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Ba Jin à
Château-Thierry
Rencontre avec Tony
Legendre
par Brigitte Duzan, 26 mars 2018
La ville de
Château-Thierry, aujourd’hui dans les
Hauts-de-France, est connue pour être la Cité des fables,
étant la ville natale de Jean de la Fontaine ; on
sait moins que
Ba Jin y vécut un
peu plus d’un an, de juillet 1927 à septembre 1928.
Même
localement, la mémoire de l’écrivain n’a pendant
longtemps été préservée que dans un petit cénacle,
et il a fallu attendre l’année 2009, quatre ans
après sa mort, pour que des manifestations en sa
mémoire aient lieu dans la ville et qu’une plaque
commémorative soit apposée à l’entrée du collège où
il a vécu et étudié. Il était pourtant revenu en
1979, reçu par le maire d’alors et quelques
personnalités, mais l’événement était vite retombé
dans l’oubli.
Aujourd’hui, fort heureusement, un historien local a
fait des recherches sur les conditions de son séjour
dans la ville et a constitué au fil des ans tout un
fonds de documentation sur le sujet : Tony Legendre.
Mais même lui ne connaissait rien du sujet jusqu’à
la fin des années 1980… et c’est à l’occasion de
recherches sur ce qui est aujourd’hui le collège
Jean Racine, mais s’appelait autrefois le collège
Jean de La Fontaine, qu’il a découvert l’existence
des étudiants chinois du collège dans les années
1920, et en particulier de Ba Jin.
Tony
Legendre nous a consacré plusieurs heures, le 20
mars dernier, pour nous conter l’histoire de Ba Jin
à Château-Thierry, en nous emmenant sur les lieux où
il a vécu, jusque dans la chambre qui fut la sienne
au collège, au-dessus du réfectoire. Réfectoire qui
nous accueillit juste avant l’heure fatidique du
déjeuner, pour terminer un périple narratif riche en
péripéties et anecdotes savoureuses.
1927-1928 : Ba Jin à Château-Thierry |
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Ba Jin dans sa chambre, au collège de
Château-Thierry, en juillet 1928
(fonds Legendre)
Tony Legendre
(photo Duzan) |
Li Shizeng |
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On sait que
Ba Jin est venu de son Sichuan natal en France en
juillet 1927, à l’âge de 23 ans, attiré par la
patrie de la Révolution et des Lumières. Il n’est
pas le seul Chinois à être venu en France à
l’époque : en fait, un grand nombre de Chinois sont
venus en France à partir de la création en 1915, par
l’anarchiste Li Yuying ou Li Shizeng (李石曾),
de la société dite « du travail diligent et de
l’étude frugale » (留法勤工俭学会), abrégé en français en « Mouvement travail-études ». Le programme
consistait à permettre aux étudiants chinois de
travailler en usine pour payer leurs études.
Le collège
Jean de la Fontaine de Château-Thierry est l’un de
ceux qui participèrent au programme, avec Montargis,
Bayeux, Châtillon et autres, le chef d’établissement
y voyant une source de recettes appréciable. Entre
1920 et 1934, date qui marque la fin du mouvement,
le collège reçut ainsi une dizaine de jeunes Chinois
par an. Plus âgés que les autres lycéens, difficiles
à intégrer en raison de la barrière de la |
langue, ils sont
restés un peu à l’écart, bénéficiant d’un régime
particulier : ils n’étaient pas logés en dortoir, mais dans
des chambres particulières. Le collège étant un ancien
couvent de Capucins, c’étaient d’anciennes cellules de
moines.
Ba Jin,
cependant, est l’un de ceux qui ne faisait pas
partie du programme travail-études. Ce sont ses
parents qui devaient financer son séjour, mais,
comme ils avaient connu des déboires financiers, il
dut attendre l’argent que lui fournit son frère aîné
pour pouvoir partir.
