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Ba Jin à Château-Thierry

Rencontre avec Tony Legendre

par Brigitte Duzan, 26 mars 2018 

 

La ville de Château-Thierry, aujourd’hui dans les Hauts-de-France, est connue pour être la Cité des fables, étant la ville natale de Jean de la Fontaine ; on sait moins que Ba Jin y vécut un peu plus d’un an, de juillet 1927 à septembre 1928.

 

Même localement, la mémoire de l’écrivain n’a pendant longtemps été préservée que dans un petit cénacle, et il a fallu attendre l’année 2009, quatre ans après sa mort, pour que des manifestations en sa mémoire aient lieu dans la ville et qu’une plaque commémorative soit apposée à l’entrée du collège où il a vécu et étudié. Il était pourtant revenu en 1979, reçu par le maire d’alors et quelques personnalités, mais l’événement était vite retombé dans l’oubli.

 

Aujourd’hui, fort heureusement, un historien local a fait des recherches sur les conditions de son séjour dans la ville et a constitué au fil des ans tout un fonds de documentation sur le sujet : Tony Legendre. Mais même lui ne connaissait rien du sujet jusqu’à la fin des années 1980… et c’est à l’occasion de recherches sur ce qui est aujourd’hui le collège Jean Racine, mais s’appelait autrefois le collège Jean de La Fontaine, qu’il a découvert l’existence des étudiants chinois du collège dans les années 1920, et en particulier de Ba Jin.

 

Tony Legendre nous a consacré plusieurs heures, le 20 mars dernier, pour nous conter l’histoire de Ba Jin à Château-Thierry, en nous emmenant sur les lieux où il a vécu, jusque dans la chambre qui fut la sienne au collège, au-dessus du réfectoire. Réfectoire qui nous accueillit juste avant l’heure fatidique du déjeuner, pour terminer un périple narratif riche en péripéties et anecdotes savoureuses.

 

1927-1928 : Ba Jin à Château-Thierry

 

Ba Jin dans sa chambre, au collège de

Château-Thierry,  en juillet 1928
(fonds Legendre)

 

Tony Legendre

(photo Duzan)

 

Li Shizeng

 

On sait que Ba Jin est venu de son Sichuan natal en France en juillet 1927, à l’âge de 23 ans, attiré par la patrie de la Révolution et des Lumières. Il n’est pas le seul Chinois à être venu en France à l’époque : en fait, un grand nombre de Chinois sont venus en France à partir de la création en 1915, par l’anarchiste Li Yuying ou Li Shizeng (李石曾), de la société dite « du travail diligent et de l’étude frugale » (留法勤工俭学会), abrégé en français en « Mouvement travail-études ». Le programme consistait à permettre aux étudiants chinois de travailler en usine pour payer leurs études.

 

Le collège Jean de la Fontaine de Château-Thierry est l’un de ceux qui participèrent au programme, avec Montargis, Bayeux, Châtillon et autres, le chef d’établissement y voyant une source de recettes appréciable. Entre 1920 et 1934, date qui marque la fin du mouvement, le collège reçut ainsi une dizaine de jeunes Chinois par an. Plus âgés que les autres lycéens, difficiles à intégrer en raison de la barrière de la

langue, ils sont restés un peu à l’écart, bénéficiant d’un régime particulier : ils n’étaient pas logés en dortoir, mais dans des chambres particulières. Le collège étant un ancien couvent de Capucins, c’étaient d’anciennes cellules de moines.

 

Ba Jin, cependant, est l’un de ceux qui ne faisait pas partie du programme travail-études. Ce sont ses parents qui devaient financer son séjour, mais, comme ils avaient connu des déboires financiers, il dut attendre l’argent que lui fournit son frère aîné pour pouvoir partir.

 

Il embarque à Shanghai le 15 janvier 1927 sur le cargo Angers, débarque à Marseille, et, de là, gagne Paris où il arrive le 19 février et trouve à se loger dans une petite chambre au cinquième étage d’un vieil hôtel du Quartier latin [1]. Le soir, pendant un mois, il suit des cours à

 

Le collège Jean de La Fontaine du temps de Ba Jin
(fonds Legendre)

l’Alliance française, la journée il se promène au jardin du Luxembourg et, devant le Panthéon, se recueille devant la statue de Jean-Jacques Rousseau – statue alors en bronze, précise Tony Legendre, mais remplacée par une statue en pierre quand celle en bronze aura été fondue pendant la guerre.

