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Yan Geling 严歌苓

Présentation

I. Biographie et romans

par Brigitte Duzan, 11 février 2010, actualisé 28 mai 2021

 

Yan Geling (严歌苓) est une écrivaine et scénariste chinoise dont l’œuvre est d’une telle richesse qu’elle mériterait certainement d’être bien plus traduite, en particulier en français.

 

·         Parcours atypique, de la danse à l’écriture

 

Comme titrait un journaliste à la suite d’un colloque en 2009 [1], sa vie n’a rien à envier à ses romans (个人经历不比小说逊色). En fait, ses romans sont le reflet de sa vie.

                      

Jeunesse

 

Yan Geling est née à Shanghai en 1958, dans une famille d’intellectuels, et d’écrivains en particulier [2]. Quand on lui demande pourquoi elle a choisi d’écrire, elle répond qu’elle n’a pas choisi, que ce sont ses gènes qui ont décidé de ce qu’elle serait

 

Yan Geling (photo chinawriter)

(基因决定了自己的身份). Elle a subi l’influence de ses parents : de sa mère qui était chanteuse d’opéras traditionnels comme « La fille aux cheveux blancs » (《白毛女》), et de sa famille paternelle. 

 

Son grand-père paternel, Yan Enchun (严恩春), était parti étudier aux Etats-Unis ; il y obtint un doctorat et, à son retour en Chine, devint traducteur et professeur de littérature à l’université de Xiamen. À la fin des années 1950, jugé contre-révolutionnaire, il fut envoyé dans un camp de réforme par le travail dans le désert de Gobi ; c’est son histoire qui forme la trame du roman de Yan Geling « Le Criminel Lu Yanshi » (《陆犯焉识》).

 

Son père, Yan Dunxun (严敦勋) était lui-même écrivain et scénariste, mais aussi peintre et musicien ; il est connu sous le nom de plume de Xiao Ma (萧马) [3]. Comme beaucoup d’intellectuels à l’époque, il fut condamné comme droitiste (右派) pendant la campagne anti-droitiste de 1957 et envoyé dans l’Anhui.  Il divorça, se remariant ensuite avec une actrice, Yu Ping (俞平), qui débuta au cinéma dans un film célèbre de 1960, « Le Chant du drapeau rouge » (《红旗谱》) [4]. Yan Geling et son petit frère Yan Geping (严歌平) passèrent ainsi leurs jeunes années dans l’Anhui. Ce sont ses premiers traumatismes ; celui que lui causa le divorce de ses parents fut sans doute le plus sérieux ; on en retrouve des traces dans son œuvre, en particulier dans le personnage de He Xiaoman (何小曼), dans son roman « Fanghua » (《芳华》).

 

Passionnée de danse, elle entre à douze ans dans une troupe artistique (文工团) de l’Armée populaire de Libération basée à Chengdu ; elle est la benjamine, mais cela ne l’empêche pas d’être victime de ses « antécédents réactionnaires ». Elle a déclaré dans une interview qu’elle aurait tout fait, même les travaux les plus pénibles et les plus sales, pour gagner l’approbation et la reconnaissance de ses pairs : « Mon désir de rentrer dans le rang, dit-elle, était tel que c’en était douloureux. » Mais elle n’arrange pas les choses en tombant amoureuse, à quinze ans, d’un officier qui avait deux fois son âge ; effrayé, il remet à ses supérieurs les lettres qu’elle lui avait envoyées. Vécue comme une trahison, cette dénonciation la met en outre au ban de la troupe ; elle est interdite de danse pendant trois ans.

 

En février 1979, le bref mais sanglant conflit frontalier initié par la Chine à la frontière sino-vietnamienne [5] lui offre une issue : elle se porte volontaire pour aller travailler comme correspondante de guerre dans un hôpital de campagne sur le front [6]. Auparavant, elle était allée six fois avec sa troupe sur le plateau tibétain du Qinghai, dans l’ouest chinois, autre expérience dont on retrouve des traces dans ses récits.

 

Après avoir été transférée au département politique du corps des chemins de fer de l’armée (铁道兵政治部), elle quitte l’armée en 1983 avec le grade de lieutenant-colonel.

 

·         Débuts littéraires

 

Premières nouvelles

 

Sa brève expérience de journalisme au contact de la mort lui fait découvrir les joies de l’écriture, comme un héritage familial. Elle écrit quelques poèmes narratifs qui sont publiés dans le journal de la région militaire, dont un conte fantastique pour enfant en forme de poème publié en 1978 : « Dialogue entre un rapporteur et une carte de poker » (《量角器与扑克牌的对话》).  Puis, elle écrit quatre nouvelles qui sont publiées dans la revue littéraire Jeunesse (《青春》杂志) : « Oignons » (《葱》), « Sœur La » (《腊姐》), « Liens de sang » (《血缘》) et « Petits bureaucrates et affaires de petits bureaucrates » (《芝麻官与芝麻事》), publiées respectivement en septembre 1981, juillet 1982, septembre 1983 et février 1984.

 

Yan Geling en 1985, au moment

où elle écrit Sang vert

 

Sa première nouvelle avait pour thème les rapports mère-enfant : un soir, la voiture d’une femme, cadre de haut rang, tombe en panne ; elle rencontre alors son fils qui sort du cinéma et la ramène chez elle sur son vélo. La nouvelle insinuait que les hautes fonctions de la mère lui avaient fait perdre ses sentiments maternels. Après avoir fini de l’écrire, Yan Geling l’a envoyée à son frère qui l’a beaucoup aimée et l’a transmise à la revue Jeunesse. La rédaction a jugé le sujet et l’histoire trop sensibles, et le journal ne l’a donc pas publiée, mais, toujours par l’entremise de son frère, a envoyé à

l’auteure un appel à contribution. Peu de temps plus tard, Yan Geling a donc écrit une autre nouvelle, intitulée « As-tu besoin d’oignons verts ? » (《你需要大葱吗?), qui, cette fois-ci, a été publiée, mais sous le titre simplifié « Oignons » (《葱》).

