 2020 : Tian
Qinxin (田沁鑫).
Elle a axé sa pièce autour du désir de Xiao Qing de connaître
l’amour comme sa compagne Suzhen ; mais elle tente de séduire le
moine Fa Hai, car de même que Suzhen a trouvé l’amour en Xu
Xian, le premier homme qu’elle a rencontré sur terre, Xiao Qing
pense que Fa Hai est celui qui doit lui apporter l’amour
puisqu’il est le premier qu’elle a rencontré au temple Jinshan
(de la Montagne d’or). Mais Fa Hai tente au contraire de se
libérer du désir pour accéder au nirvana… À la fin de sa vie,
cependant, il a une illumination et se dit qu’il devrait aimer
Xiao Qing comme le Bouddha aime toutes les créatures du monde…
Tian
Qinxin a tissé une fable subtile où les deux serpents aspirent à
devenir humaines, c’est-à-dire à connaître l’amour, tandis que
l’homme aspire à devenir Bouddha, au-delà du désir… Mais
finalement, Fa Hai choisit de devenir un mortel ordinaire dans
sa prochaine existence de façon à retrouver Xiao Qing. Son
obsession de se libérer du désir était aussi un désir.
Spécialiste des adaptations au théâtre des grands classiques de
la littérature chinoise, Tian Qinxin a montré combien la légende
peut avoir de résonnance moderne.
Hai
Le Serpent
vert
《青蛇》écrit
et mis en scène par Tian Qinxin
« Le
Serpent blanc » (《白蛇》)
est une novella (中篇小说)
de Yan Geling initialement parue dans la revue
littéraire Octobre (《十月》)
en mai 1998 et la revue lui a décerné son prix
littéraire en 2001. C’est une nouvelle extrêmement
sophistiquée qui fait intervenir trois niveaux
narratifs dans des genres différents, contant la
même histoire de divers points de vue : l’histoire
d’une danseuse célèbre pour son interprétation du
Serpent blanc, arrêtée au début de la Révolution
culturelle, emprisonnée et soumise à une enquête. Or
l’enquêteur est un jeune homme étrange, à la
personnalité ambigüe, qui crée un trouble profond
chez l’ex-danseuse.
Yan Geling joue habilement des modèles du Serpent
blanc et du Serpent vert issus de la légende – dans
la version où le Serpent vert vient sauver le
Serpent blanc, mais aussi de la tradition opératique
d’interprétation des rôles féminins par des hommes.
« Le Serpent blanc » de Yan Geling
En usant en outre de l’alternance entre modes
narratifs incluant le monologue
intérieur, Yan Geling a construit une narration subtile où
elle revisite la question du genre en renouvelant le thème
de la « femme moderne » cher à Tian Han, avec une tension
qui ne se relâche pas un instant.
c)2007 : La
Légende du Serpent blanc revisité, de Li Rui et Jiang Yun
En 2007, avec son épouse
Jiang Yun (蒋韵),
Li Rui à son tour a écrit un roman sur le thème de
la légende du Serpent blanc : « Le Monde humain : la
légende du Serpent blanc revisitée » (Renjian:
chongshu Baishe zhuan《人间.重述白蛇传》).
Le roman a fait partie d’un projet international de
relecture des mythes par des auteurs
contemporains lancé en 1999 par la maison d’édition
Canongate Books
[31].
Li Rui se plaçait comme Lilian Lee du point de vue
du Serpent vert, mais à la troisième personne et
dans une optique différente : en posant la question
de la définition de l’humain, et de la signification
de l’appartenance au monde humain, en formulant la
question vue par le Serpent vert. Pour celle-ci, la
question n’est pas tant la distinction entre homme
et être fantomatique (yāo
妖),
en fait il lui plaît d’être et l’un et l’autre, ou
mieux de n’être ni l’un ni l’autre ; ce
« La légende du Serpent blanc
revisitée »
de Li Rui et Jiang Yun
qu’elle se demande, c’est à
quoi peut bien servir d’être homme si l’on n’est pas libre.