 

La poste de Château-Thierry du temps de Ba Jin, carte postale
(fonds Legendre)

 

En juillet 1927, cependant, il ne reçoit plus d’argent ; son frère est ruiné, et se suicidera d’ailleurs quelques années plus tard. Ba Jin est malade ; suivant les conseils d’un médecin, il quitte Paris et, sur recommandation d’un ami philosophe originaire de l’Anhui, Zhan Jianfeng (詹剑锋) [2], va s’inscrire au collège de Château-Thierry où il s’installe le 20 juillet. Les registres du collège des années 1927 et 1928 ont disparu, mais la présence de Ba Jin est avérée par divers documents et des photos qui ont

été préservés. En outre, il évoque plusieurs fois Château-Thierry dans ses écrits, par exemple dans les « Quelques mots en guise de préface », au début du recueil de nouvelles « L’automne dans le printemps » (《春天里的秋天》), traduit en français et publié à Pékin en 1982 dans la collection Panda [3] :

 

« J’ai passé une quinzaine de mois dans la ville natale de La Fontaine : ses beaux paysages, sa vie calme et sereine m’ont laissé des souvenirs ineffaçables si bien que je me crois encore aujourd’hui un habitant de cette ancienne petite ville… »

 

Quand il arrive, ce sont les vacances. On lui donne une chambre au-dessus du réfectoire, mais il est fermé. Avec deux ou trois autres étudiants chinois, il prend donc ses repas dans la loge de la concierge, Madame Cousin, dont il a évoqué par la suite la « gentillesse extrême » et gardé un souvenir ému, ainsi que de son mari qui était le jardinier du collège.

 

Dans ses écrits, parmi les professeurs, il évoque, sans les mentionner nommément, Georges Mouton qui lui donne des cours d’allemand, et Jean-François Geronimi qui est professeur de sciences et surveillant général. Il apprend bien sûr le français. En outre, pendant ces mois à Château-Thierry, il écrit des articles pour une revue chinoise de San Francisco et fait des traductions, en particulier de textes de Kropotkine. Bien que sa famille ait de graves problèmes financiers et qu’il ait besoin d’argent, ce ne sont pas des activités alimentaires, mais des travaux militants [4]. C’est le directeur de la revue, cependant, qui lui paiera son billet de

 

L’automne dans le printemps, Panda, 1982

retour en Chine. Il continue par ailleurs à correspondre avec des anarchistes et reçoit même deux lettres de prison de Vanzetti [5]

 

Vengeance, trad. 1980

 

Surtout, il termine un premier court roman, « Destruction » (《灭亡》), commencé à Paris ; c’est à cette occasion qu’il invente son nom de plume de Ba Jin (voir Ba Jin, présentation). Écrit sur des cahiers d’écolier achetés à la papeterie du centre-ville, le manuscrit est expédié de la poste de Château-Thierry à Shanghai, au mensuel Xiaoshuo Yuebao (《小说月报》) où il paraît d’abord en feuilleton.

 

Finalement, Ba Jin quitte Château-Thierry à la fin de l’été 1928. Il y revient à la mi-octobre pour se faire délivrer des papiers dont il a besoin pour obtenir son visa de retour, puis il s’embarque quelques jours plus tard à Marseille pour rentrer en Chine. Dès son retour, il écrit une série de nouvelles qui ont pour toile de fond la France et, en particulier, la ville de Château-Thierry : elles sont publiées d’abord dans des revues à partir de 1930, puis en août 1931 dans son premier recueil de nouvelles, intitulé « Vengeance » (《复仇》) [6].

 

Ensuite, la Chine va traverser une longue période de guerre, suivie de l’instauration du régime communiste, et des séries de mouvements politiques culminant dans la Révolution culturelle.

 

1979 : retour de Ba Jin à Château-Thierry

 

Le maire André Rossi (à dr.) décernant la médaile de la ville à Ba Jin le 30 avril 1979 (au centre : Gao Xingjian) (Source Legendre)

 

Ce n’est qu’avec la période d’ouverture, en avril 1979, que Ba Jin trouve une occasion de revenir à Château-Thierry, où son nom a sombré dans l’oubli. C’est à l’occasion d’un voyage de dix-huit jours, organisé par l’association des Amitiés franco-chinoises et le Pen Club, qu’il retourne en France. Il est ravi de prendre vingt-quatre heures pour revenir sur les lieux de sa jeunesse, mais d’après ses dires, ce n’est pas lui qui en a pris l’initiative, ce serait le bureau parisien de l’agence Xinhua qui l’aurait inclus dans son programme [7].

