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				Brève histoire du 
				wuxia xiaoshuo  
				I. Origines : des 
				Royaumes combattants à la dynastie des Tang 
				       
				I.3a 
				Apparition de la nüxia sous les Tang : Nie Yinniang et 
				Hongxian 
				par Brigitte Duzan, 03 janvier 
				2014, actualisé 24 mars 2016       
				A côté de l’imagerie 
				très spécifique du xia, développée au long d’une 
				évolution romanesque à partir de la réalité des Royaumes 
				combattants, la littérature de wuxia est marquée par une 
				autre figure qui lui est complémentaire comme le yin l’est au 
				yang, son image au féminin : la nüxia (女侠), 
				terme tout aussi intraduisible que son homologue masculin. 
				       
 
				          
				La nüxia, image 
				fantasmée 
				       
				La nüxia a mis 
				du temps à se matérialiser sous une forme littéraire concrète : 
				elle apparaît au neuvième siècle, dans les chuanqi des 
				Tang, période clef pour le développement de la littérature de 
				wuxia et de l’imaginaire qui lui est lié.  
				       
				Reflet de temps 
				troublés 
				       
				La nüxia est 
				sans doute le reflet de temps troublés, où la violence était 
				omniprésente, tout autant qu’à l’époque des Royaumes 
				combattants, violence récurrente à chaque interlude dynastique, 
				mais pas seulement : l’Empire était en lutte permanente, contre 
				les « barbares » aux portes, et contre les rébellions à 
				l’intérieur. Sous les Tang, pourtant célébrée comme période de 
				faste et de stabilité, les révoltes et les troubles se 
				multiplient ; 
				comme le dit un commentateur : 
				唐朝是一个任侠使气的好年代,天下侠客,如雨后小蘑菇到处都是... 
				La dynastie des 
				Tang a été une époque propice où la colère a généré les xia, qui 
				se sont multipliés comme des champignons après la pluie. 
				       
				Le point culminant en 
				est la révolte d’An Lushan (安史之乱), 
				de 755 à 763, qui ébranle le pouvoir central et amorce le déclin 
				de la dynastie qui ne se remettra pas de ces huit ans de chaos.
				 
				       
				Les chuanqi du 
				neuvième siècle sont écrits au lendemain de cet épisode 
				dramatique qui se traduit aussi en un désastre humain (1), et 
				ils y font référence ; c’est même le cadre narratif implicite de 
				beaucoup de ces récits qui font apparaître, comme par 
				enchantement, des personnages de femmes dotées de pouvoirs 
				exceptionnels, capables d’accomplir des missions salvatrices. 
				Comme le xia,  la
				nüxia 
				est à l’origine née d’événements réels, mais transformée par la 
				fiction.  
				       
				  
				Il ne faut cependant 
				pas la confondre avec les combattantes émérites, filles ou 
				épouses de généraux comme celles de la famille Yang (杨家将), 
				ou les héroïnes filiales à la Hua Mulan (花木兰), 
				dont la littérature ultérieure rend compte en termes laudatifs 
				car elles sont les dignes piliers de la société patriarcale 
				traditionnelle. Elles combattent un temps, mais restent mères, 
				épouses et filles. Elles peuvent même aller jusqu’à défier de 
				valeureux combattants pour les forcer à les épouser une fois 
				vaincus.  
				       
				Pouvoirs 
				surnaturels, esprit indépendant 
				       
				Rien de tout cela chez 
				la nüxia des chuanqi. D’abord, elle n’est pas une 
				combattante sur le champ de bataille ; ses combats sont 
				personnels, et ses missions généralement remplies pour la 
				défense d’une cause, qui reste idéaliste même si elle est 
				souvent intime. 
				       
				Ce qui caractérise 
				ensuite la nüxia, ce sont ses pouvoirs magiques, son 
				arsenal de potions et pilules qui lui confèrent des capacités 
				martiales hors du commun, comme s’il fallait pouvoir expliquer 
				comment un faible corps de femme pouvait acquérir une résistance 
				et une force capables de l’affranchir de la pesanteur ordinaire 
				pour lui faire franchir des murs d’un bond et des centaines de 
				lis d’une seule traite. La nüxia est une création de 
				l’imaginaire taoïste, et qui le restera même quand ses pilules 
				seront délaissées pour la maîtrise du souffle - du qi. 
				       
				Mais la 
				caractéristique essentielle de la nüxia telle qu’elle 
				apparaît initialement dans les chuanqi, c’est sa liberté, 
				sa capacité fondamentale à s’abstraire des normes et des 
				conventions, sociales et familiales. Si elle reflète sans doute 
				la liberté – relative – dont jouissait la femme dans la société 
				des Tang, elle traduit surtout le rêve, le fantasme de 
				l’imaginaire en période de troubles, mais c’est un fantasme à 
				l’identité ambiguë qui lui donne toute sa subtile profondeur.
				 
				     
				  
				La nüxia est 
				salvatrice, elle lutte contre le désordre et l’injustice ; en 
				même temps, cependant, elle est, de par son indépendance même, 
				et parce qu’elle est femme, se voulant indépendante, un défi à 
				l’ordre de la société traditionnelle. La nüxia est un 
				électron libre et, à l’origine, sous les Tang, dénuée de toute 
				émotion ; l’émotion viendra plus tard, sous les Song, sous 
				l’influence d’autres genres littéraires.  
				       
				Dans les chuanqi, 
				c’est la tension née de cette identité ambiguë qui fait la force 
				de ces personnages : formée pour agir (et tuer), la nüxia 
				disparaît quand elle a achevé sa mission, on ne sait où, mais le 
				plus souvent dans quelque caverne d’immortel taoïste. Les récits 
				eux-mêmes sont écrits dans un style qui traduit la tension entre 
				le réalisme des descriptions factuelles et le surnaturel des 
				éléments de l’histoire qui sont justement là pour la rendre 
				crédible.... les nüxia sont des personnages de légende, 
				mais ancrés dans la réalité (2). 
				       
				Deux grandes figures de
				nüxia émergent de ce neuvième siècle fécond, véritables 
				prototypes d’un modèle qui a ensuite évolué au cours des siècles 
				avant d’être repris au cinéma : Nie Yinniang (聶隱娘)
				et Hongxian (红线).
				 
				       
 
				            
				Nie Yinniang 
				      
					
						| 
				Nie Yinniang (聶隱娘) 
				apparaît dans un recueil de chuanqi en trois tomes de la 
				fin des Tang, attribué à 
				Pei Xing 
				(裴铏), 
				dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il a vécu de 825 à 880 
				et a occupé un certain nombre de postes officiels, dont celui de 
				gouverneur adjoint de Chengdu à la fin de sa vie, en 878. Ses 
				chuanqi, en revanche, sont célèbres et documentés. 
				       
				Parmi les 
				plus connus, « L’esclave de Kunlun » (《昆仑奴》) 
				dresse le portrait d’un xia haut en couleur : serviteur 
				(plutôt qu’esclave), originaire des contrées limitrophes de 
				l’empire, son principal fait d’arme étant de ramener à son 
				maître la jeune femme qu’il veut épouser, devenue concubine d’un 
				riche et puissant fonctionnaire de la cour, et de les conduire 
				tous deux en sécurité en franchissant murs et obstacles en les 
				portant sur son dos, avant de disparaître (3).  
				       
