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Zhou Jianing
周嘉宁
Présentation
par
Brigitte Duzan, 3
novembre 2020
Zhou Jianing est une jeune écrivaine chinoise de la génération
née dans les années 1980 qui a soudain été propulsée sur la
scène littéraire à la fin des années 1990. Elle était douée,
mais il lui aura fallu du temps pour mûrir ; vingt ans plus
tard, elle est sans doute à redécouvrir.
Débuts précoces
Née en février 1982 à Shanghai, elle est diplômée du département
de chinois de l’université Fudan, option littérature chinoise
moderne et contemporaine.
Les dangers de la médiatisation
Elle a commencé à écrire très jeune, et sa renommée a émergé au
début des années 2000 dans le contexte
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Zhou Jianing |
de l’engouement soudain pour les jeunes de la génération
post’80, à un moment où les éditeurs cherchaient à se renouveler
et à trouver des successeurs aux grands écrivains de la
génération née dans les années 1950 et 1960. C’est alors qu’ont
fait irruption sur la scène littéraire
Han
Han (韩寒)
et
Guo Jingming (郭敬明),
comme représentants adulés d’une nouvelle vague turbulente,
insolente et médiatisée qui voulait bouleverser le paysage
littéraire en offrant une vision décalée et déjantée de la
jeunesse ; Zhou Jianing a profité du mouvement, comme sa consœur
Zhang Yueran (张悦然),
elle aussi née en 1982. Mais, après quelques succès d’édition,
la veine s’est assez vite épuisée. On n’entend plus guère parler
des deux premiers, il a fallu aux autres mûrir et évoluer.
Après avoir commencé à écrire encore adolescente, Zhou Jianing a
été lancée par son succès au concours d’écriture créative dit
« New Concept Writing » (新概念作文大赛)
initié par la maison d’édition de la revue littéraire Mengya
(萌芽杂志社).
Lancé en 1998 avec le soutien des plus grandes universités de
Chine, le concours était destiné à identifier des talents en
« bourgeons » (c’est le sens de Mengya) parmi les jeunes
lycéens, afin de promouvoir une littérature jeune, libérée des
stéréotypes. Zhou Jianing fit partie des jeunes plumes
sélectionnées lors de la seconde session, en 1999. Elle avait
dix-sept ans.
Elle a commencé par publier un recueil de nouvelles, en 2001,
puis une série de sept romans alternant avec des recueils de
nouvelles.
Années 2000 : solitude, mal de vivre et désir d’évasion
L’été en cours d’effondrement |
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L’amour du chanteur vagabond |
En 2008, elle est devenue directrice éditoriale (文字总监)
de la revue Li/Newriting (《鲤》)
dont la rédactrice en chef est
Zhang Yueran (张悦然).
Elle a travaillé, pour les différents numéros, sur des thèmes
qui lui sont propres : numéro de juin 2008 sur le thème de la
solitude (《鲤·孤独》),
de septembre sur la jalousie (《鲤·嫉妒》),
de janvier 2009 sur le mensonge (《鲤·谎言》),
de mars 2009 sur l’ambiguïté (《鲤·暧昧》),
de mai 2009 sur les "meilleurs moments" (《鲤·最好的时光》),
de décembre 2009 sur le thème de l’évasion (《鲤•逃避》),
etc
.
Zhou Jianing a publié plusieurs de ses nouvelles dans cette
revue, les deux premières dans le numéro de juin 2008 :
« Trempé » (《湿漉漉》)
et « Le Livre des rites de la jeunesse de l’île de Fusang » (《扶桑岛的青春礼记》).
Ses premiers romans témoignent de la confusion d’une jeunesse
urbaine qui doit vivre et grandir dans des villes en pleine
mutation, véritables déserts affectifs où ces jeunes ont du mal
à trouver leur place et des partenaires durables ; en ce sens,
les thèmes traités recoupent ceux des films de Jia Zhangke de la
même époque, « Plaisirs inconnus » (《任逍遙》),
par exemple
.