On voit
ainsi la légende continuer sa mue, d’une époque à l’autre, d’un
auteur à l’autre, en fonction de thèmes répondant aux
préoccupations du moment en fonction de l’évolution de la
société, mais aussi de ses adaptations à l’opéra et au théâtre.
À partir du milieu du 20e siècle, mais surtout à
partir des années 1980, c’est le cinéma qui s’en est emparé et
en a donné à son tour des visions très différentes, mais
délivrant des messages se voulant universels.
- La Tour
du Pic du Tonnerre, ou La Dame Blanche, trad. Maurice Verdeille,
dans Bulletin de la Société des études indochinoises,
Saïgon, 1917, pages 53-170.
- Contes
populaires du lac de l’Ouest, illustrations de Ye Yuzhong,
éditions en Langues étrangères de Pékin, 1982 (1ère
édition). Traduction du Xihu jiahua gujin
yiji.
Le Serpent blanc pp. 13-39.
- Contes
de la Montagne sereine, traduit, présenté et annoté par Jacques
Dars, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient »,
1987. Traduction du Qingping shantang huaben, anthologie
compilée et éditée vers 1550 par Hong Pian.Texte
original en ligne :
http://www.xiexingcun.com/gudianxiaoshuo/014/index.htm
Parmi les
« contes » du recueil, deux huaben précurseurs de la
légende du Serpent blanc : « Les trois stûpas du lac de
l’Ouest » (Xihu san ta ji《西湖三塔记》)
pp. 248-265, et « Les trois monstres de Luoyang » (Luoyang
sanguai ji《洛阳三怪记》)
pp. 334-350. 陈艺冠
- A la
recherche des esprits, textes tirés du "Sou shen ji", de Gan
Bao, traduit du chinois, présenté et annotés sous la direction
de Rémi Mathieu, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de
l’Orient », 1992.
- Le
Serpent blanc de Feng Menglong, in Le Serpent blanc,
quatorze contes tirés du Jingshi Tongyan, éditions en
Langues étrangères de Pékin, 1994 (pp. 229-262)
- Aux
portes de l’enfer : récits fantastiques de la Chine ancienne,
traduits par Jacques Dars, préfacés par Paul Martin, Picquier
poche 2015.
- L’Impure
passion d’un serpent de Ueda Akinari, in Contes de pluie et
de lune, traduit du japonais, présenté et annoté par René
Sieffert, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient »,
1956 (pp. 111-138)
Bibliographie
- Le
serpent blanc en Chine et au Japon, excursions à travers les
variations d’un thème, par André Levy, in Études sur le conte
et le roman chinois, Publications de l’EFEO, 1971/82, pp.
97-113.
- Le
serpent blanc, figure de la liberté féminine, par Ho Kin-chung,
Etudes chinoises, année 1992/11-1, pp. 57-86
- « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the Demonic » by
Eugene Y. Wang 汪悅進,
in Writing and Materiality in China: Essays in Honor of
Patrick Hanan, Judith T. Zeitlin, Lydia H. Liu & Ellen
Widmer eds, (Harvard-Yenching Monograph Series, 58), Harvard
University Asia Center, 2003, pp. 502-03+ 504, 509.
Le
chapitre comporte trois parties : une première partie sur les
pagodes en général, une deuxième partie sur l’histoire de la
pagode Leifeng et sa propre symbolique, et une troisième partie
sur les liens de la pagode avec la légende du Serpent blanc.
- The
Global White Snake, Liang Luo, University of Michigan Press,
August 2021.
Les
femmes-serpents dans la littérature française
- La fée
Mélusine, issue de récits du Moyen Âge dont le
De nugis curialium (Bagatelles
de gens de cour) du Gallois Walter Map, recueil d’histoires
de revenants et anecdotes diverses datant de la fin du 12e
siècle qui n’est pas sans rappeler les recueils chinois du même
genre.
