|
Yan Geling 严歌苓
Présentation
I.
Biographie et romans
par Brigitte Duzan, 11 février
2010, actualisé 28 mai 2021
Yan Geling (严歌苓)
est une écrivaine et scénariste chinoise dont l’œuvre est d’une
telle richesse qu’elle mériterait certainement d’être bien plus
traduite, en particulier en français.
·
Parcours atypique, de
la danse à l’écriture
Comme titrait un journaliste à
la suite d’un colloque en 2009
,
sa vie n’a rien à envier à ses romans (个人经历不比小说逊色).
En fait, ses romans sont le reflet de sa vie.
Jeunesse
Yan Geling est née à Shanghai
en 1958, dans une famille d’intellectuels, et
d’écrivains en particulier
. Quand on
lui demande pourquoi elle a choisi d’écrire, elle
répond qu’elle n’a pas choisi, que ce sont ses gènes
qui ont décidé de ce qu’elle serait |
|
Yan Geling (photo chinawriter)
|
(基因决定了自己的身份).
Elle a subi
l’influence de ses parents : de sa mère qui était chanteuse
d’opéras traditionnels comme « La fille aux cheveux blancs »
(《白毛女》),
et de sa famille paternelle.
Son grand-père paternel, Yan Enchun (严恩春),
était parti étudier aux Etats-Unis ; il y obtint un doctorat et,
à son retour en Chine, devint traducteur et professeur de
littérature à l’université de Xiamen. À la fin des années 1950,
jugé contre-révolutionnaire, il fut envoyé dans un camp de
réforme par le travail dans le désert de Gobi ; c’est son
histoire qui forme la trame du roman de Yan Geling « Le
Criminel Lu Yanshi » (《陆犯焉识》).
Son père, Yan Dunxun (严敦勋)
était lui-même écrivain et scénariste, mais aussi peintre et
musicien ; il est connu sous le nom de plume de
Xiao Ma (萧马)
.
Comme beaucoup d’intellectuels à l’époque, il fut condamné comme
droitiste (右派)
pendant la campagne anti-droitiste de 1957 et envoyé dans
l’Anhui. Il divorça, se remariant ensuite avec une actrice, Yu
Ping (俞平),
qui
débuta au cinéma dans un film célèbre de 1960, « Le Chant du
drapeau rouge » (《红旗谱》). Yan Geling et son
petit frère Yan Geping (严歌平)
passèrent ainsi leurs jeunes années dans l’Anhui. Ce sont ses
premiers traumatismes ; celui que lui causa le divorce de ses
parents fut sans doute le plus sérieux ; on en retrouve des
traces dans son œuvre, en particulier dans le personnage de He
Xiaoman (何小曼),
dans son roman « Fanghua »
(《芳华》).
Passionnée de danse, elle entre à douze ans dans une troupe
artistique (文工团)
de l’Armée populaire de Libération basée à Chengdu ; elle est la
benjamine, mais cela ne l’empêche pas d’être victime de ses
« antécédents réactionnaires ». Elle a déclaré dans une
interview qu’elle aurait tout fait, même les travaux les plus
pénibles et les plus sales, pour gagner l’approbation et la
reconnaissance de ses pairs : « Mon désir de rentrer dans le
rang, dit-elle, était tel que c’en était douloureux. » Mais elle
n’arrange pas les choses en tombant amoureuse, à quinze ans,
d’un officier qui avait deux fois son âge ; effrayé, il remet à
ses supérieurs les lettres qu’elle lui avait envoyées. Vécue
comme une trahison, cette dénonciation la met en outre au ban de
la troupe ; elle est interdite de danse pendant trois ans.
En
février 1979, le bref mais sanglant conflit frontalier initié
par la Chine à la frontière sino-vietnamienne lui offre une issue :
elle se porte volontaire pour aller travailler comme
correspondante de guerre dans un hôpital de campagne sur le
front
. Auparavant, elle
était allée six fois avec sa troupe sur le plateau tibétain du
Qinghai, dans l’ouest chinois, autre expérience dont on retrouve
des traces dans ses récits.
Après avoir été transférée au département politique du corps des
chemins de fer de l’armée (铁道兵政治部),
elle quitte l’armée en 1983 avec le grade de lieutenant-colonel.
·
Débuts littéraires
Premières nouvelles
Sa
brève expérience de journalisme au contact de la mort lui fait
découvrir les joies de l’écriture, comme un héritage familial.
Elle écrit quelques poèmes narratifs qui sont publiés dans le
journal de la région militaire, dont un conte fantastique pour
enfant en forme de poème publié en 1978 : « Dialogue entre un
rapporteur et une carte de poker » (《量角器与扑克牌的对话》).
Puis, elle écrit quatre nouvelles qui sont publiées dans la
revue littéraire Jeunesse (《青春》杂志)
: « Oignons » (《葱》),
« Sœur La » (《腊姐》),
« Liens de sang » (《血缘》)
et « Petits bureaucrates et affaires de petits bureaucrates » (《芝麻官与芝麻事》),
publiées respectivement en septembre 1981, juillet 1982,
septembre 1983 et février 1984.
Yan Geling en 1985, au moment
où elle écrit Sang vert |
|
Sa première
nouvelle avait pour thème les rapports mère-enfant :
un soir, la voiture d’une femme, cadre de haut rang,
tombe en panne ; elle rencontre alors son fils qui
sort du cinéma et la ramène chez elle sur son vélo.