 

Depuis 1978 sont parues plusieurs traductions de ses œuvres en français : « Famille », « Nuit glacée », « Le Jardin du repos ». Son nom n’est donc plus inconnu. Il arrive le 30 avril, avec sa fille Li Xiaolin (李小林) ; il est reçu par le maire d’alors, André Rossi [8], et, au collège, par la principale de l’établissement, Thérèse Stellio, accompagnée d’un représentant de l'association des anciens élèves du collège, tout comme Ba Jin lui-même, le poète M. A. Barbeaux (1925-1991). A cette occasion, le maire lui décerne la médaille de la ville, à l’effigie de La Fontaine.

 

Familier des lieux, Ba Jin monte voir sa chambre. Il ouvre la fenêtre, mais ne trouve plus le paysage qu’il connaissait : il manque en particulier un marronnier dans la cour qui le fait s’exclamer, dit-on, « ah, le marronnier ! ».

 

Ce qu’il regrettera le plus, cependant, c’est de n’avoir pu aller au cimetière se recueillir sur la tombe des Cousin et la fleurir. En fait, il ne l’aurait sans doute pas trouvée : en effet, même aujourd’hui, il n’y a pas de stèle, rien qui puisse permettre de l’identifier. Selon Han Zhanjun, que Tony Legendre a conduit sur leur tombe, à la mort du couple, la famille n’avait pas les moyens de leur payer plus que l’emplacement pour les enterrer. Une histoire très chinoise.

 

Le plus étonnant, que souligne Tony Legendre arrivé là de son récit, c’est que Ba Jin n’a pas prononcé un mot de français pendant toute sa visite, sauf l’exclamation « ah, le marronnier ! » qui, du coup, prend un air vaguement apocryphe. Faisant partie d’une délégation officielle, il était

 

Ba Jin devant sa chambre en 1979,

avec sa fille Li Xiaolin

(fonds Legendre)

accompagné d’un interprète non moins officiel, comme toujours dans ces occasions, mais cet interprète, en l’occurrence, n’était pas n’importe qui : c’était le futur prix Nobel de littérature Gao Xingjian (高行健) [9] ! 

 

Après ce bref voyage, cependant, Ba Jin est retombé dans l’oubli à Château Thierry, en partie pour des raisons politiques : la mairie était de droite, et la Chine, qui sortait de dix ans de Révolution culturelle, ne bénéficiait pas d’une aura très positive. Il faudra les hasards d’un projet de reconstruction du collège Jean de la Fontaine pour que le nom de Ba Jin émerge à nouveau, et grâce à un professeur d’anglais qui n’était même pas originaire de la ville mais a été le seul à s’intéresser à cet épisode quand même assez étonnant de son histoire.

 

1980-2008 : travail de mémoire

 

Dans les années 1980, le collège La Fontaine était vétuste. Le Conseil général conçut alors un projet qui prévoyait la démolition des vieux bâtiments et la construction d’un établissement flambant neuf. Après discussion en mairie, le projet provoqua la consternation chez les anciens de la ville qui avaient fait leurs études dans le collège, dont l’épouse de Tony Legendre qui revint en pleurs chez elle demander à son mari de « faire quelque chose ».

 

Alors qu’il était professeur d’anglais, au collège justement, il entreprit des recherches sur l’établissement qui le menèrent à devenir l’historien de la ville, et président de la Société historique et archéologique de Château-Thierry [10]. Il découvrit que le collège était en fait un ancien couvent de Capucins, et que la plupart des couvents de cet ordre avaient disparu [11] ; celui de Château-Thierry prenait donc dans ce contexte une valeur patrimoniale importante. Il contribua à fonder une association pour la préservation de l’ancien couvent.

 

Mais, en même temps, il tomba, entre autres, sur des registres de remises de prix du collège, dont celui du 13 juillet 1928 qui mentionnait des étudiants chinois et un certain "Li-Yao-Tang", autrement dit Ba Jin. Le bâtiment des Capucins prenait ainsi une autre importance historique.

