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Pascale Wei-Guinot : théâtre au coeur et chinois en bandoulière
par Brigitte
Duzan, 15 juin 2015
« Tout corps tend, en vertu de sa pesanteur, vers la place qui
lui est propre, mais un poids ne tend pas nécessairement vers le
bas... Le feu monte, si la pierre tombe... »
(Saint-Augustin, Les Confessions)
On connaît Pascale Wei-Guinot interprète hors pair de
grands réalisateurs, Hou Hsiao-hsien, Jia
Zhangke, Wang Bing et autres. On connaît Pascale
Wei-Guinot traductrice de romanciers chinois ou
d’articles sur le cinéma. Ce que l’on connaît moins,
c’est tout son travail sur le théâtre, en France et en
Chine, travail de recherche, de traduction et même de
conception de spectacle.
Or c’est fondamental chez elle : c’est par le théâtre
qu’elle s’est formée, c’est le théâtre – au sens le plus
large du terme - qui lui a donné sa voix et sa langue,
langue de scène mais aussi langue intérieure qui est
d’abord expression de |
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Pascale Wei-Guinot avec Hou Hsiao-hsien à
Cannes
en 2015, lors de la remise du prix de la
mise en scène
(photo du festival) |
soi. Avec elle, le chinois prend une autre dimension ; il
s’ouvre sur la culture ancienne, qui, dans toutes les
civilisations, est d’abord une culture de l’oral, commence par
le conte et se poursuit dans le théâtre qui ajoute la gestuelle,
et la musique, à la parole.
Ses principales recherches et activités tournent aujourd’hui
autour du théâtre, théâtre chinois traditionnel ou contemporain,
et ce par une sorte de logique interne, subjective et définie a
posteriori. Il est en fait étonnant de voir une vie se définir
peu à peu comme sous l’effet du hasard et par nécessité, en se
coulant dans les interstices de la vie qui s’offre. La pesanteur
n’est pas une fatalité.
La grâce contre la pesanteur
L’apprentissage de la vie est d’abord apprentissage du rapport à
l’autre, posant un problème d’expression qui est fondamental
dans l’apprentissage du savoir. Pour reprendre l’image de Simone
Weil, nous sommes comme des prisonniers séparés par un mur : le
mur nous sépare, mais, grâce aux coups que nous pouvons y
frapper, il nous permet aussi de communiquer. Il ne s’agit pas
d’abattre le mur, mais d’apprendre à s’en servir : problème de
communication qui est aussi souci de transmission. C’est l’un
des fils directeurs que l’on retrouve dans le parcours de
Pascale.
L’école du cirque contre les pesanteurs de l’enseignement
Tout commence toujours par un banc dans une école.
L’Ecole alsacienne, à cet égard, offre un bon départ,
l’épanouissement des enfants étant l’objectif primordial
de son système éducatif. C’est aussi un établissement où
l’enseignement des langues tient une grande importance,
et le chinois, en particulier, l’Ecole ayant été
pionnière en la matière.
C’est ainsi que Pascale a pu commencer dès 1976 l’étude
d’une |
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La classe de chinois à l’Ecole alsacienne
(photo personnelle) |
langue qui était
encore quasiment inconnue dans le système scolaire français,
avec pour professeur la sinologue Fabienne Hacquard qui y
débutait son parcours d’enseignante.
En même temps, l’école, pour formidable qu’elle soit, suscite
toujours un désir d’évasion, désir, souvent frustré, d’aller
voir de l’autre côté du mur. En l’occurrence, plus ou moins
inconsciemment, c’était aussi l’aspiration à dépasser les
contraintes du langage, l’obligation de la parole comme moyen
d’expression qui n’est pas toujours évidente pour une
adolescente.