 

La revue Jeunesse est l’une des nombreuses revues littéraires fondées à la fin des années 1970, en l’occurrence en 1979. Elle était éditée à Nankin, et le rédacteur en chef était Zhou Meisen (周梅森) qui se trouvait être un ami du frère de Yan Geling : celui-ci était en effet lui-même rédacteur de la revue « Le monde des écrivains » (《作家天地》) et habitait à Ma’anshan (马鞍山), tout près de Nankin. Zhou Meisen et lui se voyaient donc souvent. Ce sont ses encouragements qui ont poussé Yan Geling à continuer d’écrire [7].

 

En 1984, ensuite, les Éditions des lettres et des arts de l’Armée de Libération lui ont commandé un roman. C’est ainsi qu’elle a écrit et qu’a été publié son premier roman : « Sang vert » (《绿血》), sorti en février 1986 – où l’on peut déjà voir une préfiguration de ce que sera Fanghua (《芳华》) trente ans plus tard.

 

Sang vert

 

 

Scénarios

 

 

Shouhuo, la table des matières avec le scénario

Sept combattants et un zéro

 

 

C’est aussi au début des années 1980 qu’elle commence à écrire des scénarios. Elle en écrit un premier en 1980, « Sept combattants et un zéro » (《七个战士和一个零》), qui est publié en 1981 dans le troisième numéro de la revue

 

Shouhuo 1981, n°3

littéraire Shouhuo (《收获》), aux côtés de nouvelles de Zhang Kangkang (张抗抗) et de Wang Meng (王蒙). L’action se situe dans un poste militaire sur le plateau tibétain du Qinghai ; c’est donc le premier récit inspiré de la vie de Yan Geling à l’armée. Les sept combattants sont sept soldats du poste qui sauvent une géologue perdue sur le plateau. C’est elle le zéro, et la narratrice [8]..

 

Xinxian

 

L’année suivante, Yan Geling publie deux autres scénarios : « Dawa et Zhuoga » (《达娃与卓嘎》) et « Chanson sans paroles » (《无词的歌》) dont l’histoire se passe pendant la guerre de Corée. Ce second scénario est celui du film r « Les Cordes du cœur » ( Xīnxián 《心弦》), coréalisé par Ling Zhihao (凌之浩) et Xu Jihong (徐纪宏) et tourné aux studios de Shanghai, avec dans le rôle principal… Yu Ping [9].

 

 

Par ailleurs, on note sur la page de la revue Shouhuo que le scénario des « Sept combattants » est cosigné avec un dénommé Li Kewei (李克威) qu’elle avait rencontré au studio de Shanghai. Né en 1954, il était également écrivain et scénariste, mais il était surtout le fils de l’écrivain Li Zhun (李准), auteur lui-même d’une vingtaine de scénarios littéraires, et en outre grand ami du père de Yan Geling, Xiao Ma, avec lequel il travaillait au studio de Pékin. Yan Geling et Li Kewei se marient en 1986.

 

En 1986, elle devient aussi membre de l’Association des écrivains de Chine.

 

Nouvelles publications

 

En février 1987, elle publie « Les Murmures d’une femme soldat » (《女兵的悄悄话》), comme

 

Li Kewei jeune

« Sang vert » aux éditions de l’Armée populaire de Libération. Ces œuvres sont plusieurs fois primées. Dans la postface, elle écrit ce qui sonne comme une sorte de manifesto :

 

“三十岁的今天,我把‘悄悄话’自胸怀捧出,若有所得又若有所失。荒唐年代的荒唐事,我也庄严的参加进去过,荒唐与庄严就是我们青春的组成部分。但我不小看我的青春,曾经信以为真的东西,也算作信仰了。凡是信仰过的,都应当尊重。我尊重它,写下它,便是对自己青春有了交代。”

« À aujourd’hui trente ans, je prends les « murmures » de mon sein à deux mains, en en gagnant autant qu’en en perdant. J’ai solennellement participé aux absurdités d’un âge absurde, l’absurdité autant que la solennité étant des parties intégrantes de notre jeunesse. Mais je ne méprise pas pour autant la mienne. Ce que j’ai autrefois considéré comme vrai peut aussi bien être compté comme foi. Or toute foi mérite le respect. Je la respecte donc, et la note, de manière à rendre compte de ma jeunesse. »

 

En 1988, c’est une nouvelle qu’elle publie à Taiwan, « La jeune Xiao Yu » (《少女小渔》), une histoire d’immigrants illégaux aux Etats-Unis. La nouvelle sera adaptée avec succès au cinéma en 1995, par Sylvia Chang (张艾嘉), sur un scénario co-écrit par Yan Geling… et Ang Lee (李安), avec l’actrice René Liu (刘若英) dans le rôle principal [10].

 

Siao Yu

 

La Prairie au féminin, éd. Chunfeng 1998

 

En 1989 est également publié, en Chine continentale et à Taiwan, une nouvelle « moyenne » (中篇小说), « La Prairie au féminin » (《雌性的草地》), qui constitue avec ses deux précédents romans, « Sang vert » et « Les Murmures d’une femme soldat », le troisième volet de ce qu’il est convenu d’appeler la « trilogie de la femme soldat » (女兵三部曲). L’histoire se situe pendant la Révolution culturelle : c’est celle d’un peloton de sept jeunes soldates envoyées sur le plateau tibétain pour élever des chevaux pour l’armée, appelé « l’escouade de fer des gardiennes de chevaux » (铁女子牧马班) ; ces femmes ne sont cependant pas de fer, or elles n’ont quasiment rien à manger, doivent porter des uniformes masculins mal taillés, vivre sous des tentes et se défendre contre la bestialité des bergers locaux, sort inhumain et qui plus est en pure perte : l’armée n’ayant plus besoin de chevaux, l’escouade est oubliée.