La nouvelle insinuait que les hautes fonctions de la
mère lui avaient fait perdre ses sentiments
maternels. Après avoir fini de l’écrire, Yan Geling
l’a envoyée à son frère qui l’a beaucoup aimée et
l’a transmise à la revue Jeunesse. La rédaction a
jugé le sujet et l’histoire trop sensibles, et le
journal ne l’a donc pas publiée, mais, toujours par
l’entremise de son frère, a envoyé à |
l’auteure un
appel à contribution. Peu de temps plus
tard, Yan Geling a donc écrit une autre nouvelle, intitulée
« As-tu besoin d’oignons verts ? » (《你需要大葱吗?》),
qui, cette fois-ci, a été publiée, mais sous le titre
simplifié « Oignons » (《葱》).
La revue
Jeunesse est l’une des nombreuses revues littéraires
fondées à la fin des années 1970, en l’occurrence en
1979. Elle était éditée à Nankin, et le rédacteur en
chef était Zhou Meisen (周梅森) qui
se trouvait être un ami du frère de Yan Geling :
celui-ci était en effet lui-même rédacteur de la
revue « Le monde des écrivains » (《作家天地》)
et habitait à Ma’anshan (马鞍山),
tout près de Nankin. Zhou Meisen et lui se voyaient
donc souvent. Ce sont ses encouragements qui ont
poussé Yan Geling à continuer d’écrire
.
En 1984,
ensuite, les Éditions des lettres et des arts de
l’Armée de Libération lui ont commandé un roman.
C’est ainsi qu’elle a écrit et qu’a été publié son
premier roman : « Sang vert » (《绿血》),
sorti en février 1986 – où l’on peut déjà voir une
préfiguration de ce que sera
Fanghua
(《芳华》) trente ans plus tard. |
|
Sang vert
|
Scénarios
|
Shouhuo, la table des matières avec
le scénario
Sept combattants et un zéro
|
|
C’est aussi
au début des années 1980 qu’elle commence à écrire
des scénarios. Elle en écrit un premier en 1980,
« Sept combattants et un zéro » (《七个战士和一个零》),
qui est publié en 1981 dans le troisième numéro de
la revue |
|
Shouhuo 1981, n°3 |
littéraire
Shouhuo (《收获》),
aux côtés de nouvelles de
Zhang Kangkang (张抗抗)
et de
Wang Meng (王蒙).
L’action se situe dans un poste militaire sur le plateau
tibétain du Qinghai ; c’est donc le premier récit inspiré de
la vie de Yan Geling à l’armée. Les sept combattants sont
sept soldats du poste qui sauvent une géologue perdue sur le
plateau. C’est elle le zéro, et la narratrice
..
Xinxian |
|
L’année
suivante, Yan Geling publie deux autres scénarios :
« Dawa et Zhuoga » (《达娃与卓嘎》)
et « Chanson sans paroles » (《无词的歌》)
dont l’histoire se passe pendant la guerre de Corée.
Ce second scénario est celui du film r « Les Cordes
du cœur » (
Xīnxián
《心弦》),
coréalisé par Ling Zhihao (凌之浩) et Xu Jihong (徐纪宏)
et tourné aux studios de Shanghai, avec dans le rôle
principal… Yu Ping
.
|
Par
ailleurs, on note sur la page de la revue Shouhuo
que le scénario des « Sept combattants » est
cosigné avec un dénommé Li Kewei (李克威)
qu’elle avait rencontré au studio de Shanghai. Né en
1954, il était également écrivain et scénariste,
mais il était surtout le fils de l’écrivain
Li Zhun (李准),
auteur lui-même d’une vingtaine de scénarios
littéraires, et en outre grand ami du père de Yan
Geling, Xiao Ma, avec lequel il travaillait au
studio de Pékin. Yan Geling et Li Kewei se marient
en 1986.
En 1986,
elle devient aussi membre de l’Association des
écrivains de Chine.
Nouvelles
publications
En février
1987, elle publie « Les Murmures d’une femme
soldat » (《女兵的悄悄话》),
comme |
|
Li Kewei jeune |
« Sang vert » aux
éditions de l’Armée populaire de Libération. Ces œuvres sont
plusieurs fois primées. Dans la postface, elle écrit ce qui
sonne comme une sorte de manifesto :
“三十岁的今天,我把‘悄悄话’自胸怀捧出,若有所得又若有所失。荒唐年代的荒唐事,我也庄严的参加进去过,荒唐与庄严就是我们青春的组成部分。但我不小看我的青春,曾经信以为真的东西,也算作信仰了。凡是信仰过的,都应当尊重。我尊重它,写下它,便是对自己青春有了交代。”
« À
aujourd’hui trente ans, je prends les « murmures » de mon sein à
deux mains, en en gagnant autant qu’en en perdant. J’ai
solennellement participé aux absurdités d’un âge absurde,
l’absurdité autant que la solennité étant des parties
intégrantes de notre jeunesse. Mais je ne méprise pas pour
autant la mienne. Ce que j’ai autrefois considéré comme vrai
peut aussi bien être compté comme foi. Or toute foi mérite le
respect. Je la respecte donc, et la note, de manière à rendre
compte de ma jeunesse. »
En
1988, c’est une nouvelle qu’elle publie à Taiwan, « La jeune
Xiao Yu » (《少女小渔》),
une histoire d’immigrants illégaux aux Etats-Unis. La nouvelle
sera adaptée avec succès au cinéma en 1995, par Sylvia Chang (张艾嘉),
sur un scénario co-écrit par Yan Geling… et Ang Lee (李安),
avec l’actrice René Liu (刘若英)
dans le rôle principal.
