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Ma Desheng 马德升 

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 octobre 2018 

 

Une journée d’octobre à l’atelier

 

Il faisait froid, en ce début d’octobre, rue de Belleville, comme pour mieux apprécier la chaleur de l’atelier et la lumière diffuse tombant de la verrière.

 

Dès l’entrée, on est accueilli par une profusion de toiles, de boîtes et de pots divers où mélanger les peintures, sur un sol bigarré qui est autant une œuvre d’art en soi que la chaise roulante du maître des lieux, comme si la couleur, ici, était d’une telle anarchie qu’elle

 

Ma Desheng, photo GBTimes

avait réussi à gagner le moindre recoin, à le contaminer et l’illuminer.

 

Ma Desheng dans son atelier

 

Le pull de la préposée aux couleurs

 

Coucher de soleil sur un bronze

 

Atelier : sol et chaise assortis

 

Mais ce chaos de couleurs s’arrête aux toiles, où soudain l’esprit du peintre l’a enrégimentée, contrôlée, réduite au monochrome, voire au noir et blanc. Alors forcément la couleur, frustrée, se venge en rejaillissant tout autour, jusqu’au pull de l’assistante vouée à leur mixage comme une prêtresse dans son temple et se faisant caméléon, se camouflant dans le décor tel Liu Bolin se fondant dans son environnement.

 

Atelier : boîtes en attente

 

Au-dessus des boîtes de couleur, des manuscrits, des livres, des documents, des papiers bien rangés sur un coin de table laissent entrevoir des poèmes et calligraphies qui sont la réponse du poète à la création du peintre, à moins que ce ne soit son inspiration.

 

Et là-haut, tout là-haut, en lieu et place d’un slogan de Mao, la lumière de la verrière effleure une calligraphie ancienne dont la maxime plane sur l’atelier comme l’esprit du lieu : wu wei 無為, le non agir…

 

On se prend à songer à cet automne de 1979 à Pékin, il y a près de quarante ans, même pas un demi-siècle, et néanmoins tant de chemin parcouru…

 

Flashback

  

Poète, peintre et sculpteur, Ma Desheng est né à Pékin en 1952. En 1985, il quitte la Chine pour la Suisse, puis, en 1986, à l'invitation des fondations Cartier, CIRCA et Royaumont, il se rend en France et s'établit à Paris. Artiste aujourd’hui reconnu, il est resté une figure emblématique de la résistance artistique et culturelle chinoise.

 

En 1979, il a en effet été l’un des membres fondateurs du groupe « Les Etoiles » (星星), premier groupe d’avant-garde artistique dans la Chine de l’ouverture, après la Révolution culturelle [1] : le 27 septembre 1979, ils exposent leurs œuvres sur les grilles du Musée des Beaux-arts de Chine à Pékin (中国美术馆), c’est l’exposition des Etoiles (星星美展), qui lance mouvement.  L’année suivante, cette première exposition non officielle est suivie d’une seconde, officielle, cette fois à l’intérieur du Musée.

                   

A partir de là, ses œuvres ont parcouru le monde d’exposition en exposition. Ses œuvres sont présentes dans les collections permanentes du Centre Pompidou, du Musée d’art moderne et du musée Cernuschi à Paris, du British Museum à Londres, et divers autres musées au Japon, à Hong Kong et autres.

 

A l’époque, Ma Desheng marchait

en tête des cortèges appuyé sur des béquilles à cause des séquelles

d’une polyo mal soignée.

(photo : « The Stars’ Times, 1977-1984 », Huang Rui, éd.

Thinking Hands, Pékin, 2007)

 

Zao Wouki, Wang Keping et Ma Desheng, photo Armant Borlant

 

Elles recèlent et reflètent une blessure intime née d’un drame personnel : un accident tragique et gravissime, survenu en 1992 aux Etats-Unis, où il a perdu sa femme et qui l’a laissé cloué sur un fauteuil roulant. Après deux opérations et dix ans de rééducation, il a délaissé l’encre pour le feutre et l’acrylique et a reconstruit son œuvre autour du symbole de la pierre, élément naturel liant terre et cosmos. Les pierres sont désormais omniprésentes sur ses toiles, dans son atelier, dans sa vie frappée par la pesanteur. Les pierres, il les représente comme des masses empilées en équilibres qui semblent terriblement instables, mais sont finalement presque en apesanteur, libérées des lois de la gravité, évoquant comme une nostalgie de la légèreté, de la liberté, de la grâce simple du pas du marcheur. Jamais pierres n’auront suscité autant d’empathie. Ce sont des « êtres au cœur sensible » a dit un critique.

