| 
                  
                  | 
				
				Rencontre avec la traductrice Emmanuelle Péchenart : 
				 
				portrait 
				d’un pèlerin des lettres chinoises 
				
				par Brigitte Duzan, 7 
				octobre 2011         
					
						| 
						
						Emmanuelle 
						Péchenart. On voit son nom sur les livres les plus 
						divers traduits du chinois publiés ces derniers temps. 
						Des livres qui ont un point commun essentiel : ils sont 
						d’une très belle écriture, exigeants, difficiles à 
						traduire, et sont tous, chacun à sa manière, des œuvres 
						marquantes de la littérature contemporaine de langue 
						chinoise. 
						
						         
						
						Au cours des 
						quatre derniers mois, on a ainsi vu paraître, traduits 
						(ou co-traduits) par elle, un roman majeur des lettres 
						taiwanaises contemporaines, en juin, un livre de poésie, 
						en juillet, et, en septembre, le dernier roman de 
						 
						
						
						
						
						Bi Feiyu, 
						qu’elle accompagnait mardi 4 octobre lors de son
						
						passage à la librairie le Phénix 
						pour le présenter. 
						
						         
						
						Ce sont 
						évidemment les calendriers propres des éditeurs qui 
						expliquent cet emballement des publications. Il n’en 
						 |  | 
						 
						Emmanuelle 
						Péchenart |  
						
						reflète
				pas moins le travail d’une traductrice qui ne se contente pas de 
				traduire tranquillement devant son ordinateur, son chat sur les 
				genoux, des textes qu’on lui a proposés, mais prend aussi de 
				temps en temps son bâton de pèlerin pour aller dénicher 
				l’éditeur idoine, capable de se passionner avec elle pour un 
				auteur découvert au hasard de ses lectures. 
				         
				
				Parcours du pélerin 
				         
				
				Tout a commencé au lycée Racine, au début des années 1970. 
				C’était en effet, à l’époque, le seul lycée parisien à offrir 
				des cours de chinois, dans le cadre de cursus bilingues et 
				trilingues. Ce n’étaient guère que deux heures par semaine, mais 
				suffisantes pour une bonne initiation, et surtout pour éveiller 
				l’intérêt et donner l’envie d’en apprendre plus. C’est ce qui 
				s’est passé. 
				         
				
				LanguesO’, Fudan 
				         
				
				Emmanuelle Péchenart est entrée en 1974 aux LanguesO’, comme on 
				disait alors. C’était encore l’époque héroïque. Le département 
				Chine avait de grand maîtres pour enseignants, François Cheng, 
				Jacques Pimpaneau, et alia ; c’était une pépinière dont on 
				retrouve aujourd’hui nombre de spécimens arrivés à maturité, en 
				particulier dans le domaine de la traduction. 
				         
				
				L’étape suivante fut un stage de deux mois en Chine, pendant 
				l’été 1979. Le pays commençait juste à s’entrouvrir après la 
				mort de Mao ; les conditions de vie étaient encore très zen, 
				mais c’était un monde fascinant. Emmanuelle fit une demande de 
				bourse qui lui permit de partir deux ans, de l’automne 1980 
				jusqu’à la fin de l’été 1982. Elle partit avec sa camarade (et 
				future traductrice elle aussi) 
				
				Sylvie 
				Gentil, mais, pendant que celle-ci allait étudier à 
				Pékin, Emmanuelle se retrouva à l’université Fudan (复旦大学), 
				à Shanghai.  
				         
				
				Institut d’art 
				dramatique de Pékin 
				       
				  
					
						|  | 
						 
						Institut central d’art dramatique |  |          
				
				Elle y resta un an. Période austère, seule dans une ville qui 
				avait beaucoup souffert sous Mao, et continuait une cure forcée 
				d’austérité. Au bout d’un an, elle partit à Pékin, à l’Institut 
				central d’art dramatique (中央戏剧学院), créé par Mao dès avril 1950, bastion du théâtre expérimental, mais 
				aussi pépinière de réalisateurs et d’acteurs de cinéma, dont 
				Jiang Wen (姜文),
				qui y était 
				entré, justement, l’année précédente, en 1980. 
				         