				Xia 
				teinté de taoïsme et mâtiné de barbare, le serviteur de 
				Kunlun est déjà original ; Nie Yinniang l’est bien plus encore.
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						Nie Yinniang |  
				       
				
				L’histoire de Nie Yinniang par Pei Xing 
				       
				Comme 
				beaucoup de chuanqi de la fin des Tang, l’histoire se 
				passe pendant l’ère zhenyuan (唐朝贞元年间) 
				[785-804],
				c’est-à-dire à 
				la fin du long règne de l’empereur Dezong (唐德宗) : 
				un empereur qui tenta de renforcer les finances impériales et de 
				réduire le pouvoir des gouverneurs militaires, ce 
				qui conduisit à des révoltes qui affaiblirent encore le pays. Le 
				récit est divisé en deux parties (4). 
				     
				  
				1. 
				Nie Yinniang était la 
				fille de Nie Feng (大将聂锋), 
				général du circuit de Weibo (魏博) 
				[correspondant à la province actuelle du Hebei]. Elle avait dix 
				ans quand une nonne vint frapper chez elle pour demander 
				l’aumône. Voyant Yinniang, elle demanda au général de la lui 
				confier pour qu’elle l’éduque. Le général ayant refusé 
				sèchement, elle s’entêta en le prévenant que, de toute façon, 
				elle emmènerait l’enfant, même si elle était enfermée à double 
				tour derrière une porte blindée. 
				Et effectivement, 
				Yinniang disparut pendant la nuit.  
				      
				Sidéré et 
				désemparé, le général ordonna des fouilles dans toute la région, 
				mais en vain. Ce n’est que cinq ans plus tard que la nonne 
				revint avec Yinniang, annonçant que sa période de formation 
				était terminée et qu’il était temps qu’elle rentre chez elle. 
				Puis elle disparut sans laisser de traces.   
				       
				Pleurant 
				de joie, ses parents célébrèrent son retour. Curieux, ils lui 
				demandèrent ce qu’elle avait fait pendant ses années de 
				formation, à quoi elle répliqua qu’elle avait juste récité des 
				sûtras. Comme son père insistait, cependant, elle hésita : « Je 
				ne sais trop que vous dire, si je vous raconte ce qui s’est 
				passé, vous ne me croirez pas. » Sous la pression de son père, 
				elle finit cependant par le faire… 
				      
					
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						Un livre de 90 illustrations de Nie 
						Yinniang par Zou Li |  | 
				Comme 
				il faisait nuit quand la nonne (5) m’a emmenée, je n’ai aucune 
				idée de la distance que nous avons parcourue. A l’aube, je me 
				suis retrouvée dans une grande caverne, dans un endroit sauvage, 
				au milieu d’une épaisse forêt peuplée de singes. Dans la 
				caverne, il y avait deux petites de mon âge, vives et jolies ; 
				je ne les ai jamais vues manger, et elles escaladaient les 
				versants abrupts de la montagne avec l’agilité des singes dans 
				les arbres. La nonne me fit avaler une pilule, me donna une 
				petite dague à double tranchant d’environ soixante centimètres (一把长约二尺的宝剑), 
				puis m’ordonna d’aller m’entraîner avec les deux petites filles 
				à gravir les pentes les plus escarpées.  |  
				      
				Peu à 
				peu, je sentis mon corps se faire de plus en plus léger. Au bout 
				d’un an de pratique, j’étais capable de chasser les singes. Puis 
				ce fut au tour des tigres et des léopards dont je parvins à 
				couper la tête sans difficulté. Au bout de trois ans, je pouvais 
				pourfendre un aigle dans le ciel. Ma dague s’était réduite du 
				quart de sa longueur, pour ne plus mesurer que cinq pouces, mais 
				j’étais si rapide que même les oiseaux ne pouvaient rivaliser 
				avec moi. 
				       
				Au 
				bout de quatre ans, laissant les deux filles garder la caverne, 
				la nonne m’emmena en ville ; me montrant un homme dans la foule, 
				elle m’expliqua ses péchés et crimes avec force détails, et, me 
				donnant une dague de trois pouces, m’ordonna de lui trancher la 
				tête au moment opportun. Bien que ce fût en plein jour, au 
				milieu d’une rue grouillante de monde, je m’acquittai de ma 
				tâche sans me faire remarquer, mit sa tête dans un sac et la 
				rapportai dans la caverne. La nonne la fit disparaître en la 
				liquéfiant à l’aide d’une de ses potions. 
				       
				
				L’année suivante, la nonne me confia une autre mission. « Cet 
				homme, me dit-elle, est responsable de la mort d’innombrables 
				personnes, ses péchés sont tels qu’il est au-delà de tout 
				pardon. Tu vas te glisser dans sa chambre au milieu de la nuit 
				et lui trancher la tête. C’est un service à rendre à tout le 
				monde (6). »  Armée d’une courte dague à la lame incurvée (羊角匕首), 
				je me suis introduite sans difficulté chez lui et me suis cachée 
				sur une poutre en attendant le moment favorable. Je ne suis 
				rentrée qu’à l’aube. La nonne furieuse me demanda pourquoi je 
				revenais si tard ; je lui expliquai que l’homme jouait avec son 
				enfant, je n’arrivais pas à me décider à le tuer. La nonne me 
				rétorqua : « La prochaine fois que tu te trouves dans une 
				situation de ce genre, tu dois agir vite, sans hésiter, 
				autrement tu compromets ta sécurité. » 
				…. 
				Et 
				puis, un jour, elle m’a annoncé que ma formation était achevée 
				et que le temps était venu de rentrer chez moi. Au moment de me 
				dire adieu, elle ajouta qu’elle me reverrait dans vingt ans. » 
				       
				2. A 
				entendre cette étrange histoire, son père fut frappé de frayeur. 
				Par la suite, il découvrit que Yinniang disparaissait la nuit, 
				et ne revenait qu’au petit matin, mais il était bien trop 
				terrorisé pour essayer de savoir ce qu’elle faisait. Son amour 
				pour elle diminua ainsi peu à peu. Un jour, un polisseur de 
				miroirs passant par là, Yinniang déclara qu’elle voulait 
				l’épouser, et le général n’osa pas refuser. Comme le jeune homme 
				n’avait pas d’autre atout dans la vie, le général Feng dota le 
				couple d’un capital substantiel, mais les tint à distance. 
				     