Or, ce milieu des années 1970 était aussi l’âge d’or du
renouveau du cirque en France, avec la création en 1974 de
l’école du cirque d’Annie Fratellini, avec son mari Pierre
Etaix, et avec le soutien, entre autres, de leurs amis
Jean-Louis Barrault, Raymond Devos et Michel Serrault. Le cirque
renaissait en France en symbiose étroite avec les gens du
théâtre et du cinéma, renaissance symbolisée par son
rattachement, en 1979, au ministère de la Culture, et non plus …
de l’Agriculture !
Ariane Mnouchkine (à dr.) préparant l’Age
d’or,
en 1974 (photo Martine Franck) |
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Pascale a participé à l’aventure à ses débuts, en se
formant au métier de jongleur à l’école Fratellini à ses
heures de loisirs, le soir et le week-end, mais un
jongleur qui n’était pas le jongleur solitaire des
cirques d’autrefois ; c’était une jonglerie en groupe,
faite d’échange, de réactivité et de créativité, et de
joyeuses démonstrations sur le bitume et les trottoirs.
Ce cirque nouveau était aussi un terrain
d’expérimentation pour les acteurs et les metteurs en
scène. Beaucoup de gens du théâtre sont venus s’y
initier, comme Coline Serrault, Vincent Cassel, ou
encore Ariane Mnouchkine. |
Du cirque au théâtre
Car si en
France le cirque renaissait, le théâtre, aussi, comme
partout dans le monde, et ce dès les années 1960, dans
la lignée de Vilar, de Dasté, de Planchon, pour ne citer
qu’eux. Et Ariane Mnouchkine était au centre du
mouvement, avec la création du Théâtre du Soleil en
1964, en confrérie de comédiens inspirée de Copeau et en
ligne avec les méthodes de son école du Vieux Colombier :
improvisation, travail sur le corps, avec une gestuelle
précise venant du cirque, justement, et revisitant les
grandes traditions théâtrales, celles du masque, entre
autres.
Quand Ariane Mnouchkine crée à la Cartoucherie des cours
d’acrobatie pour ses acteurs, Pascale y passe ses
week-ends. Formidable formation qui, déjà, dessine la
double ligne de fond de son parcours : apprentissage de
la langue et travail sur l’expression, la voix passant
par la maîtrise du corps. |
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En monocycle vers 1980 (photo personnelle) |
Le chinois pour viatique
En attendant, après le bac, en 1980, l’heure est aux choix.
Opter pour le chinois, et l’Inalco, est un saut dans l’inconnu.
La Chine s’ouvre, dit-on, mais le pays reste relativement
hermétique. C’est alors que Pascale obtient un stage d’un mois,
pendant l’été, à l’Institut des langues étrangères de Pékin :
suffisamment pour être attirée par la langue autant que le pays.
C’est décidé : elle s’inscrit en chinois à l’Inalco et, fidèle à
elle-même, déboule en cours en monocycle. Comme c’est l’âge d’or
du théâtre et du cirque, c’est l’âge d’or du chinois à l’Inalco,
celui des Pimpaneau, Cheng et consorts. François Cheng leur
donne des poèmes Tang non à apprendre mais comme sujet de
réflexion et dissection ; il s’assoit sur les bancs et écoute,
un sourire béat aux lèvres : le poème dans tous ses états. Et
puis il y a Jacques Pimpaneau, passionné de théâtre ancien, et
féru de théâtre de marionnettes, qui a entraîné dans sa passion
nombre de ses élèves.
Li Tianlu et son théâtre de marionnettes |
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C’est le cas de Pascale qui trouve là une autre
formation exemplaire, alliant le geste à la parole, et
remontant à une tradition longtemps orale et une culture
populaire immémoriale. Elle part pour un stage de
théâtre de marionnettes à Taiwan, dans le sillon de
Jean-Luc Penso, avec nul autre que le grand maître Li
Tien-lu (李天禄).
