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Rencontre avec Isabelle
Rabut : du grec au chinois, même ferveur, même exigence
par Brigitte Duzan, 21 janvier 2011
Il est un nom
qui revient régulièrement dans les références aux
traductions d’œuvres d’auteurs présentés sur ce site,
tels
Shen Congwen (沈从文),
Yu Hua (余华)
ou
Chi Li (池莉) :
c’est celui d’Isabelle Rabut.
Elle n’est
cependant pas seulement traductrice. Professeur de
littérature chinoise moderne à l’Inalco, son travail
dans cet établissement comporte un volet de recherche,
assorti
d’interventions
et publications régulières, et elle est par ailleurs
directrice de collection, chez plusieurs éditeurs.
On a
l’impression qu’une Isabelle Rabut peut en cacher une
autre. Nous l’avons rencontrée pour tenter d’en savoir
davantage, en commençant par les origines, comme pour
tout mythe qui se respecte. |
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Isabelle Rabut |
Du grec classique au chinois moderne
Isabelle Rabut est
normalienne de formation, comme François Jullien ou Muriel Détrie,
penseurs originaux et stimulants dans leur façon d’aborder la
Chine et d’en transmettre modes de pensée et traditions,
littéraires et autres.
Quand on a commencé par
l’étude du grec ancien, qu’on en est arrivé à l’agrégation, sa
thèse derrière soi, le saut au chinois n’est pas facile ; c’est
un véritable grand écart qui vous fait retomber niveau grand
débutant : il y faut une raison et une profonde motivation.
Mais, dans ces cas-là,
c’est souvent le hasard qui change la donne : en l’occurrence,
il envoya
l’helléniste en Chine,
comme professeur de français à l’Institut des Langues étrangères
de Pékin. On part pour un an, on en revient six ans plus tard et
la vie entre temps a pris un autre cours.
Le petit soldat du Hunan |
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Ce nouveau
cours a débuté par une seconde thèse, sur
Shen Congwen (沈从文),
commencée en 1986. Isabelle Rabut avait rencontré
l’écrivain à Pékin ; elle alla ensuite parfaire sa
connaissance par un pèlerinage obligé dans sa ville de
Fenghuang, dans le Hunan. Depuis le début de la
décennie, Shen Congwen était sorti de l’ombre salvatrice
qui lui avait permis de survivre ; malgré de nouvelles
attaques en 1983, il était désormais en Chine un
personnage en vue et célébré ; il devait mourir deux ans
plus tard.
Isabelle Rabut
s’attela à la traduction d’une de ses œuvres
fondamentales, son autobiographie (《从文自传》),
publiée en français sous le titre « Le petit soldat du
Hunan ». La traduction fut d’abord proposée à l’éditeur
Christian Bourgois ; le projet fut jugé intéressant,
mais
l’éditeur n’était pas en
mesure de le publier dans des délais raisonnables, il
fut donc repris par Albin Michel ; mais il
fallut d’abord
qu’Isabelle Rabut traduisît un roman, « Le |
passeur du Chadong » (ou « La
ville frontière »
《边城》)et
que celui-ci fût publié avec succès, en 1990, pour que fût
décidée la poursuite de l’expérience avec « Le petit soldat du
Hunan », qui sortit finalement en janvier 1992.
Le travail de
traduction de l’œuvre de Shen Congwen fut complété plus tard,
par la publication en 1996, chez Bleu de Chine, du texte « L’eau
et les nuages, comment je crée les histoires et comment les
histoires me créent » (《水云》),
sur les relations réciproques entre l’écrivain et sa création.
De la littérature des années trente aux auteurs contemporains
De la traduction, le
travail d’ Isabelle Rabut a évolué vers l’édition, avec la
responsabilité de deux collections.
Les années trente
De Shen
Congwen, maître du
jingpai,
aux écrivains du
haipai, la
transition était logique. Ce fut le thème de recherche
suivant d’Isabelle Rabut, en collaboration avec Angel
Pino. Les éditions Albin Michel publièrent en 1996 un
recueil regroupant des nouvelles des deux courants sous
le titre « Le fox trot de Shanghai et autres nouvelles
chinoises » : on a là une anthologie des textes les plus
représentatifs des écrivains pékinois et shanghaïens des
années trente, dont la forme courte fut le genre
privilégié, et le vecteur de recherches stylistiques
fécondes.
Ce recueil fut
ensuite prolongé par une somme sur la notion même de
jingpai et
haipai,
notions qui étaient jusque là très floues. Ce fut
« Pékin-Shanghai, tradition et modernité dans la
littérature chinoise des années trente »,
analyse à la
fois historique, philosophique et esthétique des deux
écoles, publiée chez Bleu de Chine en 2000. Fruit
d'un travail réalisé par des spécialistes français,
chinois et |
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Pékin-Shanghai |
américains, mais selon un plan
soigneusement fixé au préalable qui prévoyait pour chacun un
sujet bien déterminé correspondant à ses axes spécifiques de
recherche, jamais ouvrage collectif n’a été aussi homogène.
Les écrivains
contemporains
La Chine en dix mots |
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C’est alors, en
1997, qu’Isabelle Rabut est entrée chez Actes Sud comme
directrice de la collection
"Lettres
chinoises", plus spécifiquement axée sur la littérature
moderne et contemporaine. Exit donc la
littérature
des années trente : ce fut le début d’une nouvelle
aventure, et la découverte d’auteurs dont la collection
fit connaître et les noms et les œuvres en France.