Siao Yu |
|
La Prairie au féminin,
éd. Chunfeng 1998 |
En
1989 est également publié, en Chine continentale et à Taiwan,
une nouvelle « moyenne » (中篇小说),
« La Prairie au féminin » (《雌性的草地》), qui constitue avec ses deux précédents romans, « Sang vert » et « Les
Murmures d’une femme soldat », le troisième volet de ce qu’il
est convenu d’appeler la « trilogie de la femme soldat »
(“女兵三部曲”).
L’histoire se situe pendant la Révolution culturelle : c’est
celle d’un peloton de sept jeunes soldates envoyées sur le
plateau tibétain pour élever des chevaux pour l’armée, appelé
« l’escouade de fer des gardiennes de chevaux » (“铁女子牧马班”) ;
ces femmes ne sont cependant pas de fer, or elles n’ont
quasiment rien à manger, doivent porter des uniformes masculins
mal taillés, vivre sous des tentes et se défendre contre la
bestialité des bergers locaux, sort inhumain et qui plus est en
pure perte : l’armée n’ayant plus besoin de chevaux, l’escouade
est oubliée.
Le
récit est né de l’expérience de l’auteure qui, en 1974, est
allée avec sa troupe sur le haut plateau du Qinghai pour donner
des représentations aux soldats en poste dans ces régions ;
c’est là qu’elle a entendu parler d’une femme qui élevait des
chevaux. C’est l’un des récits les plus atroces de Yan Geling,
et celui qu’elle a longtemps dit être celui qu’elle préférait
parmi tous ceux qu’elle a écrits. Le thème reviendra très
souvent dans son œuvre, comme un cauchemar récurrent.
L’année 1989, cependant, marque un tournant dans sa vie comme
dans son œuvre : tandis que son mari part travailler en
Australie, elle va poursuivre des études aux Etats-Unis. Elle a
trente ans, l’âge où Confucius disait avoir acquis les bases du
savoir, mais six ans plus tard, il fuyait les troubles
politiques de son Etat de Lu pour aller s’installer dans celui
de Qi…
·
Vie nouvelle, œuvre
nouvelle
Etudes à Columbia et
remariage
Après avoir obtenu
son visa en août 1989, Yan Geling part à Chicago
pour préparer un master en « fiction
writing » dans le College of Art de l’université Columbia. Elle
obtient un doctorat, mais au prix de nombreux sacrifices : bien
qu’ayant une bourse, elle doit compléter avec des petits
boulots, en faisant du babysitting, la plonge dans des cafés,
etc…Pendant ces années d’étude, elle reçoit aussi une demande de
divorce de Li Kewei qu’elle accepte calmement. Une page est
tournée.
Trois ans plus tard, elle fait la rencontre d’un diplomate
américain, Lawrence Walker, qu’elle épouse en 1992
. Cela leur vaudra
une enquête en bonne et due forme du FBI, obligeant Lawrence
Walker à renoncer pendant quelques années à la diplomatie. Mais
Yan Geling trouve dans son nouveau foyer les conditions de paix
et de stabilité dont elle a besoin pour écrire, activité qu’elle
mène avec la même discipline, six heures par jour, que quand
elle était à l’armée. C’est une période très prolifique, mêlant
scénarios et fiction.
Elle devient en effet scénariste pour Hollywood. Elle a dit que cela
avait été le second grand tournant dans sa carrière, mais en
ajoutant qu’un écrivain ne doit pas passer trop de temps à
écrire des scénarios, c’est sclérosant car les deux disciplines
ne demandent pas les mêmes talents : le scénario doit décrire
les personnages à partir de leurs faits et gestes, le roman doit
se développer grâce à l’imagination. Scénariste pour vivre, Yan
Geling a surtout continué à écrire de la fiction, mais dans une
optique et selon une thématique totalement différentes de celles
de ses débuts, en lien avec son nouveau cadre de vie.
Histoires
d’immigrantes chinoises
1. L’un des
romans écrits aux Etats-Unis qui a remporté un grand
succès est « Renhuan » (《人寰》)
, publié à
Taiwan, puis en Chine sous le titre « Le psychiatre
est-il là ? » (《心理医生在吗?
》).
La narration est originale : en un long monologue,
une Chinoise de quelque 45 ans, parlant un anglais
hésitant, confie son passé à un psychiatre
américain ; à travers les plus dures années de la
période maoïste, de la Grande Famine à la fin de la
Révolution culturelle, et malgré leurs désaccords,
elle a toujours gardé depuis toute petite le même
amour pour un ami de son père, l’oncle He.
On retrouve
là l’amour fou d’une femme, sur fond de souffrances
infligées par l’histoire, qui forme comme un
leitmotiv dans son œuvre. « Renhuan » a été
primé à Taiwan, par le Taiwan Times (台湾《时报》百万小说大奖),
et à Shanghai par la revue Littérature de Shanghai (上海文学奖).
À Taiwan, Yan Geling a été la deuxième
|
|
Le Psychiatre est-il là ? |
écrivaine à obtenir ce prix
du Taiwan Times, après
Chu Tien-wen (朱天文).
2.
Cependant, l’un des meilleurs romans de Yan Geling
datant de cette période, et l’un des plus
populaires, est certainement « Fusang »
(《扶桑》),
écrit en 1995, puis traduit en anglais et publié en
avril 2001 chez Hyperion sous le titre « The Lost
Daughter of Happiness », le livre paraissant chez
Plon l’année suivante (avec réédition en 10/18 en
2004), dans une traduction française calquée sur la
traduction américaine et sous le titre identique
« La Fille perdue du bonheur ».