Ce même Li Tien-lu ami de Hou Hsiao-hsien (侯孝贤)
et acteur récurrent dans ses films
:
il joue le grand-père en 1986 dans |
« Poussières dans le vent » (《恋恋风尘》),
le patriarche familial en 1989 dans « La cité des douleurs » (《悲情城市》)
et son propre rôle dans le fabuleux « Maître de marionnettes » (《戏梦人生》)
en 1993 – ce qui vaudra à Pascale de rencontrer Hou Hsiao-hsien.
Mais pas tout de suite…
Elle termine d’abord son cursus à Langes-o, et part à Pékin.
Le chinois par le théâtre
Et à Pékin, comme dans un roman bien construit, elle
noue très logiquement les fils de son histoire : son
apprentissage du chinois va désormais passer par le
théâtre. Elle obtient une bourse pour l’Institut central
d’art dramatique, où elle entre directement en 1984 et
où elle va rester deux ans.
C’est une période rêvée pour être à Pékin, des années
d’effervescence culturelle sans précédent, où tous les
espoirs semblent possibles et qui laisseront un goût
d’autant plus amer quand le mouvement sera brisé net
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En 1985 à Pékin avec son professeur Zhang
Weili
(photo personnelle) |
en
1989. Le théâtre n’est pas en reste, avec un essor fantastique
des mises en scène de pièces occidentales et des créations de
théâtre huaju (non chanté) expérimental, sous l’influence
de Beckett, Artaud, Ionesco…
Ce n’est pourtant pas ce qui intéresse alors Pascale. Elle
demande à suivre les cours de théâtre traditionnel qui n’étaient
pas normalement ouverts aux étrangers et se retrouve dans un
petit groupe de cinq privilégiés, comme dans une petite bulle
hors du temps. Les cours sont complétés par un voyage en minibus
d’un mois, à la découverte des opéras locaux. Voyage dans le
temps autant que l’espace.
En même temps, elle suit des cours de diction chinoise pour la
formation des acteurs de théâtre. Quand elle rentre en France,
en 1986, elle a un solide bagage non seulement en langue
chinoise, mais aussi en culture et pratique théâtrales :
histoire et littérature, formation physique des acteurs,
maquillage. Elle y joint aussi les techniques traditionnelles du
conteur, avec accompagnement de cliquettes et tambour.
Une vie entre français et chinois, cinéma et théâtre
Retour en France
Quand elle rentre à Paris, le hasard veut que le Festival
d’automne, cette année 1986, se soit mis aux couleurs de la
Chine
.
Les spectacles comprennent, du 18 septembre au 26 octobre, une
grande variété de spectacles, complétés par une exposition de
masques de théâtre au musée Kwok-on de Jacques Pimpaneau. C’est
ce dernier qui est consultant du festival pour l’occasion, et il
engage Pascale pour servir d’interprète à la troupe du yueju de
Shanghai.
Le Pavillon aux pivoines, festival
d’automne 1986
(photo Jean-Luc Manaud) |
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C’est son
premier travail d’interprétariat, qui entraînera bien
d’autres expériences d’interprétariat pour les troupes
chinoises invitées en France, dont, parmi ses souvenirs
les plus marquants, le Ballet national de Chine invité
pour la première fois à l’Opéra Garnier, en janvier 2009,
ou la compagnie de kunqu de Suzhou invitée au
Châtelet pour un fabuleux « Pavillon aux pivoines », en
février 2013, avec, dans le rôle-titre, Tamasaburo
Bando, le plus célèbre des onnagata vivants,
« Trésor national vivant » au Japon ! |
Après le Festival d’automne, elle est engagée par l’INA, premier
véritable contrat de travail, pour un an, avec pour mission
d’intensifier les rapports entre l’INA et la Chine.
Elle fait ensuite ses premières traductions, la première avec
son époux Wei Xiaoping : ce sont deux des premières nouvelles de
Mo Yan (莫言),
« Le Radis de cristal » (《透明的红萝卜》)
et « Le Déluge » (《秋水》) ;
mais la traduction n’est publiée qu’en 1993, sous le titre de la
première nouvelle, chez Philippe Picquier.