Il embarque
à Shanghai le 15 janvier 1927 sur le cargo Angers,
débarque à Marseille, et, de là, gagne Paris où il
arrive le 19 février et trouve à se loger dans une
petite chambre au cinquième étage d’un vieil hôtel
du Quartier latin
.
Le soir, pendant un mois, il suit des cours à |
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Le collège Jean de La Fontaine du
temps de Ba Jin
(fonds Legendre) |
l’Alliance
française, la journée il se promène au jardin du Luxembourg
et, devant le Panthéon, se recueille devant la statue de
Jean-Jacques Rousseau – statue alors en bronze, précise Tony
Legendre, mais remplacée par une statue en pierre quand
celle en bronze aura été fondue pendant la guerre.
La poste de Château-Thierry du temps
de Ba Jin, carte postale
(fonds Legendre) |
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En juillet
1927, cependant, il ne reçoit plus d’argent ; son
frère est ruiné, et se suicidera d’ailleurs quelques
années plus tard. Ba Jin est malade ; suivant les
conseils d’un médecin, il quitte Paris et, sur
recommandation d’un ami philosophe originaire de
l’Anhui, Zhan Jianfeng (詹剑锋)
, va s’inscrire au collège de Château-Thierry où il s’installe le 20
juillet. Les registres du collège des années 1927 et
1928 ont disparu, mais la présence de Ba Jin est
avérée par divers documents et des photos qui ont
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été préservés. En outre, il évoque plusieurs fois Château-Thierry dans ses
écrits, par exemple dans les « Quelques mots en guise de
préface », au début du recueil de nouvelles « L’automne dans
le printemps » (《春天里的秋天》),
traduit en français et publié à Pékin en 1982 dans la
collection Panda :
« J’ai passé une
quinzaine de mois dans la ville natale de La Fontaine : ses
beaux paysages, sa vie calme et sereine m’ont laissé des
souvenirs ineffaçables si bien que je me crois encore
aujourd’hui un habitant de cette ancienne petite ville… »
Quand il
arrive, ce sont les vacances. On lui donne une
chambre au-dessus du réfectoire, mais il est fermé.
Avec deux ou trois autres étudiants chinois, il
prend donc ses repas dans la loge de la concierge,
Madame Cousin, dont il a évoqué par la suite la
« gentillesse extrême » et gardé un souvenir ému,
ainsi que de son mari qui était le jardinier du
collège.
Dans ses
écrits, parmi les professeurs, il évoque, sans les
mentionner nommément, Georges Mouton qui lui donne
des cours d’allemand, et Jean-François Geronimi qui
est professeur de sciences et surveillant général.
Il apprend bien sûr le français. En outre, pendant
ces mois à Château-Thierry, il écrit des articles
pour une revue chinoise de San Francisco et fait des
traductions, en particulier de textes de Kropotkine.
Bien que sa famille ait de graves problèmes
financiers et qu’il ait besoin d’argent, ce ne sont
pas des activités alimentaires, mais des travaux
militants
.
C’est le directeur de la revue, cependant, qui lui
paiera son billet de |
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L’automne dans le printemps, Panda,
1982 |
retour en Chine.
Il continue par ailleurs à correspondre avec des anarchistes
et reçoit même deux lettres de prison de Vanzetti.
Vengeance, trad. 1980 |
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Surtout, il
termine un premier court roman, « Destruction » (《灭亡》),
commencé à Paris ; c’est à cette occasion qu’il
invente son nom de plume de Ba Jin (voir
Ba Jin, présentation).
Écrit sur des cahiers d’écolier achetés à la
papeterie du centre-ville, le manuscrit est expédié
de la poste de Château-Thierry à Shanghai, au
mensuel Xiaoshuo Yuebao (《小说月报》)
où il paraît d’abord en feuilleton.
Finalement,
Ba Jin quitte Château-Thierry à la fin de l’été
1928. Il y revient à la mi-octobre pour se faire
délivrer des papiers dont il a besoin pour obtenir
son visa de retour, puis il s’embarque quelques
jours plus tard à Marseille pour rentrer en Chine.