 

L’affaire remonta jusqu’au Conseil général, et finalement, fin 1988, le ministère de la Culture inscrit l’ancien couvent au titre des monuments historiques, non pour sa valeur architecturale, mais « pour sa valeur de témoignage historique » [12]. Les bâtiments ont été restaurés, et, par la suite, le Conseil général a changé le nom de l’établissement en collège Jean Racine, dont le nom était sans doute plus prestigieux que celui de l’écrivain chinois.

 

L’affaire s’était heureusement conclue, mais Tony Legendre n’en resta pas là. En 1992, il publia une monographie sur ses recherches :

 

Le manuscrit de la lettre de Ba Jin

à Tony Legendre, 11 mai 1991

(fonds Legendre)

« Du couvent des Capucins au collège Jean Racine – 350 ans d’histoire » [13]. Et surtout il poursuivit celles sur Ba Jin. Il décida de prendre contact avec lui, en lui écrivant. Ne sachant trop comment procéder, il se rendit au service culturel de l’ambassade de Chine à Paris. Il rencontra le conseiller culturel de l'époque, Yan Hansheng, qui avait déjà traduit des nouvelles de Ba Jin, pour le recueil de la collection Panda « L'automne dans le printemps » [14]. Enthousiaste, il lui traduisit sa lettre et l'expédia à Shanghai. Il organisa même en février 1986 une excursion sur les traces de Ba Jin à Château-Thierry avec les membres du service culturel. Les voisins de Tony Legendre, éberlués, raconte-t-il, virent ainsi arriver un jour à leur porte une escouade de voitures noires avec plaques diplomatiques et petits drapeaux flottant au vent…

 

Et Ba Jin répondit ! Tony Legendre conserve précieusement dans ses archives la lettre manuscrite, datée du 11 mai 1991, envoyée par l’écrivain, dans laquelle il donne des détails sur son séjour à Château-Thierry :

 

« Arrivé à Paris le 19 février 1927, j’ai d’abord logé dans une pension 5, rue de Blainville, puis, en mars, j’ai déménagé à une nouvelle adresse 2, rue de Tournefort. Au mois de juillet, grâce à un ami, Wu Kegang, j’ai fait la connaissance de Zhan Jianfeng qui apprenait le français au collège La Fontaine de Château-Thierry. Je l’y ai donc suivi et me suis présenté au directeur du collège, monsieur Lévêque, qui m’attribua une chambre individuelle, au-dessus de la cantine, à côté de celle de Zhan Jianfeng.

J’ai passé deux grandes vacances au collège La Fontaine et quitté Château-Thierry en août 1928 pour revenir à Paris [j’ai fait le voyage jusqu’à Paris avec Zhan Jianfeng qui s’est alors établi là]. A la mi-octobre, je suis revenu une nouvelle fois à Château-Thierry pour me présenter avec ma carte d’identité au commissariat de police car la signature du commissaire était nécessaire pour les démarches de rapatriement auxquelles j’étais en train de procéder auprès de l’ambassade de Chine à Paris. Une fois cette formalité accomplie, je suis aussitôt reparti.

J’ai donc résidé à Château-Thierry pendant un an et deux mois. Pendant ce laps de temps, j’ai suivi des cours de français et appris l’allemand auprès de monsieur Mouton dont j’avais gagné la sympathie. J’ai aussi rédigé un roman intitulé « Destruction » ; je l’ai copié sur cinq cahiers d’écolier cartonnés que j’ai ensuite envoyés à Shanghai.

En 1979, j’ai publié un article sur Château-Thierry dans lequel j’ai raconté en détail mes souvenirs de la ville. » [15]

 

Petit à petit, Tony Legendre est devenu le spécialiste incontournable de Ba Jin à Château-Thierry, d’autant plus précieux qu’il est le seul. C’est à lui que l’office du tourisme envoie les journalistes et chercheurs qui viennent dans la ville rechercher les traces de l’écrivain.

 

Deux équipes de télévision chinoises, en particulier, sont venues tourner des séries documentaires : l’une en août 2003 et l’autre en août 2005. La première était une équipe de la télévision du Sichuan qui tournait une série de huit émissions pour le 100ème anniversaire de la naissance de Ba Jin ; la première émission concernait sa ville natale, Chengdu, et la seconde Château-Thierry. La deuxième équipe a réalisé, pour la radio-télévision de Hong Kong (RTHK 香港電台), un documentaire de trente minutes dans le cadre d’un programme consacré à treize artistes et écrivains chinois des cent dernières années et diffusé en 2006.