Aussitôt
après, c’est avec
Sylvie Gentil
qu’elle traduit le début du « Clan de Sorgho »,
également de
Mo Yan,
traduction qui paraît en juin 1990 chez Actes Sud
.
Sylvie Gentil est une autre ancienne élève de la même
équipe professorale de l’Inalco, qui a suivi un parcours
semblable. C’est en fait un vrai trio qui est sorti des
rangs de l’Inalco au début des années 1980 pour aller
parfaire sa formation à Pékin, chacune ayant continué
ensuite dans sa voie propre tout en gardant des
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Le Maître de marionnettes au festival de
Cannes, 1993
(Getty Images) |
liens
d’amitiés : la troisième est
Emmanuelle Péchenart, à
laquelle Pascale fera appel en 2008 pour achever une traduction
en cours alors qu’elle-même se lançait dans une autre aventure,
théâtrale celle-là….
Rencontre avec Hou Hsiao-hsien
Sur le tournage du Voyage du ballon
rouge, avec Hou Hsiao-hsien et Juliette Binoche (photo
personnelle) |
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Mais l’année 1993 lui réservait la surprise d’une
rencontre inattendue. « Le Maître de marionnettes » (《戏梦人生》)
de Hou Hsiao-hsien (侯孝贤)
était présenté au festival de Cannes et y recevait le
Prix du jury. Le Maître de marionnettes du film, Li
Tien-lu (李天禄),
était du voyage avec le réalisateur, et Pascale est
allée à Cannes voir son vieux maître ; elle a été son
interprète et celle de Hou Hsiao-hsien pendant la durée
du festival. |
C’est le début d’une longue histoire qui, de film en
film, a débouché sur une connaissance réciproque, et une
grande connivence qui s’est affinée au cours des années.
Et c’est cette rencontre et ce travail avec Hou
Hsiao-hsien qui a entraîné sa rencontre avec deux des
autres réalisateurs de langue chinoise avec lesquels
elle a activement collaboré : Jia Zhangke (贾樟柯)
et Wang Bing (王兵).
D’autres suivront, mais les liens avec ces deux-là sont
sans doute les plus profonds. |
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Au festival de Cannes avec Jia Zhangke en
2010,
pour I Wish I knew (photo personnelle) |
Pascale Wei-Guinot avec Jia Zhangke et
Zhao Tao à Cannes en mai 2015
(Interview pour Mountains
May Depart) |
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La collaboration avec le premier date du festival de
Cannes 2002 où « Plaisirs inconnus » (《任逍遙》)
était en compétition officielle. Quant à Wang Bing, son
souvenir le plus marquant le concernant est l’exposition
à la galerie Chantal Crousel, en octobre/décembre 2009,
de « L’homme sans nom » (《无名者》).
En avril-mai 2014, en particulier, elle a été
l’interprète de Wang Bing lors |
des
rencontres organisées par le Centre Pompidou dans le cadre de la
manifestation consacrée à la
correspondance
filmée Wang Bing-Jaime Rosales
.
Mais, à partir du milieu des années 1990, Pascale a
beaucoup travaillé sur le théâtre traditionnel et sur la
traduction de pièces contemporaines chinoises, domaines
qui sont devenus l’axe dominant de son travail des sept
ou huit dernières années.
Travail sur et pour le théâtre, entre la Chine et la
France |
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Pascale Wei-Guinot interprète de Wang
Bing lors de la rencontre
avec Jaime Rosales au Centre Pompidou, en
2014 |
C’est encore vers Ariane Mnouchkine qu’elle est revenue, pour
travailler dans le cadre de l’Association de recherche des
traditions de l’acteur (ARTA), école internationale de formation
de l’acteur créée en 1988 à l’initiative d’Ariane Mnouchkine et
installée dans la maison blanche à l’entrée de la Cartoucherie :
une poudrière de créativité dans l’ancienne usine de munitions.