				       
				Quelques 
				années plus tard, le général mourut. Le gouverneur militaire de 
				Weibo, ayant entendu parler des capacités martiales de Yinniang, 
				l’invita, elle et son époux, à venir l’assister. Le gouverneur 
				avait pour ennemi le gouverneur de Chenxu (陈许) 
				Liu Changyi (刘昌裔) 
				et il envoya Yinniang l’assassiner. 
				Liu Changyi en eut vent 
				et rassembla ses officiers : « Allez vous poster à l’entrée nord 
				de la ville demain matin, leur dit-il, vous verrez un homme et 
				une femme arriver sur deux ânes, un noir et un blanc. L’homme 
				essaiera de tirer une pierre sur une pie, mais manquera son 
				coup ; la femme prendra le lance-pierres et touchera la pie du 
				premier coup. Dites-leur que je veux les voir et ramenez-les 
				moi. » 
				       
				Tout se passa comme il 
				l’avait prévu. Le couple fut surpris de ses dons de divination. 
				Ils se prosternèrent devant lui en reconnaissant leurs torts. 
				Mais Liu Changyi les rassura : « Vous ne faisiez qu’exécuter des 
				ordres. 
				J’aimerais vous engager à mon service. 
				Faites-moi confiance et 
				restez ici. » Yinniang vit que son maître n’avait rien à voir 
				avec celui-ci et accepta la proposition [….] 
				     
				  
				Un mois 
				plus tard, Yinniang lui dit : 
				« Notre 
				précédent maître ne sait pas que nous sommes maintenant à votre 
				service. Il va envoyer d’autres assassins. Coupez-vous une mèche 
				de cheveux, et enveloppez-la dans un morceau de soie rouge. 
				J’irai la mettre sur son oreiller pour lui montrer que nous 
				avons changé de camp. »A son retour, tôt le lendemain matin, 
				elle annonça : « Le gouverneur de Weibo va envoyer un assassin 
				nommé Jingjing’er (精精儿) 
				me tuer et vous couper la tête ; mais ne vous inquiétez pas, je 
				saurai le vaincre. » Liu la crut sur parole, mais il alluma des 
				bougies et resta vigilant. A minuit, il vit mystérieusement 
				apparaître deux drapeaux, un rouge et un blanc, qui semblaient 
				lutter autour de son lit ; puis un corps et une tête tombèrent à 
				ses pieds et Yinniang se précipita, triomphante, en annonçant 
				que Jingjing’er 
				était mort. Elle traîna le corps dehors et le liquéfia avec la 
				potion de la nonne. 
				       
				Elle avertit ensuite 
				Liu Changyi : « Un autre assassin, nommé Kongkong’er (空空儿), 
				va être envoyé demain matin. Il a des pouvoirs magiques 
				supérieurs. Je ne peux rien contre lui. Cette fois, il faut s’en 
				remettre au destin. Mettez une pièce de jade autour du cou et 
				glissez-vous sous les couvertures. Moi je vais me transformer en 
				insecte et me cacher dans vos intestins, c’est le seul endroit 
				où il ne me trouvera pas. » Liu Changyi fit ce qu’elle avait dit 
				et, les yeux fermés, s’étendit sur son lit. Soudain, il entendit 
				un grand bruit au niveau de son cou, et vit Yinniang jaillir de 
				sa bouche pour le féliciter : « Vous êtes sauvé ! L’assassin, 
				comme l’aigle, ne frappe qu’une fois et s’enfuit. Il a honte de 
				son échec, et sera à des centaines de lieues dans peu de 
				temps. »  Liu toucha la pièce de jade et sentit la marque 
				profonde de la lame. En remerciement, il couvrit Yinniang et son 
				mari de présents. 
				       
				Quelques 
				années plus tard, 
				Liu Changyi fut 
				transféré à la capitale. Yinniang ne souhaita pas le suivre, 
				préférant parcourir le pays pour visiter des saints hommes. Elle 
				demanda seulement un poste pour son mari, qu’elle confia à Liu 
				Changyi. Après quoi il ne la revit plus. 
				       
				Quand il mourut, 
				Yinniang vint à la capitale sur son âne blanc apporter des 
				offrandes sur sa tombe ; c’est la seule occasion où elle accepta 
				de se montrer à nouveau.  
				       
				Une vingtaine d’années 
				plus tard, alors que le fils de Liu Changyi, Liu Zong (刘纵), 
				venait d’être nommé gouverneur provincial de Lingzhou (陵州刺史), 
				au Sichuan, et se rendait à son poste, il rencontra en chemin 
				Yinniang qui n’avait pas du tout changé et voyageait toujours 
				sur le même âne blanc. Ils furent heureux de se rencontrer, mais 
				Yinniang avertit Liu Zong qu’il ferait mieux de renoncer à son 
				poste à Lingzhou et de revenir à Luoyang, sinon, elle voyait un 
				désastre le menacer. Elle lui donna une pilule qui pourrait le 
				protéger pendant un an et disparut. Malheureusement, Liu Zong ne 
				suivit pas son conseil ; il garda son poste et mourut un an plus 
				tard à Lingzhou.  
				       
				Plus 
				personne ne revit Nie Yinniang.  
				       
				
				Analyse 
				       
				C’est une 
				narration étonnante, rondement menée, sans détails superflus, où 
				les éléments de surnaturel n’empêchent pas le récit d’être conté 
				d’un ton réaliste. Lu Xun, pourtant, ne l’a visiblement pas 
				apprécié ; il n’aimait pas le style de Pei Xing qu’il trouvait 
				grandiloquent, trop orné, bref tape à l’œil. Ce n’est pourtant 
				pas l’impression qui se dégage de ce chuanqi, au 
				contraire très retenu dans ses effets, mais Lu Xun n’en 
				retient que le passage où la jeune femme tue Kongkong’er… 
				c’était sans doute le plus populaire (6). 
				       
				En fait, 
				ce chuanqi offre une image très vivante de la société de 
				la fin de l’époque Tang. Pei Xing fut assistant d’un vice 
				gouverneur militaire de Huainan, qui, bridé dans sa carrière, 
				selon Lu Xun, versa dans l’occultisme et fut tué dans une 
				révolte. Les pouvoirs surnaturels de Yinniang, tels que les 
				décrit Pei Xing, sont donc à replacer dans le contexte de 
				l’époque, où l’alchimie et la magie avaient leurs adeptes, 
				jusque dans les cercles proches de l’empereur.  
				       
				Les 
				réactions du père de Yinniang, terrorisé par ce que lui raconte 
				sa fille, sont empreintes d’une superstition qui tient de la 
				même mentalité. Dans ce contexte, la nüxia apparaît comme 
				une émanation de ces croyances populaires. En même temps, elle 
				est rationnelle et réaliste. Si elle fixe son dévolu sur le 
				premier artisan venu, c’est d’une part parce qu’elle sait 
				qu’elle a besoin de se marier pour pouvoir voyager comme elle 
				prévoit de le faire, une femme à l’époque aurait eu du mal à le 
				faire seule ; et d’autre part, elle s’appuie sur la force que 
				lui donnent les pouvoirs magiques acquis auprès de la nonne pour 
				se libérer des contraintes sociales du mariage traditionnel, et 
				préserver ainsi son autonomie et sa liberté.  
				       
				La 
				seconde partie est dérangeante pour la morale traditionnelle, et 
				l’image de la nüxia. Au lieu de continuer à éliminer les 
				éléments mauvais dans un esprit altruiste, comme le lui a appris 
				la nonne, elle se met au service d’un gouverneur qui recherche 
				le pouvoir personnel en essayant d’éliminer un rival, ou 
				d’éviter que celui-ci ne l’élimine. Le chuanqi verse ici 
				dans une version sans illusion de la nüxia qui ne 
				retrouve son intégrité morale qu’en partant dans les montagnes à 
				la recherche des ermites et ascètes, et en se retirant du monde, 
				comme s’il n’y avait d’autre recours.  
				       