 

Le récit est né de l’expérience de l’auteure qui, en 1974, est allée avec sa troupe sur le haut plateau du Qinghai pour donner des représentations aux soldats en poste dans ces régions ; c’est là qu’elle a entendu parler d’une femme qui élevait des chevaux.  C’est l’un des récits les plus atroces de Yan Geling, et celui qu’elle a longtemps dit être celui qu’elle préférait parmi tous ceux qu’elle a écrits. Le thème reviendra très souvent dans son œuvre, comme un cauchemar récurrent.

 

L’année 1989, cependant, marque un tournant dans sa vie comme dans son œuvre : tandis que son mari part travailler en Australie, elle va poursuivre des études aux Etats-Unis. Elle a trente ans, l’âge où Confucius disait avoir acquis les bases du savoir, mais six ans plus tard, il fuyait les troubles politiques de son Etat de Lu pour aller s’installer dans celui de Qi…

 

·         Vie nouvelle, œuvre nouvelle

 

Etudes à Columbia et remariage

 

Après avoir obtenu son visa en août 1989, Yan Geling part à Chicago pour préparer un master en « fiction writing » dans le College of Art de l’université Columbia. Elle obtient un doctorat, mais au prix de nombreux sacrifices : bien qu’ayant une bourse, elle doit compléter avec des petits boulots, en faisant du babysitting, la plonge dans des cafés, etc…Pendant ces années d’étude, elle reçoit aussi une demande de divorce de Li Kewei qu’elle accepte calmement. Une page est tournée.

 

Trois ans plus tard, elle fait la rencontre d’un diplomate américain, Lawrence Walker, qu’elle épouse en 1992 [11]. Cela leur vaudra une enquête en bonne et due forme du FBI, obligeant Lawrence Walker à renoncer pendant quelques années à la diplomatie. Mais Yan Geling trouve dans son nouveau foyer les conditions de paix et de stabilité dont elle a besoin pour écrire, activité qu’elle mène avec la même discipline, six heures par jour, que quand elle était à l’armée. C’est une période très prolifique, mêlant scénarios et fiction.

 

Elle devient en effet scénariste pour Hollywood [12]. Elle a dit que cela avait été le second grand tournant dans sa carrière, mais en ajoutant qu’un écrivain ne doit pas passer trop de temps à écrire des scénarios, c’est sclérosant car les deux disciplines ne demandent pas les mêmes talents : le scénario doit décrire les personnages à partir de leurs faits et gestes, le roman doit se développer grâce à l’imagination. Scénariste pour vivre, Yan Geling a surtout continué à écrire de la fiction, mais dans une optique et selon une thématique totalement différentes de celles de ses débuts, en lien avec son nouveau cadre de vie.

 

Histoires d’immigrantes chinoises

 

1. L’un des romans écrits aux Etats-Unis qui a remporté un grand succès est « Renhuan » (《人寰》) [13], publié à Taiwan, puis en Chine sous le titre « Le psychiatre est-il là ? » (《心理医生在吗? ). La narration est originale : en un long monologue, une Chinoise de quelque 45 ans, parlant un anglais hésitant, confie son passé à un psychiatre américain ; à travers les plus dures années de la période maoïste, de la Grande Famine à la fin de la Révolution culturelle, et malgré leurs désaccords, elle a toujours gardé depuis toute petite le même amour pour un ami de son père, l’oncle He.

 

On retrouve là l’amour fou d’une femme, sur fond de souffrances infligées par l’histoire, qui forme comme un leitmotiv dans son œuvre. « Renhuan » a été primé à Taiwan, par le Taiwan Times (台湾《时报》百万小说大奖), et à Shanghai par la revue Littérature de Shanghai (上海文学奖). À Taiwan, Yan Geling a été la deuxième

 

Le Psychiatre est-il là ?

écrivaine à obtenir ce prix du Taiwan Times, après Chu Tien-wen (朱天文).

 

2. Cependant, l’un des meilleurs romans de Yan Geling datant de cette période, et l’un des plus populaires, est certainement « Fusang » (《扶桑》) [14], écrit en 1995, puis traduit en anglais et publié en avril 2001 chez Hyperion sous le titre « The Lost Daughter of Happiness », le livre paraissant chez Plon l’année suivante (avec réédition en 10/18 en 2004), dans une traduction française calquée sur la traduction américaine et sous le titre identique « La Fille perdue du bonheur ».  

 

Le roman retrace l’histoire d’une prostituée chinoise nommée Fusang ; kidnappée dans son village, en Chine, elle fit partie de la première vague des immigrants chinois en Californie au moment de la ruée vers l’or et devint une célébrité à San Francisco dans les années 1870. Elle y souleva des passions, faillit mourir de la tuberculose, fut sauvée par des missionnaires chrétiennes, et s’enfuit avec un gangster.

 

Fusang, 1998 春风文艺出版社

 

Yan Geling décrit les péripéties de la vie dans les bas-fonds de la Chinatown californienne d’un personnage fascinant qui garde sous sa plume une dose bienvenue de mystère. On sent que Fusang, à quatre générations de distance, a quelque chose d’emblématique pour Yan Geling, un certain déracinement commun, le sort des émigrés à cheval sur deux cultures, jamais totalement à l’aise ni dans l’une ni dans l’autre, toujours en butte à l’intolérance et l’hostilité.  