Stage ARTA avec les acteurs Pei Yanling
et Guo Jingchun (photo personnelle) |
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S’inscrivant dans la même démarche de croisements
d’expériences que le Théâtre du Soleil, l’ARTA a entre
autres pour objet de permettre aux acteurs occidentaux
de découvrir des disciplines traditionnelles auprès de
grands maîtres venus d’Asie. A ce jour, de nombreux
stages de théâtre traditionnel chinois ont été organisés
par l’ARTA avec Pascale comme assistante et
coordinatrice.
Côté théâtre
contemporain, Pascale s’occupe du Comité Chine de la
Maison Antoine Vitez (MAV)
,
véritable pépinière de traduction
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visant à
constituer des archives de textes étrangers utilisables pour des
mises en scènes. C’est dans ce cadre que Pascale a traduit des
pièces de théâtre
huaju
contemporain :
- Extrêmement mah-jong (《非常麻将》),
une pièce en un acte et une scène de
Li Liuyi (李六乙)
écrite en août 1998, créée à Pékin en février 2000.
Trois personnages, l'Aîné, le Troisième et le Quatrième,
en attendent un Deuxième qui tarde à venir. Ils ont
décidé de cesser de jouer pour se rendre utiles à la
société. Dans l'attente du Deuxième, les trois autres se
mettent à évoquer passé, présent et aspirations pour
l’avenir. Mais il y a des zones d’ombre dans leur
discours. "Ce qui s'est passé hier" les rend nerveux. On
ne sait trop où est la vérité, chacun cherchant surtout
à percer les secrets des autres. Atmosphère qui tient du
Beckett de « Fin de partie ». |
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Extrêmement Mahjong à Pékin |
- Toilettes publiques (《厕所》),
pièce en trois actes de Guo Shixing (过士行),
première partie de sa « trilogie de la dignité » (“尊严三部曲”)
créée le 29 juin 2004 par le metteur en scène Lin Zhaohua (林兆华)
au théâtre Tianqiao (天桥剧场),
à Pékin.
Toilettes publiques (mise en scène Lin
Zhaohua) |
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La pièce dépeint un petit microcosme urbain de Pékinois
qui se retrouvent dans les toilettes publiques près de
chez eux à trois époques différentes : 1970, 1980 et
1990. La vie de ces toilettes est le prisme à travers
lequel le dramaturge suit et évoque les bouleversements
de la société dans cette période cruciale de l’histoire
chinoise moderne.
Ces traductions sont faites pour faire connaître des
textes, animer des |
séances de lecture et, dans l’idéal, être jouées sur des
plateaux de langue française. L’un des lieux privilégiés pour
faire vivre ces textes et les diffuser est l’abbaye des
Prémontrés et son université estivale La Mousson d’été, dédiée
aux écritures théâtrales contemporaines, avec le soutien d’Actes
Sud Papiers et en partenariat avec la MAV et France Culture.
C’est là que
les traductions par Pascale des deux pièces de Li Liuyi
et de Guo Shixing ont fait l’objet d’une lecture
publique. Celle de la pièce de Guo Shixing a été créée
et enregistrée le 4 août 2005, et diffusée le 25
septembre sur France Culture, dans le cadre de
l’émission dominicale « Fictions/Théâtre et Cie »
.
Puis, en 2008, le théâtre, toujours, l’amène à
travailler avec Patrick |
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Au bord de l’eau, Bobigny, janvier 2010 |
Sommier sur le projet autour du grand
classique « Au
bord de l’eau » (《水浒传》).
