Actualités

 
 
 
     

 

 

Un numéro hors-série de la revue Jentayu consacré à la littérature de Taiwan

par Brigitte Duzan, 18 octobre 2016

 

Ce premier numéro hors-série de la revue Jentayu offre une sélection de textes de dix-neuf auteurs, dont six femmes, deux auteurs d’origine aborigène et sept poètes, traduits par quatorze traducteurs et traductrices, et illustrés par trois artistes qui se sont répartis le graphisme de la couverture pour l’une, les illustrations des poèmes pour le second, et celles des essais et nouvelles pour le troisième.

 

Les auteurs représentent trois générations d’écrivains : du doyen, le poète Lo Fu (洛夫), né en 1928 dans le Hunan, en Chine continentale, aux deux benjamins, Yang Fu-min (楊富閔) et Chu Yu-hsun (朱宥勳), nés respectivement en 1987 et 1988, ils couvrent un cycle sexagénaire complet. C’est un renouvellement total par rapport, par exemple, aux « 20 under 40 » sélectionnés par la revue taïwanaise Unitas (聯合文學雜誌) en mai 2012 [1].

 

Comme le souligne l’avant-propos de ce hors-série, signé de la directrice du Centre culturel de Taiwan qui a effectué la sélection, les textes proposés représentent une phase d’épanouissement de la littérature taïwanaise, longtemps méconnue, voire ignorée [2].

 

Le numéro spécial Taiwan

de la revue Jentayu

(couverture réalisée par la graphiste

Vivian Wang à partir d'une carte

 ancienne de l'île de Taïwan)

 

On aurait pu placer le numéro sous l’égide du poète Lo Fu, auteur d’un long poème surréaliste célèbre, « La mort dans une cellule de pierre » (《石室之死亡》), dont ce hors-série donne les trois strophes introductives. Mais le choix a été différent : le recueil commence par une nouvelle d’un auteur aborigène, et se poursuit en alternant prose et poésie, et en mêlant à plaisir styles, époques et thèmes.

 

Dans son introduction, c’est sur cette diversité qu’insiste Pierre-Yves Baubry, directeur de la publication de la revue Lettres de Taïwan. Diversité qui fait la part belle à l’histoire et à sa mémoire, et à la nostalgie qui lui est liée, surtout quand le récit se fait autobiographique ; diversité des cadres de pensée et des références culturelles qui se traduit aussi en termes linguistiques.

 

Ce qui frappe, c’est la récurrence d’histoires d’identités multiples, métissées, fractionnées, de « méandres identitaires » qui trahissent des personnalités en quête d’elles-mêmes, et donc, en découlant, une formidable vigueur littéraire qui témoigne d’une propension bienvenue à l’expérimentation, stylistique et verbale.

 

Douze nouvelles

 

1. Ours noir ou queue de porcelet 《黑熊或者豬尾巴》 - Walis Nokan (瓦歷斯.諾幹)

(traduction : Gwennaël Gaffric)

 

Walis Nokan

 

Né en 1961 dans le village de Mihu, près de Taichung, Walis Nokan appartient à l’ethnie des Atayals (泰雅族). Après avoir terminé ses études en 1980, avoir servi dans l’armée, et être devenu enseignant, il publie son premier recueil de textes en prose, "Éternel village" (《永遠的部落》), en 1990, sous le pseudonyme de Liu Ao (柳翱). Après la levée de la loi martiale, dans les années 1990, il devient activiste, participe à la création du Centre de recherche sur les cultures aborigènes de Taïwan et affirme de plus en plus son enracinement dans la culture atayal, avec un travail éditorial pour divers journaux, dont le "Yuan Bao" (《原报》) ou "Journal Aborigène".

 

Première nouvelle du recueil, « Ours noir ou queue de porcelet » le place d’emblée sur le plan de la réflexion historique, culturelle et identitaire. C’est un premier regard

sur l’histoire taïwanaise, vue sous l’angle aborigène. 

 

2. Les accidents de la route 《事件》 - Tong Wei-ger (童偉格) (tr. Coraline Jortay)

 

Né en 1977 à Taipei, Tong Wei-ger a une maîtrise de théâtre de l’Université nationale des arts, à Taipei, où il est professeur. Ecrivain prolifique, il a publié un recueil de nouvelles en 2002, « Wang Kao » (《王考》), puis surtout des romans décrivant une multiplicité de vies apparemment ordinaires, mais dépeintes dans une langue concise avec une touche de réalisme magique : « L’âge sans blessure » (《無傷時代》) en 2005, et, en 2010, « La pluie du nord-ouest » (《西北雨》) qui lui a valu le Prix de littérature de Taïwan.

