« Funérailles molles »
de Fang Fang : un roman de réflexion sur l’histoire et la
mémoire
par Brigitte Duzan, 14 juin 2017,
actualisé 27 janvier 2021
C’est en août
2016, aux éditions Littérature du peuple, qu’a été
publié le dernier roman de
Fang Fang (方方),
sous le titre volontairement ésotérique de
« Funérailles molles » (《软埋》).
Le livre a depuis lors suscité beaucoup d’intérêt et a
même été couronné du prix littéraire
Lu Yao (“路遥文学奖”),
décerné le 23 avril dernier pour la période 2016.
Mais le roman
a été victime de son succès : il a déclenché une vive
controverse et a finalement été retiré de la vente. Il
aborde en effet d’un ton critique l’histoire de la
Réforme agraire (土改运动),
réforme fondamentale du tout début des années 1950 dont
le sujet est encore tabou en Chine.
Une
évocation critique de la Réforme agraire
Une fiction
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Le roman |
Dans le roman, le
personnage principal est une vieille femme qui fut l’épouse d’un
riche propriétaire terrien de l’est du Sichuan à la fin des
années 1940 ; elle a été témoin des terribles événements qui ont
accompagné la redistribution des terres aux paysans au début des
années 1950, à la suite de la loi sur la Réforme agraire: tous
les membres de la famille de son mari, et son mari lui-même, ont
préféré se donner la mort plutôt que de subir les traitements
auxquels furent soumis ceux qui furent alors désignés comme
« propriétaires terriens », persécutés, torturés et tués tandis
que leurs terres étaient confisquées.
La vieille dame en a
perdu la mémoire, mais a gardé au fond d’elle-même le souvenir
de ces événements qui ne cessent de la hanter. Elle en parle
dans ses cauchemars, et exprime en particulier sa terreur d’être
enterrée sans cercueil, le corps jeté à même la terre selon la
coutume des « funérailles molles », comme elle l’a vu faire ;
or, selon les croyances locales, cela empêche le défunt de
pouvoir renaître…
Son fils reconstitue
des bribes de son histoire, finit par décider de faire des
recherches pour mieux comprendre, et retrouve le journal que son
père a tenu jusqu’à sa mort. Il n’a pourtant pas la force de
faire face à ce legs si pesant, et préfère l’oubli.
Une construction
extrêmement subtile
Il faut souligner la
construction extrêmement subtile du récit qui mène en parallèle
d’une part les recherches du fils pour retrouver les traces du
passé de ses parents, et résoudre l’énigme de celui de sa mère,
et d’autre part la longue remontée onirique de la vieille dame
dans ses souvenirs cauchemardesques, en étapes successives comme
autant de cercles de l’Enfer dantesque, ou plutôt comme
les dix-huit niveaux de l’enfer
selon la tradition taoïste.
L’un des récits est
traité dans un style réaliste propre à Fang Fang, l’autre a les
qualités d’un récit fantastique. Le lecteur ne peut échapper à
la fascination qu’exerce ce roman, qui se lit à la manière d’un
roman policier.
Fondée sur la
réalité historique
Fang Fang recevant le prix Lu Yao |
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Le récit de
Fang Fang est d’autant plus prenant qu’elle est partie
d’une histoire vraie, celle du père d’un ami qui a
lui-même retrouvé le journal de son père. C’est une
œuvre de fiction, mais soutenue par un travail
d’historien, et c’est cela qui lui a valu le prix
Lu Yao. La lutte
des classes prônée par Mao n’a pas seulement éliminé les
propriétaires terriens ; dans bien des endroits, les
paysans un peu plus riches que les autres ont été
persécutés de la même manière, et les exécutions ont
souvent été prétextes à des règlements de compte, des
vengeances, et parfois tout simplement à l’élimination
d’opposants politiques.