				En 
				outre, un bâtiment spécial était en construction pour les 
				étudiants étrangers, mais il n’était pas terminé. En fait, 
				dit-elle, cela n’a pas tellement changé, on a juste ajouté des 
				lampions rouges à l’entrée… Elle était donc mêlée étroitement à 
				la vie de l’établissement, se formant à la poésie et au théâtre 
				classiques et surtout à l’opéra. Son meilleur souvenir est un 
				festival d’opéra kunqu sur une scène à l’ancienne à 
				Suzhou dont elle a conservé des enregistrements pris sur le vif.         
					
						| 
						
						Si elle n’a pas 
						connu Jiang Wen, en revanche, elle a fait là la 
						connaissance de 
						
						Zhang Xinxin (张辛欣), 
						entrée elle aussi en 1980, pour étudier la mise en 
						scène. Elle allait cependant surtout devenir l’une des 
						figures marquantes du renouveau du roman chinois dans 
						les années 1980 ; en 1981, elle publia à Shanghai, dans 
						la revue Shouhuo (收获), 
						une nouvelle qui fit sensation, traduite plus tard par 
						Emmanuelle sous le titre « Sur 
						la même ligne d'horizon » (《在同一地平线上》).         
						
						Mais, pour 
						Emmanuelle, l’heure en était encore aux études. Elle 
						choisit pour sujet de maîtrise la pièce « La maison de 
						thé » (《茶馆》), grand classique post-49 de 
						
						Lao She (老舍) 
						dont elle fit aussi une nouvelle traduction. 
						 
						
						         
						
						Intermède 
						
						         
						
						En 1982, de 
						retour à Paris, les études littéraires ne 
						 |  | 
						 
						Zhang Xinxin |  
				
				nourrissant pas tellement son homme, elle entra à l’Institut 
				français d’architecture, où elle 
				participa à des études sur 
				l’architecture et la ville en Chine avec Pierre Clément qui 
				dirigeait le département d'architecture comparée, et aussi plus 
				tard avec Françoise Ged, spécialiste de Shanghai et qui dirige 
				aujourd'hui l’Observatoire de la Chine contemporaine à la Cité 
				de l’architecture et du patrimoine. 
				         
				
				Elle travailla sur Suzhou, publiant en 1985 un livre sur la 
				ville avec Pierre Clément (1), puis fut envoyée en mission à 
				Shanghai, en 1987, où elle entendit parler de…
				
				
				Zhang Ailing (张爱玲). 
				Les études sur l’architecture asiatique durent cesser peu après, 
				faute de crédits, mais elle avait gagné dans l’histoire un sujet 
				d’étude autrement passionnant pour une jeune future traductrice. 
				
				         
				
				De 
				retour en France, elle trouva à la bibliothèque de Jussieu les 
				œuvres de Zhang Ailing qui avaient été publiées dans les années 
				1950 à Hong Kong. Elle reprit ses études. 
				
				         
				
				Doctorat 
				         
					
						| 
						
						 
						Viviane Alleton |  | 
						
						Elle 
						s’inscrivit pour préparer un DEA à l’EHESS (école des 
						Hautes Etudes en Sciences sociales) pour lequel elle fit 
						une étude comparée des traductions existantes du premier 
						chapitre de
						
						« La véritables histoire d’AQ » (《阿Q正传》) 
						de 
						Lu Xun (魯迅). 
						Elle 
						continua par un doctorat sous la direction de Viviane 
						Alleton. Cette fois-ci, elle choisit
						
						
						Zhang Ailing 
						pour sujet de thèse, et plus exactement ce qui reste 
						sans doute son plus grand chef d’œuvre, le plus 
						caustique et le plus personnel : « La Cangue d’or » (《金锁记》).Son 
						projet était d’en analyser le texte sous divers aspects 
						très précis (temps, descriptions, dialogues, etc…) 
						
						         
						
						Sur ces 
						entrefaites, cependant, son mari fut envoyé pour deux 
						ans en mission en Centrafrique, et elle se retrouva à 
						Bangui, dans un environnement peu favorable à l’étude de
						 |  
				
				textes chinois. C’est là qu’elle apprit le décès de Zhang 
				Ailing, en septembre 1995, dans des circonstances dont le 
				caractère tragique lui apparut légèrement irréel ; elle se 
				sentait vraiment déconnectée.         
				
				Elle soutint finalement sa thèse en 2002, grâce au soutien de 
				Viviane Alleton qui ne la laissa pas abandonner. Mais elle avait 
				déjà commencé sa carrière de traductrice. 
				         
				
				Traductrice de Zhang 
				Ailing et Zhang Xinxin, mais tant d’autres aussi 
				         
				
				Emmanuelle Péchenart est surtout connue comme traductrice et 
				spécialiste de 
				
				Zhang Ailing (张爱玲)
				et de
				
				Zhang Xinxin (张辛欣) qu’elle a contribué 
				à faire connaître en France, 
				mais ce n’est pourtant qu’une toute petite partie émergée de 
				l’iceberg.  
				         