Le roman
retrace l’histoire d’une prostituée chinoise nommée
Fusang ; kidnappée dans son village, en Chine, elle
fit partie de la première vague des immigrants
chinois en Californie au moment de la ruée vers l’or
et devint une célébrité à San Francisco dans les
années 1870. Elle y souleva des passions, faillit
mourir de la tuberculose, fut sauvée par des
missionnaires chrétiennes, et s’enfuit avec un
gangster. |
|
Fusang, 1998 春风文艺出版社 |
Yan Geling décrit les péripéties de la vie dans les bas-fonds de
la Chinatown californienne d’un personnage fascinant qui garde
sous sa plume une dose bienvenue de mystère. On sent que Fusang,
à quatre générations de distance, a quelque chose d’emblématique
pour Yan Geling, un certain déracinement commun, le sort des
émigrés à cheval sur deux cultures, jamais totalement à l’aise
ni dans l’une ni dans l’autre, toujours en butte à l’intolérance
et l’hostilité.
Comme beaucoup d’autres, quand elle est arrivée, elle a souffert
des préjudices raciaux, s’est trouvée en confrontée aux
plaisanteries habituelles sur son accent, et cela a renforcé la
hantise de l’exclusion qu’elle connaît depuis son enfance. « Je
serai toujours une étrangère aux Etats-Unis, quel que soit le
nombre de mes livres qui y deviennent des succès de librairie,
a-t-elle dit lors d’une interview réalisée par la Fédération des
femmes chinoises en avril 2009, et comme il est tellement
pénible de s’intégrer, j’aime autant rester en marge. »
Dans ces cas-là, l’écriture est l’alternative salvatrice.
L’histoire de Fusang est un peu l’histoire de Yan Geling, comme
tous ses romans sont un peu son histoire. Dans les années 1990,
c’est sa manière à elle de pratiquer la « recherche des
racines » qui caractérise la littérature chinoise à l’époque (寻根文学).
En même temps, c’est un roman pour lequel elle a fait de longues
recherches pour coller au mieux à la réalité. C’est ce qui
caractérise les nombreux romans qu’elle a écrits par la suite
sur des sujets sans liens directs avec sa propre expérience,
souvent à partir d’histoires qu’on lui a racontées.
The Banquet Bug
The Banquet Bug |
|
L’une de
ces histoires est « The Banquet Bug » (《赴宴者》),
publié aux Etats-Unis en 2006 et paru en Angleterre
sous le titre « The Uninvited ». Le roman a été
écrit en anglais, puis traduit en chinois, par
l’écrivain et dramaturge taïwanais John Sheng Kuo (郭强生)
et a été
un bestseller tant aux Etats-Unis qu’en Chine.
Yan Geling
traite ici d’un thème typiquement chinois, dans un
registre comique, ce qui lui assura le succès :
critique de la corruption, de l'hypocrisie et du
luxe ostentatoire d’une société avide d’étaler sa
fortune. Un ouvrier mis à pied se retrouve bombardé
journaliste. Il est à ce titre invité à de grands
banquets où il se régale gratuitement, tout en
percevant des indemnités de « déplacement » pour
services rendus. Le désir de s'intégrer dans les
hautes sphères de la société le pousse à poursuivre
son imposture, fréquentant ainsi les personnalités
les plus diverses, jusqu’à filer une |
histoire d’amour
adultère. La fin de l’histoire est prévisible : il tombe
entre les mains de la police et la morale est sauve.
La
romancière s'est inspirée d’un fait divers dont lui avait
parlé son amie Chen Chong (陈冲)
alors qu’elles travaillaient sur l’adaptation cinématographique
de la nouvelle « Tian Yu » (《天浴》)
ou « Le Bain céleste ». Chen Chong avait vu
un reportage à la télévision sur cette histoire. Par curiosité,
Yan Geling a alors emprunté une cassette vidéo de l’émission
qu’elle a trouvée très drôle. Plus tard, elle est tombée sur un
article de presse qui révélait qu’à chaque banquet, il y a au
moins trente à quarante parasites de ce genre. Peu à peu lui est
ainsi venue l'idée d'écrire un roman satirique sur ce genre de
personnage.
Pour rendre au mieux la réalité du monde de la presse, la
romancière a rencontré de nombreux journalistes. Mieux, elle a
même imité le héros de son roman. Elle s’est glissée dans deux
banquets donnés dans un grand hôtel de l'avenue Chang'an, en
prétendant être invitée. Personne ne l'a démasquée ni dénoncée.
Elle a ainsi touché de près la passion qu'ont certains Chinois
pour les festins, et les occasions qu’ils offrent d’illusoire
promotion sociale, ainsi que de corruption
.
C’est une tentative sans lendemain d’écrire en anglais, mais une
parenthèse significative. Si Yan Geling est revenue aussitôt
après à sa langue maternelle, ce roman s’intègre quand même bien
dans le reste de son œuvre, par sa genèse, sa thématique et le
ton ironique que l’on retrouve même dans ses récits les plus
dramatiques. Même en anglais, elle ne s’est pas vraiment
éloignée du cœur de son œuvre. Cependant, le retour à la langue
maternelle, d’un roman à l’autre, lui a permis de peaufiner son
style et son art narratif, allant jusqu’à réviser ses textes à
l’occasion de rééditions : c’est l’un des éléments essentiels
qui, outre le choix de ses sujets et la richesse de son
imagination, contribue à la qualité de son œuvre.