Au bord de l’eau
En répétition avec Patrick Sommier (photo personnelle) |
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En 2008, après avoir été enthousiasmé par la lecture de
la célèbre traduction par Jacques Dars du grand
classique chinois, dans la collection La Pléiade,
Patrick Sommier a conçu avec Pascale le projet d’en
mettre en scène une adaptation à la MC93, à Bobigny,
dont il est le directeur. Il travaillait depuis 2002
avec l’école de l’Opéra de Pékin, collaboration qui a
débouché en 2005 sur le spectacle « Une Ecole
chinoise ». C’est dans la continuation de cette
recherche qu’est née l’idée d’« Au bord de l’eau ». |
Pascale participait depuis trois ans déjà aux différents
projets chinois de la MC93, mais elle garde un souvenir
particulièrement ému du travail de préparation avec les
quatre professeurs de l’Ecole associés au projet. Un de
ceux qui l’a le plus marquée a été Meng Xianda,
spécialisé dans les rôles de visages peints. Il habitait
dans une vieille maison dont la partie donnant sur la
rue était une boutique de cerfs-volants, gérée par la
famille ; c’était une ancienne cour carrée, à l’arrière
de laquelle vivait le père, |
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Répétition avec Patrick Sommier pour
Au bord de l’eau (photo personnelle) |
également acteur, réputé
pour ses très
beaux dessins de masques d’opéra de Pékin.
Répétition en costumes pour Au Bord
de l’eau (photo personnelle) |
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Atteint d’un cancer pendant la préparation du spectacle,
il est mort avant sa création. Il avait formé un jeune
enfant qu’il a intronisé comme disciple avant de mourir,
lors d’une cérémonie d’une émotion intense car planait
sur l’assistance le souffle de sa mort prochaine.
Patrick Sommier a prononcé quelques mots, que Pascale a
dû traduire : elle parvint à maîtriser sa voix, mais non
la main qui tenait son papier, et qui tremblait
nerveusement…
Le spectacle était en effet conçu au départ non comme
une simple mise en scène d’Au |
bord de l’eau, mais comme un hommage au livre, à travers le
travail des élèves de l’Ecole, en dialogue
avec leurs professeurs. La mise en scène était donc une
mise en abyme du travail sur la représentation de
l’opéra, sur deux thèmes parallèles : la beauté de
l’écriture du texte initial et l’art du théâtre appelé à
le représenter, thème qui se voulait hommage, aussi,
aux années de travail requises pour parfaire une
pratique perçue in fine dans sa fluidité. Le spectacle
se voulait plus généralement réflexion sur une
esthétique théâtrale qui se veut synthèse artistique.
Ce double thème était traité – en dix-huit tableaux – en
alternant épisodes du roman et travail d’école, en
montrant sur scène le |
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Avec Meng Xianda dans sa boutique de
cerfs-volants en 2009 (photo personnelle) |
travail de préparation effectué normalement en coulisse, mais
aussi en incluant dans le spectacle des scènes avec les
professeurs dont le texte était basé sur les entretiens que
Pascale et Patrick Sommier avait eus à Pékin avec eux.
C’est un travail de près de trois ans qui était pour Pascale la
somme de son expérience, sur la langue, l’écriture et le
théâtre.
Au bord de l’eau, répétitions (1)
Le Fol Espoir
C’est presque sans intermède que Pascale a ensuite
enchaîné… à la Cartoucherie, comme en un éternel retour
aux sources.
L’aventure suivante a en effet été sa participation à la
tournée à Taiwan de la création de 2010 d’Ariane
Mnouchkine, « Les Naufragés du Fol Espoir », création
collective, comme toujours chez Mnouchkine, « mi-écrite
par Hélène Cixoux et librement inspirée d’un mystérieux
roman posthume de Jules Verne ». Ce roman, c’est
En Magellanie,
écrit en 1897 mais publié longtemps après la mort
de l’auteur. |
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Le Fol Espoir, accueil du Théâtre du
Soleil
décoré aux couleurs de Jules Verne |
La pièce est construite comme une fable politique, sur plusieurs
périodes et plusieurs niveaux : un premier niveau narratif se
déroule en 1914,
dans une guinguette
des bords de la Marne,
Le Fol Espoir, qu’investit une équipe de cinéma pour y tourner
un film muet. L’action du film se déroule entre 1889
et 1895 et
cette deuxième histoire est celle des passagers d’un navire qui
font naufrage au passage du cap Horn et échouent en plein hiver
austral au large de la Terre
de Feu ; contraint d’édifier des règles sociales nouvelles, ce
microcosme hétéroclite de migrants, socialistes utopistes,
bagnards et notables voit alors dans le naufrage l’occasion
inespérée de donner corps à leurs rêves et à leurs idéaux.