				
				Evolution ultérieure 
				       
					
						| 
				Cette 
				seconde partie a tellement dérangé, qu’elle a été écourtée, 
				voire supprimée, dans les versions ultérieures du récit, à 
				partir des huaben des Song du Nord ; l’histoire est alors 
				remodelée pour faire disparaître les éléments subversifs, et 
				préserver une image pure de la nüxia, comme gardienne de 
				la justice sociale : formée pour tuer, mais tuant pour la bonne 
				cause, pour lutter contre de puissants personnages dont le 
				pouvoir ne peut être attaqué autrement (8). C’est en ce sens 
				qu’elle est devenue l’archétype de la nüxia.  
				      
				Mais la 
				réécriture est poussée beaucoup plus loin lors de l’adaptation 
				du chuanqi au théâtre, par You Tong (尤侗), 
				au début de la dynastie des Qing. De type zaju, en quatre 
				actes, sa pièce « Mule noire et mule blanche » (《黑白卫》) 
				est publiée en 1664. Elle reflète l’emprise de la morale 
				confucéenne sur les esprits, à travers une transformation du 
				caractère et des réactions du général Nie Feng et du polisseur 
				de miroirs. |  | 
						
						 
						Gravure de You Tong |  
				       
				Dans la pièce, 
				d’abord, le père de Yinniang n’est pas terrifié en entendant le 
				récit de sa fille, mais préoccupé par l’atteinte potentielle à 
				son image : si cette histoire se répand, se dit-il, les gens 
				vont penser que je ne gère pas la famille comme il convient (治家不正).
				Ensuite, 
				c’est lui qui prend l’initiative du mariage de sa fille, ce 
				n’est pas Yinniang ; elle refuse au départ, mais finit par se 
				soumettre à condition de pouvoir choisir. 
				     
				  
					
						|  | 
						 
						Le principal recueil de pièces de You 
						Tong |  |  
				      
				Le personnage du 
				polisseur de miroir est alors modifié pour lui donner plus noble 
				stature afin de le rendre acceptable : You Tong imagine qu’il 
				est venu attiré par la notoriété de Yinniang, se présentant 
				comme son complément logique puisqu’il y a deux armes, dit-il, 
				pour lutter contre les démons, les épées (les démons humains) et 
				les miroirs (les esprits). Il est donc son égal, d’autant plus 
				qu’il déclare ensuite être en fait d’une riche famille. 
				 
				       
				Cette égalité est 
				annoncée dès le titre de la pièce qui pose deux personnages 
				principaux et non la seule Nie Yinniang. Cela réduit d’autant 
				l’autonomie de Yinniang, dont la faiblesse naturelle de femme 
				est soulignée à diverses reprises. La pièce efface donc le 
				caractère subversif pour l’ordre traditionnel du personnage de 
				la nüxia dépeint dans le chuanqi, où jamais il 
				n’est fait allusion à une quelconque faiblesse physique, 
				celle-ci étant largement compensée par les pouvoirs magiques 
				acquis auprès de la nonne. Dans la pièce, quand celle-ci se 
				réjouit du résultat de la formation de sa disciple, elle 
				s’exclame : on ne pourrait imaginer qu’elle est une femme et non 
				un homme - 若女非南
				 ruònǚ 
				fēinán – 
				dans le chuanqi, c’est, implicitement, le contraire. 
				       
				La banalisation du 
				personnage se retrouve dans les romans ultérieurs, en 
				particulier chez Liang Yusheng (梁羽生) : 
				dans le deuxième volet de sa trilogie des Tang, 
				Longfeng Baochai Yuan 
				(《龙凤宝钗缘》), 
				en particulier, Nie Yinniang n’est qu’un personnage secondaire 
				qui n’est même pas remarquable par ses compétences en arts 
				martiaux… 
				  
				     
				  
				Adaptations 
				ultérieures 
				       
					
						| 
				C’est sans doute cette 
				édulcoration de l’histoire originale – pour en atténuer les 
				aspects subversifs - qui explique que le chuanqi de Pei 
				Xing n’ait guère connu d’adaptations au théâtre, et encore moins 
				au cinéma (9). C’est un rôle rare même à l’opéra ; on note 
				surtout l’interprétation du grand acteur de l’opéra de Pékin
				Cheng Yanqiu  (程砚秋) 
				dont ce fut l’un des grands rôles. 
				       
				Le personnage de Nie 
				Yinniang a cependant continué d’exercer un fort attrait sous son 
				aspect de nüxia légendaire – et de fait la première du 
				genre :  
				[唐朝]诞生了最诡异的侠客聂隐娘,来无影,去无踪,摘花杀人,...深藏功名。 
				[la période des 
				Tang] a donné naissance à la nüxia Nie Yinniang ; mystérieuse, 
				elle apparaît sans même une ombre et disparaît sans laisser de 
				trace, tuant comme on cueille les fleurs, dans la discrétion la 
				plus totale…. 
				       
				Si le chuanqi 
				est remarquablement peu prolixe sur ses faits d’armes, il est en 
				revanche très précis dans la description de ses armes, jusqu’à 
				donner leur taille : de courtes dagues ou petits poignards, 
				entre 60 et 15 centimètres de long. Et l’on  |  | 
						 
						Nie Yinniang à l’opéra, interprétée par 
						Cheng Yanqiu dans les années 1930 |  
				ne peut s’empêcher 
				de penser que Nie Yinniang a été l’un des modèles de Qiu Jin (秋瑾) : 
				révolutionnaire mythifiée des premières années du 20ème 
				siècle, férue d’arts martiaux, elle est représentée, dans sa 
				photo la plus célèbre, avec une courte épée du même genre que la 
				première décrite dans le chuanqi (10).  
				      
				Qiu Jin est sans doute 
				morte de s’être trop assimilée à un personnage de légende, en 
				confondant le mythe et la réalité. C’est ce danger potentiel qui 
				sera l’un des arguments invoqués pour interdire les films de 
				wuxia au début des années 1930…. 
				  
				Adaptation 
				cinématographique  
				  
				La seule adaptation du
				chuanqi au cinéma est le film de Hou Hsiao-hsien intitulé 
				« The Assassin » (《最好的時光》), sorti en mai 2015 au festival de Cannes où il a obtenu le prix de la 
				mise en scène. C’est en fait une recréation des personnages 
				imaginés par Pei Xing, en les replaçant dans un contexte 
				historique précis et documenté. On peut parler de chef-d’œuvre.
				 
				  
				Voir :
				
				http://www.chinesemovies.com.fr/films_Hou_Hsiao_hsien_The_Assassin.htm 
				       
				 
 
				           
				Hongxian 
				      
				
				       
					
						| 
				« L’histoire de 
				Hongxian » (《红线传》) 
				apparaît dans les chuanqi des Tang à la même époque que 
				celle de  Nie Yinniang (聶隱娘). 
				On trouve le récit dans le même recueil compilé par 
				Yuan Jiao (袁郊) 
				où figure aussi le chuanqi de Pei Xing : le Ganzeyao
				(《甘泽谣》) 
				(7). 
				        