				
				Zhang Ailing et Zhang 
				Xinxin 
				        
				Elle a d’abord 
				connu Zhang Xinxin dont elle a traduit deux nouvelles publiées 
				chez Actes Sud – « Sur la même ligne d'horizon » (《在同一地平线上》), en 
				1987, et « Le courrier des bandits » (《封/片/连》),  
				co-traduit avec 
				Robin Setton, en 1989 – puis a participé à la traduction, 
				dirigée par Bernadette Rouis, de la série de textes de cet 
				auteur publiés en 1992 sous le titre « L’homme de Pékin » 
				(《北京人》).  
				        
				
				Elle a aussi traduit et publié les textes fondamentaux de Zhang 
				Ailing, d’abord chez Bleu de Chine, puis à l’Aube et chez Robert 
				Laffont.          
					
						| 
				
				Aujourd’hui, elle a encore des traductions non publiées de ces 
				auteurs : un roman autobiographique de la première, des 
				nouvelles et des essais de la seconde. Elles ne semblent 
				cependant plus avoir la faveur des éditeurs. Mais Emmanuelle a 
				d’autres cordes à son arc : elle est constamment à la recherche 
				de nouveaux auteurs, de nouveaux textes, et s’en fait ensuite le 
				passeur et l’ardent défenseur.  
				        
				On 
				ne peut pas tout citer, mais il faut dire un mot des deux 
				derniers livres qu’elle a traduits, ceux sortis juste avant 
				celui de Bi Feiyu : un roman taiwanais, « Les Survivants »  
				(《余生》) 
				de Wuhe (舞鹤), 
				et un recueil de poésie, « L’année des fleurs de sophora » de 
				Meng Ming (孟明).
				 
				         
				
				Wuhe 
						        
						
						Elle a traduit 
						« Les Survivants » (《余生》) 
						avec la traductrice d’origine taiwanaise Esther 
						Lin-Rosolato qui en  |  | 
						 
						Les survivants |  
						 
						avait entendu parler à Taiwan. Le roman a été publié en 
						juin dernier, dans la collection Lettres taiwanaises 
						d’Actes Sud dirigée par
						
						Isabelle Rabut, Angel 
						Pino et Chan Hing-ho (2). 
						        
						
						C’est un roman 
						d’une écriture très originale, d’un auteur dont on 
						parlait beaucoup à Taiwan, et dont on parle encore plus 
						maintenant que vient de sortir un film, « Seediq Bale » 
						(《赛德克·巴莱》), 
						qui a été présenté à la biennale de Venise le 1er 
						septembre dernier et reprend le même sujet (3), un  
				
				sujet dans l’air du temps mais peu connu jusqu’ici, concernant 
				le sort réservé aux aborigènes qui peuplaient l’île avant 
				l’arrivée des Chinois.          
					
						| 
						 
						Meng Ming lors d’une lecture de ses 
						poèmes dans la cour de Cheyne, le 20 août 2011 |  | 
				
						Si le film est 
						une grosse production, et essentiellement démonstratif, 
						le roman, lui, est réflexif, offrant une longue 
						méditation en forme de monologue ininterrompu
						sur ces événements. C’est un livre écrit au 
						rythme de la pensée, 
				
				ponctuée de temps à autre de rares points qui permettent à 
				l’auteur de reprendre son souffle. Le flot continu de la 
				réflexion se déroule ainsi sous nos yeux, un geste, un bruit, le 
				passage d’une ombre devant la fenêtre en déviant le cours, comme 
				dans la vie. 
				        
				        
				
				C’est un livre dans lequel on entre peu à peu, comme dans un 
				univers dans lequel il faut faire sa place avant de s’y sentir à 
				l’aise pour pouvoir accéder à la pensée qui s’y déroule. On 
				apprend à respirer avec chaque point, en symbiose avec l’auteur. 
				C’est du grand art, exigeant et très difficile à traduire, il y 
				a fallu un tandem hors pair, 
				beaucoup de temps, et la révision 
				minutieuse 
						 |  
				
				d’Isabelle Rabut. 
				Le résultat est à la hauteur de l’original.  
				        