 

La nouvelle « Les accidents de la route » est extraite du recueil « Wang Kao ».

 

Tong Wei-ger

 

3. Bibi 《逼逼》 - Yang Fu-min (楊富閔) (tr. Marie Laureillard)

 

Né en 1987 à Tainan, Yang Fu-min a publié en 2010 un recueil intitulé « Le garçon de soixante ans » (《花甲男孩》) qui a connu un grand succès auprès de la jeunesse taïwanaise. Il y dépeint avec un humour dévastateur certaines coutumes traditionnelles et éléments de culture populaire confrontés à des allusions à la technologie moderne. Dans ces récits, il mêle mandarin, taïwanais, voire chinglish, suonas et gongs des processions funéraires et chansons pop, le tout dans une joyeuse cacophonie.

 

Constant jeu sur les termes et leurs significations multiples, « Bibi » était aussi un défi pour la traductrice.

 

Yang Fu-min

 

Illustration de la nouvelle de

Yang Fu-min « Bibi » par Hsu Hui-lan

   

  

4. Rencontre à Yurakucho 《相逢有樂町》 - essai autobiographique de Chen Fang-ming (陳芳明)

(tr. Chen Fang-Hwey)

 

Né en 1947 à Kaohsiung, au sud de Taïwan, Chen Fang-ming est une figure majeure de la littérature taïwanaise contemporaine. Diplômé des départements d’histoire de l’Université catholique Fu-jen et de l’Université nationale de Taïwan, il mène en parallèle création et critique littéraireset recherches historiques. Il enseigne aujourd’hui à l’Université nationale Chengchi et dirige l’Institut taïwanais de littérature. Ses divers écrits – essais et poèmes - ont été publiés dans une anthologie en neuf

 

Chen Fang-ming

volumes. On lui doit aussi une série d’essais de référence sur les écrivains femmes de Taïwan, dont une biographie de la première révolutionnaire féminine taïwanaise Hsieh Hsueh-hung (謝雪紅), et une « Nouvelle histoire littéraire de Taïwan ».

 

« Rencontre à Yurakucho » est un hommage d’un fils à son père, et à tous ceux de sa génération, la « génération perdue de ceux qui ont été élevés dans la langue japonaise, ont vécu dans la culture et la discipline japonaises, puis ont eu du mal à s’insérer dans la société taïwanaise en raison, d’abord, de la barrière linguistique.

 

5. Consonne 《字母》 - Lo Yi-chin (駱以軍) (tr. Lise Pouchelon)

 

Lo Yi-chin

 

Né en 1967, d’abord auteur de nouvelles à la fin des années 1980, Lo Yi-chin a ensuite écrit des romans ainsi que des chroniques pour les journaux. Enfant unique d’immigrants chinois du Continent, il est connu pour le style complexe et les thèmes sombres de ses récits, qui racontent pour la plupart des histoires familiales douloureuses où la mort et l’abandon sont omniprésents, semblant prouver ce que prétendait Walter Benjamin : que c’est la mort qui est la force motrice de tout grand écrivain.

 

Généralement considéré comme son roman le plus représentatif, « L’Hôtel Xixia » (《西夏旅館》), paru en 2008 et couronné par le prix Hongloumeng en 2010, combine éléments de science-fiction et traits de littérature post-moderne. « L’Hôtel Xixia » conte une histoire de trauma et de rédemption, de migration et de recherche des racines, en mêlant deux lignes narratives distinctes : l’histoire de la mystérieuse disparition, au 11ème siècle, de la dynastie des Xixia, et une parade de spectacles grotesques dans un hôtel en décadence. Selon Chen Sihe, président du jury Hongloumeng, « en mêlant confession personnelle et narration nationale, réalisme magique et fiction érotique, humour noir et mélancolie, l’auteur dépeint la Chine moderne sous ses aspects les plus complexes et intrigants, dans une langue éblouissante, une structure labyrinthienne et une imagerie kaléidoscopique ».

 

Par la suite, Lo Yi-chin a publié des recueils de courts récits évoquant la vie de tous les jours sur un ton plus léger, comme "Mes petits garçons" (《小兒子》). Publiée dans Ink en 2015, la nouvelle du hors-série de Jentayu en est un exemple : « Consonne » est l’histoire d’un chien….