				Selon la plupart des 
				commentateurs et en dépit des incertitudes qui subsistent (11), 
				le chuanqi est généralement attribué à Yang Juyuan (楊巨源). 
				Le personnage de nüxia qu’il dépeint forme un 
				pendant intéressant à celui de Nie Yinniang : on retrouve le 
				même fond de croyance magique, et le même contexte historique 
				favorisant l’émergence d’un imaginaire peuplé d’êtres aux 
				pouvoirs surnaturels, et d’autant plus fascinants que ce sont 
				des femmes (12).  
				        
				L’époque où se déroule 
				l’histoire est indiquée très précisément : il s’agit du début du 
				règne de l’empereur Suzong des Tang (唐肃宗), 
				les années 756-758 de l’ère Zhide (至德) ; 
				or l’empereur Suzong est monté sur le trône après la  |  | 
						
						 
						Hongxian jouant du ruanxian |  
				fuite au 
				Sichuan de son père, l’empereur Xuanzong (唐玄宗), 
				à la suite de la révolte d’An Lushan. Suzong passera une bonne 
				partie de son règne à mater la rébellion, mais mourra avant d’y 
				être totalement parvenu. La nouvelle fait directement référence 
				aux troubles qui ont marqué la période : la région concernée 
				dans le chuanqi est particulièrement étendue car la 
				province du Hebei couvrait à l’époque non seulement la province 
				actuelle du même nom mais aussi le Shandong. Il est intéressant 
				de voir la campagne militaire doublée d’une politique 
				d’alliances matrimoniales pour contrôler un gouverneur militaire 
				peu fiable et un général qui était passé du côté des rebelles. 
				        
				Le nom de Hongxian
				signifie 
				fils rouges : 
				une variante du récit explique qu’on lui a donné ce nom parce 
				qu’elle avait de fines lignes rouges sur les mains….  
				        
				L’histoire de 
				Hongxian  
				       
					
						| 
						
						 
						un tambour jié (musée de Tokyo) |  | 
				Hongxian était au 
				service de Xue Song (薛嵩), 
				gouverneur militaire de Luzhou (潞州). 
				Elle  
				jouait très bien du ruanxian (阮咸) 
				mais avait aussi de bonnes connaissances littéraires,  
				 
				tant des 
				classiques que des récits historiques. Aussi Xue Song lui 
				confia-t-il la charge de sa correspondance officielle et de ses 
				rapports, avec le titre de secrétaire privée (内记室). 
				 
				Un jour, lors d’une grande fête organisée  
				par l’armée, Hongxian 
				dit à Xue Song : « Le son de ce tambour jié  (羯鼓) 
				est d’une telle tristesse, il a dû arriver quelque chose au 
				musicien. » Xue Song, qui était aussi très   |  
				 
				sensible à la musique, fut d’accord ; il interrogea l’homme qui lui répondit 
				que sa femme était morte la veille, mais qu’il n’avait pas osé 
				demander un congé. Alors Xue Song le renvoya aussitôt chez lui. 
				        
				C’était du temps de 
				l’empereur Suzong (唐肃宗), 
				pendant l’ère Zhide (至德: 
				756-758). La région couvrant les deux provinces du Henan et du 
				Hebei n’avait pas encore été complètement pacifiée. L’empereur 
				envoya Xue Song et son armée défendre Fuyang (淦阳) 
				et contrôler le Shandong. En raison du conflit, le bureau des 
				affaires militaires venait juste d’être instauré. La cour 
				ordonna aussi à Xue Song de marier sa fille avec le fils de Tian 
				Chengsi (田承嗣), 
				le gouverneur militaire de Weibo (魏博节度使), 
				et son fils avec la fille de Linghu Zhang (令狐章), 
				le gouverneur militaire de Huatai (滑台节度使). 
				Etant ainsi liées par mariage, les trois garnisons échangèrent 
				souvent des messagers.  
				        
					
						| 
				Tian Chengsi, pour sa 
				part, souffrait d’une affection pulmonaire qui s’aggravait avec 
				la chaleur, et il disait souvent que, s’il pouvait s’établir au 
				Shandong, le climat y étant bien plus sain, il rallongerait sa 
				vie de plusieurs années. Alors, il sélectionna dans son armée un 
				groupe de trois mille soldats d’élite, et en fit un régiment 
				qu’il appela « Les braves de la résidence extérieure » (外宅男), 
				qu’il dota de subsides généreusement payés. Il désigna trois 
				cents hommes pour garder sa résidence, puis choisit une date 
				propice pour attaquer Luzhou dans l’intention de se 
				l’approprier. 
				       
				Quand Xue Song eut 
				vent de l’affaire, il en fut extrêmement préoccupé ; mais il 
				avait beau y réfléchir nuit et jour, il ne voyait pas de 
				solution. Un soir, alors que les huit heures venaient d’être 
				criées et que les portes de son quartier général avaient été 
				fermées, il sortit dans la cour, appuyé sur sa canne et suivi de 
				la seule Hongxuan. « Maître, lui dit-elle, cela fait un mois que 
				vous ne dormez plus. Vous êtes  |  | 
						 
						le chignon à la mode sous la dynastie 
						 
						des 
						Tang (dit wuman, du nom des 
						"barbares" auxquels il a été 
						emprunté) |  
				soucieux, ne serait-ce 
				pas à cause de ce que trame Tian Chengsi ? » - « De cette affaire 
				dépend notre sécurité ou notre péril. Ce n’est pas un problème 
				de ton ressort. » - « Je ne suis certes qu’une servante, 
				répliqua Hongxian, mais je pense quand même pouvoir alléger vos 
				tracas. » 
				        
				Xue Song lui expliqua 
				alors l’affaire en détail, et ajouta : « J’ai hérité ma charge 
				de mon grand-père et reçu de grandes faveurs de tous côtés. Si 
				je devais perdre mon territoire, je ruinerais d’un coup ce qui a 
				été gagné en plusieurs siècles. » - « Ce n’est pas difficile, 
				répliqua Hongxian, ne vous inquiétez pas. Laissez-moi aller à 
				Wei tout de suite évaluer la situation et voir ce que l’on peut 
				faire. Si je pars tout de suite, je peux être de retour sur le 
				coup de minuit pour vous faire mon rapport. Faites-moi préparer 
				un bon cheval, et donnez-moi un messager avec une lettre de 
				présentation. Pour le reste, attendez mon retour. » 
				       
					
						| 
						 
						une attache à cheveux du type 
						 "au paon d’or" 金雀钗 |  | 
				Xue Song en resta 
				sidéré : « Je ne me doutais pas que tu étais une personne hors 
				du commun [Yiren
				異人]. 
				Si tu ne réussis pas, néanmoins, cela ne fera que précipiter la 
				catastrophe. Que faire, alors ? ». Mais Hongxian lui 
				rétorqua : « J’ai bien réfléchi, je n’échouerai pas. » Puis  
				elle 
				alla dans sa chambre se préparer. Elle s’attacha les cheveux sur 
				le haut de la tête, en un chignon retenu par  
				une attache en or, 
				puis elle passa une courte robe brodée  
				de motifs pourpres, 
				attachée autour de la taille par une ceinture de soie verte, mit 
				aux pieds des sandales légères  
				et, en bandoulière, une courte 
				dague ornée d’un dragon,  
				et termina en inscrivant sur son front 
				le nom du Grand Un (太乙神). 
				Elle alla se prosterner devant Xue Song, se retourna et 
				disparut.  
				        