				
				Meng Ming 
				        
						
						Meng Ming est 
						un autre cas d’auteur difficile à traduire, cette fois 
						parce qu’il s’agit de poésie contemporaine et que la 
						poésie est la chose la plus ardue à traduire : parce 
						qu’il faut en rendre le rythme, la musique, qui n’est 
						pas seulement celle de la langue, mais celle de la 
						pensée du poète.  
						        
					
						| 
						
						Cette fois, 
						Emmanuelle était seule devant le texte, mais en dialogue 
						avec l’auteur, poète chinois en exil en France depuis 
						1989. Elle a 
						le sentiment d’être restée fidèle au texte, au sens
						 
						comme à la forme, 
						
						comme une sorte de double du poète, de l’autre 
						côté du miroir de la langue. 
						        
						C’est d’ailleurs pour elle une exigence 
						fondamentale pour toute traduction : restituer à chaque 
						texte son côté poétique entendu en ce sens, une fusion 
						étroite de la forme et de la signification. Ce qui 
						implique aussi un choix  |  | 
						 
						Ma Desheng |  
						exigeant des textes eux-mêmes.  
						        
						
						Et maintenant ?
						 
						
						Maintenant, 
						Emmanuelle Péchenart rêve d’autres textes à découvrir et 
						faire découvrir, rêve aussi de placer ceux de 
						ses auteurs 
						favoris qu’elle a traduits et sont restés tristement sur 
						 
						
						une étagère. 
				Pour l’heure, ce 
				qu’elle attend avec impatience, c’est le long poème qu’est en 
				train d’écrire son ami 
						Ma Desheng (马德升) et qu’il lui a annoncé 
				pour bientôt… bientôt…           
				
				
				Notes 
				
				(1) Suzhou, forme et tissu urbains, d’Emmanuelle Péchenart et 
				Pierre Clément (architecte), Institut 
				français d'architecture, 1985. 
				(2) Il s’agit en fait d’une « 
				collection itinérante », les traductions étant publiées chez 
				plusieurs éditeurs, Christian Bourgois, Bleu de Chine et You 
				Feng outre Actes Sud. 
				
				(3) Sur le film, le livre et son auteur, voir :
				
				www.chinesemovies.com.fr/films_Wei_Tesheng_Seediq_Bale.htm 
				         
         
				
				Principales 
				traductions : 
				         
				
				*Ecrivains de Chine 
				continentale : 
				De 
				Bi Feiyu (毕飞宇) : 
				- 
				Les aveugles, Philippe Picquier, septembre 2011 
				         
				De 
				Wang Gang (王刚)
				
				: 
				- 
				English (《英格力士》), 
				traduit avec 
				
				Pascale Wei-Guinot, Philippe Picquier, février 2008 
				         
				De 
				Zhang Xinxin (张辛欣) : 
				- L'homme de Pékin, traduit, 
				sous la direction de Bernadette Rouis, avec une série de traducteurs dont 
				les noms apparaissent à la fin de chaque texte, Actes Sud 1992- Le courrier des bandits, traduit avec Robin Setton, Actes Sud 
				1989
 - Sur la même ligne d'horizon , Actes Sud 1987
 
				        
				De 
				Zhang Ailing/Eileen Chang (张爱玲) :
				 
				- 
				Lust.Caution/Amour, luxure et trahison (quatre nouvelles), R. 
				Laffont janvier 2008, repris en 10/18 oct. 2009 
				- 
				Un amour dévastateur, L’Aube, janvier 2005 
				- 
				Rose rouge, Rose blanche, dessins de Françoise Ged, Bleu de 
				Chine, 2001 
				- 
				La cangue d’or, Bleu de Chine, 1999 
				         
				
				*Ecrivains taiwanais : 
				De 
				Wuhe (舞鹤) : 
				- 
				Les survivants , traduit avec Esther Lin-Rosolato, Actes Sud, 
				coll. Lettres taiwanaises, juin 2011 
				         
				De 
				la romancière 
				Ping Lu (平路) 
				: 
				- 
				Le dernier amour de Sun Yat-Sen, Mercure de France, mai 2008 
				         
				De 
				
				Huang Chunming (黃春明) 
				: 
				- 
				Le gong, traduit avec Anne Wu, Actes Sud, coll. Lettres 
				taiwanaises, novembre 2001 
				         
				
				*Poètes : 
				De 
				Meng Ming (孟明) 
				: 
				- 
				L’année des fleurs de sophora, édition bilingue, Cheyne, coll. 
				D’une voix l’autre, juillet 2011 
				
				Extrait de la préface :
				
				http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-107074-l-annee-des-fleurs-de-sophora.htm 
				         
				De 
				Ma Desheng (马德升) : 
				- 
				Rêves blancs, âmes noires, édition bilingue, L’Aube, novembre 
				2003 
				- 
				24 heures avant la rencontre avec le dieu de la mort, Actes Sud, 
				1992          
				         
					                       | 
                  
                  |