Il n’y a
évidemment pas de statistiques officielles, mais les
chercheurs chinois et occidentaux s’accordent pour
penser qu’il y a eu entre un et cinq millions de
disparitions. Le sujet est aujourd’hui l’un des plus
opaques de l’histoire de la période maoïste qui a
officialisé un récit manichéen fondé sur l’idéologie de
la lutte des classes. |
Mais surtout une
réflexion sur la mémoire
Ce que montre Fang
Fang, cependant, avec beaucoup de subtilité, sous la forme d’une
enquête de terrain menée par le fils de la vieille dame devenue
amnésique, c’est que l’histoire officielle n’est qu’un aspect de
la réalité et que les torts n’étaient pas tous du même côté :
certains propriétaires terriens, par exemple, avaient mené des
actions d’éclat au moment de la lutte contre les bandits, dans
les premiers temps de la République populaire, et la Réforme
agraire a été le prétexte à des règlement de compte, dans des
affaires, encore une fois, où il est bien difficile de faire la
part des choses.
Finalement, le plus
terrible est de se heurter à une réalité insaisissable. Face à
une histoire douloureuse, le fils finit par préférer rester dans
l’oubli :
« Vivre en paix,
pour lui, signifiait ne pas chercher à savoir ce qu’il ne savait
pas. Le temps doucement enterrerait la vérité toute nue. Alors,
comment irait-on savoir quelle était vraiment la vérité ? »
C’est cette
relativisation de la vérité historique, contraire à l’orthodoxie
officielle, que les conservateurs et « gardiens du temple »
n’ont pas pardonné à Fang Fang.
Les attaques, et
l’interdiction
Vives attaques
Le livre a
fait l’objet de vives attaques de la part d’une frange
ultra-conservatrice du Parti
.
Avant même l’annonce du prix Lu Yao, en avril 2017, il a
été dénoncé comme une « herbe hautement venimeuse » (大毒草)
lors d’un colloque organisé à des fins de critique, dans
la ville même de Wuhan, par le groupe local de lecture
des Travailleurs, Paysans et Soldats, comme aux bons
vieux temps de la Révolution culturelle et en reprenant
le même vocabulaire : |
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Dénonciation du roman comme « herbe
hautement venimeuse » |
攻击土地革命运动……为封建地主阶级招魂……是一株反共大毒草!
C’est une attaque contre la réforme agraire… visant à invoquer
les esprits de la classe féodale des propriétaires terriens… une
herbe hautement venimeuse contre le Parti.
Zhang Quanjing avec Mao Zedong |
|
Des réunions
du même ordre ont eu lieu aussi dans d’autres villes, et
d’anciens leaders du Parti communiste ont également
publié leurs propres attaques. Ainsi l’ancien chef du
département central de l’Organisation,
Zhang Quanjing (张全景)
,
a écrit un article de dénonciation dans le style des
séances de « lutte » de la Révolution culturelle ; pour
lui, le roman est un reflet de la lutte des classes
aujourd’hui (c’est le titre de son article) : |
方方的小说无视土改的这个本质方面,给土改泼了一大盆脏水,这是对历史的歪曲,是历史虚无主义在文艺领域的典型表现,是‘和平演变’与反‘和平演变’斗争的具体表现。
Le roman de Fang
Fang ignore l’aspect essentiel de la Réforme agraire, c’est
comme s’il versait un seau d’eau sale dessus. C’est une
distorsion de l’histoire, l’expression d’un nihilisme historique
courant dans les cercles littéraires et artistiques, un exemple
concret de la lutte entre "réforme pacifique" [du système
politique] et son contraire.
Général de l’Armée de Libération
et
ancien
commissaire politique, également originaire de Wuhan,
Zhao
Keming (赵可铭),
de son côté,
a étendu les attaques à d’autres romans récents de
divers auteurs, dont
Mo Yan (莫言),
et toujours dans les mêmes termes de session de lutte :
历史虚无主义思潮尽管受到党和人民的有力抵制和批评,但仍在以各种形式滋长蔓延。除了在历史研究领域,在讲台、论坛上不断欺骗毒害人们,近些年在文学创作 |
|
Zhao Keming |
领域也表现得十分猖獗。为地主阶级翻案、控诉土改的小说《软埋》只是其中最新出版、最露骨的表达罢了。在此以前,有《活着》、《生死疲劳》、《白鹿原》、《古船》等等。长期以来,这些作品基本上没有在主流媒体上受到有分量的分析批评,也未听说其所在单位党的组织对此有过批评指正,有的人反而获得了很高的地位、炫目的光环,有很多粉丝和吹鼓手。这就在客观上产生了一种导向,写这类颠覆历史的东西可以出名得利,可以风光无限。
Bien que le
nihilisme historique ait été repoussé et vivement critiqué par
le Parti et le peuple, il s’est pourtant étendu sous diverses
formes. Il n’a pas seulement empoisonné les domaines de la
recherche historique, des conférences universitaires et des
forums publics de discussion, mais a également fortement
contaminé celui de la littérature. « Funérailles molles » n’est
que le cas le plus récent de publication qui tente de défendre
la classe des propriétaires terriens et critiquer la Réforme
agraire. Auparavant, il y a eu « Vivre ! » (《活着》)
,
« La dure loi du karma » (《生死疲劳》)
,
« Au pays du cerf blanc » (《白鹿原》)
,
« Le vieux bateau » (《古船》)
et autres, qui n’ont pas été l’objet d’analyses critiques dans
la presse grand public. Les auteurs n’ont pas été dénoncés dans
leur unité de travail, quelques-uns ont même atteint des
positions très élevées et ont inspiré le respect à une foule de
fans et d’admirateurs. Objectivement, ceci a créé une tendance à
la subversion historique comme garantie de succès et d’un
brillant avenir.