				Xue Song rentra dans 
				sa chambre et ferma la porte. Il  
				s’assit droit, tournant le dos 
				à la lumière des chandelles. Normalement, il n’aimait pas 
				boire ; cette nuit-là, cependant, il but beaucoup, mais sans 
				s’enivrer. Soudain, il  |  
				entendit le bruit 
				d’une violente bourrasque, et eut l’impression de voir 
				une feuille tomber d’un arbre ; il se redressa en sursaut : c’était Hongxian qui était 
				de retour. Réjoui, il lui demanda : « Tout s’est-il bien 
				passé ? » et Hongxian lui répondit : « Je ne me serais pas 
				permis de manquer à ma mission. »  Xue Song s’enquit : « As-tu 
				tué ou blessé quelqu’un ? ».  
				        
					
						| 
				Hongxian le 
				rassura : « Je n’ai pas eu besoin d’aller si loin. J’ai 
				seulement volé la boîte en or qui est au pied du lit de Tian 
				Chengsi. » Puis elle expliqua : « Je suis arrivée à la ville de 
				Wei un peu après onze heures ; après avoir franchi plusieurs 
				portes, je suis parvenue jusqu’aux abords de la chambre de Tian 
				Chengsi. J’ai entendu les soldats de sa garde ronfler bruyamment 
				dans leur sommeil, dans la galerie à l’extérieur, et les gardes 
				qui faisaient les cents pas dans les cours se hurler le mot de 
				passe. J’ai ouvert le vantail gauche de la porte de la chambre, 
				et me suis avancée jusqu’aux tentures du lit. J’ai vu votre 
				beau-père étendu sur le dos, le ventre bien arrondi, 
				profondément endormi, la tête enveloppée de crêpe jaune reposant 
				sur un oreiller devant lequel était posée une épée aux sept 
				étoiles (七星剑). 
				Devant l’épée était une boîte en or ouverte, pleine d’encens et 
				de joyaux, où étaient inscrits les huit caractères indiquant le 
				moment de sa naissance ainsi que le nom de la Grande Ourse (北斗神) 
				(13).  |  | 
						
						 
						une épée aux sept étoiles  
						(éloignant les démons) |  
				        
				Ainsi profondément 
				endormi derrière les tentures de son lit, il avait le visage de 
				l’inconscience tranquille, sans se douter que sa vie était entre 
				mes mains ; le tuer aurait été très facile, mais cela n’aurait 
				provoqué que des ennuis. A ce moment-là, les chandelles étaient 
				près de s’éteindre, les bâtons d’encens presque complètement 
				brûlés ; il y avait des servantes qui dormaient un peu partout, 
				au milieu des armes éparpillées dans tous les coins. Il y en 
				avait dont la tête se heurtait aux parois tout en ronflant, 
				d’autres qui tenaient à la main une serviette, ou un fouet, mais 
				qui dormaient les jambes écartées. Je leur ai retiré leurs 
				boucles d’oreilles et les épingles qui leur attachaient les 
				cheveux, ai noué les pans de leurs vêtements ; elles avaient 
				l’air d’une bande de malades ou d’ivrognes incapables de 
				retrouver leurs sens. Alors j’ai pris la boîte en or et je suis 
				revenue.  
				        
				Je suis sortie par la 
				porte ouest des murailles de la cité de Wei et j’ai franchi 
				quelque deux cents lis. J’ai vu s’élever dans le lointain 
				la Terrasse de Bronze et les flots de la rivière Zhang s’écouler 
				vers l’est ; la lune était encore au-dessus de la forêt, mais 
				les coqs annonçaient déjà l’aurore. Je suis partie en tout hâte 
				et reviens dans la joie, toute ma fatigue oubliée. Je voulais 
				vous remercier de votre bonté, c’est pourquoi j’ai conçu ce 
				stratagème, ai parcouru en six heures plus de sept cents lis, 
				franchi des régions dangereuses et traversé cinq ou six villes 
				fortifiées. J’ai fait tout cela pour pouvoir calmer les 
				inquiétudes de mon maître et ne vais donc pas m’étendre sur les 
				difficultés rencontrées. »  
				        
				Xue Song envoya un 
				messager apporter à Tian Chengsi une missive qui disait : « Hier 
				soir, un de mes adjoints est revenu des environs de Wei avec une 
				boîte en or qu’elle m’a dit avoir subtilisée à côté de votre 
				oreiller. Je ne me permettrais pas de la conserver et vous la 
				renvoie donc, dûment scellée, avec tous mes respects. » Le 
				messager partit au galop sous la lueur de la lune et n’atteignit 
				sa destination que vers minuit. 
				        
				Il vit des gens 
				fouiller partout, à la recherche de la boîte en or, et l’armée 
				toute entière prise d’inquiétude et d’appréhension. Le messager 
				frappa à la porte avec son fouet, et demanda une audience malgré 
				l’heure inhabituelle. Tian Chengsi se précipita à sa rencontre, 
				et le messager lui remit la boîte. En la prenant, Tian Chengsi 
				fut tellement surpris qu’il eut un malaise. Puis il invita le 
				messager dans sa résidence, et lui offrit un festin et des 
				divertissements, ainsi que d’innombrables présents.  
				        
				Le lendemain, il le 
				renvoya avec un chargement de trente mille rouleaux de soie, 
				deux cents étalons et autres objets de grande valeur pour Xue 
				Song, auquel il fit dire : « Ma tête est entre vos mains, et ma 
				vie soumise à votre bon vouloir. Je reconnais mes fautes et 
				m’engage à m’amender. Pour éviter tout problème à l’avenir, je 
				vais maintenant me plier à vos ordres et instructions, autrement 
				je ne pourrai plus me prévaloir de nos relations de parenté…. Si 
				j’ai mis sur pied ce régiment de « Braves de la résidence 
				extérieure », c’était pour lutter contre les bandits, je n’avais 
				pas d’autres ambitions. Mais maintenant, je leur ai repris leurs 
				armes et les ai renvoyés aux champs.” C’est ce que confirmèrent 
				les messagers venus du Henan et du Hebei dans les deux mois qui 
				suivirent. 
				      
