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Petite révolution dans
les magazines littéraires en Chine
par Brigitte
Duzan, 29 avril 2011
文学杂志“小革命” : « petite révolution » dans les
magazines littéraires, tel était le titre d’un dossier, paru le
18 avril dernier dans le Southern Metropolis Weekly (南都周刊),
qui décrivait l’apparition de magazines d’un style résolument
moderne, répondant aux goûts de lecteurs jeunes avides de
nouveautés.
La publication de cette série d’articles suivait le lancement,
le 1er avril, du dernier de ces magazines littéraires nouveau
style, Tian Nan (《天南》),
dont les numéros se sont aussitôt vendus comme des petits pains,
confirmant le fait qu’ils répondent aux attentes d’un public
bien ciblé, et dûment informé.
La concurrence va être
dure pour les anciens magazines, mais le principe est sain,
disent les nouveaux venus : il faut bien que tombent les
feuilles racornies et jaunies pour que les nouveaux bourgeons
puissent se développer (枯黄的叶子掉了,还会长出新芽).
Constat initial : des magazines littéraires sclérosés
Les magazines
littéraires sont une tradition très ancienne en Chine.
Chaque école a eu le sien et ils ont eu, de manière
générale, dans l’histoire, un rôle important de
diffusion de la littérature romanesque. Ce fut encore le
cas après la fondation de la République populaire, avec,
en particulier, le vénérable « Littérature du peuple » (《人民文学》)
créé dès 1949, ou « Harvest » (《收获》) fondé par Ba Jin en juillet 1957 ; le mouvement reprit après la fin de
la Révolution culturelle, avec la création d’« Octobre » (《十月》)en 1978 ou « Lotus » (《芙蓉》), en 1980.
Aujourd’hui,
cependant, ces titres vivotent avec des tirages maxima
de quelque dix mille exemplaires par mois, et des sites
web peu attrayants. Ils ont en fait un lectorat réduit à
quelques cercles d’habitués et critiques littéraires, et
un
modèle qui n’a pas
changé depuis des dizaines d’années. |
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Harvest, 1er numéro |
Harvest 2003 |
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Comme le dit de façon
imagée l’un des auteurs cités dans le dossier du Southern
Metropolis Weekly :
“中国传统类的文学杂志比较固步自封
gùbùzìfēng
,画地为牢
huàdìwéiláo …”
Les magazines littéraires chinois traditionnels sont enlisés dans la
routine et limités dans leurs
activités (1)
Les principales
limitations viennent de trois défauts essentiels : les droits
versés aux auteurs sont trop faibles, le style d’impression et
d’édition est obsolète, et ces magazines ne savent pas utiliser
les moyens de communication modernes pour élargir leur audience.
De ce constat est né
tout un travail de réflexion qui a abouti à la création de
nouveaux concepts en rupture avec les modèles anciens. De là
l’impression de « petite révolution ».
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Nouveau concept,
nouveau design
Il s’agit de
« révolutionner la forme pour renouveler le genre ». On
parle de livres-magazines (杂志书),
magazine-books
ou mooks en anglais, l’un des précurseurs étant le
magazine de Han Han ((韩寒).
La couverture
du dernier né de ces nouveaux magazines,
Tian Nan (《天南》),
est un exemple du nouveau design adopté, qui attire le
regard et intrigue. Le graphisme est volontairement
sobre, la page affichant juste sur une colonne, à
gauche, les noms des auteurs participant au numéro, sur
fond de photo aux teintes tirant sur le gris bleuté :
celle d’un moine marchant au bord du Gange sous un ciel
bleu pâle.
Le thème du
numéro est annoncé comme étant « agrarian Asia »
(“亚细亚故乡”),
avec des contributions d’auteurs |
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Octobre |
étrangers. Cela
correspond à deux des caractéristiques générales de ces nouveaux
magazines : d’une part l’adoption, pour chacun des numéros, de
thèmes correspondant aux goûts et préoccupations de la
génération « post 1980 », élaborés sur la base d’enquêtes et de
discussions sur des forums internet ;
d’autre part
l’ouverture sur la littérature étrangère, dans un optique
culturelle plus vaste que celle adoptée jusqu’ici, qui comporte
aussi un aspect interdisciplinaire avec des extensions vers la
photo et
l’art graphique, voire
cinématographique (2).
L’aspect
graphique et visuel est particulièrement soigné. Pour
reprendre le cas de Tian Nan, ce qui surprend le
plus,
c’est le
titre :
天南 n’est
qu’à peine visible, en revanche apparaît nettement, bien
cadré au centre de la page, le mot Chutzpah ! Il faut
savoir que c’est un mot hébreu qui signifie
insolence,
audace, impertinence : une sorte de logo déguisé…
Le résultat est
là : on a tout de suite envie d’ouvrir et de feuilleter.
D’ailleurs c’est exactement ce qui s’est passé :
on s’est arraché
le magazine quand il est sorti. Ce n’est pas un hasard :
le projet de couverture avait été publié dès janvier
dans le microblog du magazine et avait donné lieu à
échanges de vue et discussion… |
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Tian Nan 《天南》 |
Li
(《鲤》) |
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Le rédacteur en
chef du magazine « Littérature du peuple »
(《人民文学》)
balaie cette offensive formelle du revers de la main :
pour lui, les magazines littéraires ne peuvent pas
s’appuyer sur
la photo, la présentation et l’illustration, ils doivent
privilégier le contenu. Mais justement, l’expérience
montre que les lecteurs plébiscitent le nouveau concept
: la forme est aussi importante que le fond. Nous vivons
une époque saturée d’images, elles font partie du monde
moderne.