·
Une œuvre profondément
personnelle
En
fait, l’intérêt de ses récits tient d’abord aux sujets qu’elle
choisit, et tout particulièrement à ses personnages féminins
hauts en couleur, et toujours un peu marginaux, comme elle, sans
doute, d’une certaine manière. Ces femmes restent en dehors des
courants idéologiques, repliées sur leur famille en luttant pour
la défendre ; n’ayant aucune idée de ce que peut être la raison
d’Etat, elles sont bien plus guidées par la raison de leurs
instincts et de leurs sentiments. Elles sont l’antithèse de
l’héroïne révolutionnaire. Apparemment fragiles, elles sont en
fait l’image emblématique de la résistance de l’individu contre
la machine aveugle du pouvoir et l’emprise de la société, mais
résistance au féminin, aussi résiliente et intangible que l’eau.
2006-2015 : Une
décennie de romans, d’une femme à l’autre
Ces romans sont pour la plupart inspirés d’histoires vraies,
qu’on a racontées à Yan Geling, et qu’elle a gardés en mémoire
jusqu’au point où elle a ressenti le désir d’en faire un roman
en ajoutant à ses recherches sur le terrain sa part
d’imagination.
-
Mai 2006 : « L’Épopée
d’une femme »
(《一个女人的史诗》)
Ce roman
annonce les grands portraits féminins qui suivent,
mais lui a été inspiré en fait par sa mère. C’est
l’histoire d’une femme vue en contrepoint de
l’histoire de l’époque, une femme qui lutte pour ce
qu’elle aime et non pour la gloire nationale. C’est
en ce sens que l’épopée du titre (史诗)
prend toute sa signification : avec Yan Geling,
l’épopée est descendue des cintres de l’histoire,
s’est faite épopée individuelle, intime et féminine.
Le roman a
été adapté en une série télévisée de 34 épisodes
diffusée en janvier et février 2009, avec deux
grands interprètes dans les rôles principaux :
l’actrice Zhao Wei (赵薇)
dans le rôle de Tian Sufei (田苏菲)
et Liu Ye (刘烨)
dans celui de son mari, Ouyang Yu (欧阳萸).
La popularité du feuilleton a fait un peu oublier le
roman, et c’est l’un des dangers de ces adaptations,
télévisées ou cinématographiques, si nombreuses dans
l’œuvre de Yan Geling. |
|
L’Épopée d’une femme, 2006
湖南文艺出版社 |
On pourrait presque considérer ce roman comme le premier volet
d’une trilogie dont les deux romans suivants seraient la suite –
deux modèles de l’art narratif de Yan Geling.
-
Mars 2006 :
« La Neuvième veuve » (《第九个寡妇》)
La Neuvième veuve, 2006 作家出版社 |
|
La neuvième
veuve est l’histoire d’une orpheline – Wang Putao (王葡萄)
- « achetée » enfant par une famille pour devenir
l’épouse de leur fils. Dès l’introduction du roman,
nous sommes dans la contre-épopée familiale : alors
que, un soir de l’été 1944, huit jeunes femmes d’un
village sacrifient leurs maris pour sauver des
maquisards communistes des griffes des diables
japonais, devenant ainsi des « veuves héroïques »,
Wang Putao est la seule à préférer garder son mari.
Son héroïsme à elle sera sans éclat : elle sauvera
son beau-père, exécuté au moment de la Réforme
agraire, et le cachera dans la cave à patates douces
de leur maison pendant vingt ans, sans se soucier
des luttes politiques et personnelles qui divisent
le village.
Wang Putao
est une maîtresse femme à la répartie cinglante, qui
remet tout le monde à sa place. Le roman marque une
étape dans le style de Yan Geling : passant
|
d’une narration
vive et enlevée à des passages poétiques d’un grand lyrisme.
Fruit de cinq ans de travail, le roman est inspiré d’une
histoire vraie qui s’est passée dans le district de Xihua (西华县),
dans le Henan, dans les années 1970, et qui a été racontée à la
romancière par le frère aîné de son premier mari.
-
Avril 2008 :
« Petite
Tante Tatsuru » (《小姨多鹤》)
« Petite Tante Tatsuru » est l’histoire d’une jeune Japonaise née dans
un village de colons japonais en Mandchourie. À la
défaite du Japon, les hommes ayant été
réquisitionnés, ne restent plus au village que des
vieillards des femmes et des enfants, abandonnés à
leur sort. Désespérant de réussir à regagner le
Japon, les anciens décident un hara-kiri général.
Seule Tatsuru réussit à s’enfuir. Elle est peu après
achetée par un Chinois pour son fils dont la femme,
après un accident, ne peut plus avoir d’enfant.
Tatsuru rebaptisée Duohe, prononciation chinoise de
son nom japonais, lui donnera une fille et des
jumeaux, les deux femmes vivant tant bien que mal en
se serrant les coudes dans l’adversité, et en
tentant d’éviter que Duohe soit reconnue comme
japonaise.