Cette
vague de critiques a débouché sur le retrait du roman des étals
des librairies. Cela s’est fait progressivement, mais, en 2019,
il était devenu introuvable en Chine, ceux qui avaient tant
qu’il était encore en vente le conservant précieusement.
Mais
aussi vif intérêt
Le roman
a circulé pendant un certain temps en version numérisée sur
internet et a suscité un grand intérêt ainsi que des
commentaires très positifs de nombreux lecteurs, en particulier
su weibo. Il a été particulièrement bien noté, entre
autres, sur le site douban.
De
nombreux lecteurs ont demandé, une fois encore, comme lors de
tout incident de ce genre, que l’histoire puisse être
« affrontée » et non mise sous cape, celui-ci, par exemple,
écrivant sur sa page
weibo :
没有一件事,会有它真正的真相。
重要的不是真相是什么,而是我们用什么态度去面对它。
我们或许永远无法公正的评价那个年代,但是我们有权利去质疑它。
一个国家应该开放的去面对自己的历史,否则历史的包袱只会越来越沉重。
Il n’y a pas
d’événement qui soit vérité absolue.
L’important n’est
pas de savoir quelle est la vérité, mais quelle attitude adopter
à son égard.
Peut-être ne pourrons-nous jamais trouver une manière juste de
juger cette époque, mais nous avons le droit de la mettre en
question.
Un pays doit affronter son histoire avec un esprit ouvert, sinon
son poids en deviendrait peu à peu trop lourd à supporter.
Mais le
plus intéressant, peut-être, est que la lecture du roman a
incité à dévoiler des récits parallèles, de désastres familiaux
survenus pendant la même période – tel celui-ci, d’un internaute
natif de l’Anhui
:
我的曾祖父少年在地主家做学徒,因聪明勤快,后来自己办木厂染坊、买田,家境逐渐殷实富足。直到土改,我家应算是富农,绝称不上地主。之所以被划为地主,是因为当时的土改负责人与我家有仇,强把我曾祖母家的地加在我家头上。我曾祖母家倒是地主,但她家的田地是她兄弟的,跟我曾祖母、跟我家哪有什么关系?欲加之罪,何患无辞!我不知道曾祖父是怎么死的。但我知道我的曾祖母,这位传统大家庭的女主人,是被活活饿死在自己床上的。
我曾祖父的父亲是晚清举人,一生教书,死后留下几大竹篾筐书,土改时候全被烧掉 。
我的祖父土改前在县城高中读书,读医农科,成绩优异,准备保送复旦。但土改时被扣上“地主少爷”之名,只得落寞归乡,一生面朝黄土。虽然在六十年代教过几年书,但这几年教书的经历,反而又让他在文革中受了不少罪。
我家世代耕读之家,土改一役,书被烧尽,田被收走,真是绝人活路,后来几十年困顿窘迫,其间血泪,倒向谁人控告与哭诉!