D’ailleurs, les
commentaires des lecteurs montrent bien que le concept
répond à leurs attentes. Les résultats sont probants… |
Des magazines
médiatisés qu’on s’arrache
Outre le
précurseur Li (《鲤》),
deux autres titres ont été créés tout récemment selon un
concept proche de celui de Tian Nan (《天南》) :
Wenyi Fengshang (《文艺风赏》)
et
Da Fang
(《大方》),
lancés respectivement en février et mars 2011. Ils sont
tous positionnés sur le même créneau et ont pour
rédacteurs des auteurs à succès et des personnalités
médiatiques du monde de l’édition :
Di’An (笛安)
pour Wenyi Fengshang,
Annie Baobei (安妮宝贝)
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Wenyi Fengshang
《文艺风赏》 |
pour Da Fang, et
Ou Ning (欧宁)
pour Tian Nan.
Da Fang《大方》 |
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Personnalités
médiatiques, ils savent se servir des nouveaux médias,
et en particulier des réseaux sociaux d’internet, comme
supports de marketing et de communication directe :
leurs sites sont doublés de microblogs qui informent les
lecteurs avant la sortie de leurs magazines, créant la
curiosité, suscitant l’attente et provoquant in fine des
phénomènes d’achats en masse, eux-mêmes dûment
médiatisés sur les microblogs. Ainsi tout le monde sait
que Tian Nan a suscité une « folie d’achats » (“卖疯了”)
et a été épuisé en un rien de temps.
Quant aux
chiffres de ventes, ils sont en conséquence : quand les
anciens magazines sont contents d’écouler 10 000
exemplaires, Wenyi Fengshang, par exemple, s’est
retrouvé en rupture de stock après avoir vendu… 250 000
exemplaires de son premier numéro. |
Mais ce n’est pas pour
autant le résultat d’une offensive commerciale à court terme et
d’un phénomène de mode passagère : ces nouveaux magazines ne
sont pas de simples illustrés, ils se revendiquent comme
représentants de la « littérature pure » (纯文学
chúnwénxué)
et partent d’un nouveau concept mûrement élaboré.
Des publications
littéraires financièrement solides
Si ces nouveaux
magazines ont apporté une petite révolution dans la forme comme
dans le contenu, ils se sont ainsi créé une image haut de gamme
qui a permis d’initier une autre petite révolution dans leur
secteur : au niveau de la publicité.
En effet,
touchant un lectorat limité et ayant une image assez
terne, les magazines littéraires traditionnels ne
peuvent prétendre attirer des annonceurs de prestige.
Les nouveaux magazines, eux, ont intégré la publicité
dans leur modèle financier, et une publicité qui
correspond à leur image : moderne, branchée et haut de
gamme. Ainsi, le premier numéro de Tian Nan
affiche trois encarts publicitaires de marques de
prestige (dont Mont Blanc et Hennessy) qui permettent de
couvrir les coûts de production.
Ces magazines
sont en effet en dehors du système officiel, et, en
particulier, ne sont pas affiliés, comme les magazines
traditionnels, à l’Association des écrivains. Ils ne
peuvent donc se prévaloir de leur système d’allocations
(3). Revendiquant une entière liberté éditoriale, ils
sont adossés à d’importants groupes d’édition qui leur
apportent leur soutien.
Ce sont des entreprises
commerciales à part entière qui ont développé un modèle
économique original et ciblé. Fonctionnant par appel à
contributions, leur assise financière leur permet, entre autres,
de payer des droits appréciables aux auteurs retenus, ce qui
attire des écrivains qui publiaient jusqu’ici dans d’autres revues.
… mais
directement concurrentielles
Il reste évidemment à
voir comment ces magazines vont maintenant évoluer. Leur
principale faiblesse tient en effet à leur positionnement sur le
même créneau de marché et à des images très proches et
relativement homogènes. Il est
vrai qu’ils ont ciblé un marché
en rapide expansion, mais ils sont directement concurrentiels.
Il va donc leur falloir beaucoup d’imagination encore pour se
créer une image propre et un lectorat fidélisé.
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Le Magazine Littéraire, avril 2011 |
En attendant, ce sont
des mines d’information sur un aspect de la littérature chinoise
contemporaine qui n’est pas à dédaigner.
Notes
(1)
画地为牢
huàdìwéiláo : littéralement, tracer un cercle par terre et s’en faire une
prison.
(2) L’un des modèles
est « Le Magazine littéraire » en France. Ainsi, le numéro
d’avril 2011 titrait sur Milan Kundera à l’occasion de la sortie
du livre le concernant dans la collection La Pléiade ; il
comportait tout un dossier sur… ses dessins inédits.
(3) Ce qu’on appelle
“包养制”bāoyǎngzhì
système
de prise en charge alimentaire, en l’assimilant à
l’aide
fournie aux parents âgés.
A lire en complément :
Dossiers sur les magazines cités, leurs
rédacteurs en chef et des auteurs à découvrir :
-
Da Fang, le nouveau magazine littéraire
d’Annie Baobei
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