 

Comme beaucoup d’autres, quand elle est arrivée, elle a souffert des préjudices raciaux, s’est trouvée en confrontée aux plaisanteries habituelles sur son accent, et cela a renforcé la hantise de l’exclusion qu’elle connaît depuis son enfance. « Je serai toujours une étrangère aux Etats-Unis, quel que soit le nombre de mes livres qui y deviennent des succès de librairie, a-t-elle dit lors d’une interview réalisée par la Fédération des femmes chinoises en avril 2009, et comme il est tellement pénible de s’intégrer, j’aime autant rester en marge. »

 

Dans ces cas-là, l’écriture est l’alternative salvatrice. L’histoire de Fusang est un peu l’histoire de Yan Geling, comme tous ses romans sont un peu son histoire. Dans les années 1990, c’est sa manière à elle de pratiquer la « recherche des racines » qui caractérise la littérature chinoise à l’époque (寻根文学). En même temps, c’est un roman pour lequel elle a fait de longues recherches pour coller au mieux à la réalité. C’est ce qui caractérise les nombreux romans qu’elle a écrits par la suite sur des sujets sans liens directs avec sa propre expérience, souvent à partir d’histoires qu’on lui a racontées.

 

The Banquet Bug

 

The Banquet Bug

 

L’une de ces histoires est « The Banquet Bug » (《赴宴者》), publié aux Etats-Unis en 2006 et paru en Angleterre sous le titre « The Uninvited ». Le roman a été écrit en anglais, puis traduit en chinois, par l’écrivain et dramaturge taïwanais John Sheng Kuo (郭强生) [15] et a été un bestseller tant aux Etats-Unis qu’en Chine.  

 

Yan Geling traite ici d’un thème typiquement chinois, dans un registre comique, ce qui lui assura le succès : critique de la corruption, de l'hypocrisie et du luxe ostentatoire d’une société avide d’étaler sa fortune. Un ouvrier mis à pied se retrouve bombardé journaliste. Il est à ce titre invité à de grands banquets où il se régale gratuitement, tout en percevant des indemnités de « déplacement » pour services rendus. Le désir de s'intégrer dans les hautes sphères de la société le pousse à poursuivre son imposture, fréquentant ainsi les personnalités les plus diverses, jusqu’à filer une

histoire d’amour adultère. La fin de l’histoire est prévisible : il tombe entre les mains de la police et la morale est sauve.

 

La romancière s'est inspirée d’un fait divers dont lui avait parlé son amie Chen Chong (陈冲) alors qu’elles travaillaient sur l’adaptation cinématographique de la nouvelle « Tian Yu » (《天浴》) ou « Le Bain céleste » [16]. Chen Chong avait vu un reportage à la télévision sur cette histoire. Par curiosité, Yan Geling a alors emprunté une cassette vidéo de l’émission qu’elle a trouvée très drôle. Plus tard, elle est tombée sur un article de presse qui révélait qu’à chaque banquet, il y a au moins trente à quarante parasites de ce genre. Peu à peu lui est ainsi venue l'idée d'écrire un roman satirique sur ce genre de personnage.

 

Pour rendre au mieux la réalité du monde de la presse, la romancière a rencontré de nombreux journalistes. Mieux, elle a même imité le héros de son roman. Elle s’est glissée dans deux banquets donnés dans un grand hôtel de l'avenue Chang'an, en prétendant être invitée. Personne ne l'a démasquée ni dénoncée. Elle a ainsi touché de près la passion qu'ont certains Chinois pour les festins, et les occasions qu’ils offrent d’illusoire promotion sociale, ainsi que de corruption [17].

 

C’est une tentative sans lendemain d’écrire en anglais, mais une parenthèse significative. Si Yan Geling est revenue aussitôt après à sa langue maternelle, ce roman s’intègre quand même bien dans le reste de son œuvre, par sa genèse, sa thématique et le ton ironique que l’on retrouve même dans ses récits les plus dramatiques. Même en anglais, elle ne s’est pas vraiment éloignée du cœur de son œuvre. Cependant, le retour à la langue maternelle, d’un roman à l’autre, lui a permis de peaufiner son style et son art narratif, allant jusqu’à réviser ses textes à l’occasion de rééditions : c’est l’un des éléments essentiels qui, outre le choix de ses sujets et la richesse de son imagination, contribue à la qualité de son œuvre.

 

·         Une œuvre profondément personnelle

                           

En fait, l’intérêt de ses récits tient d’abord aux sujets qu’elle choisit, et tout particulièrement à ses personnages féminins hauts en couleur, et toujours un peu marginaux, comme elle, sans doute, d’une certaine manière. Ces femmes restent en dehors des courants idéologiques, repliées sur leur famille en luttant pour la défendre ; n’ayant aucune idée de ce que peut être la raison d’Etat, elles sont bien plus guidées par la raison de leurs instincts et de leurs sentiments. Elles sont l’antithèse de l’héroïne révolutionnaire. Apparemment fragiles, elles sont en fait l’image emblématique de la résistance de l’individu contre la machine aveugle du pouvoir et l’emprise de la société, mais résistance au féminin, aussi résiliente et intangible que l’eau.

 

2006-2015 : Une décennie de romans, d’une femme à l’autre

 

Ces romans sont pour la plupart inspirés d’histoires vraies, qu’on a racontées à Yan Geling, et qu’elle a gardés en mémoire jusqu’au point où elle a ressenti le désir d’en faire un roman en ajoutant à ses recherches sur le terrain sa part d’imagination.

 

-          Mai 2006 : « L’Épopée d’une femme » (《一个女人的史诗》)

 

Ce roman annonce les grands portraits féminins qui suivent, mais lui a été inspiré en fait par sa mère. C’est l’histoire d’une femme vue en contrepoint de l’histoire de l’époque, une femme qui lutte pour ce qu’elle aime et non pour la gloire nationale. C’est en ce sens que l’épopée du titre (史诗) prend toute sa signification : avec Yan Geling, l’épopée est descendue des cintres de l’histoire, s’est faite épopée individuelle, intime et féminine.

 

Le roman a été adapté en une série télévisée de 34 épisodes diffusée en janvier et février 2009, avec deux grands interprètes dans les rôles principaux : l’actrice Zhao Wei (赵薇) [18] dans le rôle de Tian Sufei (田苏菲) et Liu Ye (刘烨) dans celui de son mari, Ouyang Yu (欧阳萸). La popularité du feuilleton a fait un peu oublier le roman, et c’est l’un des dangers de ces adaptations, télévisées ou cinématographiques, si nombreuses dans l’œuvre de Yan Geling.