				  
					
						| 
						 
						Hongxian volant la boîte |  | 
				Puis, un jour, 
				Hongxian émit soudain le souhait de prendre congé. Xue Song lui 
				dit : « Tu es née dans cette maison,  
				où veux-tu aller ? En 
				outre, je compte sur tes services, comment peux-tu envisager de 
				partir ? » Hongxian lui  
				expliqua alors : « Dans mon existence 
				antérieure, j’étais  
				un homme ; je parcourais les rivières et les 
				lacs, et, muni  
				du traité d’herboristerie du divin Shennong, je 
				sauvais les gens du malheur. Mais j’ai rencontré un jour dans un 
				village une femme enceinte atteinte d’une grave parasitose 
				intestinale due à un insecte venimeux ; je lui ai prescrit  
				une 
				potion médicinale à base de daphne genkwa pour  
				éliminer ses 
				parasites, mais la femme en est morte, et les jumeaux qu’elle 
				attendait sont aussi morts nés. J’ai donc  
				tué trois personnes 
				d’un coup. J’ai été puni en étant condamné à renaître dans un 
				corps de femme, et à vivre  
				en servante, sous le signe de ma 
				mauvaise étoile. Par bonheur, je suis née dans votre maison, 
				cela fait dix-neuf  
				ans maintenant ; vous m’avez nourrie de mets 
				délicieux et  |  
				vêtue de soie ; vous 
				m’avez honorée de vos faveurs, et été des plus généreux envers moi. Qui plus est, 
				maintenant vous avez réussi à pacifier le territoire sous votre 
				juridiction, la population peut mener une existence tranquille 
				et heureuse. 
				        
				Si je continuais à 
				vivre ici, je contreviendrais à la volonté du ciel. Quand je me 
				suis rendue à la ville de Wei, c’était pour vous rendre les 
				bienfaits dont vous m’avez honorée. Maintenant, les deux 
				provinces ont préservé leurs murailles, et des milliers de gens 
				ont eu la vie sauve. J’ai fait naître la peur chez le traître, 
				et protégé le gouverneur intègre ; pour une femme, ce sont des 
				réussites non négligeables. Mes péchés rachetés, je vais pouvoir 
				retrouver mon corps originel. Je veux alors me retirer alors du 
				monde, et tourner mon esprit vers la recherche de la voie afin 
				de survivre éternellement, au-delà de la vie et de la mort.
				 
				        
				Xue Song lui dit : 
				« Je ne pense pas que ce soit réalisable : comment une jeune 
				fille comme toi pourrait-elle survivre dans la montagne ? ». 
				Mais Hongxian lui répliqua : « C’est une affaire qui concerne ma 
				vie future. C’est impossible à prévoir. » Xue Song se rendit 
				compte qu’il ne pourrait pas la retenir, aussi organisa-t-il un 
				grand dîner d’adieu. Il rassembla tous ses hôtes dans le hall 
				central pour un banquet de nuit, et leva son verre en l’honneur 
				de Hongxian en lui dédiant une chanson dont il avait demandé au 
				poète Leng Chaoyang (冷朝陽) 
				d’écrire les paroles :  
				採菱歌怨木兰舟,   
				cueillant des 
				châtaignes d’eau en chantant tristement dans le bateau aux 
				magnolias,  
				送客魂消百尺楼。  
				l’âme 
				brisée, je suis des yeux l’hôte qui part, du sommet de la haute 
				tour, là-bas, 
				还似洛妃乘雾去,   
				elle s’en est allée 
				comme la déesse de la rivière Luo, en chevauchant un pan de 
				brume,  
				碧天无际水空流。  
				sous 
				l’azur céleste sans bornes l’eau s’écoule à l’infini. 
				        
				Quand il eut fini de 
				chanter, Xue Song fut submergé de tristesse, et Hongxian se 
				prosterna devant lui en pleurant. Feignant d’être ivre, elle 
				quitta la table et disparut sans laisser de traces. On ne la 
				revit jamais plus. 
				        
				Analyse 
				       
				Hongxian est un 
				personnage plus complexe que Nie Yinniang, plus réaliste et plus 
				vivant aussi. Elle est décrite au départ comme une femme 
				lettrée, qui a reçu une éducation à la fois littéraire et 
				musicale : courtisane plutôt que servante. L’anecdote du début 
				la montre attentive et sensible, et appréciée de son maître.
				  
				                  
					
						| 
				Le récit est par 
				ailleurs, dans sa concision même, subtilement évocateur de 
				l’époque, de son histoire et de son atmosphère. Selon Cao Weiguo 
				(11), Xue Song est un personnage historique, petit-fils d’un 
				général célèbre du début des Tang, qui participa à la rébellion 
				d’An Lushan mais se rallia ensuite à l’empereur et fut nommé 
				gouverneur militaires de diverses places dans le Henan et le 
				Hebei en 763 – soit au lendemain de la mort de l’empereur 
				Suzong. Dans le chuanqi, cependant, il est bien précisé 
				que les événements se passent au début de son règne, et Xue Song 
				est présenté comme un fidèle de l’empereur, intègre et humain, 
				 |  | 
						 
						Illustration de la scène du vol  
						de la 
						boîte dans un livre illustré |  
				ce qui permet de l’opposer au gouverneur félon Tian Chengsi, 
				autre personnage avéré historiquement, qui réussit à mettre la 
				main sur les territoires de son rival après sa mort.  
				               
				Il faut souligner ici 
				que, si l’on en croit les éléments biographiques de Yang Juyuan 
				donnés par Cao Weiguo en complément de sa traduction du récit 
				(11), il y a dans le chuanqi un caractère 
				autobiographique qui en explique certainement l’aspect à la fois 
				vivant et réaliste. Yang Juyuan aurait vécu lui-même rébellions 
				et retournement d’alliances qui lui auraient valu de perdre amis 
				et proches – comme beaucoup de gens à l’époque. Cao Weiguo 
				suppute que c’est l’une des motivations qui expliquerait la 
				création de Hongxian : un rêve de personnage providentiel 
				capable de mettre un terme aux désordres de l’époque. 
				        
				Cependant, ce qui est 
				sans doute le plus intéressant, dans ce tableau historique, est 
				la peinture des mentalités, car elles constituent le cadre qui 
				conditionne le personnage de la nüxia. C’est une 
				mentalité empreinte à la fois de bouddhisme (ici la croyance en 
				la réincarnation) et de taoïsme, mais un taoïsme populaire 
				réduit à des croyances en un fond de surnaturel et de magie. 
				C’étaient celles de l’entourage de Yang Juyuan et sans doute les 
				siennes : il a écrit un poème louant une courtisane devenue 
				prêtre taoïste.  
				       
					
						| 
						 
						Mei Lanfang dans le rôle de Hongxian
						 
						dans l’opéra « Hongxian vole la boîte » |  | 
				Il est caractéristique 
				de voir Xue Song à peine étonné des prodiges réalisés par 
				Hongxian : il la reconnaît comme un personnage hors du commun - 
				 Yiren
				異人 
				– c’est-à-dire quelqu’un qui a des pouvoirs surnaturels, et tout 
				est dit. Contrairement à Nie Yinniang, cependant, il n’est pas 
				précisé comment elle les a acquis. Ils semblent plutôt une 
				pratique personnelle, intérieure. Il n’est pas question de 
				maître.  
				       
				Le récit s’efforce par 
				ailleurs de gommer ce caractère étrange en mettant l’accent sur 
				les éléments humains du personnage. Elle ne prend pas de risques 
				inutiles, pesant de façon réaliste les chances qu’elle aurait 
				d’échapper aux gardes de Tian Chengsi si elle l’assassinait. Les 
				prodiges qu’elle réalise tiennent essentiellement dans sa 
				rapidité de déplacement et sa capacité à s’introduire impunément 
				dans les endroits les mieux gardés – ce qui est sans doute un 
				développement fictionnel d’une réalité vécue, avec un message 
				subliminaire : on peut agir sans forcément éliminer son 
				adversaire. Hongxian ne tue pas. |            
				 
				C’est donc une 
				nüxia fascinante dans sa complexité et le réalisme 
				sous-jacent, dont on ne retrouvera guère d’exemple par la suite, 
				sauf dans quelques personnages calqués sur des personnalités 
				historiques.  
				       