Dès son retour, il écrit une série de nouvelles qui
ont pour toile de fond la France et, en particulier,
la ville de Château-Thierry : elles sont publiées
d’abord dans des revues à partir de 1930, puis en
août 1931 dans son premier recueil de nouvelles,
intitulé « Vengeance » (《复仇》)
. |
Ensuite, la Chine va
traverser une longue période de guerre, suivie de l’instauration
du régime communiste, et des séries de mouvements politiques
culminant dans la Révolution culturelle.
1979 : retour de
Ba Jin à Château-Thierry
Le maire André Rossi (à dr.)
décernant la médaile de la ville à Ba Jin le 30
avril 1979 (au centre : Gao Xingjian) (Source
Legendre) |
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Ce n’est
qu’avec la période d’ouverture, en avril 1979, que
Ba Jin trouve une occasion de revenir à
Château-Thierry, où son nom a sombré dans l’oubli.
C’est à l’occasion d’un voyage de dix-huit jours,
organisé par l’association des Amitiés
franco-chinoises et le Pen Club, qu’il retourne en
France. Il est ravi de prendre vingt-quatre heures
pour revenir sur les lieux de sa jeunesse, mais
d’après ses dires, ce n’est pas lui qui en a pris
l’initiative, ce serait le bureau parisien de
l’agence Xinhua qui l’aurait inclus dans son
programme
.
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Depuis 1978 sont parues
plusieurs traductions de ses œuvres en français : « Famille »,
« Nuit glacée », « Le Jardin du repos ». Son nom n’est donc plus
inconnu. Il arrive le 30 avril, avec sa fille Li Xiaolin (李小林) ;
il est reçu par le maire d’alors, André Rossi,
et, au collège, par la principale de l’établissement, Thérèse
Stellio, accompagnée d’un représentant de l'association des
anciens élèves du collège, tout comme Ba Jin lui-même, le poète
M. A. Barbeaux (1925-1991). A cette occasion, le maire lui
décerne la médaille de la ville, à l’effigie de La Fontaine.
Familier
des lieux, Ba Jin monte voir sa chambre. Il ouvre la
fenêtre, mais ne trouve plus le paysage qu’il
connaissait : il manque en particulier un marronnier
dans la cour qui le fait s’exclamer, dit-on, « ah,
le marronnier ! ».
Ce qu’il
regrettera le plus, cependant, c’est de n’avoir pu
aller au cimetière se recueillir sur la tombe des
Cousin et la fleurir. En fait, il ne l’aurait sans
doute pas trouvée : en effet, même aujourd’hui, il
n’y a pas de stèle, rien qui puisse permettre de
l’identifier. Selon Han Zhanjun, que Tony Legendre a
conduit sur leur tombe, à la mort du couple, la
famille n’avait pas les moyens de leur payer plus
que l’emplacement pour les enterrer. Une histoire
très chinoise.
Le plus
étonnant, que souligne Tony Legendre arrivé là de
son récit, c’est que Ba Jin n’a pas prononcé un mot
de français pendant toute sa visite, sauf
l’exclamation « ah, le marronnier ! » qui, du coup,
prend un air vaguement apocryphe. Faisant partie
d’une délégation officielle, il était |
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Ba Jin devant sa chambre en 1979,
avec sa fille Li Xiaolin
(fonds Legendre) |
accompagné d’un
interprète non moins officiel, comme toujours dans ces
occasions, mais cet interprète, en l’occurrence, n’était pas
n’importe qui : c’était le futur prix Nobel de littérature
Gao Xingjian (高行健) !
Après ce bref voyage,
cependant, Ba Jin est retombé dans l’oubli à Château Thierry, en
partie pour des raisons politiques : la mairie était de droite,
et la Chine, qui sortait de dix ans de Révolution culturelle, ne
bénéficiait pas d’une aura très positive. Il faudra les hasards
d’un projet de reconstruction du collège Jean de la Fontaine
pour que le nom de Ba Jin émerge à nouveau, et grâce à un
professeur d’anglais qui n’était même pas originaire de la ville
mais a été le seul à s’intéresser à cet épisode quand même assez
étonnant de son histoire.