  

6. Les cassettes du Professeur K’ang 《康老師的錄音帶》 - Chu Yu-hsun (朱宥勳)

(tr. Gwennaël Gaffric)

 

Né en 1988 à Taoyuan, Chu Yu-hsun est diplômé de l’Institut de littérature taïwanaise de l’Université Tsinghua. Considéré comme l’un des jeunes auteurs les plus prometteurs du pays, il fait partie du comité de lecture de la revue littéraire "Lecteur secret" (《秘密讀者》). Son roman le plus récent est « Ombre » (《暗影》), publié en 2015. Outre de nombreux articles et essais pour la presse, il écrit aussi des nouvelles, dont certaines ont été publiées dans les recueils « Livraison erronée » (《誤遞》) en 2010 et « Visions de craie » (《堊觀》) en 2012.

 

Chu Yu-hsun

 

« Les cassettes du Professeur K’ang » semble faire écho à « Rencontre à Yukachuro » : les cassettes sont des enregistrements de discours et de cours d’un professeur de phonétique, dans un pays « fragmenté en différents dialectes » qui tente d’imposer une « langue nationale ».

  

7. La faille 《斷層》 - Wang Ting-kuo (王定國) (tr. Lucie Modde)

 

Wang Ting-kuo

 

Né en 1955 dans la vieille ville de Lukang, Wang Ting-kuo a commencé dès dix-sept ans à écrire des nouvelles qui lui ont aussitôt valu plusieurs prix littéraires. Il a ensuite concentré ses efforts sur le développement de son entreprise et ce n’est qu’en 2003 qu’il est revenu à la littérature. Il a depuis lors écrit de nombreux romans, essais et recueils de nouvelles, remportant en 2014 le Grand Prix international du livre de Taïwan pour son roman "Si chaud, si froid" (《那麼熱,那麼冷》). 

 

Nouvelle très courte datant de 2015, « La faille » (《斷層》/《断层》) est d’un style très comparable à beaucoup de nouvelles récentes d’auteurs du Continent : description d’un personnage original dans les aspects les plus courants de sa vie quotidienne, mais par bribes à peine entrevues, avec un dénouement soudain qui, dans sa brièveté, ouvre le récit plus qu’il ne le referme.

  

8. Virtual Taiwan 《虛擬台灣》 - Ping Lu (平路) (tr. Damien Ligot)

 

Née en 1953 et originaire de Kaohsiung, Ping Lu est l’une des femmes écrivains les plus connues de Taïwan. Diplômée de l’Université nationale de Taïwan et de l’Université de l’Iowa, elle a décroché un premier prix littéraire en 1983, pendant qu’elle était aux Etats-Unis. Romancière et essayiste, elle est réputée pour ses romans et ouvrages de critique historique, culturelle et sociale qui permettent, entre autres, de revoir l’histoire de certains personnages célèbres. C’est le cas, par exemple, de « Love and Revolution » (《行道天涯》), publié en 1995, qui revisite les vies de Sun Yat-sen et de Soong Ching-ling.

 

Ping Lu

  

9. Zeelandia 《熱蘭遮》 Lai-Hsiang-yin (賴香吟) (tr. Matthieu Kolatte)

 

Lai-Hsiang-yin

 

Née en 1969 à Tainan, Lai-Hsiang-yin publie sa première nouvelle, « Grenouille » (《蛙》), dans une revue en 1987. Dix ans plus tard, après des études à l’Université de Tokyo, elle publie trois recueils de nouvelles très remarqués, « Le Traducteur » (《散步到他方》), « Paysage dans le brouillard » (《霧中風景》) et « Dao » (《島》). Puis cesse de publier jusqu’en 2012.

 

Elle revient à la littérature avec « Par la suite » (《其後それから》), un roman inspiré de son amitié avec Chiu Miao-chin (邱妙津), figure de proue de la littérature lesbienne taïwanaise décédée en 1995 ; leroman a été couronné du Prix de la littérature de Taïwan. En 2016, elle a publié un recueil de nouvelles intitulé « La mort de Wen-ching » (《文青之死》), comme ses textes précédents sur les thèmes de la mémoire, de l’absence et du regret.