Après avoir
entendu parler de cette histoire, Yan Geling est
allée se documenter au Japon, dans un village
d’anciens colons revenus de Mandchourie dont elle a
|
|
Petite tante Tatsuru, 2008 作家出版社 |
recueilli les
témoignages. C’est encore un superbe portrait féminin, et
une autre histoire d’immigrante, cette fois en Chine, mais
avec autant de racisme et de xénophobie que dans l’histoire
de Fusang. D’ailleurs, témoin que les temps ont à peine
changé, le roman a lui aussi été adapté à la télévision, en
2012, mais, le sujet ayant été jugé trop sensible, la série
a été censurée pendant trois ans. Quand elle a été enfin
autorisée, la jeune Duohe était devenue… une orpheline
chinoise.
Entretemps Yan Geling avait écrit un roman – ou plus exactement
une nouvelle « moyenne » (中篇小说)
– qui, par ses personnages féminins hauts en couleur, peut aussi
être rattaché à cette trilogie de romans.
-
Janvier 2007- Juin 2011 : « Fleurs
de guerre »
(《金陵十三钗》)
Initialement publié en janvier 2007, puis
réédité en juin 2011 pour accompagner la sortie du film,
« Fleurs de guerre » est désormais connu pour son adaptation au
cinéma par Zhang Yimou
.
Il reste à redécouvrir le roman et ses formidables portraits de
prostituées qui sont autant d’avatars de Fusang. Le thème de la
prostituée se retrouve dans beaucoup de romans ultérieurs de Yan
Geling, et en particulier dans « Fanghua »
(《芳华》).
Fleurs de guerre, 2007
中国工人出版社 |
|
Un Criminel nommé Lu
Yanshi, 2011 作家出版社 |
-
Octobre 2011 : « Le
Criminel Lu Yanshi »
(《陆犯焉识》)
Autant que l’histoire du grand-père de Yan Geling, revue à
travers le filtre de l’imagination de l’auteure, « Le Criminel
Lu Yanshi » est encore l’histoire
d’une femme,
Feng Wanyu (冯婉瑜),
fidèle contre vents et marées
à l’homme auquel elle a été mariée et auquel elle voue une
passion que ni le temps ni la séparation ne pourra entacher.
C’est un roman d’un profond lyrisme dont seul le dernier
chapitre a été adapté par Zhang Yimou pour réaliser « Coming
Home » (《归来》),
ce qui fausse totalement le personnage de Feng Wanyu et lui
enlève toute consistance en gommant son passé
.
-
Juin
2012 : « L’Auberge du mont Buyu » (《补玉山居》)
Ici, le personnage féminin n’est que le prétexte à
une galerie de petites histoires dans le style des
récits de voyageurs d’antan. Au début des années
1990, une femme qui a l’esprit d’entreprise de
l’époque ouvre une auberge dans un petit village à
quelques heures de la capitale ; elle attire
aussitôt une foule de personnages singuliers en
quête de calme. Le récit est conté par un narrateur
qui est lui-même écrivain, fidèle client mais aussi
conseiller de la propriétaire, et qui scrute les
nouveaux arrivants pour tenter de découvrir leurs
secrets.
« L’Auberge du Mont Buyu », c’est une Comédie
humaine miniature des années 1990 en Chine.
Étonnamment, c’est l’un des rares romans de Yan
Geling qui n’ait été adapté ni à la télévision ni au
cinéma. Il est donc moins connu, mais non moins
intéressant pour autant. |
|
L’Auberge du mont Buyu |
-
Janvier 2014 :
« Une ville nommée Macao »
(《妈阁是座城》).
Une ville nommée Macao, 2014
人民文学出版社 |
|
Le récit se
passe dans la ville de Macao, dépeinte comme la
ville de Mazu (妈祖),
déesse de la mer dont la ville tire son nom (selon
une transcription par les portugais de ‘baie de
Ama’, nom local de Mazu). Le roman est en sept
parties, dont la première, justement, explique les
origines de la ville, sans murailles, mais protégée
par la déesse (妈阁,一座没有围墙的城).
Le retour de la ville à la Chine en 1999 a entraîné
un boom de l’industrie du jeu et des casinos,
devenue en 2012 douze fois celle de Las Vegas, mais
frappée de plein fouet en 2014 par la campagne
anti-corruption du président Xi Jinping.
Après être
elle-même allée jouer, la première fois à Las Vegas
en 1988, Yan Geling s’est mise dans la peau d’une
femme, croupier dans un casino de Macao, qui est son
personnage principal. Le roman a été adapté au
cinéma par la réalisatrice Li Shaohong (李少红), sur un
scénario coécrit avec Yan Geling et Lu Wei (芦苇), avec
|
dans le rôle féminin
principal l’actrice Bai Baihe (白百何).
Le film « A City Called
Macau » (《妈阁是座城》),
sorti en juin 2019, est ainsi l’œuvre d’un trio féminin
(scénario-réalisation-interprétation) qui prolonge
l’écriture du roman
.
-
Avril 2015 : « Au chevet du lit » (
Chuáng pàn
《床畔》)
L’histoire
est située pendant la guerre sino-vietnamienne de
1979, pendant laquelle Yan Geling a été
correspondante sur le front. Ce sont donc des
souvenirs, comme un rêve en plein jour. Le
personnage principal est une infirmière nommée
Wanhong (护士万红),
ce qui était le titre initial du roman. Cette
infirmière est en charge d’un soldat blessé plongé
dans un état végétatif, dont elle est la seule à
percevoir qu’il y a encore un souffle de vie en lui.
Le roman est une réflexion sur la nature de
l’héroïsme, sur ceux que l’on considère comme des
héros
.
C’est
encore un beau portait féminin, mais, en même temps,
le roman annonce un retour à l’inspiration
autobiographique des débuts de Yan Geling.
