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Yin Lichuan 尹丽川

Présentation

par Brigitte Duzan, 19 avril 2020, actualisé 10 décembre 2024

 

Yin Lichuan est une poétesse chinoise née en 1973, et devenue réalisatrice en 2007.

 

   

Yin Lichuan en 2021

(photo Shenghuo 生活周刊)

 

Elle est née à Chongqing, unique fille de deux professeurs qui avaient eu deux garçons avant elle. Quand elle a un an, son père est transféré à l’université du Guizhou et la famille déménage à Guiyang, la capitale de la province, siège de l’université.  C’est donc là qu’elle passe son enfance, dans une ambiance qui devait ressembler à celle de la trilogie du Guizhou de Wang Xiaoshuai (王小帅) qui a sa part autobiographique. Et comme dans « Shanghai Dreams » (《青红》), mais la tragédie en moins, le père de Yin Lichuan tente désespérément de se faire rapatrier à Pékin, mais n’y parvient qu’en 1980.

 

Comme Yin Lichuan le raconte dans l’essai « En souvenir de Pékin » (为北京的纪念) inclus dans le recueil « 37°8 », ils n’avaient pas grand-chose à emporter, mais ils sont partis avec cents kilos de riz car le bruit courait que le riz à Pékin était hors de prix. Yin Lichuan s’est retrouvée avec sa mère dans une pièce de 9 m2 tandis que son père et ses frères étaient hébergés dans un dortoir de l’université. Telles étaient les conditions de vie dans la capitale au sortir de la Révolution culturelle. Il leur faudra attendre dix ans pour avoir enfin un appartement dans ce qui était alors un nouveau quartier résidentiel dans les faubourgs au sud-ouest du centre-ville, le district de Fengtai (丰台区) qui était encore essentiellement rural.  Elle ne s’est vraiment sentie chez elle à Pékin qu’à son retour de Paris, où elle s’est sentie plus « étrangère » que jamais.

 

Diplômée en 1996 de l’université de Pékin (北京大学) en langue et littérature françaises, elle est en effet partie poursuivre ensuite des études de cinéma à Paris ; c’est avec un diplôme de l’ESEC (École supérieure d'études cinématographiques) qu’elle rentre en Chine, en 1999.             

 

I. Entre poésie et prose

 

En août, elle organise une lecture de poésie à la mémoire de Borges à laquelle participent nombre de musiciens et poètes, dont la poétesse Zhai Yongming (翟永明) et le poète Ouyang Jianghe (欧阳江河). Le succès de l’événement et les poètes rencontrés l’incitent à écrire elle-même. Mais sa première publication est un essai qui paraît dans le numéro de janvier 2000 de la revue Furong (《芙蓉》)[1] : « Patriotisme, répression sexuelle et littérature : lettre ouverte à monsieur Ge Hong…bing » (《爱国、性压抑与文学——致葛红兵先生的公开信》)[2]. C’était une réponse ironique et mordante à un article de Ge Hongbing qui déplorait la conduite « immorale » des grands écrivains chinois du passé, y compris Lu Xun. 

 

Elle commence alors à publier des nouvelles et des poèmes dans des revues littéraires non officielles et sur internet. Elle rejoint le groupe des poètes dits « de la moitié inférieure du corps » (xiàbàn shēn 下半身), dont elle partage l’esthétique et le mode ironique et publie dans la revue du groupe fondée en 2000.

 

La poésie est son mode d’expression favori car c’est une écriture qui s’inscrit dans l’immédiat, en réaction directe, affective et émotionnelle, à l’événement et à la vie, et elle peut être publiée sur internet, donc toucher immédiatement ses lecteurs. Mais Yin Lichuan a aussi publié un roman, des nouvelles et des essais.