2015 : sortir de la forêt
L’écriture, cependant, s’affine avec le temps. Paru en octobre
2015, « Dans la forêt profonde » (《密林中》)
est comme une vision rétrospective des thèmes traités dans
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La revue Li/Newriting, juin 2008 |
les romans précédents, et en même temps une réflexion permettant
de dépasser les blocages de la jeunesse, avec sa quête d’amours
et de plaisirs intenses, et le sentiment d’être incapable de
s’intégrer, un sentiment d’incompatibilité avec le monde
alentour :
从什么时候开始,不再期望在荒原、巨山,或者无法泅渡之河中遇见另一位伙伴。
人生更像是漫游在大海里的哥伦布,甚至不抱有遇见一块大陆的希望。
只有抛却失望的人,才能继续穿行在黑漆漆的密林中。
Depuis quand ai-je cessé d’attendre un autre compagnon au sein
des friches, des hautes montagnes ou des rivières
infranchissables ?
La vie rappelle bien plus un Christophe Colomb errant de par les
océans, mais sans même l’espoir de tomber sur un continent.
Seuls ceux qui se libèrent de leur désespoir peuvent poursuivre
leur marche dans les profondeurs obscures de la forêt.
(Dans la forêt profonde, introduction)
Et c’est en dépassant le mal de vivre invoqué, que l’auteure,
comme ses personnages, accède à une vision pacifiée bien plus
profonde. Sa jeune Yangyang a profondément aimé un jeune et
brillant garçon, puis, en plein désarroi, est passée à une
liaison avec un écrivain d’âge moyen ; mais elle ne veut pas
d’une simple liaison : elle veut pouvoir être une artiste à part
entière, et affronter le monde avec assurance et même défi. Zhou
Jianing décrit toute une génération de jeunes artistes et
écrivains en herbe consumés par des illusions et menant des
existences d’un profond ennui. Son roman dépeint d’un pinceau
froid mais avec une certaine mélancolie les errances de sa
génération.
2016 : un tournant ?
Invitée au Salon du livre à Paris en 2014, Zhou Jianing n’avait
guère été remarquée. Ensuite, en 2016, elle a participé au
programme international d’écriture de l’université de l’Iowa
;
pendant trois mois, elle a travaillé et échangé avec une
douzaine d’écrivains du monde entier, avec le sentiment qu’il
« se passait quelque chose ».
En rentrant en Chine, elle a écrit les deux nouvelles
zhongpian « Un été formidable » (《了不起的夏天》)
et « Beauté de base » (《基本美》).
Elle y dépasse le thème un peu narcissiste de l’adolescence qui
formait le cadre de ses écrits antérieurs, la première
différence étant que les deux récits sont contés d’un point de
vue masculin. Il est significatif, aussi, qu’elle ait choisi la
forme de la
nouvelle « moyenne » (zhongpian
中篇)
pour revenir à l’écriture à ce moment-là.
« Un été formidable » se situe pendant l’été 2001, quand Zhou
Jianing est allée à Pékin pour participer à la « Nuit du succès
olympique » (申奧成功夜)
célébrant le choix de Pékin pour les Jeux olympiques de 2008.
Elle avait été frappée par l’atmosphère frénétique de joie
collective qui régnait alors, joie collective qu’elle fait
évoquer au jeune Qin (秦)
au centre du récit qui est son alter ego.
« Beauté de base » est une réflexion sur la liberté et la vie
des jeunes à travers la confrontation entre un jeune Chinois de
Chine continentale et un jeune homme de Hong Kong qui se
rencontrent en 2003 au festival de musique de Xiangshan, dans la
banlieue de Pékin (香山音乐节),
le second étant le chanteur d’un groupe de rock de Hong Kong.
Mais le premier, qui vit à Pékin, a raté son concours d’entrée à
l’université en 1997 parce qu’il a dû répéter avec sa classe le
spectacle monté pour la rétrocession de Hong Kong à la Chine.