1980-2008 :
travail de mémoire
Dans les années 1980,
le collège La Fontaine était vétuste. Le Conseil général conçut
alors un projet qui prévoyait la démolition des vieux bâtiments
et la construction d’un établissement flambant neuf. Après
discussion en mairie, le projet provoqua la consternation chez
les anciens de la ville qui avaient fait leurs études dans le
collège, dont l’épouse de Tony Legendre qui revint en pleurs
chez elle demander à son mari de « faire quelque chose ».
Alors qu’il était
professeur d’anglais, au collège justement, il entreprit des
recherches sur l’établissement qui le menèrent à devenir
l’historien de la ville, et président de la Société historique
et archéologique de Château-Thierry.
Il découvrit que le collège était en fait un ancien couvent de
Capucins, et que la plupart des couvents de cet ordre avaient
disparu ;
celui de Château-Thierry prenait donc dans ce contexte une
valeur patrimoniale importante. Il contribua à fonder une
association pour la préservation de l’ancien couvent.
Mais, en même temps, il
tomba, entre autres, sur des registres de remises de prix du
collège, dont celui du 13 juillet 1928 qui mentionnait des
étudiants chinois et un certain "Li-Yao-Tang", autrement dit Ba
Jin. Le bâtiment des Capucins prenait ainsi une autre
importance historique.
L’affaire
remonta jusqu’au Conseil général, et finalement, fin
1988, le ministère de la Culture inscrit l’ancien
couvent au titre des monuments historiques, non pour
sa valeur architecturale, mais « pour sa valeur de
témoignage historique »
.
Les bâtiments ont été restaurés, et, par la suite,
le Conseil général a changé le nom de
l’établissement en collège Jean Racine, dont le nom
était sans doute plus prestigieux que celui de
l’écrivain chinois.
L’affaire
s’était heureusement conclue, mais Tony Legendre
n’en resta pas là. En 1992, il publia une
monographie sur ses recherches : |
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Le manuscrit de la lettre de Ba Jin
à Tony Legendre, 11 mai 1991
(fonds Legendre) |
« Du
couvent des Capucins au collège Jean Racine – 350 ans
d’histoire »
.
Et surtout il poursuivit celles sur Ba Jin. Il décida de
prendre contact avec lui, en lui écrivant. Ne sachant trop
comment procéder, il se rendit au service culturel de
l’ambassade de Chine à Paris.
Il
rencontra le conseiller culturel de l'époque, Yan Hansheng,
qui avait déjà traduit des nouvelles de Ba Jin, pour le
recueil de la collection Panda « L'automne dans le
printemps ».
Enthousiaste, il lui traduisit sa lettre et l'expédia à
Shanghai. Il organisa même en février 1986 une excursion sur
les traces de Ba Jin à Château-Thierry avec les membres du
service culturel.
Les voisins de Tony Legendre, éberlués, raconte-t-il, virent
ainsi arriver un jour à leur porte une escouade de voitures
noires avec plaques diplomatiques et petits drapeaux
flottant au vent…
Et Ba Jin répondit ! Tony Legendre conserve précieusement dans
ses archives la lettre manuscrite, datée du 11 mai 1991, envoyée
par l’écrivain, dans laquelle il donne des détails sur son
séjour à
Château-Thierry :
« Arrivé à Paris le
19 février 1927, j’ai d’abord logé dans une pension 5, rue de
Blainville, puis, en mars, j’ai déménagé à une nouvelle adresse
2, rue de Tournefort. Au mois de juillet, grâce à un ami, Wu
Kegang, j’ai fait la connaissance de Zhan Jianfeng qui apprenait
le français au collège La Fontaine de Château-Thierry. Je l’y ai
donc suivi et me suis présenté au directeur du collège, monsieur
Lévêque, qui m’attribua une chambre individuelle, au-dessus de
la cantine, à côté de celle de Zhan Jianfeng.