 

Mais la pierre se fait aussi bien bronze, autre minéralité,

autres formes, autres couleurs, mais toujours équilibre instable, figure énigmatique qui change sous le regard en fonction de la lumière, d’un soudain rayon de soleil, ou d’une ombre qui passe. 

 

 

Exposition Ma Desheng au Carreau du Temple, février 2015

 

 

Ses dernières expositions à Paris, en 2017 et 2018, étaient organisées par la galerie A2Z Art Gallery [2], et, en mars 2018, par la galerie Wallworks (exposition « La vie est nue » mêlant calligraphie, feutre sur papier, gravures et grands formats à l’acrylique).

 

Solo-show La vie est nue

 

Poésie

 

Cependant, ses peintures et sculptures sont indissociables de ses poésies. C’est par là, par la poésie, comme beaucoup d’autres, que Ma Desheng a commencé, avant même l’expo-manifeste de septembre 1979 : en participant au premier numéro de la revue Jintian (今天) dont les pages ont été affichées à partir de novembre 1978 sur le « mur de la démocratie » à Xidan, au centre de Pékin (西单民主墙), première expérience de liberté d’expression dans la tourmente de l’après-Mao [3].

  

Outre des poèmes, des nouvelles ont été publiées sur le mur dans le cadre du premier numéro de Jintian, dont une de Ma Desheng intitulée « Un malheureux squelettique » (shouruo de ren 《瘦弱的人》), accompagnée de deux gravures sur bois. La nouvelle était une sorte de conte existentiel décrivant un personnage mourant de faim et de soif dans le désert, et aspirant à la liberté. L’une des gravures montrait un éboueur épuisé faisant une pause pour se rouler une cigarette, l’autre un paysan à genoux, hurlant de douleur, les bras levés vers le ciel. Ce n’était pas le genre de scènes que l’art avait coutume de montrer jusque-là dans la Chine maoïste, paradis du travailleur.

 

Ma Desheng a publié plusieurs recueils de poèmes en traduction française. Mais il en fait des événements, comme

 

Se rouler une cigarette,

 gravure sur bois, 1978

ses expositions : il est un maître de la performance poétique ; d'une activité et d'une inspiration insatiables, il continue à se produire dans des récitals et actions performatives pleines d’une étonnante énergie qui donne une saveur particulière à son œuvre, sous tous ses aspects.  

 

Performance, octobre 2010

 


 

Publications en français

 

- Le Portait de Ma, Al Dante, 2010 : série d’autoportraits très courts inspirés par le vocabulaire du masque, photographies accompagnées de légendes apportant distanciation et paradoxe vis-à-vis du portrait.

- Rêve blanc, âmes noires 《白梦黑鬼》, éditions de l’Aube/Regards croisés, 2003 : édition bilingue avec poèmes calligraphiés par l’auteur, traduction Emmanuelle Péchenart : désespoir et violence côté noir, formidable élan vital côté blanc, éclatant.

- Kiwi, Al Dante/Leo Scheer, 2002 : la poésie comme dialectique déconstruite du « deux et deux égale cinq »…

- Poésie de paroles, Neige d'août, 2002

- Vingt-quatre heures avant la rencontre avec le dieu de la mort, Actes Sud, 1992 – édition bilingue avec poèmes calligraphiés par l’auteur, traduction Emmanuelle Péchenart

- Saveur de mots, traduit du chinois par Pierre Brière, Gallimard nrf, juillet-août1990 (n° 450-451)

- La Porte, ed. Liviana Editrice/Doc(k)s

 

On cherche en vain des traductions de ses poèmes en anglais….  

 


 

A lire en complément

 

La Gazette Drouot, article de Christophe Averty, avril 2018.

 

 

 

 

 

 

 

 

Un grand merci à la traductrice de Ma Desheng Emmanuelle Péchenart pour avoir organisé cette journée à l’atelier….

 

 


[1] Aux côtés, entre autres, du sculpteur Wang Keping (王克平), du poète Huang Rui (黄锐), également coéditeur du journal Jintian (今天), de la très jeune peintre Li Shuang (李爽), de l’écrivain A Cheng (阿城), d’Ai Weiwei et bien d’autres.

[2] Exposition d’encres, de peintures et de bronzes en 2018 : Entre ciel et terre

http://www.a2z-art.com/artists/artists/description/artistid/0000000045

[3] Voir les souvenirs de Bei Dao, qui se rappelle que tout le monde avait entrepris de retoucher le texte de Ma Desheng : 北岛回忆《今天》的故事

http://blog.sina.com.cn/s/blog_5dcea3090101niat.html

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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