 

En 2005 aussi, une écrivaine chinoise spécialisée dans la littérature de reportage est venue à Château-Thierry sur les pas de Ba Jin : c’est Bian Qian (边芹), qui a consacré un double chapitre à Ba Jin en France dans un ouvrage publié en juillet 2005 [16], la seconde partie concernant plus spécifiquement Ba Jin à Château-Thierry. Elle commence par raconter avec humour les mille et une tribulations qui l’ont conduite jusqu’à Tony Legendre après s’être « cassé le nez » un peu partout dans la ville, y compris à la mairie et à l’office du tourisme. Ce dernier ne connaissait que le musée La Fontaine et les ruines du château, et l’envoya au nouveau lycée La Fontaine, qui n’avait bien sûr rien à voir avec ce qu’elle avait lu des souvenirs de Ba Jin.

 

C’est une employée de mairie qui finit par lui donner le numéro de téléphone de Tony Legendre ; l’appel lui redonna enfin espoir : il est chez le dentiste, lui répondit chaleureusement son épouse, mais il vous rappelle… ce qu’il fit. Avec les lieux historiques, dont le vrai collège, de l’autre

 

L’ouvrage de Bian Qian, « Un miroir lentement promené le long de la route »

côté du pont, elle découvrit le personnage du « prof d’anglais » devenu historien et archiviste de la ville, et de Ba Jin dans la ville – un curieux impénitent et formidable conteur qui, dans les années 1960, avait découvert le monde en écoutant les radios étrangères en langue française sur ondes courtes, en particulier Radio Pékin, devenue Radio Chine Internationale. Il avait d'ailleurs, dans les années 1980, fondé au collège un club ondes courtes où il initiait ses élèves à cette écoute. Participant à de nombreux concours organisés par ces radios, il a gagné, entre autres, un voyage à Pékin en 2014 où il a pu de nouveau évoquer Ba Jin…    

 

2009 : Année de la Chine à Château-Thierry et hommage à Ba Jin

 

C’est encore un hasard politique qui a entraîné les célébrations de « l’année Ba Jin » à Château-Thierry en 2009. Lors des élections de 2008, un nouveau maire a été élu : Jacques Krabal, autre professeur à la retraite, député de l’Aisne et aujourd’hui vice-président à l’Assemblée nationale de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Voyant l’intérêt du patrimoine, concept dans l’air du temps en particulier après la Convention de Faro [17], il s’investit dans la préservation et la mise en valeur de celui-ci dans sa ville, et conçoit d’emblée un projet d’Année de la Chine, incluant un hommage à Ba Jin coïncidant avec le 30ème anniversaire du retour de l’écrivain dans la ville en 1979.

 

La plaque commémorative

apposée à l’entrée du collège

Jean Racine le 7 mai 2009

 (photo Duzan)

 

La conservatrice du Musée La Fontaine se voit confier le projet, et convoque tout de suite Tony Legendre pour le mettre en œuvre. Nous sommes à la fin de l’année 2008. Les temps ne sont pas vraiment favorables, après les incidents de la flamme olympique et le refroidissement diplomatique entre la France et la Chine. Mais le projet est lancé, avec un programme ambitieux. Et tout est bouclé en quelques mois !

 

Présidée par le maire, la cérémonie d’inauguration a lieu le jeudi 7 mai 2009, avec, à 14 heures, pose d’une plaque commémorative bilingue à l’entrée du collège Jean Racine, en présence du ministre conseiller auprès de l’ambassade de Chine en France, Qu Xing, puis, à 18 heures, vernissage d’une exposition au musée Jean de La Fontaine.  Il s’agissait d’une exposition des miniatures de l’artiste chinois Che Tien qui illustra les fables en 1845, miniatures provenant de la collection du baron Feuillet de Conches [18].

 

Une exposition a lieu par ailleurs de mai à juin à la médiathèque de la ville, sur le thème « La Chine de Ba Jin, Famille », regroupant des ouvrages de Ba Jin, mais aussi des photos représentant la Chine "féodale" telle que décrite dans « Famille ».