Les Naufragés du Fol Espoir à Taiwan |
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La fable
politique est soulignée par le contexte historique du
tournagedu film : entre l’attentat de Sarajevo et le
lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès, trois
jours avant le début de la Première
Guerre mondiale. La superposition des deux récits,
doublée de celle du théâtre et du cinéma, est le cadre
narratif d’une histoire d’espoir qui se lit comme un
« concentré d'utopies ».
Après ses représentations à la Cartoucherie, le
spectacle est parti en tournée en province, puis à
l’étranger, le dernier pays visité étant Taiwan : il a
été joué à Taipei du 4 au 16 décembre 2012. Il a eu là
un impact particulier, une résonnance spécifique dans
l’esprit du public taïwanais, avec ce bateau à la
dérive, |
échouant sur une terre inconnue pour y créer une société
nouvelle
porteuse de tous les espoirs, au-delà des clivages et des
rivalités personnelles. Une pièce qui se termine par la phrase
sibylline : « En ces jours de ténèbres nous avons une
mission : apporter aux vaisseaux qui errent dans le noir la
lueur obstinée d'un phare. » Sibylline mais suffisamment
symbolique pour susciter l’émotion dans le public de Taiwan.
Or la pièce comporte un narrateur, en voix off. Cette « Voix » a
été reprise de façon différente dans tous les pays des tournées
à l’étranger. Les représentations étaient chaque fois en
français sur-titré, mais la Voix ne pouvait l’être, cela aurait
surchargé le sur-titrage au point de le rendre difficilement
lisible. Ariane Mnouchkine a dont opté, dans chaque pays, pour
une Voix dans la langue locale, mais dite par quelqu’un
d’étranger.
Pour Taiwan, elle a fait appel à Pascale. Nouvelle aventure
langue-théâtre : il lui a fallu travailler le texte en
chinois/taïwanais, avec la prononciation spécifique de Taiwan,
qui est loin du putonghua standard appris à Pékin.
Travail sur la langue, travail sur la diction…
Nie Yinniang
On comprend mieux, dès lors, l’aisance et l’assurance
avec lesquelles elle pratique l’interprétariat.
L’exemple le plus récent est sa prestation lors de la
conférence de presse au 68ème festival de
Cannes, en mai 2015, pour le film de Hou Hsiao-hsien
« Nie Yinniang » (《刺客聂隐娘》),
ou « The Assassin », film couronné du prix de la mise en
scène
.
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Pascale interprète à la conférence de
presse de Nie Yinniang,
à Cannes, en mai 2015 (1ère à gauche) |
Elle avait réalisé le sous-titrage du film, d’autant plus
difficile qu’il fallait connaître le contexte historique et
littéraire auquel le scénario se rattache. Elle connaissait donc
bien le sujet, comme elle connaissait bien et le réalisateur et
les acteurs. L’interprétariat dans ces conditions, « c’est une
question de complicité et de confiance réciproques », dit-elle.
Il y faut aussi tout le métier acquis pendant de longues années,
dans la pratique du théâtre autant que de langue.
Le Liyuan
En ce mois de juin 2015, elle
travaille sur la traduction et le surtitrage des deux pièces
d’opéra qui vont être représentées à Paris par la troupe du
Liyuan (梨园戏)
du Fujian, interprétées par
la grande actrice et directrice de la troupe, Zeng Jingping
(曾静萍).
