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Groupe de lecture de
Château-Thierry
Compte rendu de la
séance du 19 mars 2018
consacrée à la
littérature chinoise contemporaine
par Brigitte Duzan, 31 mars 2018
Château-Thierry ? Une
petite agglomération tranquille des Hauts-de-France, connue
comme étant la ville natale de Jean de la Fontaine et donc
promue Cité des fables, comme tout le rappelle au visiteur qui
la découvre.
Cité des fables,
certes, elle hébergea pourtant aussi, une année, un jeune
Chinois venu y étudier et que le fabuliste tend à faire
oublier : un dénommé Li Yaotang, qui prit à Château-Thierry,
justement, le nom de plume de
Ba Jin,
pour signer le premier roman qu’il acheva de rédiger là. C’était
donc un cadre idéal pour une séance de découverte de la
littérature chinoise. D’autant plus idéal que s’y trouve un
groupe de lecture qui s’est déclaré volontaire pour se prêter à
l’exercice.
Méthode
Existant depuis une
douzaine d’années, ce groupe est composé de passionnées de
lecture qui se réunissent une fois par mois pour échanger leurs
impressions concernant les livres lus entre deux séances. De
goûts et intérêts éclectiques, elles ont une formule très
souple, avec des choix qui vont des livres de la rentrée aux
échanges sur un genre, en passant par le partage des impressions
sur un livre lu par toutes. La proposition de lectures chinoises
pendant quelques mois a aussitôt emporté leur adhésion.
L’exercice était
différent de la pratique habituelle : un programme d’une
vingtaine de livres d’une dizaine d’auteurs, qui avait été
proposé quatre mois auparavant, à charge pour chacune de faire
sa sélection personnelle.
Les titres
proposés étaient ceux de romans et nouvelles,
traduits en français, des plus grands auteurs
chinois actuels, en majorité nés entre les années
1950 et 1970. Pour chaque auteur, avaient été
choisis deux titres jugés représentatifs de leur
production relativement récente, sans exclure, à
titre de référence, des œuvres du début du siècle –
Ba Jin ayant été ajouté vu ses liens avec la
localité. Le nombre de livres lus s’est révélé
impressionnant, quelques livres ayant même
spontanément été rajoutés à la liste, et l’une des
lectrices ayant poussé l’intérêt jusqu’à venir à
Paris se pourvoir auprès de la librairie Le Phénix
et se renseigner à la médiathèque du Centre culturel.
Les
réactions et commentaires, dans ces conditions, ont
été extrêmement intéressants. Les sept personnes
présentes, à elles toutes, avaient lu la
quasi-totalité des auteurs listés, même si ce
n’était pas forcément les œuvres proposées
.
L’échange a duré près de quatre heures sans qu'on
voie le temps passer, entre Champagne local et
gâteaux de lune rapportés de Tianjin…
Ont été
d'abord formulées des impressions de fond sur ces
lectures diverses, puis, successivement, les
impressions de chacune, avec des prises de parole
relevant soit du mode descriptif (du contenu et du
style), soit d'une relation subjective au livre (son
effet sur le lecteur), ou encore des digressions
personnelles bienvenues (à partir de tel ou tel
aspect d’un livre donné)
,
alternant avec des éclairages apportés par Brigitte
Duzan.
Impressions d’ensemble
On peut
distinguer trois types d’impressions d'ensemble :
- D’abord,
l’intérêt a été général, dénotant la satisfaction
d’avoir découvert un pan de littérature inconnue,
ouvrant sur un univers ressenti comme particulier. À
une exception près : l’une des lectrices a manifesté
un rejet total, jusqu’à se dire incapable de
terminer un seul des livres testés, et finir par
abandonner, faute de « l’envie de lire » qui est
déterminante dans une telle entreprise, et qu’elle
avait pourtant bien au départ. « Culpabilisée »,
elle tenta de trouver sur Internet une réponse à la
question : « pourquoi donc je n'aime pas la
littérature chinoise ? », question qu'elle trouva
partagée sur certains forums…
- Ensuite,
la réaction unanime a été un étonnement devant le
lien étroit du contenu des œuvres lues au politique,
une omniprésence même, ne serait-ce qu’en filigrane,
ou en toile de fond, ressentie comme une sorte de
conditionnement général, considéré comme assez
pesant.
Des
exceptions émergent cependant des lectures : les
nouvelles de
Wang Zengqi,
celles de
Gao Xingjian
où le contexte politique est à peine évoqué, ou
encore celles de
Cao Kou dont
la teneur est toute autre.
- Ce qui
frappe, c’est l’acceptation qui domine, un sens du
destin vécu comme fatalité ; on ne ressent aucune
révolte
- Pire,
estiment les lectrices, toute expression
émotionnelle semble bloquée, comme si les émotions
étaient enfermées sous une chape
de plomb.
- L’une
des lectrices a repéré trois types d'univers : d’une
part ceux relevant d'une Chine ancestrale, d'autre
part ceux où la Révolution culturelle est fortement
en trame de fond, et les autres (par exemple Cao
Kou).
Impressions personnelles de lecture
- Deux
livres plébiscités : « Songeant à mon père »
de
Yan Lianke,
et « Un Don Quichotte sur le Yangtsé » de
Bi Feiyu. |
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Wang Zengqi, Les Trois amis de
l'hiver
Cao Kou, Continue à creuser,
au bout c’est l’Amérique
Yan Lianke, Songeant à mon père
Bi Feiyu, Don Quichotte |
Yan Lianke, un Chant céleste |
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Suscitant
un enthousiasme partagé, de vrais plaisirs de
lecture, tous deux sont fortement autobiographiques,
avec, justement, une pointe d’émotion affleurant
sous le poids du politique, et des réflexions sur le
passé et l’histoire : ce sont des tranches de vie
qui touchent profondément. Le livre de Yan Lianke a
frappé une lectrice par le sentiment de culpabilité
vis-à-vis du père, avec le poids traditionnel de la
famille que révèle la narration.