 

En mars 2001, elle publie un recueil d’essais et de poèmes dont le titre est emprunté au plus célèbre de ses poèmes, représentatif de la poésie « de la moitié inférieure du corps » (publié l’année précédente dans le premier numéro de la revue), un poème qui en est comme un manifeste, un rien provocateur. Il ne figure pourtant pas dans le recueil qui en a juste emprunté le titre : « Un peu plus cool » (《再舒服一些》).

 

   

Un peu plus cool 

 

《为什么不再舒服一些》
再往上一点再往下一点再往左一点再往右一点
这不是做爱 这是钉钉子
再快一点再慢一点再松一点再紧一点
这不是做爱 这是扫黄或系鞋带
再深一点再浅一点再轻一点再重一点
这不是做爱 这是按摩、写诗、洗头或洗脚
为什么不再舒服一些呢 再舒服一些嘛
再温柔一点再泼辣一点再知识分子一点再民间一点
为什么不再舒服一些

« Pourquoi t’es pas un peu plus cool »
Eh monte encore un peu puis redescends un peu va un peu à gauche puis un peu à droite
Ce n’est pas faire l’amour, ça, c’est enfoncer un clou
Oh va un peu plus vite puis ralentis un peu relâche un peu puis resserre un peu
Ce n’est pas faire l’amour, ça, c’est lutter contre la pornographie ou nouer ses lacets 
Euh va plus profond moins profond un peu plus léger un peu plus appuyé
Ce n’est pas faire l’amour, ça, c’est du massage, écrire un poème, se laver les cheveux ou les pieds
Pourquoi t’es pas un peu plus cool  détends-toi un peu
Sois un peu plus doux un peu plus audacieux un peu plus intellectuel un peu plus peuple
Pourquoi
t’es pas un peu plus cool.

 

Quatre des onze nouvelles de ce recueil ont été traduites en français et publiées en 2006 aux éditions Philippe Picquier sous le titre de la première qui sert d’introduction au recueil, avec valeur emblématique : « Comment m’est venue ma philosophie de la vie » (《是谁教给我生活的道理》)[3]. Les trois autres sont empreintes d’un humour un peu décalé qui rappelle autant Han Dong (韩东) que Li Hongqi (李红旗), autre membre du groupe « de la moitié inférieure du corps » avant de devenir lui aussi cinéaste : « Amours clandestines » (《偷情》), « Treize pièces éparses » (《十三不靠》) et « Sunzi cherche son père » (《孙子找爸爸》).

 

Elle est alors célèbre, d’autres poètes du groupe lui dédient des poèmes. Mais cette célébrité ne va pas sans tension. Un critique appelle sa poésie du « rock soft » (en référence au hard rock), en référence à l’expérience confuse et amère de la vie urbaine dissolue qu’elle évoque. En même temps, elle prête le flanc à la critique, dans le contexte de la polémique contre les měinǚ zuòjiā (美女作家), les « belles écrivaines » portées au pinacle à l’époque pour leur liberté de ton et d’expression, les Mian Mian (棉棉), Wei Hui (卫慧) et autres, dont les écrits ont été qualifiés de « lājī wénxué » (垃圾文学), littérature de caniveau, par le célèbre sinologue allemand Wolfgang Kubin. C’était leur faire bien d’honneur, il s’agissait surtout d’un phénomène de société. Mais Yin Lichuan est souvent citée comme exemple dérangeant de cette littérature provocatrice mettant le sexe en exergue et frisant juste la vulgarité. Il lui faudra s’en détacher.

 

L’année suivante, en avril 2002, elle publie un roman, « Parias » (jiànrén《贱人》)[4], dans un style inspiré, selon ses dires, de Zhu Wen (朱文) et Han Dong (韩东), mais dont les personnages rappellent aussi beaucoup les « Beijing Bastards » (《北京杂种》) de Zhang Yuan (张元), la musique en moins.