Ce sont des spectacles exceptionnels programmés par la MC93 mais
donnés à la Cartoucherie en raison de la fermeture de la MC93
pour travaux.
Epilogue
L’entretien se termine alors que tombe le soir, en cette soirée
de fin de printemps qui sent déjà l’été.
J’étais restée les yeux fixés sur elle, pour mieux m’imprégner
de ce qu’elle me racontait, tout un monde lointain. Mais voilà
qu’elle lève les stores, restés baissés jusqu’alors pour
préserver de la chaleur, sans doute, préserver l’intimité,
aussi, loin du murmure de la ville…
Et soudain la pièce m’apparaît : c’est un ancien laboratoire de
photo dont elle a fait son bureau ; c’est là que son père
développait ses photos, dit-elle.
Son père ? Jean-Marie Guinot, ingénieur optique, qui a travaillé
à l’élaboration du procédé Rouxcolor
et enseigné la prise de vue et des effets spéciaux à l’ENS Louis
Lumière. Il lui a offert son premier appareil photo, et elle
développait les clichés avec lui, dans ce petit labo. Son ombre
plane, avec tant d’autres ombres, dans le soir qui s’en vient.
Il aurait bien aimé, certainement, voir sa fille aujourd’hui, à
Cannes et ailleurs. Il est mort en 1995.
Mais la vie continue, plus que jamais entre langue, théâtre et
cinéma, dans un apprentissage continu qui a du théâtre le
recueillement intérieur et de la vie l’ouverture sur l’avenir.
Réflexion |
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« …je saurai ce que je
vais proposer pour la suite dès le moment où je saurai
ce que j’ai envie d’apprendre. Pas seulement où j’ai
envie d’aller. Pas seulement l’histoire que je voudrais
raconter. Non : le spectacle que j’ai envie de voir,
parce que je sais que ce spectacle fera de moi quelqu’un
qui aura peut-être appris. »
Ariane Mnouchkine |
Traductions
Romans et nouvelles
Une robe de papier pour Xue Tao, choix de textes inédits
de littérature chinoise, Espace et Signes, janvier 2015
English, de Wang Gang, co-traduit avec
Emmanuelle Péchenart,
Philippe Picquier février 2008
Tête-bêche, de Liu Yichang, Philippe Picquier avril 2003
Le Radis de cristal, deux récits de
Mo Yan, co-traduits
avec Wei Xiaoping, Philippe Picquier 1993
Le Clan du sorgho, co-traduction partielle du roman de
Mo Yan
avec
Sylvie Gentil, Actes
Sud, juin 1990.
Théâtre
Extrêmement Mahjong de Li Liuyi, MAV 2004
Toilettes publiques de Guo Shixing, MAV 2004
Le Village du Louveteau, livret d’opéra de Zeng Li et Guo
Wenjing, d’après Le Journal d’un Fou de Lu Xun. Publication
Festival d’Automne à Paris, 1995
Articles cinéma
Cahiers du cinéma n° 586, janvier 2004 : Images en liberté, par
Zhang Yaxuan
Cahiers du cinéma n° 602, juin 2005 : Ce temps-là a disparu,
entretien avec Jia Zhangke sur The World, par Jean-Philippe
Tessé/Emmanuel Burdeau.
Cahiers du cinéma n° 695, décembre 2013 : Une caméra plutôt
qu’un fusil, entretien avec Jia Zhangke sur Touch of Sin, par
Jean-Philippe Tessé/Vincent Malausa.
Autres publications
Dictionnaire des créatrices, Editions des femmes. Notices sur
les créatrices du théâtre contemporain et traditionnel en Chine,
2012
Dossier Chine, le théâtre contre le cynisme ? par Sebastian Veg
et Pascale Guinot, Théâtre/Public n° 174, Théâtre de
Gennevilliers, 2004
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