				Adaptations 
				ultérieures 
				        
					
						| 
				C’était sans doute une
				nüxia trop réaliste, justement, pour faire rêver. On ne 
				connaît guère d’adaptations de ce récit, sauf au théâtre et à 
				l’opéra, et plus spécifiquement à l’opéra de Pékin (京剧) 
				; le grand Mei Lanfang (梅兰芳) 
				l’a adapté, à la fin des années 1920, en partant de l’épisode 
				central : « Hongxian vole la boîte » (《红线盗盒》). 
				C’est l’un de ses grands rôles.  
				        
				Il a écrit le livret 
				en s’inspirant du chuanqi de Yang Juyuan, et de son 
				adaptation en pièce zaju par Liang Bolong (梁伯龙), 
				sous les Ming, au 16ème siècle – « La jeune 
				Hongxian » (《红线女》). 
				 |  | 
						
						 
						Mei Lanfang en Hongxian, volant vers la 
						cité de Wei |  
				Il faut y ajouter le long chuanqi écrit un peu plus tard 
				par Geng Shengzi (更生子), 
				« L’histoire des deux Hong » (《双红记》), 
				à partir de la pièce précédente et d’un second personnage 
				féminin typique, la courtisane et chanteuse Hongxiao (红绡), 
				tirée du célèbre chuanqi de Pei Xing, « L’esclave de 
				Kunlun » (《昆仑奴》) .
				 
				        
				Il faut noter que Mei 
				Lanfang a créé le rôle de Hongxian en 1929, et que l’opéra a été 
				représenté jusqu’en 1932. Or, c’est précisément au moment de la 
				grande vogue à Shanghai des films de wuxia, une véritable 
				fureur. Et l’un des films les plus célèbres de l’époque, ou du 
				moins le seul qui nous soit parvenu, perpétue le mythe en 
				créant, dans un tout autre contexte, le personnage de Hongxia, 
				« L’héroïne rouge » (《红侠》) 
				(14)… 
				 
				        
				      
				
				       
				Notes 
				(1) Les historiens ont 
				du mal à évaluer le nombre de morts : le recensement de 754 
				donne une population de 52,8 millions d’habitants, celui de 764 
				un peu moins de 17 millions. Mais ce chiffre reflète en fait la 
				désorganisation de l’Etat, et la perte d’une partie du 
				territoire : il marque surtout le chaos qui régnait dans le 
				pays. 
				(2) Ce qui pose 
				d’ailleurs le problème de la définition de la « réalité » dans 
				le contexte littéraire chinois, où l’histoire a longtemps 
				constitué la narration principale, mais dans des termes incluant 
				le xiaoshuo s’il offrait des perspectives didactiques 
				édifiantes : le chuanqi « Xie Xiao’e » (《谢小娥傳》)- 
				légèrement remanié - a été inclus dans « La nouvelle histoire 
				des Tang » (新唐书) : 
				c’est l’histoire d’une vengeance filiale….  
				Sur le problème de la 
				narration historique dans ses rapports à la fiction, voir 
				Sheldon Hsiao-peng Lu,
				From Historicity to Fictionality: The Chinese Poetics 
				of Narrative, Stanford University Press, 1994. 
				(3) Le film de 2005 de 
				Chen Kaige « The Promise » (《无极》) 
				est une tentative d’adaptation du chuanqi. En 
				complexifiant l’histoire et lui ajoutant une bonne dose de mélo, 
				il enlève tout ce qui fait la subtile concision de l’histoire 
				originale.  
				(4) Une version du 
				texte du chuanqi : 
				
				
				http://www.epochtimes.com/b5/2/1/18/c7321.htm 
				(5) Le 
				texte dit : 
				bǐqiūní shīfu
				比丘尼师父, 
				c’est-à-dire « maître bhikkuni », soit une moniale 
				bouddhiste, de l’ordre des bhikkhunis, maître d’arts 
				martiaux. La précision est intéressante car on a tendance à 
				considérer les pouvoirs surnaturels des xia comme 
				provenant plus spécifiquement de pratiques taoïstes, en 
				particulier les pilules comme celle donnée à Yinniang dans le 
				texte. La précision apporte un élément ésotérique supplémentaire 
				car les bhikkhunis ont toujours été en marge du 
				bouddhisme qui considère les femmes comme des tentatrices, donc 
				indignes de l’ordination complète…  
				(6)
				为民除害
				
				wèimínchúhài : 
				pour éradiquer le mal du sein de la société. C’est la mission 
				que s’octroient généralement les xia. 
					
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				(7) Brève 
				histoire du roman chinois, traduit par Charles Bisotto, 
				Gallimard Connaissance de l’Orient, p.121-22. 
				Lu Xun 
				note brièvement que le récit a été repris dans les « Histoires 
				de spadassins » (《剑侠传》)
				de 
				Duan Chengshi (段成式), 
				un contemporain de Pei Xing - ouvrage qui a ensuite été réédité 
				sous les Ming, assurant la transmission du conte. Mais « Nie 
				Yinniang » figure aussi parmi les récits du 
				Ganzeyao (《甘泽谣》) 
				compilé par Yuan 
				Jiao (袁郊) 
				et publié en 868, et repris encore en 1978 dans un recueil de 
				récits des Tang publié à Shanghai.  
				(8) 
				Cet aspect est souligné par Roland Altenburger, in The Sword or the 
				Kneedle, The Female Knight-Errant (xia) in 
				Traditional Chinese Narrative, Peter Lang,
				collection Welten Ostasiens / Worlds 
				of East Asia 2009 
						 
				(9) C’est l’un des 
				intérêts du film de Hou Hsiao-Hsien annoncé pour 2014. 
				
				(10) Sur Qiu Jin, voir le film de Xie Jin : à venir… 
				(11) Voir l’analyse de 
				Cao Weiguo dont on trouve la 
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						Le Ganzeyao |  
				traduction du chuanqi, avec 
				un appareil de notes conséquent, dans l’ouvrage édité par 
				
				William H. Nienhauser : 
				Tang 
				Dynasty Tales: A Guided Reader, World Scientific Publishing, 
				2010, pp. 1-48. 
				(12) Voir le texte du
				chuanqi (原文+译文) :
				
				
				
				http://leachin.blogspot.fr/2013/04/blog-post_7265.html 
				(13) Ces inscriptions, 
				de même que l’épée à sept étoiles, faisaient office de talisman 
				et de protection contre les démons et esprits maléfiques. Tout 
				le chuanqi baigne dans une atmosphère de croyances du 
				taoïsme populaire.  
				(14) Sur le film 
				« L’héroïne rouge » :
				
				http://www.chinesemovies.com.fr/films_Wen_Yimin_Hong_Xia.htm 
				      
				     
				     
				 
				           
				  
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