Dans sa jeunesse,
mon arrière-grand-père a été apprenti chez un propriétaire
terrien. Comme il était intelligent et travailleur, il a ouvert
ensuite ses propres ateliers de teinture et de travail du bois,
puis il a acheté des terres et s’est enrichi peu à peu. Jusqu’à
la Réforme agraire, il était considéré comme paysan riche, pas
du tout comme propriétaire foncier. S’il a été déclaré tel au
moment de la Réforme agraire, c’est parce qu’il était à couteaux
tirés avec les responsables ; alors, quand ils ont calculé ses
biens, ils ont ajouté à ses terres celles de la famille de mon
arrière-grand-mère. Sa famille étaient des propriétaires
fonciers, c’est vrai, mais la terre était à ses frères, et cela
n’avait rien à voir avec mon arrière-grand-père. Tout cela
n’était qu’un prétexte pour l’inculper. Je ne sais pas comment
il est mort, mais je sais comment est morte mon
arrière-grand-mère : cette propriétaire d’une vieille famille
traditionnelle a été acculée à mourir de faim dans son lit.
Le père de mon
arrière-grand-père était un lettré de la fin des Qing ; il a
enseigné toute sa vie, et, à sa mort, a laissé toute une
bibliothèque de livres qui ont tous été brûlés pendant la
Réforme agraire.
Avant la réforme,
mon grand-père avait étudié la médecine et l’agriculture dans
une école du chef-lieu du district, et il se préparait à entrer
à l’université Fudan [à Shanghai]. Mais il a été classé « fils
de propriétaire terrien » et il a dû tristement revenir au
village où il a passé le reste de son existence à cultiver la
terre. Il a réussi à enseigner quelque temps, au début des
années 1960, mais, à cause de cela, il a été à nouveau persécuté
pendant la Révolution culturelle.
Nous étions une
famille d’agriculteurs et de lettrés. A cause de la Réforme
agraire, les livres ont été brûlés et les terres confisquées, ne
laissant rien pour vivre ni aux uns ni aux autres. Après la
Réforme, ils ont vécu dans la misère ; il ne leur restait plus
que leurs larmes pour pleurer, sans pouvoir même se plaindre :
qui auraient-ils bien pu accuser ?
On a aujourd’hui
beaucoup de documents sur la Grande Famine, de plus en plus sur
le mouvement des droitiers ; en revanche, la Réforme agraire
reste le plus tabou de tous les sujets : parce qu’elle est
considérée comme événement fondateur de la République populaire,
pur produit de la lutte des classes qui a fondamentalement
changé les structures de la société et les rapports de
production. Les méthodes brutales utilisées annoncent celles des
campagnes ultérieures, culminant dans la Révolution culturelle.
La virulence des attaques contre le livre reflète bien, par
ailleurs, la force des éléments conservateurs dans le Parti.
Le roman de Fang Fang
est une manière subtile et originale d’aborder cette période,
pour ne pas en laisser la mémoire enterrée sans cercueil.
Mais c’est aussi, et surtout, une réflexion sur la mémoire, et
la mission de l’écrivain de la préserver, comme elle le souligne
avec subtilité dans
son épilogue.
Le livre a été couronné du
prix Emile Guimet de littérature asiatique
2020.
A
lire en complément
Analyses du livre dans les comptes rendus de deux séances de
clubs de lecture qui lui étaient partiellement consacrés :
- Club
de lecture VAC-Morbihan, séance du 28 mars 2019
- Club
de lecture « A la page » de Narbonne, séance du 1er avril 2019
Articles et critiques
-
L’article de Bernard Mialaret dans Mychinesebooks
http://mychinesebooks.com/funrailles-molles-la-romancire-fang-fang-la-rforme-agraire-en-chine
/?lang=fr&fbclid=IwAR1CCxR65tHDFhGlad1idva7HPu7y22vvsMecHeHRQNm-KtlFILCKqq7N5E
-
L’article de Claire Devarrieux dans Libé (samedi-dimanche
24.02.2019)
-
L’article de Sarah Vajda
dans Boojum :
https://boojum.fr/funerailles-molles-fang-fang
-
L’analyse et les commentaires de Stéphane Corcuff,
à
l’occasion de la présentation du roman à la librairie le Phénix
à Paris, le 22 mars 2019 :
« Toute personne
s'intéressant aux débuts de la RPC, à la place de la mémoire
traumatique dans la RPC aujourd'hui, et à la question de savoir
pourquoi ce livre a été interdit en Chine trouvera dans cet
ouvrage une lecture très enrichissante, en plus d'une histoire
captivante.