2016 :
retour à la veine autobiographique |
|
Au chevet du lit, 2015 长江文艺出版社 |
-
Avril 2016 : « Le
Danseur de Shanghai » (《上海舞男》),
ou « Le Danseur » (《舞男》)
Le Danseur, 2016 上海文艺出版社 |
|
Le roman
est une exploration de la vie d’un danseur, et à
travers elle des hauts et des bas de la vie d’un
artiste. Le récit est en deux parties et deux
périodes, retraçant l’histoire de deux couples :
d’une part, dans les années 1930, l’histoire d’amour
entre le poète Shi Naiying (石乃瑛)
et la danseuse A Lu (阿绿)
et d’autre part, au 21e siècle,
l’histoire d’amour de Zhang Beibei (张蓓蓓)
pour Yang Dong (杨东),
amour né dans la même salle de danse, dans l’ombre
du fantôme de Shi Naiying … Deux histoires, donc,
dont l’une est comme la réécriture, en miroir, de
l’autre.
Le roman a
fait l’objet d’un projet inabouti d’adaptation au
cinéma, par Zhang Yishan (张一山)
et Ma Sichun (马思纯),
au studio de Shanghai.
Mais le
grand roman de la seconde moitié des années 2010,
c’est « Fanghua ». |
-
Avril 2017 : « Fanghua »
(《芳华》)
Initialement intitulé « Tu m’as touchée » (《你触摸了我》)
et en grande partie autobiographique, avec des rappels de thèmes
antérieurs, le roman raconte – si l’on peut dire – la vie de
quelques jeunes dans une troupe de chant et de danse de l’armée
de Libération chinoise pendant la Révolution culturelle, puis
pendant le conflit sino-vietnamien.
Le
roman reprend des personnages du premier roman publié par Yan
Geling, « Sang vert » (《绿血》),
mais puise aussi dans des souvenirs évoqués en particulier dans
la « trilogie de la femme soldat ». Quant à la narratrice, c’est
un double de Yan Geling qui s’appelle Xiao Suizi (萧穗子),
comme le personnage de nombreuses nouvelles, et en particulier
celles regroupées dans le recueil « Le dit de Suizi » (《穗子物语》)
publié en avril 2005.
Le roman a
été adapté au cinéma, par le grand réalisateur Feng
Xiaogang (冯小刚),
mais c’est en fait lui qui, en 2013, a demandé à Yan
Geling de lui écrire un scénario car il voulait
faire un film sur leur expérience commune dans une
troupe de danse de l’armée de Libération dans les
années 1970. Le film, « Youth » (《芳华》),
est sorti en première internationale au
festival de
Toronto en octobre 2017, et en décembre en Chine
. Mais
Yan Geling a d’abord écrit le roman, avant d’en
tirer le scénario pour le film ; c’est l’un des plus
complexes qu’elle a écrits, car il repose en fait
sur une structure narrative « en boucle », pour
ainsi dire, qui revient constamment sur ce que l’on
tenait pour assuré dans la narration.
« Fanghua »
ne peut s’apprécier qu’en prenant en compte
non seulement les romans antérieurs, mais aussi les
textes plus courts car, on a tendance à l’oublier,
Yan Geling a aussi écrit de nombreuses nouvelles.
(voir
:
II. Nouvelles et autres
textes). |
|
Fanghua, 2017 人民文学出版社 |
Les années 2020
2020 : Censurée
Numéro 666, 2020 人民文学出版社 |
|
En 2020,
Yan Geling a publié un nouveau roman, « Numéro 666 »
(《666号》),
initialement paru en avril dans la revue Littérature
du peuple (《人民文学》杂志) avant
d’être publié en livre en juillet chez le même
éditeur. Il s’agit d’un roman qui n’est pas
l’histoire d’un personnage féminin central, en
réaction contre les critiques qui ont voulu lui
faire endosser une identité d’écrivain féministe
qu’elle a toujours récusée. Cette fois, les
personnages sont des hommes, au moment de la guerre
de résistance contre le Japon.
Elle dit
avoir voulu rendre hommage à des héros injustement
oubliés, mais en évitant les lourdeurs, dans un
style mêlant l’humour noir et l’absurde.
Malheureusement, le roman n’a pas eu l’heur de
plaire aux censeurs ; il a été « conseillé » aux
libraires de le |
retirer de leurs
étagères. Il est difficile aujourd’hui de savoir où est la
ligne invisible à ne pas franchir.
2021 : Une petite base
militaire
Dans le
numéro de mars-avril de la revue littéraire
Shouhuo (收获杂志
2021年第2期
3-4月),
le deuxième de l’année 2021, est paru un roman
intitulé « Une petite base militaire » (《小站》).
Le roman
fait suite au « Zoo de Suizi » (《穗子的动物园》),
mais, si le thème est semblable, le propos et le
style ne sont pas les mêmes : il y a ici un double
fil narratif déroulant en parallèle l’histoire de
l’homme et celle de l’animal et il s’agit en outre,
chose rare chez Yan Geling, d’un roman écrit d’un
point de vue masculin – celui du commandant Rong
Zuxia (荣祖侠).
Le récit saute du présent aux souvenirs du passé
pour décrire les meilleures années du
|
|
Le numéro mars-avril 2021 de
Shouhuo |
personnage, ses rêves et sa
chute, dans un style brillant soignant les détails, mais
aussi très sensible.