 

L’Épopée d’une femme, 2006

湖南文艺出版社

 

On pourrait presque considérer ce roman comme le premier volet d’une trilogie dont les deux romans suivants seraient la suite – deux modèles de l’art narratif de Yan Geling.

 

-          Mars 2006 : « La Neuvième veuve » (《第九个寡妇》)

 

La Neuvième veuve, 2006 作家出版社

 

La neuvième veuve est l’histoire d’une orpheline – Wang Putao (王葡萄) - « achetée » enfant par une famille pour devenir l’épouse de leur fils. Dès l’introduction du roman, nous sommes dans la contre-épopée familiale : alors que, un soir de l’été 1944, huit jeunes femmes d’un village sacrifient leurs maris pour sauver des maquisards communistes des griffes des diables japonais, devenant ainsi des « veuves héroïques », Wang Putao est la seule à préférer garder son mari. Son héroïsme à elle sera sans éclat : elle sauvera son beau-père, exécuté au moment de la Réforme agraire, et le cachera dans la cave à patates douces de leur maison pendant vingt ans, sans se soucier des luttes politiques et personnelles qui divisent le village.

 

Wang Putao est une maîtresse femme à la répartie cinglante, qui remet tout le monde à sa place. Le roman marque une étape dans le style de Yan Geling : passant

d’une narration vive et enlevée à des passages poétiques d’un grand lyrisme.

 

Fruit de cinq ans de travail, le roman est inspiré d’une histoire vraie qui s’est passée dans le district de Xihua (西华县), dans le Henan, dans les années 1970, et qui a été racontée à la romancière par le frère aîné de son premier mari.

 

-          Avril 2008 : « Petite Tante Tatsuru » (《小姨多鹤》)

 

« Petite Tante Tatsuru » est l’histoire d’une jeune Japonaise née dans un village de colons japonais en Mandchourie. À la défaite du Japon, les hommes ayant été réquisitionnés, ne restent plus au village que des vieillards des femmes et des enfants, abandonnés à leur sort. Désespérant de réussir à regagner le Japon, les anciens décident un hara-kiri général. Seule Tatsuru réussit à s’enfuir. Elle est peu après achetée par un Chinois pour son fils dont la femme, après un accident, ne peut plus avoir d’enfant. Tatsuru rebaptisée Duohe, prononciation chinoise de son nom japonais, lui donnera une fille et des jumeaux, les deux femmes vivant tant bien que mal en se serrant les coudes dans l’adversité, et en tentant d’éviter que Duohe soit reconnue comme japonaise.

 

Après avoir entendu parler de cette histoire, Yan Geling est allée se documenter au Japon, dans un village d’anciens colons revenus de Mandchourie dont elle a

 

Petite tante Tatsuru, 2008 作家出版社

recueilli les témoignages. C’est encore un superbe portrait féminin, et une autre histoire d’immigrante, cette fois en Chine, mais avec autant de racisme et de xénophobie que dans l’histoire de Fusang. D’ailleurs, témoin que les temps ont à peine changé, le roman a lui aussi été adapté à la télévision, en 2012, mais, le sujet ayant été jugé trop sensible, la série a été censurée pendant trois ans. Quand elle a été enfin autorisée, la jeune Duohe était devenue… une orpheline chinoise. 

 

Entretemps Yan Geling avait écrit un roman – ou plus exactement une nouvelle « moyenne » (中篇小说) – qui, par ses personnages féminins hauts en couleur, peut aussi être rattaché à cette trilogie de romans.

 

-          Janvier 2007- Juin 2011 : « Fleurs de guerre » (《金陵十三钗》)

 

Initialement publié en janvier 2007, puis réédité en juin 2011 pour accompagner la sortie du film, « Fleurs de guerre » est désormais connu pour son adaptation au cinéma par Zhang Yimou [19]. Il reste à redécouvrir le roman et ses formidables portraits de prostituées qui sont autant d’avatars de Fusang. Le thème de la prostituée se retrouve dans beaucoup de romans ultérieurs de Yan Geling, et en particulier dans « Fanghua » (《芳华》).

 

Fleurs de guerre, 2007 中国工人出版社

 

Un Criminel nommé Lu Yanshi, 2011 作家出版社

 

-          Octobre 2011 : « Le Criminel Lu Yanshi » (《陆犯焉识》)

 

Autant que l’histoire du grand-père de Yan Geling, revue à travers le filtre de l’imagination de l’auteure, « Le Criminel Lu Yanshi » est encore l’histoire d’une femme, Feng Wanyu (冯婉瑜), fidèle contre vents et marées à l’homme auquel elle a été mariée et auquel elle voue une passion que ni le temps ni la séparation ne pourra entacher. C’est un roman d’un profond lyrisme dont seul le dernier chapitre a été adapté par Zhang Yimou pour réaliser « Coming Home » (《归来》), ce qui fausse totalement le personnage de Feng Wanyu et lui enlève toute consistance en gommant son passé [20].

 

-          Juin 2012 : « L’Auberge du mont Buyu » (《补玉山居》)

 

Ici, le personnage féminin n’est que le prétexte à une galerie de petites histoires dans le style des récits de voyageurs d’antan. Au début des années 1990, une femme qui a l’esprit d’entreprise de l’époque ouvre une auberge dans un petit village à quelques heures de la capitale ; elle attire aussitôt une foule de personnages singuliers en quête de calme. Le récit est conté par un narrateur qui est lui-même écrivain, fidèle client mais aussi conseiller de la propriétaire, et qui scrute les nouveaux arrivants pour tenter de découvrir leurs secrets.

 

« L’Auberge du Mont Buyu », c’est une Comédie humaine miniature des années 1990 en Chine. Étonnamment, c’est l’un des rares romans de Yan Geling qui n’ait été adapté ni à la télévision ni au cinéma. Il est donc moins connu, mais non moins intéressant pour autant.

