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Club de lecture du
Centre culturel de Chine à Paris
Compte rendu de la
première séance
et séances suivantes
par Brigitte Duzan, 19 novembre
2017
animée par Brigitte Duzan, s’est déroulée en présence de Zhu
Ming, directeur des études et responsable des activités
pédagogiques du Centre, de François Sastourné, traducteur du
roman, d’Anne Sastourné, éditrice de la traduction au Seuil, et
de
Brigitte Guilbaud, traductrice
notamment de
Wang
Anyi (王安忆)
qui sera au programme de la deuxième séance du Club.
Les membres présents ont d’abord brièvement exposé les raisons
diverses qui les ont amenés à souhaiter participer à ce groupe
de lecteurs : goût de la lecture conjuguée à un intérêt
spécifique pour la culture et la littérature chinoises, doublé
pour certains de l’étude de la langue. S’y ajoutent également
des motivations plus personnelles : liens familiaux, affinités
culturelles, voyages…
Réactions diverses des lecteurs
Su Tong |
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Les lecteurs présents ont commencé, comme le veut la
règle de fonctionnement du Club, par exprimer leurs
réactions à la lecture du livre - réactions très
diverses allant du négatif, et presque du rejet, à
l’expression d’une véritable joie de lecture, avec
un certain équilibre entre avis positifs et
négatifs, mais un consensus: une fois qu’on a
commencé à lire ce roman, on ne le lâche plus
jusqu’à la fin.
Le plaisir de la lecture a été exprimé spontanément
par la première lectrice
à
intervenir :
décontenancée au début, dit-elle, elle a très vite
été fascinée par l’atmosphère surréaliste du roman
une fois familiarisée avec les trois personnages
dont l’histoire constitue la trame narrative. Elle a
vu cette histoire se dérouler comme un film, une
histoire dure, certes, mais avec des alternances de
poésie, d’ironie, voire de burlesque, suscitant des
émotions renouvelées. |
Les réactions suivantes sont venues en contrepoint de cet
enthousiasme initial, comme pour s’en démarquer volontairement.
Ce sont des réactions négatives à un texte perçu comme étant
d’une grande dureté, voire brutalité, dont aucun des personnages
n’est sympathique et, pire : pour lesquels l’auteur lui-même
semble n’avoir aucune sympathie. « Contenu glauque », « style
déroutant », le roman gêne ces lecteurs : la force de la
tradition y est présentée comme confinant à la superstition,
l’accent est mis sur la pauvreté, la corruption généralisée,
sans l’ombre d’un compromis.
De ces commentaires émerge la question récurrente : faut-il
vraiment en déduire que les relations humaines en Chine
aujourd’hui sont aussi dures ? Le parallèle est fait plusieurs
fois avec
Yu Hua (余华) et son roman
« Brothers » (Xiongdi
《兄弟》),
parallèle qui pose aussi la question du style respectif des deux
textes.
A cette question répond le commentaire d’une
lectrice chinoise dans l’assistance qui a lu les
deux romans en chinois et a beaucoup aimé « Le Dit
du Loriot » :
oui, c’est une histoire brutale, dit-elle, et c’est
bien le reflet de la société ; mais il ne faut pas
s’en choquer : cet aspect est compensé par l’ironie
qui perce sous la surface du texte. Il faut en
savourer l’humour qui, il est vrai, peut être
rapproché de celui de « Brothers », mais le style de
Su Tong, dit-elle encore,
est bien plus complexe : « quand je lis Yu Hua, je n’ai pas
besoin de dictionnaire… ». Et il y a chez Su Tong toute une
symbolique très intéressante. |
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Le dit du loriot |
Un autre lecteur complète les commentaires précédents en
présentant une lecture « psychanalytique » du roman, qui l’a
amusé. Il souligne le rôle central du grand-père, à la recherche
désespérée des deux os ancestraux enterrés quelque part, comme
un pan du monde ancien disparu, et qui, ne les trouvant pas et
creusant partout, finit par passer pour fou. Fou à lier,
littéralement. Mais l’asile où est enfermé le grand-père est
peuplé de gens que la richesse et le pouvoir ont rendu tout
aussi fous que lui. Quant aux jeunes, ils sont désorientés, sans
passé ni avenir, sans valeurs ni morale. La tradition,
cependant, fait un retour à la fin du roman, comme bouclant le
périple qui se termine par un espoir de réconciliation entre
générations.