Leurs deux existences communiquent ainsi sur des dates et des
événements parallèles. Quand le musicien retourne à Hong Kong
après le festival, il écrit une chanson qu’il intitule « Basic
Beauty », comme la nouvelle. Il y inscrit leurs discussions sur
la liberté : |
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Beauté de base
(illustration de
l’auteure)
Ne pas démolir |
但是朋友啊,还请和我一起在有限的自由里冒险。
Mais, l’ami, viens avec moi jouir des risques
d’une liberté limitée.
La ville abandonnée
(illustration de l’auteure) |
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Les deux nouvelles ont été publiées dans un recueil qui porte le
titre de la seconde et contient six autres nouvelles, des
nouvelles courtes dont les thèmes reviennent pour la plupart sur
les modes de vie des jeunes, leurs activités professionnelles
(éditer une revue) et de loisirs (courir le marathon). On y
retrouve le leitmotiv des romans antérieurs, mais replacé dans
un horizon plus ouvert : la jeune Xiao Yuan (小元)
de la nouvelle « La fille prodigue » (《女浪子》),
veut « briser l’ennui du siècle » (时代的无聊)
et la solitude qui va avec ; tandis que chacun vit isolé sur sa
montagne, elle veut se tenir sur un versant tourné vers le
monde.
Zhou Jianing introduit une nostalgie du passé dans la nouvelle
« La meilleure époque » (最好的年代).
Elle présente la décennie des années 1980 comme l’âge d’or du 20e
siècle, en Chine : il n’y avait pas autant de pressions
qu’aujourd’hui, et les gens avaient encore des illusions sur
l’avenir. Mais c’est un passé qu’elle n’a pas
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connu, une sorte de reconstruction utopique de la mémoire
collective.
Zhou Jianing est à (re)découvrir aujourd’hui en lisant ces
dernières nouvelles.
Autres cordes à son arc
Zhou Jianing est aussi traductrice, de l’anglais ; elle a
traduit des écrivaines comme les Américaines Flannery O’Connor
et Joyce Carol Oates, la Canadienne Alice Monroe, ou la
Britannique Jeanette Winterson, toutes spécialistes de la
nouvelle, et ce sont des nouvelles qu’elle a choisi de traduire.
Elle est par ailleurs dessinatrice. La plupart des illustrations
des couvertures de ses livres sont d’elle.
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Zhou Jianing dessinatrice :
Un objet de la vie courante |
Principales publications
Romans
2003 Les quatre guerriers de Taocheng
《陶城里的武士四四》
2004 L’été en cours d’effondrement
《夏天在倒塌》
2004 Les yeux de la démone
《女妖的眼睛》
2006 Vers le sud
《往南方岁月去》
2007 Le ciel est dégagé
《天空晴朗晴朗》
2013 La ville abandonnée
《荒芜城》
2015 Dans la forêt profonde
《密林中》
Recueils de nouvelles
2001 L’amour du chanteur vagabond
《流浪歌手的情人》
2006 Notes de fiction
《杜撰记》
2007 La boîte au trésor temporel du menteur
《撒谎精的时光宝盒》
2007 La dernière fois que je t’oublie
《最后一次忘记你》
2014 Comment je me gâche la vie pas à pas
《我是如何一步步毁掉我的生活的》
Recueil de treize nouvelles
2018 Beauté de base 《基本美》
Recueil de huit nouvelles
Anthologie de nouvelles
Avec
Shen Dacheng (沈大成)
2012 Ne pas démolir
《不拆》
Traductions en anglais
Trois nouvelles :
- Let Us Talk About Something Else
《让我们聊些别的》,
tr. Helen Wang, Pathlight, Sept. 2014.
- Let It All Go, I Sighed Gently
《我轻轻喘出一口气》,
The World of Chinese, Feb. 2015.
À lire en ligne :
http://www.theworldofchinese.com/2015/02/let-it-all-go/
- Mr. Paolo, tr. Andrew Chubb, in Geng Song and Qingxiang Yang,
eds., The Sound of Salt Forming : Short Stories by the
Post-‘80s Generation in China. University of Hawaii, 2016,
pp. 77-84.
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