Plusieurs comptes
rendus de lecture ont été faits… Pour compléter l'analyse
pertinente de ces collègues, je dirais qu'un certain nombre de
sujets importants apparaissent saillants dans ce livre, dont :
- les ambiguïtés de la
"campagne contre les bandits", entre consignes et actions
locales, maîtrise et débordements, objectifs clairs et
règlements de compte
- le système de la RPC
en train de se mettre en place : il faut s'imaginer ce qu'est
l'arrivée au pouvoir des Communistes dans un pays si vaste où
ils sont surtout aguerris au combat, et la difficulté
incommensurable que représente la gestion politique : la
révolution n'est ici pas le renversement du régime précédent,
mais ce qui suit : la construction d'une nouvelle société. On
peut, en lisant un manuel, facilement passer d'un régime à
l'autre, d'une date à l'autre : l'histoire lue fait oublier
l'étendue des enjeux ; lorsqu'elle est en train de se faire,
elle donne le tournis. C'est ce tournis que ce livre redonne à
voir, et c'est celui que j'aime, en cours, à donner aux
étudiants. 1950 ne suit pas 1949, ni 1951 ne suit pas 1950,
comme un simple millésime ;
- la foi des origines
dans un monde meilleur - une foi terriblement fracassée
bien-entendu, comme dans tous les régimes communistes, sur les
dures réalités, la démesure de fols espoirs, les réalités moins
palpitantes de la gestion du pouvoir par ceux qui en usent et
abusent, etc. - mais elle a soulevé des montagnes aux débuts de
la RPC ;
- les interstices de
la tragédie : comment on peut par miracle en réchapper ; et
comment la vie et l'amour continuent, et même de très belles
histoires d'amour, qui arrivent tant bien que mal à lisser les
épreuves du temps politique pour retisser de l'humanité entre
les êtres ;
- le piège, comme
toujours, que serait une dualité entre "bien" et "mal", une
frontière absolue entre humanité et cruauté ;
- un thème qui m'est
cher, la médecine traditionnelle chinoise et son interaction
avec la médecine alors dite "occidentale"...
Fang Fang dénonce dans
ce roman les atrocités commises lors de l'établissement de la
République populaire - pas celles du pouvoir établi et cynique
d'aujourd'hui, mais celles d'un pouvoir en train de se faire,
contrôlant plus ou moins ses militaires et ses cadres, et plutôt
moins que plus les villageois investissant la réforme. Fang Fang
n'écrit pas sur les actes, les séances de lutte, les
assassinats, elle analyse les conséquences psychologiques. La
réforme agraire est ici la toile de fond : invisible dans le
récit, mais omniprésente dans la trame.
Elle écrit sans
vindicte et finalement sans mots très durs, avec un récit qui,
s'il était roman, pourrait être un récit de vie, co-écrit par le
sociologue ou l'anthropologue. Son ton sans emphase, et ce qui
pourrait presque paraître comme la véracité de sa fiction, font
de ce livre une salve d'autant plus précise. Elle touche au cœur
de cette violence fondatrice qui ne laisse personne indifférent.
Fang Fang attaquée
pour des idées "contre-révolutionnaires", une réminiscence d'un
autre âge ? Pas vraiment : il y a une puissance destructrice, et
pourtant conciliante aussi avec les idéaux de la seconde
révolution chinoise, dans cette description de la violence de la
révolution ; qui fait comprendre qu'elle ait été très mal vécue
par les gardiens du dogme aujourd'hui.
Mais ceux qui, en
Chine, aujourd'hui, attaquent ce livre, ne sont-ils pas de
piètres profiteurs, arrivés bien après la bataille, des
structures mises en place par la révolution, ceux qui se
répartissent pouvoir et influence dans un régime qui a tout
perdu ou presque de ce qu'il pouvait donner à espérer à ses
débuts ?
C'est un très grand
livre sur la RPC. Il faut le dire… »
- La chronique de
Geneviève Clastres
http://www.voyageons-autrement.com/funerailles-molles?fbclid=IwAR21Tf-EIM_gO1OA8aZ56
IUVEmRSja_U_qZv-m1CmRG3XIbnQFZsD8QdxGI
-
La critique de François Bougon parue dans
Le Monde des livres, 31 mai 2019
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