L’une des
caractéristiques intéressantes de la collection est de
ne pas publier, en général, d’œuvres isolées, mais
plutôt des séries de titres d’un même auteur, ce qui
permet d’avoir une idée d’ensemble de l’œuvre. C’est
ainsi qu’elle comporte toute une série de récits de
Chi Li
(池莉) formant
comme une anthologie de l’œuvre de la romancière de
Wuhan, le dernier, « Le
show de la vie », ayant été publié
tout récemment, en janvier 2011.
L’autre
exemple est
Yu Hua
(余华),
dont les titres
s’échelonnent
du roman « Le vendeur de sang » (《许三观卖血记》),
publié en 1997, au bestseller récent « Brothers »
(《兄弟》),
traduit avec Angel Pino et sorti en 2008 (1), et jusqu’à
la toute récente parution, « La Chine en dix mots »,
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analyse
détonante, en dix mots clés, de l’envers du décor
chinois de ces quarante dernières années, livre qui n’a
pas été publié en Chine et risque bien de ne jamais
l’être vu le contenu corrosif de la satire.
Bon nombre de
nouvelles écrites par Yu Hua dans les années 80 ont
également été traduites et publiées, sous les titres
« Un amour classique » et « Sur la route à dix-huit
ans », également parus chez Actes Sud, confirmant le
principe général qui prévaut dans l’édition, au moins
dans le domaine de la littérature chinoise : il faut
qu’un auteur ait d’abord atteint un certain niveau de
notoriété et de popularité grâce à des romans avant que
les éditeurs en viennent à publier des textes courts.
Au total, ce
travail d’édition est un travail de découverte et de
diffusion, mais aussi de relecture rigoureuse des
traductions, pour assurer non seulement la fluidité du
texte français, critère qui prévaut souvent aujourd’hui,
mais aussi, ligne par ligne, et au besoin caractère par
caractère, une parfaite adéquation avec le texte chinois
d’origine.
La littérature
taiwanaise aussi
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Un amour classique |
Essais de micro |
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Parallèlement à ce travail sur la
littérature chinoise du Continent,
Isabelle Rabut est
co-directrice d’une collection "itinérante" consacrée à
la littérature taiwanaise, avec
Angel
Pino, directeur du Centre d’études et de recherche sur
l’Extrême Orient (CEREO) de l’Université Michel de
Montaigne Bordeaux 3. Collection
"itinérante" parce que les
traductions sont publiées par plusieurs éditeurs, dont
Christian Bourgois qui a été l’un des pionniers dans le
domaine.
La collection a
fait découvrir au public français des auteurs comme les
sœurs Chu, mais aussi Hwang Chun-ming, Su Wei-chen,
Huang Fan, Huang Kuo-chun ou encore le poète Yang Mu.
L’un des livres de la collection que recommande
Isabelle Rabut
est d’ailleurs le recueil de textes en prose « Essais de
micro », publié en 2009 chez Actes Sud,
parfait exemple du monde absurde de Huang
Kuo-chun, qui s’est suicidé en 2003, à l’âge de 32 ans.
Il était le
fils cadet de Hwang Chun-ming, auteur très célèbre à
Taiwan dont Actes Sud a par ailleurs publié « Le gong »
(2001) : l’histoire d’un joueur de gong privé de son
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gagne-pain par
la concurrence des hauts parleurs, et qui cherche à se
recaser, avec un groupe de vagabonds, dans les services
fournis aux enterrements… un récit qui pourrait aussi
bien se
passer « de
l’autre côté du détroit ». Et qui donne envie de se
pencher sur une littérature largement méconnue en
France.
Recherche et publications
Isabelle Rabut
mène aussi un important travail de recherche qui se
traduit régulièrement par des articles et interventions
lors de colloques, sur la littérature chinoise et sa
traduction.
Signalons,
parmi ses plus récents articles, celui intitulé « Yu Hua
et l’espace hanté », publié dans « Les temps modernes »
en mars-juin 2005, ou encore
« Eileen Chang
: Shanghai - Hong Kong, métissage et mélancolie »,
présenté aux Quatrièmes journées de l’Orient de la
Société asiatique, à l’université de La Rochelle, en
avril 2006, et en attente de parution dans les Actes des
journées.
Mais elle
s’intéresse aussi aux problèmes généraux de son domaine,
traduction et édition. Le problème essentiel reste
l’image d’une littérature trop souvent liée, dans
l’esprit de |
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Le gong |
Isabelle Rabut au symposium sur la
traduction littéraire chinoise à Pékin,
août 2010 |
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certains lecteurs ou médias, à la
dénonciation du régime ou la critique de la société, ce
qui en fausse l’intérêt littéraire. Mais encore faut-il
que les traductions soient suffisamment fidèles pour
rendre l’esprit des textes.
La traduction
reste l’un des domaines universitaires les plus
difficiles et les plus frustrants, difficultés dont la
seule compensation est le plaisir de voir un texte
traduit enfin publié, une œuvre portée à la connaissance
du public pour s’ajouter à toutes celles qui viennent
affermir le pont jeté entre deux cultures.
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(1) Le livre a été un
phénomène d’édition pour un roman chinois : il s’en écoulé
20 000 exemplaires entre avril 2008, date de sa parution, et
juin 2009. Ceci confirme bien qu’il existe un certain engouement
en France pour le roman chinois, qui se reflète dans la
production éditoriale en France : 780 titres chinois référencés
par la Bibliographie nationale sur la période 2000-2008, dont
75% en littérature, un chiffre qui comprend, il est vrai, à la
fois les nouveautés et les rééditions. Le chinois n’apparaît
cependant pas parmi les huit langues les plus traduites de la
production commercialisée en 2009, selon les chiffres fournis
par Livres hebdo/Electre.
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