J’ai passé deux
grandes vacances au collège La Fontaine et quitté
Château-Thierry en août 1928 pour revenir à Paris [j’ai fait le
voyage jusqu’à Paris avec Zhan Jianfeng qui s’est alors établi
là]. A la mi-octobre, je suis revenu une nouvelle fois à
Château-Thierry pour me présenter avec ma carte d’identité au
commissariat de police car la signature du commissaire était
nécessaire pour les démarches de rapatriement auxquelles j’étais
en train de procéder auprès de l’ambassade de Chine à Paris. Une
fois cette formalité accomplie, je suis aussitôt reparti.
J’ai donc résidé à
Château-Thierry pendant un an et deux mois. Pendant ce laps de
temps, j’ai suivi des cours de français et appris l’allemand
auprès de monsieur Mouton dont j’avais gagné la sympathie. J’ai
aussi rédigé un roman intitulé « Destruction » ; je l’ai copié
sur cinq cahiers d’écolier cartonnés que j’ai ensuite envoyés à
Shanghai.
En 1979, j’ai publié
un article sur Château-Thierry dans lequel j’ai raconté en
détail mes souvenirs de la ville. »
Petit à petit, Tony
Legendre est devenu le spécialiste incontournable de Ba Jin à
Château-Thierry, d’autant plus précieux qu’il est le seul. C’est
à lui que l’office du tourisme envoie les journalistes et
chercheurs qui viennent dans la ville rechercher les traces de
l’écrivain.
Deux équipes de
télévision chinoises, en particulier, sont venues tourner des
séries documentaires : l’une en août 2003 et l’autre en août
2005. La première était une équipe de la télévision du Sichuan
qui tournait une série de huit émissions pour le 100ème
anniversaire de la naissance de Ba Jin ; la première émission
concernait sa ville natale, Chengdu, et la seconde
Château-Thierry. La deuxième équipe a réalisé, pour la
radio-télévision de Hong Kong (RTHK
香港電台),
un documentaire de trente minutes dans le cadre d’un programme
consacré à treize artistes et écrivains chinois des cent
dernières années et diffusé en 2006.
En 2005
aussi, une écrivaine chinoise spécialisée dans la
littérature de reportage est venue à Château-Thierry
sur les pas de Ba Jin : c’est
Bian Qian (边芹),
qui a consacré un double chapitre à Ba Jin en France
dans un ouvrage publié en juillet 2005
,
la seconde partie concernant plus spécifiquement Ba
Jin
à Château-Thierry. Elle commence par raconter avec
humour les mille et une tribulations qui l’ont
conduite jusqu’à Tony Legendre après s’être « cassé
le nez » un peu partout dans la ville, y compris à
la mairie et à l’office du tourisme. Ce dernier ne
connaissait que le musée La Fontaine et les ruines
du château, et l’envoya au nouveau lycée La
Fontaine, qui n’avait bien sûr rien à voir avec ce
qu’elle avait lu des souvenirs de Ba Jin.
C’est une
employée de mairie qui finit par lui donner le
numéro de téléphone de Tony Legendre ; l’appel lui
redonna enfin espoir : il est chez le dentiste, lui
répondit chaleureusement son épouse, mais il vous
rappelle… ce qu’il fit. Avec les lieux historiques,
dont le vrai collège, de l’autre |
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L’ouvrage de Bian Qian, « Un miroir
lentement promené le long de la route » |
côté du pont, elle
découvrit le personnage du « prof d’anglais » devenu
historien et archiviste de la ville, et de Ba Jin dans la
ville – un curieux impénitent et formidable conteur qui,
dans les années 1960, avait découvert le monde en écoutant
les radios étrangères en langue française sur ondes courtes,
en particulier Radio Pékin, devenue Radio Chine
Internationale. Il avait d'ailleurs, dans les années 1980,
fondé au collège un club ondes courtes où il initiait
ses élèves à cette écoute.