« La petite base militaire » est à replacer parmi les célèbres
romans « animaux » comme « The Call of the Wild » de Jack
London, « The Hairy Ape » de Eugene O’Neill ou « Moby Dick » de
Herman Melville. Leur caractéristique principale est d’opposer
la simplicité et la pureté de l’animal au caractère dévoyé et
mauvais de l’homme. Le propos de Yan Geling est différent.
Son roman a pour ligne narrative principale trois années de la
vie de Rong Zuxia, après l’obtention de son diplôme de fin
d’études de l’École des langues étrangères de l’Académie
militaire à la fin des années 1980 ; il est alors envoyé sur le
haut plateau (tibétain) comme commandant d’une petite base
militaire d’une vingtaine de soldats. La vie est monotone,
jusqu’à ce que, un jour, à 4000 mètres d’altitude, Xiaorong et
le vétéran Liu Gang (老兵刘刚)
tombent sur un petit ours brun blessé. Ils le ramènent à la
station pour le soigner et l’appellent « Poils jaunes » (Huangmao
“黄毛”). Le petit ours devient la mascotte des soldats qui lui apprennent à
jouer, à les aider dans leurs diverses tâches et même à tirer.
Pour ne pas avoir d’ennuis lors des visites d’inspection, ils
tentent plusieurs fois de ramener l’ours dans la forêt, mais en
vain ; finalement Xiaorong doit le donner à un cirque quand il
change de poste.
Tout l’intérêt, cependant, tient à ce que cette ligne narrative
est doublée de celle des relations entre Xiaorong et son
grand-père, habilement amenée parce que l’ours Huangmao
rappelle à Xiaorong l’histoire de l’ours brun Wojtek que son
grand-père lui avait racontée dans son enfance. L’ours brun
Wojtek est un héros de guerre
de la Seconde Guerre
mondiale, mascotte de la 22ème compagnie de transport
d’artillerie du deuxième corps d’armée polonais, incorporé dans
l’armée, élevé au rang de caporal et démobilisé en 1947. Il a
fini sa vie au zoo d’Edimbourg où il est mort en 1963.
Yan Geling dresse donc un parallèle symbolique entre les deux
animaux, qui lui permet de relier l’histoire de Xiaorong à celle
du grand-père en montrant combien l’héritage a été lourd. Le
roman est conté sans effusion de sentiments, mais la tension se
relâche à la fin, dans une dernière scène qui fait monter les
larmes aux yeux. C’est à la fois une réflexion sur la relation
de l’homme à la nature et aux animaux, mais aussi sur la
relation père-fils.
II. Nouvelles et autres textes
III.
Adaptations au cinéma et à la télévision
Traductions en français
-
La Fille perdue du bonheur (Fusang
《扶桑》),
trad. Nathalie Zimmermann, 10/18 (domaine étranger), 2004
Nota : le titre français est la traduction du titre choisi pour
la traduction du roman en anglais. La traduction en français a
été réalisée à partir de la traduction anglaise.
-
Fleurs de guerre (《金陵十三钗》),
tr.
Chantal Chen-Andro,
Flammarion (hors collection, littérature étrangère), 2013, 304
p.
Nota : il s’agit du roman dont est inspiré le film de Zhang
Yimou « Flowers of War » (《金陵十三钗》)
,
d’où le titre français. La publication des traductions du roman
en anglais et en français a été motivée par la sortie du film,
en décembre 2011.
-
Le Serpent blanc (《白蛇》), trad.
Brigitte Duzan, L’Asiathèque, coll. “Novella de Chine”, avril
2022.
Son prénom, déjà, laisse deviner ces antécédents
lettrés : líng vient de
fúlíng
(茯苓),
un champignon qui se développe sur du bois en
décomposition, utilisé en médecine traditionnelle
chinoise pour contrôler le qi, calmer les angoisses et
les palpitations cardiaques, et généralement nourrir
l’esprit et aider à endurer la faim pour prolonger la
vie. Sage viatique, même symbolique, alors qu’était
lancé le Grand Bond en avant…
Yu Ping interprète une Coréenne qui, ayant sauvé un
jeune soldat chinois blessé qui a perdu la vue, Liang
Xiaofeng (黎小枫),
tente de le soigner et de le réconforter : il lui
rappelle son propre fils, tué avec son mari pendant la
guerre. Elle lui chante un air que son fils jouait au
piano, et que Xiaofeng note pour le jouer au violon…
Finalement la troupe artistique dont il faisait partie
le retrouve, il est soigné, et recouvre la vue … et son
violon. C’est un scénario assez typique des mélodrames
du cinéma chinois de l’époque, et le film est tout à
fait dans cette veine, dans les mêmes couleurs
légèrement pastel des pellicules de l’époque.
Xinxiang,
le
film https://v.qq.com/x/cover/9oy38ll9xzz5me7/n00151mb77q.html
Terme tiré du « Chant des regrets éternels » (《长恨歌》)
de Bai Juyi (白居易)
et signifiant « le monde terrestre, le monde des
hommes ».
Un nom « lettré » :
sāng
桑 désignant le mûrier, et
fúsāng
扶桑
une île
mythique de la littérature ancienne, désignant sans
doute le Japon. Fusang, en un sens, annonce déjà la
« petite tante » Tatsuru.
Le chinois permet ici un jeu de mot, le terme
héros (yīngxióng英雄),
étant homophone de « ours héroïque » (英“熊”).
L’ours est célèbre, ses exploits sont exposés au
Musée impérial de la guerre à Londres et il a
des statues en bronze à Edimbourg et Cracovie.
|
|