 

L’Auberge du mont Buyu

 

-          Janvier 2014 : « Une ville nommée Macao » (妈阁是座城).

 

Une ville nommée Macao, 2014

人民文学出版社

 

Le récit se passe dans la ville de Macao, dépeinte comme la ville de Mazu (), déesse de la mer dont la ville tire son nom (selon une transcription par les portugais de ‘baie de Ama’, nom local de Mazu). Le roman est en sept parties, dont la première, justement, explique les origines de la ville, sans murailles, mais protégée par la déesse (妈阁,一座没有围墙的城). Le retour de la ville à la Chine en 1999 a entraîné un boom de l’industrie du jeu et des casinos, devenue en 2012 douze fois celle de Las Vegas, mais frappée de plein fouet en 2014 par la campagne anti-corruption du président Xi Jinping.

 

Après être elle-même allée jouer, la première fois à Las Vegas en 1988, Yan Geling s’est mise dans la peau d’une femme, croupier dans un casino de Macao, qui est son personnage principal. Le roman a été adapté au cinéma par la réalisatrice Li Shaohong (李少红), sur un scénario coécrit avec Yan Geling et Lu Wei (芦苇), avec

dans le rôle féminin principal l’actrice Bai Baihe (白百何). Le film « A City Called Macau » (《妈阁是座城》), sorti en juin 2019, est ainsi l’œuvre d’un trio féminin (scénario-réalisation-interprétation) qui prolonge l’écriture du roman [21].  

 

-          Avril 2015 : « Au chevet du lit » ( Chuáng pàn床畔)

 

L’histoire est située pendant la guerre sino-vietnamienne de 1979, pendant laquelle Yan Geling a été correspondante sur le front. Ce sont donc des souvenirs, comme un rêve en plein jour. Le personnage principal est une infirmière nommée Wanhong (护士万红), ce qui était le titre initial du roman. Cette infirmière est en charge d’un soldat blessé plongé dans un état végétatif, dont elle est la seule à percevoir qu’il y a encore un souffle de vie en lui. Le roman est une réflexion sur la nature de l’héroïsme, sur ceux que l’on considère comme des héros [22].

 

C’est encore un beau portait féminin, mais, en même temps, le roman annonce un retour à l’inspiration autobiographique des débuts de Yan Geling.

 

2016 : retour à la veine autobiographique

 

Au chevet du lit, 2015 长江文艺出版社

 

-          Avril 2016 : « Le Danseur de Shanghai » (上海舞男), ou « Le Danseur » (舞男)

 

Le Danseur, 2016 上海文艺出版社

 

Le roman est une exploration de la vie d’un danseur, et à travers elle des hauts et des bas de la vie d’un artiste.  Le récit est en deux parties et deux périodes, retraçant l’histoire de deux couples : d’une part, dans les années 1930, l’histoire d’amour entre le poète Shi Naiying (石乃瑛) et la danseuse A Lu (阿绿) et d’autre part, au 21e siècle, l’histoire d’amour de Zhang Beibei (张蓓蓓) pour Yang Dong (杨东), amour né dans la même salle de danse, dans l’ombre du fantôme de Shi Naiying … Deux histoires, donc, dont l’une est comme la réécriture, en miroir, de l’autre.

 

Le roman a fait l’objet d’un projet inabouti d’adaptation au cinéma, par Zhang Yishan (张一山) et Ma Sichun (马思纯), au studio de Shanghai.

 

Mais le grand roman de la seconde moitié des années 2010, c’est « Fanghua ».

 

-          Avril 2017 : « Fanghua » (芳华)

 

Initialement intitulé « Tu m’as touchée » (你触摸了我) et en grande partie autobiographique, avec des rappels de thèmes antérieurs, le roman raconte – si l’on peut dire – la vie de quelques jeunes dans une troupe de chant et de danse de l’armée de Libération chinoise pendant la Révolution culturelle, puis pendant le conflit sino-vietnamien.

 

Le roman reprend des personnages du premier roman publié par Yan Geling, « Sang vert » (《绿血》), mais puise aussi dans des souvenirs évoqués en particulier dans la « trilogie de la femme soldat ». Quant à la narratrice, c’est un double de Yan Geling qui s’appelle Xiao Suizi (萧穗子), comme le personnage de nombreuses nouvelles, et en particulier celles regroupées dans le recueil « Le dit de Suizi » (《穗子物语》) publié en avril 2005.

 

Le roman a été adapté au cinéma, par le grand réalisateur Feng Xiaogang (冯小刚), mais c’est en fait lui qui, en 2013, a demandé à Yan Geling de lui écrire un scénario car il voulait faire un film sur leur expérience commune dans une troupe de danse de l’armée de Libération dans les années 1970. Le film, « Youth » (芳华), est sorti en première internationale au festival de Toronto en octobre 2017, et en décembre en Chine [23]. Mais Yan Geling a d’abord écrit le roman, avant d’en tirer le scénario pour le film ; c’est l’un des plus complexes qu’elle a écrits, car il repose en fait sur une structure narrative « en boucle », pour ainsi dire, qui revient constamment sur ce que l’on tenait pour assuré dans la narration.

 

 « Fanghua » ne peut s’apprécier qu’en prenant en compte non seulement les romans antérieurs, mais aussi les textes plus courts car, on a tendance à l’oublier, Yan Geling a aussi écrit de nombreuses nouvelles.

(voir : II. Nouvelles et autres textes).

 

Fanghua, 2017 人民文学出版社

 

Les années 2020

 

2020 : Censurée

 

Numéro 666, 2020 人民文学出版社

 

En 2020, Yan Geling a publié un nouveau roman, « Numéro 666 » (666号》), initialement paru en avril dans la revue Littérature du peuple (《人民文学》杂志) avant d’être publié en livre en juillet chez le même éditeur. Il s’agit d’un roman qui n’est pas l’histoire d’un personnage féminin central, en réaction contre les critiques qui ont voulu lui faire endosser une identité d’écrivain féministe qu’elle a toujours récusée. Cette fois, les personnages sont des hommes, au moment de la guerre de résistance contre le Japon.