 

Parallèlement, sur le pont de la Marne étaient exposées des photos de piétons de Pékin prises l’année précédente par un jeune photographe, Julien Spiewak, lors d’un échange d’artistes français et chinois au moment des Jeux Olympiques de Pékin.

 

Enfin, l’hommage était matérialisé dans un superbe ouvrage publié par la ville, « livre rouge » réalisé sous la direction de Christiane Sinnig-Haas, directrice du musée Jean de La Fontaine et conservateur du patrimoine, avec la collaboration de Tony Legendre, bien sûr, mais aussi d’Angel Pino, professeur à l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, grand spécialiste et traducteur de Ba Jin. Le titre reprend celui décerné par le gouvernement chinois à Ba Jin en 2003 : Ba Jin, un écrivain du peuple au pays de Jean de La Fontaine [19] (voir bibliographie).

 

Le livre rouge de Château Thierry

en hommage à Ba Jin

 

Dix ans plus tard

 

L’entrée du collège Jean Racine aujourd’hui

(photo Antoine Fleury-Gobert)

 

La petite ville est retombée très vite dans son univers quotidien, sans plus cultiver le souvenir du grand écrivain qu’elle a hébergé une brève année. On trouve dans les rues un parcours illustrant les fables de La Fontaine, rien pour rappeler les lieux où Ba Jin est passé, dont Tony Legendre conserve, lui, la mémoire vive : la papeterie où il achetait ses cahiers, la poste d’où il a envoyé le manuscrit de

son premier roman, la tombe muette des époux Cousin, et le petit magasin de fleurs avec le souvenir de la fleuriste qui s’appelait Marie, en tête du pont qu’il a dû traverser tant de fois …  

 

A la fin de son chapitre sur Ba Jin et la France (p. 178), Bian Qian déplore que le souvenir de l’écrivain soit si ténu à Paris, mais encore plus à Château-Thierry. Elle voyait venir le jour où le nombre croissant de touristes chinois encouragerait à poser des plaques un peu partout pour commémorer son passage. C’était en 2005 ; il y a il est vrai, de plus en plus de touristes chinois, mais ils ne vont guère à Château-Thierry… Quand aux touristes français, ils vont voir le musée La Fontaine où tout est consacré à l’auteur des fables.

 


 

Bibliographie

 

En chinois

 

Un miroir lentement promené le long de la route 一面沿途满步的镜子par Bian Qian (边芹), Presses de l’université normale du Guangxi, 2005. Chap. 14 (2), p. 169-178 : En France à la recherche de Ba Jin - 2 (在法国寻找巴金 - ), Château-Thierry (蒂埃里堡).

 

En français

 

- Ba Jin, un écrivain du peuple au pays de Jean de la Fontaine, ville de Château-Thierry, musée Jean de la Fontaine, mai 2009, 214 p. L’ouvrage est richement illustré et comporte deux articles d’Angel Pino : une biographie de Ba Jin pp. 12-51 [reproduite (sans les illustrations) dans A contretemps n° 45, mars 2013 : http://acontretemps.org/spip.php?article465 ] et un article plus spécifique sur Ba Jin, la France et Château-Thierry, pp. 184-205.

Conception graphique Lucille Guigon, voir le livre sur son site :
https://lucilleguigon.myportfolio.com/ba-jin-au-pays-de-jean-de-la-fontaine

 

- Château-Thierry, du couvent des Capucins au collège Jean Racine – 350 ans d’histoire, par Tony Legendre, 1992.

 

- Thèse de doctorat : Ba Jin et la France, par Liu Bingwen, sous la direction de Daniel-Henri Pageaux, soutenue en 1991 à Paris 3.  Résumé : http://www.theses.fr/1993PA030005

 

Ecrits de Ba Jin liés au souvenir de Château-Thierry :

 

- « Quelques mots en guise de préface », au début du recueil de nouvelles traduites en français « L’automne dans le printemps » (《春天里的秋天》), éd. Littérature chinoise, coll. Panda, Pékin 1982.

- Vengeance (《复仇》), recueil de nouvelles courtes 短篇小说集, éd. de la Chine nouvelle 新中国书局 1931. Tr. Pénélope Bourgeois/ Bernard Lelarge, préface de Jacques Gernet, éd. Seghers, coll. Autour du monde, 1980.