 

Le roman est suivi en septembre 2003 d’un recueil d’essais (随笔集) intitulé « 37°8 », avec une autre profession de foi :

这些被我们女强人锁进百宝箱的杂碎,我们才不投河,我们等着收青春的尸。

[regardez] tous ces menus trésors que nous, fortes femmes, avons enfermés dans nos coffres,

Nous n’allons plus nous jeter à l’eau, nous attendons de récupérer le cadavre de notre jeunesse.

 

Trainée 

 

 37°8

 

En 2004, elle publie une biographie romancée, écrite avec le musicien Shen Lihui (沈黎晖), du célèbre réalisateur japonais de films d’animations Hayao Mizayaki : « Le Monde sensoriel de Miyazaki » (《宫崎骏的感官世界》). L’histoire commence en 1943, quand un enfant japonais regarde dans un cinéma un film d’animation venu de Chine ; profondément impressionné, il décide de créer son propre univers de l’animation, un univers japonais.

 

En septembre 2006, Yin Lichuan publie encore « Cent raisons de (sur)vivre à Pékin » (《在北京生存的100个理由》) et, en octobre 2007, le recueil de poèmes « La peinture n’est pas encore sèche » (《油漆未乾》).

 

   

La peinture n’est pas encore sèche

 

Elle se tourne alors vers le cinéma et réalise son premier film…

 

II. De la poésie au cinéma

 

Elle réalise trois films entre 2007 et 2011.

 

Voir : https://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Yin_Lichuan.htm

 

 

                III. Entre cinéma et poésie

 

En 2012, dans un contexte de plus en plus difficile où s’amenuise en Chine la marge de liberté laissée aux cinéastes (tout particulièrement), Yin Lichuan revient vers la poésie et l’écriture, et en avril 2015 publie un nouveau recueil de poèmes : « La grande porte » (《大门》) – hommage déguisé au groupe de rock américain The Doors.

  

   

La grande porte

 

Puis, au sortir de l’épidémie de covid, elle réalise un nouveau film inspiré d’une histoire vraie, qui s’inscrit dans un mouvement feutré de libération de la femme dans une Chine qui ne leur demande que de se marier et de faire des enfants : « Like a Rolling Stone » (《出走的决心》). Incisif et remarquablement bien interprété, le film a été un succès inattendu au box-office chinois en septembre 2024 et continue de susciter de vives réactions.

 

Parallèlement, en octobre 2024, Yin Lichuan a publié une sélection de 70 poèmes écrits à partir de 2000, y compris pendant qu’elle travaillait sur ses films : « Les bonnes intentions d’un salaud » (《混蛋的好心》).

 

   

Les bonnes intentions d’un salaud

 


 

Traductions en anglais

 

- Poems, tr. Maghiel van Crevel, The Drunken Boat, Spring/Summer 2006

- Poems by Yin Lichuan, tr. Steve Bradbury, Jacket2, 2011

En ligne : https://jacket2.org/poems/poems-yin-lichuan

- Karma, selected poems in bilingual edition, tr. Fiona Sze-Lorrain, Tolsun Books, 2020.

  (malheureusement épuisé et introuvable)

 


 

Traduction en français

 

Comment m’est venue ma philosophie de la vie, recueil de nouvelles, trad. Hélène Oskanian, éd. Philippe Picquier, 2006.


 

[1] Revue littéraire bimensuelle du Hunan créée en 1980.

[2] Selon Joanna Krenz, « Making Names and Saving Names  » (In Search of Singularity, Brill, 2022, chap. 5)

L’article était sur le site de l’université de Wuhan mais a été supprimé.

[3] Littéralement : de qui me viennent mes principes de vie ? de qui est-ce que je tiens la raison de mon existence ?

[4] Jiàn signifie d’abord bon marché, et par conséquent misérable, y compris au sens de méprisable. Jiànrén désigne au départ des gens de basse extraction dans les classiques comme le Livre des Rites (《礼记》). Dans le roman de Yin Lichuan, ce sont toutes sortes de marginaux, les exclus du système. Comme les intouchables en Inde (jiànmín 贱民).

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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