En traduction française : Contes pour les gens de cour, Gautier
Map, trad. et introduction Alan Keith Bate, éditions Brepols,
1993.
Le
Soushen ji comporte une autre histoire de serpent,
maléfique et effrayant : « Li Ji tue le serpent » (《李寄斩蛇》).
Ici il s’agit d’un serpent redoutable qui réclame le
sacrifice de jeunes filles d’un village sous peine de le
mettre à feu et à sang ; la jeune Li Ji se porte
volontaire et le tue. Le serpent se fond dans l’imagerie
du dragon.
Traduction en français : À la recherche des esprits
(récits tirés du Soushen ji), traduit, présenté
et annoté sous la direction de Rémi Mathieu,
Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient »,
1993.
[5]
Le Taiping Guangji comporte quatre
juan consacrés à des histoires de serpents
(456-459). L’histoire de Li Linfu et les serpents est au
Juan 457. Voir les textes :
[6]Li
Linfu est surtout décrit dans le « Miroir de l’histoire
pour aider le gouvernement » ou Zizhi Tongjian (《资治通鉴》)
compilé par Sima Guang au siècle suivant. Sima Guang le
dépeint comme un être vil et flagorneur, supprimant
férocement ses rivaux, et partiellement responsable du
déclin de la dynastie ayant mené à la révolte d’An
Lushan au lendemain de sa mort : comme un serpent dans
l’herbe. Il en est resté une expression pour désigner un
personnage fourbe et impitoyable comme un serpent : (kou
mi, fu jian
口密腹剑).
Il est
inclus dans le recueil « Qingping Shantang huaben »
(《清平山堂话本》),
voir Bibliographie.
[8]Les trois
pagodes ne sont pas totalement
fictives :
elles ont été construites, en face de la pagode Leifeng,
à la fin du 11e siècle, par Su Dongpo qui
était alors préfet de Hangzhou. Mais, à la fin du 15e
siècle, elles avaient été détruites par un inspecteur
furieux de la corruption des moines du monastère proche.
Elles n’existaient donc plus qu’à l’état de ruines quand
l’histoire a été éditée par Hong Pian. Elles ont été
reconstruites en 1611. L’association de la femme-serpent
avec un site lourd d’histoire ajoutait du sel au récit.
[9]
Noté par
Eugene Y. Wang dans « The Leifeng Pagoda
and the Discourse of the Demonic ». Voir Bibliographie.
[10]
L’île Guji (古迹岛),
c’est-à-dire l’île
« d’intérêt
historique », que Pu Songling situe dans la « mer de
l’Est », tandis que son personnage dit venir de Dengzhou
(登州),
autre nom de la ville de Penglai (蓬莱)
sur la côte nord du Shandong. Or
Penglai est le lieu mythique d’un paradis taoïste,
résidence des huit Immortels. La ville est célèbre pour
les mirages en mer que l’on y observe, ou observait, en
mai-juin. L’île du conte de Pu Songliing semble être
l’un de ces mirages.
[13]
Littéralement : le maître de la loi des
mers.
[14]
Selon la traduction en français de René
Sieffert, voir Bibliographie.
[15]
Ainsi, quand elle est accusée d’être un
esprit maléfique, Manago comme son modèle chinois
rétorque en montrant les preuves du contraire : bien sûr
que non qu’elle n’est pas un fantôme, elle a des
coutures à ses vêtements, et un ombre sous le soleil.
[16]
Selon cette légende, une femme repoussée
par un moine qu’elle poursuivait de ses assiduités s’est
transformée en un monstrueux serpent. Le nô qui raconte
l’histoire est intitulé Dôjô-ji.
[17]
Variante qu’explique un autre conte : c’est le nom (Xu
l’Immortel) que lui aurait donné sa mère à sa naissance.