Participant à de nombreux concours organisés par ces radios,
il a gagné, entre autres, un voyage à Pékin en 2014 où il a
pu de nouveau évoquer Ba Jin…
2009 : Année de
la Chine à Château-Thierry et hommage à Ba Jin
C’est encore un hasard
politique qui a entraîné les célébrations de « l’année Ba Jin »
à Château-Thierry en 2009. Lors des élections de 2008, un
nouveau maire a été élu : Jacques Krabal, autre professeur à la
retraite, député de l’Aisne et aujourd’hui vice-président à
l’Assemblée nationale de la commission du développement durable
et de l’aménagement du territoire. Voyant l’intérêt du
patrimoine, concept dans l’air du temps en particulier après la
Convention de Faro,
il s’investit dans la préservation et la mise en valeur de
celui-ci dans sa ville, et conçoit d’emblée un projet d’Année de
la Chine, incluant un hommage à Ba Jin coïncidant avec le 30ème
anniversaire du retour de l’écrivain dans la ville en 1979.
La plaque commémorative
apposée à l’entrée du collège
Jean Racine le 7 mai 2009
(photo Duzan) |
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La
conservatrice du Musée La Fontaine se voit confier
le projet, et convoque tout de suite Tony Legendre
pour le mettre en œuvre. Nous sommes à la fin de
l’année 2008. Les temps ne sont pas vraiment
favorables, après les incidents de la flamme
olympique et le refroidissement diplomatique entre
la France et la Chine. Mais le projet est lancé,
avec un programme ambitieux. Et tout est bouclé en
quelques mois !
Présidée
par le maire, la cérémonie d’inauguration a lieu le
jeudi 7 mai 2009, avec, à 14 heures, pose d’une
plaque commémorative bilingue à l’entrée du collège
Jean Racine, en présence du ministre conseiller
auprès de l’ambassade de Chine en France, Qu Xing,
puis, à 18 heures, vernissage d’une exposition au
musée Jean de La Fontaine. Il s’agissait d’une
exposition des miniatures de l’artiste chinois Che
Tien qui illustra les fables en 1845, miniatures
provenant de la collection du baron Feuillet de
Conches
. |
Une exposition a lieu
par ailleurs de mai à juin à la médiathèque de la ville, sur le
thème « La Chine de Ba Jin, Famille », regroupant des
ouvrages de Ba Jin, mais aussi des photos représentant la Chine
"féodale" telle que décrite dans « Famille ».
Parallèlement, sur le pont de la Marne étaient
exposées des photos de piétons de Pékin prises
l’année précédente par un jeune photographe, Julien
Spiewak, lors d’un échange d’artistes français et
chinois au moment des Jeux Olympiques de Pékin.