De ces
deux mêmes auteurs ont été également appréciés, dans
un style très différent : « Un chant céleste »
pour
Yan Lianke
et « Les aveugles » pour
Bi Feiyu,
dont deux lectrices avaient aussi beaucoup aimé
« L’opéra de la lune » lu par celles-ci dans le
groupe Voix au chapitre
.
Le
premier, beaucoup plus âpre que le précédent du même
auteur, jugé terrible même, tranche par son écriture
autant que son sujet avec le précédent et désarçonne
un peu le lecteur. Cet univers rappelle l’autre
titre proposé dans le |
même
programme : « PaPaPa » de
Han Shaogong,
mais aussi, remarque Brigitte Duzan, « Une vue
splendide » de
Fang Fang,
avec son regard désopilant et sans concession sur le
monde vu à travers les yeux d’un enfant.
Quant aux
« Aveugles » de
Bi Feiyu, il
est analysé en détail par l’une des lectrices qui
l’a particulièrement apprécié, pour la profondeur
des portraits de chacun des personnages, la place
accordée aux femmes, la solidarité entre les
aveugles, et là, justement, une peinture des
sentiments d’une grande délicatesse qui donne au
roman valeur plus universelle.
- Si
chacune a dit connaître « Épouses et concubines », à
travers le film de Zhang Yimou, de
Su Tong n'a
été lue que la nouvelle « Le génie des eaux », par
une seule personne qui l'a appréciée.
- Une
seule personne a lu un roman de
Wang Anyi,
« Au plus clair de la lune » dont elle a bien aimé
l’atmosphère de la
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Bi Feiyu, Les Aveugles
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ville la
nuit et le personnage féminin, atypique. En revanche,
Ge Fei n’a
pas emporté une vive adhésion de la lectrice de ses
« Poèmes à l’idiot »
.
- L’agréable
surprise est le vif intérêt manifesté pour les
deux titres de
Han Shaogong
proposés : « PaPaPa » et « Bruits dans la
montagne », tous deux touchant des cordes
sensibles, mais de façon différente.
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Han Shaogong, PaPaPa
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Han Shaogong, Bruits |
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« PaPaPa »
a été jugé dérangeant, un peu comme « Un chant
céleste », mais il a été présenté par une lectrice
qui, voulant en démontrer les aspects négatifs, en
fait une narration tellement vivante qu’elle a
semblé aux auditrices suffire à elle seule…
« Bruits
dans la montagne » a été plus apprécié, pour la
poésie dont il est empreint, surtout dans la
première nouvelle et la nouvelle-titre, avec tout un
jeu sur le silence et le bruit, ou plutôt le bruit
et le non bruit. Un livre, donc qui mériterait sans
doute d’être réédité.
- Autre
surprise : les nouvelles de
Cao Kou ont
été lues par deux personnes dont l’une les a
particulièrement aimées, pour leur regard, leur
style singuliers, leur humour, rare dans le reste
des textes programmés.
- Quant
aux ajouts, il en est deux à noter : d’une
part, « Le jeu du chat et de la souris » d’A
Yi, qui a été très apprécié, ce
qui montre que la promotion d’un livre peut avoir
des retombées quand le livre le vaut, ce qui est le
cas de celui-ci : c'est en effet l’un des
représentants de la nouvelle littérature policière
en train de se développer en Chine. D’autre part,
une lectrice a ajouté des récits de
Mo Yan,
arguant que cet auteur nobélisé ne pouvait être
ignoré et qu'il avait été d'ailleurs très apprécié
dans le groupe Voix au chapitre
.
-
Restaient deux outsiders, choix spontanés
parmi des livres ayant été de grands succès de
librairie au cours de l’année écoulée :
· l’un
était le roman graphique autobiographique de Rao
Pingru, « Notre histoire, Pingru et Meitan »,
aussi intéressant par l'histoire du livre et ses
superbes illustrations que pour le récit conté par
l’auteur ; l’aspect graphique l’emporte largement
sur les qualités littéraires, mais les deux se
conjuguent pour faire du livre un succès ;
· l’autre
choix spontané était le livre de François Billeter,
« Une rencontre à Pékin », lu par deux
lectrices et présenté comme le livre qui « finalement,
explique tout », ce qui est en soi totalement
inattendu : œuvre à caractère littéraire, il aurait
en outre l’avantage de donner des explications
jugées très claires sur des événements complexes,
vécus de l'intérieur par le narrateur étranger qui
vit une histoire d'amour aussi tragique que
romanesque avec une jeune Chinoise.
La séance du groupe de
lecture fut complétée le lendemain par une rencontre avec
l’historien local Tony Legendre pour un parcours sur les pas de
Ba Jin à Château-Thierry,
suscitant le désir de lire encore d’autres nouvelles, celles de
l’auteur liées à la ville.
La séance a montré
l'intérêt de découvrir à travers la littérature un univers peu
connu qu’il n’est pas facile d’aborder de but en blanc.
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A Yi, Le jeu du chat et de la souris
Rao Pingru, Notre histoire
Billeter, Une rencontre à Pékin
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