 

Elle dit avoir voulu rendre hommage à des héros injustement oubliés, mais en évitant les lourdeurs, dans un style mêlant l’humour noir et l’absurde.

 

Malheureusement, le roman n’a pas eu l’heur de plaire aux censeurs ; il a été « conseillé » aux libraires de le

retirer de leurs étagères. Il est difficile aujourd’hui de savoir où est la ligne invisible à ne pas franchir. 

  

2021 : Une petite base militaire

 

Dans le numéro de mars-avril de la revue littéraire Shouhuo (收获杂志 2021年第2 3-4), le deuxième de l’année 2021, est paru un roman intitulé « Une petite base militaire » (小站).  

 

Le roman fait suite au « Zoo de Suizi » (《穗子的动物园》), mais, si le thème est semblable, le propos et le style ne sont pas les mêmes : il y a ici un double fil narratif déroulant en parallèle l’histoire de l’homme et celle de l’animal et il s’agit en outre, chose rare chez Yan Geling, d’un roman écrit d’un point de vue masculin – celui du commandant Rong Zuxia (荣祖侠). Le récit saute du présent aux souvenirs du passé pour décrire les meilleures années du

 

Le numéro mars-avril 2021 de Shouhuo

personnage, ses rêves et sa chute, dans un style brillant soignant les détails, mais aussi très sensible.

 

« La petite base militaire » est à replacer parmi les célèbres romans « animaux » comme « The Call of the Wild » de Jack London, « The Hairy Ape » de Eugene O’Neill ou « Moby Dick » de Herman Melville. Leur caractéristique principale est d’opposer la simplicité et la pureté de l’animal au caractère dévoyé et mauvais de l’homme. Le propos de Yan Geling est différent.

 

Son roman a pour ligne narrative principale trois années de la vie de Rong Zuxia, après l’obtention de son diplôme de fin d’études de l’École des langues étrangères de l’Académie militaire à la fin des années 1980 ; il est alors envoyé sur le haut plateau (tibétain) comme commandant d’une petite base militaire d’une vingtaine de soldats. La vie est monotone, jusqu’à ce que, un jour, à 4000 mètres d’altitude, Xiaorong et le vétéran Liu Gang (老兵刘刚) tombent sur un petit ours brun blessé. Ils le ramènent à la station pour le soigner et l’appellent « Poils jaunes » (Huangmao黄毛). Le petit ours devient la mascotte des soldats qui lui apprennent à jouer, à les aider dans leurs diverses tâches et même à tirer. Pour ne pas avoir d’ennuis lors des visites d’inspection, ils tentent plusieurs fois de ramener l’ours dans la forêt, mais en vain ; finalement Xiaorong doit le donner à un cirque quand il change de poste.

 

Tout l’intérêt, cependant, tient à ce que cette ligne narrative est doublée de celle des relations entre Xiaorong et son grand-père, habilement amenée parce que l’ours Huangmao rappelle à Xiaorong l’histoire de l’ours brun Wojtek que son grand-père lui avait racontée dans son enfance. L’ours brun Wojtek est un héros de guerre [24] de la Seconde Guerre mondiale, mascotte de la 22ème compagnie de transport d’artillerie du deuxième corps d’armée polonais, incorporé dans l’armée, élevé au rang de caporal et démobilisé en 1947. Il a fini sa vie au zoo d’Edimbourg où il est mort en 1963.

 

Yan Geling dresse donc un parallèle symbolique entre les deux animaux, qui lui permet de relier l’histoire de Xiaorong à celle du grand-père en montrant combien l’héritage a été lourd. Le roman est conté sans effusion de sentiments, mais la tension se relâche à la fin, dans une dernière scène qui fait monter les larmes aux yeux. C’est à la fois une réflexion sur la relation de l’homme à la nature et aux animaux, mais aussi sur la relation père-fils [25].

 

                                                                               

II. Nouvelles et autres textes

 

III. Adaptations au cinéma et à la télévision

 


 

Traductions en français

 

- La Fille perdue du bonheur (Fusang 《扶桑》), trad. Nathalie Zimmermann, 10/18 (domaine étranger), 2004

Nota : le titre français est la traduction du titre choisi pour la traduction du roman en anglais. La traduction en français a été réalisée à partir de la traduction anglaise.

 

- Fleurs de guerre (《金陵十三钗》), tr. Chantal Chen-Andro, Flammarion (hors collection, littérature étrangère), 2013, 304 p.

Nota : il s’agit du roman dont est inspiré le film de Zhang Yimou « Flowers of War » (《金陵十三钗》) [26], d’où le titre français. La publication des traductions du roman en anglais et en français a été motivée par la sortie du film, en décembre 2011.

 

- Le Serpent blanc (《白蛇》), trad. Brigitte Duzan, L’Asiathèque, coll. “Novella de Chine”, avril 2022.

 


 


[1] Interview à Xi’an, à l’occasion du troisième colloque international des écrivains de la diaspora chinoise, article publié sur le site de l’association des écrivains de Chine le 14 septembre 2009 :

http://www.chinawriter.com.cn/news/2009/2009-09-14/76852.html

[2] Son prénom, déjà, laisse deviner ces antécédents lettrés : líng vient de fúlíng (茯苓), un champignon qui se développe sur du bois en décomposition, utilisé en médecine traditionnelle chinoise pour contrôler le qi, calmer les angoisses et les palpitations cardiaques, et généralement nourrir l’esprit et aider à endurer la faim pour prolonger la vie. Sage viatique, même symbolique, alors qu’était lancé le Grand Bond en avant…

[3] Par exemple, le troisième long métrage de Tai Gang (太纲), sorti en 1986 – « The Steel File General » (《钢锉将军》) - est adapté d’une nouvelle de lui.
En 2010, Yan Geling a repris l’un de ses scénarios pour en faire un roman : « Feurs de pêchers en fer » (
铁梨花). Il est décédé à Pékin l’année suivante, à l’âge de 81 ans.