 

Datant de 2000, « Zeelandia » est une évocation de l’histoire de Taiwan à travers une fiction liée à ce fort, d’abord construit par les Hollandais en 1624, et appelé Fort Orange, avant d’être rebaptisé Zeelandia par le gouverneur de Batavia trois ans plus tard. C’est ce qu’on apprend au début de la nouvelle, divisée en quatre parties suivant les avatars et la ruine progressive du fort. C’est cette ruine qui sous-tend l’humeur mélancolique de la narratrice, qui a perdu son petit ami, le Dao (《島》) de la nouvelle précédente…

  

10. La vie de Maman dans le village de garnison 《眷村歲月的母親》 - essai autobiographique de Liglav A-wu (利格拉樂.阿女烏) (tr. Sabrina Corinus)

 

Née en 1969 et issue de la tribu des Paiwan, Liglav A-Wu est une figure importante de l’activisme aborigène à Taïwan. Elle explore les thèmes du genre, de l’ethnicité et de l’identité, en s’inspirant de son expérience personnelle. Elle n’a commencé que tardivement à s’identifier à son héritage aborigène et à défendre les intérêts de sa communauté. Elle s’attache tout particulièrement à faire entendre la voix des femmes aborigènes dans le débat féministe à Taïwan. 

 

Liglav A-wu

 

« La vie de Maman dans le village de garnison » est un essai autobiographique qui retrace sa prise de conscience de sa marginalisation sociale en tant qu’aborigène quand elle était enfant, et sa découverte tardive des mauvais traitements subis pour les mêmes raisons par sa mère qui avait épousé un Chinois venu du Continent.

 

11. Communication sans frontières 《跨界通訊》 - Chen Yu-chin (陳又津)

(tr. Catherine Charmant et Deng Xinnan)

 

Chen Yu-chin

 

Née en 1986 à Taipei, fille d’un soldat venu du Fujian et d’une mère indonésienne d’origine hakka venue à Taiwan avec un billet d’avion aller simple et un visa de touriste de six mois, Chen Yu-chin a commencé à écrire essais et poèmes au lycée. C’est par ses récits qu’elle s’est défini une identité en rupture avec les schémas normatifs usuels, offrant ainsi une ouverture à d’autres jeunes issus de familles tout aussi atypiques. Ses écrits couvrent une variété de genres et de styles abordant les différents aspects de l’expérience de l’immigration à Taiwan et font de l’immigration – y compris les migrations internes - une source d’identité culturelle dans l’île.

 

Son premier roman « Young Woman Kublai Khan » (《少女 忽必烈》) a été publié en 2014, et le suivant, « Taipei People-to-Be » (《準台北人》), en 2015. 

 

12. Vénus 《維納斯》 - Chen Xue (陳雪) (tr. Olivier Bialais)

 

Née en 1970 à Taichung, Chen Xue s’est fait connaître en 1995 lors de la parution de son premier ouvrage : « Livre de mauvaises filles » (《惡女書》), un recueil de quatre nouvelles devenu un classique de la littérature homosexuelle en langue chinoise. Elle a continué à publier romans et nouvelles, parmi lesquels « La marque du papillon » (《蝴蝶的記號》), « L’enfant sur le pont » (《橋上的孩子》), « Le possédé » (《附魔者》), « L’amant dans le labyrinthe » (《迷宮中的戀人》) et, en 2015, « Gratte-ciel » (《摩天大樓》).

 

Chen Xue

  

Au milieu de ces douze nouvelles sont intercalés sept poèmes.

 

Sept poèmes

 

1. Sakura, Sakor 《佐倉. 薩孤肋》 Yang Mu (楊牧) (tr. Sandrine Marchand)

2. Chant déchirant du déchireur 《撕人撕歌》 Wuhe (舞鶴) (tr. Emmanuelle Péchenart)

3. La mort dans une cellule de pierre 《石室之死亡》 (1-2-3) Lo Fu (洛夫) (tr. Marie Laureillard)

4. Étude du soir : deux poèmes 《晚課兩題》 Chen Li (陳黎) (tr. Marie Laureillard)

5. À la rencontre du chagrin 《離騷》 Lo Chih-cheng (羅智成) (tr. Sandrine Marchand)

6. Étoile de mer 《海星》 Chen Yu-hong (陳育虹) (tr. Marie Laureillard)

7. Continuer à parler de lassitude 《繼續討論厭煩》 Hsia Yu (夏宇) (tr. Gwennaël Gaffric)

 


[1] Notices biographiques reprises dans Asymptotes en septembre et octobre 2012 :

http://www.asymptotejournal.com/special-feature/a-sinophone-20-under-40-part-iiv/

[2] Malgré les efforts d’universitaires et spécialistes, comme Angel Pino et Isabelle Rabut. Voir en particulier l’ouvrage édité à la suite du colloque de novembre 2004 sur l’état des recherches sur la littérature taïwanaise et sa réception à l’étranger :

http://www.chinese-shortstories.com/Bibliographie_Litterature_Taiwan.htm

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.