Enfin,
l’hommage était matérialisé dans un superbe ouvrage
publié par la ville, « livre rouge » réalisé sous la
direction de Christiane Sinnig-Haas, directrice du
musée Jean de La Fontaine et conservateur du
patrimoine, avec la collaboration de Tony Legendre,
bien sûr, mais aussi d’Angel Pino, professeur à
l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, grand
spécialiste et traducteur de Ba Jin. Le titre
reprend celui décerné par le gouvernement chinois à
Ba Jin en 2003 : Ba Jin, un écrivain du peuple au
pays de Jean de La Fontaine
(voir bibliographie). |
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Le livre rouge de Château Thierry
en hommage à Ba Jin |
Dix ans plus tard
L’entrée du collège Jean Racine
aujourd’hui
(photo Antoine Fleury-Gobert) |
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La petite
ville est retombée très vite dans son univers
quotidien, sans plus cultiver le souvenir du grand
écrivain qu’elle a hébergé une brève année. On
trouve dans les rues un parcours illustrant les
fables de La Fontaine, rien pour rappeler les lieux
où Ba Jin est passé, dont Tony Legendre conserve,
lui, la mémoire vive : la papeterie où il achetait
ses cahiers, la poste d’où il a envoyé le manuscrit
de |
son premier roman,
la tombe muette des époux Cousin, et le petit magasin de
fleurs avec le souvenir de la fleuriste qui s’appelait
Marie, en tête du pont qu’il a dû traverser tant de fois …
A la fin de son
chapitre sur Ba Jin et la France (p. 178), Bian Qian déplore que
le souvenir de l’écrivain soit si ténu à Paris, mais encore plus
à Château-Thierry. Elle voyait venir le jour où le nombre
croissant de touristes chinois encouragerait à poser des plaques
un peu partout pour commémorer son passage. C’était en 2005 ; il
y a il est vrai, de plus en plus de touristes chinois, mais ils
ne vont guère à Château-Thierry… Quand aux touristes français,
ils vont voir le musée La Fontaine où tout est consacré à
l’auteur des fables.
Bibliographie
En chinois
Un miroir lentement
promené le long de la route
《一面沿途满步的镜子》par
Bian Qian (边芹),
Presses de l’université normale du Guangxi, 2005. Chap. 14 (2),
p. 169-178 : En France à la recherche de Ba Jin - 2 (在法国寻找巴金
-
下),
Château-Thierry (蒂埃里堡).
En français
- Ba Jin, un écrivain du peuple au pays de Jean de la
Fontaine, ville de Château-Thierry, musée Jean de la
Fontaine, mai 2009, 214 p. L’ouvrage est richement illustré et
comporte deux articles d’Angel Pino : une biographie de Ba Jin
pp. 12-51 [reproduite (sans les illustrations) dans A
contretemps n° 45, mars 2013 :
http://acontretemps.org/spip.php?article465
] et un article plus spécifique sur Ba Jin, la France et
Château-Thierry, pp. 184-205.
Conception graphique Lucille Guigon, voir le livre sur son
site :
https://lucilleguigon.myportfolio.com/ba-jin-au-pays-de-jean-de-la-fontaine
- Château-Thierry, du couvent des Capucins au collège Jean
Racine – 350 ans d’histoire, par Tony Legendre, 1992.
- Thèse de doctorat : Ba Jin et la France, par Liu
Bingwen, sous la direction de Daniel-Henri Pageaux, soutenue en
1991 à Paris 3. Résumé :
http://www.theses.fr/1993PA030005
Ecrits de Ba Jin liés au souvenir de Château-Thierry :
- « Quelques mots en
guise de préface », au début du recueil de nouvelles traduites
en français « L’automne dans le printemps » (《春天里的秋天》),
éd. Littérature chinoise, coll. Panda, Pékin 1982.
- Vengeance (《复仇》),
recueil de nouvelles courtes
短篇小说集,
éd. de la Chine nouvelle
新中国书局
1931. Tr. Pénélope Bourgeois/ Bernard Lelarge, préface de
Jacques Gernet, éd. Seghers, coll. Autour du monde, 1980.
- Au gré de ma plume (《随想录》),
trad. Pan Ailian, Littérature chinoise coll. Panda, Pékin 1992.
Selon un journaliste de Hong Kong, Han Zhanjun, qui
s’est rendu trois fois à Château-Thierry, la dernière
fois en août 2013, et a publié un article résumant ses
recherches dans le mensuel hongkongais The Mirror
(《鏡報月刊》),
n° 435, octobre 2013. Traduit en français « Évoquer la
mémoire de Ba Jin à Château-Thierry », source Tony
Legendre.
Du couvent des Capucins au
collège Jean Racine : 350 ans d'histoire.
En ligne :
la conférence de 1990, à la Société historique de
Château-Thierry, qui a précédé l'édition, en 1992, d'un
ouvrage portant le même titre, plus
complet et
abondamment illustré :
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