[4] Film du grand réalisateur Ling Zifeng (凌子风), sur un scénario adapté d’un roman de Liang Bin (梁斌).
Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Ling_Zifeng.htm

[5] Pourtant baptisée « contre-attaque d’auto-défense » (中越自卫反击战).

[6] On reconnaît dans ces années à l’armée et au front pendant la guerre sino-vietnamienne l’inspiration autobiographique de son roman « Fanghua » (《芳华》).

[7] Selon un entretien de Yan Geling avec la critique littéraire Liu Yan (刘艳) publié le 28 décembre 2019 et disponible en ligne : http://k.sina.com.cn/article_1661327057_6305d6d101900lng2.html

[9] Yu Ping interprète une Coréenne qui, ayant sauvé un jeune soldat chinois blessé qui a perdu la vue, Liang Xiaofeng (黎小枫), tente de le soigner et de le réconforter : il lui rappelle son propre fils, tué avec son mari pendant la guerre. Elle lui chante un air que son fils jouait au piano, et que Xiaofeng note pour le jouer au violon… Finalement la troupe artistique dont il faisait partie le retrouve, il est soigné, et recouvre la vue … et son violon. C’est un scénario assez typique des mélodrames du cinéma chinois de l’époque, et le film est tout à fait dans cette veine, dans les mêmes couleurs légèrement pastel des pellicules de l’époque.

Xinxiang, le film  https://v.qq.com/x/cover/9oy38ll9xzz5me7/n00151mb77q.html

[10] Voir : scénarios de Yan Geling et adaptations cinématographiques de ses oeuvres, chinese movies (à venir)

[11] Elle vit aujourd’hui à Berlin avec lui, sa fille adoptive et son chien, en revenant souvent en Chine. Berlin est une ville qui lui convient étant donné qu’elle ne parle pas l’allemand et ne comprend rien de ce qui se dit autour d’elle ; cela lui permet de préserver la solitude dont elle a besoin pour écrire. Elle rappelle en cela ce qu’écrivait Rilke à la Comtesse de Solms-Laubach (le 3 août 1907) : « Depuis des semaines, sauf deux courtes interruptions, je n’ai pas prononcé une seule parole ; ma solitude se ferme enfin et je suis dans le travail comme le noyau dans le fruit. » (cité par Maurice Blanchot dans L’espace littéraire, p. 11).

[12] Elle est, depuis mai 2002, membre de la très exclusive Hollywood Writer's Guild of America.

[13] Terme tiré du « Chant des regrets éternels » (长恨歌) de Bai Juyi (白居易) et signifiant « le monde terrestre, le monde des hommes ».

[14] Un nom « lettré » : sāng désignant le mûrier, et fúsāng 扶桑 une île mythique de la littérature ancienne, désignant sans doute le Japon. Fusang, en un sens, annonce déjà la « petite tante » Tatsuru.

[15] Lui-même PhD en Drama and Performing Arts de l’université de New York.

[16] Il s’agit du film « Xiu Xiu, the Sent Down Girl » (《天浴》) sorti en 1998 :

http://www.chinesemovies.com.fr/films_Chen_Chong_Xiu_Xiu.htm

[17] Ces banquets sont l’une des cibles d’un nouvel épisode de la campagne anti-corruption de Xi Jinping fin 2020 : la campagne contre le gaspillage de nourriture dans les restaurants.

[18] Adapté en un feuilleton télévisé avec l’actrice Zhao Wei (赵薇) dans le rôle principal.

   Sur Zhao Wei : http://www.chinesemovies.com.fr/acteurs_Zhao_Wei.htm

[19] Voir l’analyse comparée du film et du roman : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Zhang_Yimou_Flowers_of_War.htm

[20] « Coming Home » est réduit à un mélo édulcoré pour être politiquement correct.

Voir l’analyse du film : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Zhang_Yimou_Coming_Home.htm

[21] Sur la réalisatrice, voir http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Li_Shaohong.htm

Sur le film « A City Called Macao », voir : III. Adaptations au cinéma et à la télévision.

Le roman est introduit par un court texte satirique présentant le personnage principal intitulé « Marchandise à perte » (péiqián huò 《赔钱货》), expression désignant les filles dans la société traditionnelle, car on pensait que les filles coûtaient plus qu’elles ne rapportaient.

Texte traduit en anglais, par Dave Haysom : « Disappointing Returns », à lire sur le site Paper Republic : https://paper-republic.org/pubs/read/disappointing-returns/

Texte original chinois : http://www.99csw.com/book/5659/198228.htm

[22] Réflexion que l’on retrouve dans la réaction de Yan Geling au terme de héros attribué au médecin Li Wenliang, mort du coronavirus à Wuhan en février 2020, dans son article « En empruntant trois mots à Tang Wan : dissimulation, dissimulation, dissimulation » (《借唐婉三字:瞒,瞒,瞒》).

[23] Voir l’analyse du film : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Feng_Xiaogang_Youth.htm

[24] Le chinois permet ici un jeu de mot, le terme héros (yīngxióng英雄), étant homophone de « ours héroïque » (). L’ours est célèbre, ses exploits sont exposés au Musée impérial de la guerre à Londres et il a des statues en bronze à Edimbourg et Cracovie.

[25] Le roman a tout de suite été bien accueilli par la critique. Voir la recension détaillée de Pan Kaixiong (潘凯雄) [vice-président du groupe China Publishing] : 苍凉中的丝丝暖意 (Quelques traces de chaleur au milieu d’une froide désolation) : https://www.sohu.com/a/407831307_173615

 

  

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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