- Au gré de ma plume (《随想录》), trad. Pan Ailian, Littérature chinoise coll. Panda, Pékin 1992.


 


[1] Selon la revue Graines d’histoire : « Des Chinois au collège de Château-Thierry (1920-1934) », n°17, janvier 2003, pp. 2-4.

[2] Spécialiste des pensées taoïste et mohiste et de leurs origines pendant la période des Royaumes combattants.

[3] Voir bibliographie ci-dessous. La préface est datée 14 mai 1952. Les nouvelles datent des années 1930.

[4] Selon les précisions fournies par Angel Pino.

[5] Ba Jin avait défendu les deux anarchistes d’origine italienne Sacco et Vanzetti accusés de deux braquages dans le Massachusetts en 1919 et 1920 ; condamnés à mort, ils montent sur la chaise électrique cet été-là, dans la nuit du 22 au 23 août 1927. Vanzetti a écrit à Ba Jin de la prison de Charlestown où il était détenu avec Sacco.

[6] Dont : « Monsieur Robert », « Le lion », « La vieillesse », « Le cimetière ».  (détails à venir)

[7] Selon un journaliste de Hong Kong, Han Zhanjun, qui s’est rendu trois fois à Château-Thierry, la dernière fois en août 2013, et a publié un article résumant ses recherches dans le mensuel hongkongais The Mirror (鏡報月刊), n° 435, octobre 2013. Traduit en français « Évoquer la mémoire de Ba Jin à Château-Thierry », source Tony Legendre.

[8] Député de l’Aisne, Secrétaire d’Etat et porte-parole du gouvernement Jacques Chirac de mai 1974 à août 1976, puis ministre du Commerce extérieur d’août 1976 à fin mars 1978.

[9] Gao Xingjian a travaillé à partir de 1975 comme traducteur pour un journal officiel chinois publié dans un grand nombre de langues pour prôner les réussites du régime chinois. En 1977, il est transféré au Comité des relations internationales de l’Association des écrivains chinois et travaille également comme interprète. Son voyage à Paris en avril-mai 1979 est son premier voyage en France. Il accompagne un groupe d’écrivains, dont Ba Jin.

De retour à Pékin, il publie des réflexions inspirées de cette expérience : « Ba Jin à Paris » (《巴金在巴黎》).

Texte en ligne : http://www.xuemo.cn/show.asp?id=836

[10] Société fondée en 1864 qui a son siège social… au Musée Jean de la Fontaine.

[11] Les Frères mineurs Capucins sont un ordre religieux qui fait partie de la famille franciscaine et a été aboli en France en 1790.  L'ordre se maintint à l'étranger. Il a reparu en France sous la Restauration. La plupart de leurs couvents ont disparu : celui de Meudon, par exemple, a été détruit, celui du faubourg Saint-Jacques à Paris fait aujourd’hui partie de l’hôpital Cochin, etc.

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Couvent_des_Capucin(e)s#_France

[13] Du couvent des Capucins au collège Jean Racine : 350 ans d'histoire. En ligne : la conférence de 1990, à la Société historique de Château-Thierry, qui a précédé l'édition, en 1992, d'un ouvrage portant le même titre, plus

complet et abondamment illustré :

http://www.histoireaisne.fr/memoires_numerises/chapitres/tome_36/Tome_036_page_021.pdf

[14] Voir bibliographie ci-dessous. Il a écrit les « Quelques mots en guise de préface » et traduit la nouvelle « La digue Su », p. 43.

[15] Les cinq pages du manuscrit figurent dans le superbe livre illustré réalisé par la ville dans le cadre de l’hommage rendu à Ba Jin en 2009 (voir la bibliographie ci-dessous), pp. 58-62.

[16] Voir la bibliographie ci-dessous.

[17] La Convention-cadre de Faro de 2005 (Conseil de l’Europe) sur la valeur du patrimoine culturel pour la société reposait sur l’idée que la connaissance et la pratique du patrimoine sont un aspect du droit des citoyens, celui de participer à la vie culturelle. Elle a défini une démarche de relation au patrimoine non seulement comme amour des vieilles pierres, mais aussi attachement à l’histoire locale, avec la notion parallèle d’éducation au patrimoine.

[19] Titre honorifique assez amusant venant du gouvernement chinois, à l’intention d’un anarchiste notoire, même si cela faisait longtemps qu’il avait « abjuré ».

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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