[19]
Les deux poissons étant symbole d’amour
dans l’iconographie traditionnelle.
[20]
L’une des quatre montagnes sacrées
bouddhistes, située dans le Sichuan.
[21]
Voir « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the
Demonic » by Eugene Y. Wang 汪悅進,
in Writing and Materiality in China: Essays in Honor
of Patrick Hanan, voir Bibliographie.
Chapitre en ligne, avec une introduction sur la pagode
et son histoire – de sa construction en 976, par Qian
Hongchu (錢弘俶),
dernier souverain de l’Etat de Wu-Yue (吳越)
avant l’unification de la Chine par les Song, jusqu’à
son effondrement en 1924 :
[23]
Un siècle plus tard, une version
bouddhiste comportant morale exemplaire va encore un
peu plus loin : le fils est lauréat des examens
impériaux et obtient de l’empereur un décret ordonnant
la construction d’une arche en l’honneur de sa mère à
côté de la pagode où elle est toujours enfermée. Ce
n’est qu’ensuite qu’elle sera libérée par la compassion
du Bouddha, en continuant du ciel à veiller sur son
fils. Mais c’est tellement grotesque que cet épisode
supplémentaire n’a pas été retenu par la suite.
[24]
Publié dans le recueil « Essais au fil de
la plume après avoir mangé » (《饭后随笔》),
c’est-à-dire en fait après avoir fait pas mal de
recherches. Le recueil regroupe plus de 400 essais parus
dans la presse entre novembre 1949 et octobre 1950.
Leifengta est le n° 49.
[25]
Voir « Zhou Zuoren et les fantômes » par
Georges Be Duc, in Fantômes dans l’Extrême-Orient
d’hier et d’aujourd’hui, tome 2, sous la direction
de Vincent Durand-Dastès et Marie Laureillard, Presses
de l’Inalco, 2017.
[27]
Mei Baojiu était le fils cadet de Mei
Lanfang, seul héritier des « rôles de qingyi de l’école
Mei Lanfang » (梅派青衣)
[28]La
même scène interprétée par Du Jingfang et Dan Timing
dans les mêmes rôles mais avec le fils de Ye Shenglan,
Ye Shaolan (叶少兰),
dans le rôle de Xu Xian. [Ye Shenglan a été déclaré
droitier en 1958 et emprisonné ; il est mort de maladie
en 1978]
[29]
Dans « The Leifeng Pagoda and the
Discourse of the Demonic » (voir Bibliographie), Eugene
Y. Wang fait remonter la fascination pour la pagode au
début du 17e siècle en s’appuyant sur une
gravure de Wang Zhongxin (汪忠信)
montrant des voyageurs admirant la pagode
en ruines, ravagée par un incendie, gravure illustrant
un recueil compilé en 1609 par Yang Erzeng (楊尔曾)
« Sites merveilleux à l’intérieur des mers » (Hainei
qiguan
《海內奇观》).
C’était encore une fascination pour l’impression
d’étrange se dégageant de ces ruines, rappelant le
« romantisme des ruines », réelles ou imaginaires, au 18e
siècle, et les poèmes de Chateaubriand ou Lamartine se
promenant dans Rome la nuit, à la lueur de la lune :
Le
rayon qui blanchit ses vastes flancs de pierre,
En glissant à travers les pans flottants du lierre,
Dessine dans l’enceinte un lumineux sentier ;
On dirait le tombeau d’un peuple tout entier,
Où la mémoire, errant après des jours sans nombre,
Dans la nuit du passé viendrait chercher une ombre.
[31]
C’est dans le cadre de cette Canongate
Myth Series qu’a également été conçu le roman de
Su Tong (苏童)
« Binü ou le mythe de Meng » (《碧奴》)
publié en Chine en 2006. Mais, ensuite, le roman de Li
Rui n’a pas été retenu dans la série.