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Un autre lecteur souligne l’aspect tragique du roman, qu’il voit
comme une sorte de « Crime et Châtiment » chinois, avec en plus
de l’humour et de la poésie, une « vaste palette littéraire »
avec une dimension baroque, presque carnavalesque. En outre, le
roman « baigne » dans un lieu qui finit par prendre une
dimension mythique, un peu comme le Gaomi (高密)
natal de
Mo Yan
(莫言).
Il est vrai, ajoute-t-il, que les personnages sont livrés à
eux-mêmes,
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n’ont pas de valeurs et sont condamnés à l’échec, mais ils sont
humains. Ce sont presque des caractères-types.
C’est un point sur lequel reviennent d’autres lecteurs encore,
pour souligner le caractère pitoyable des trois personnages,
mais aussi la dureté des relations parents-enfants, ou l’absence
de relations entre eux ; ce qui frappe surtout, à cet égard, ce
sont les personnages des mères.
Sur le personnage de Baorun, le fils du grand-père
au centre du récit, Brigitte Guilbaud apporte un
éclairage original : oui, dit-elle, les jeunes du
roman n’ont pas d’aspirations, pas d’horizon, pas
d’avenir – ce qui, pour elle, n’est d’ailleurs pas
si différent de la situation en France. Mais Baorun
est un cas à part : il a peu à peu, et de manière
très pragmatique, développé tout un art des nœuds ;
c’est, en ce sens, un artiste. Artiste condamné par
son art même.
Eclairage complémentaire
Reprenant les principales questions restées en suspens, Brigitte
Duzan revient sur deux aspects soulignés dans les commentaires :
la question du symbolisme et celle du lieu, qui
sont en fait liées et éclairent ce qui est perçu par beaucoup
comme une tonalité très sombre dans ce roman. Chez Su Tong, il
semble n’y avoir d’échappatoire que dans la folie.
Le roman est bâti sur une trame d’éléments symboliques que l’on
retrouve
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dans toute l’œuvre de Su Tong, et surtout dans ses nouvelles, à
commencer par le château d’eau qui est, dans le roman, le lieu
du viol et qui, dès l’une de ses premières nouvelles, écrite au
début des années 1980, est le lieu d’une pendaison. C’est donc
un symbole inquiétant, voire macabre, mais qui, ici, prend une
autre tonalité car le château d’eau devient chapelle bouddhiste,
et c’est là, sur les marches à l’entrée, sous le regard du
bouddha, que se termine le récit, sur une note apaisée, un
avenir incertain, mais ouvert.
On
constate donc une légère évolution de la symbolique
de Su Tong. Mais on retrouve aussi dans le roman,
sans guère de changement, la symbolique de l’eau
développée dans ses nouvelles : symbolique liée au
sud de la Chine, et plus précisément à la région de
Suzhou qui est la région natale de l’écrivain. A
cette région de lacs et de canaux où l’eau est
omniprésente, est traditionnellement associée une
atmosphère de brume plus ou moins désolée. C’est
justement
l’atmosphère des nouvelles de Su Tong, accentuée par les
conséquences des bouleversements socio-politiques, et c’est
celle que l’on retrouve en filigrane dans « Le Dit du loriot »
.
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Le ton très sombre qui a été perçu diversement est donc
personnel à Su Tong, comme lui est personnel l’univers du
Jiangnan (ou sud du Yangtsé) qui se dégage de ses récits.
C’est une expression fictionnelle de la réalité ambiante, et
c’est à cet égard que son œuvre est intéressante. Mais, de par
sa conclusion, « Le Dit du loriot » est finalement, sans doute,
son roman le moins désespéré.
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Le point de vue du traducteur
Confronté à ces réactions si diverses au roman, et pour répondre
en particulier aux questions posées sur le style, la parole est
ensuite donnée au traducteur François Sastourné pour qu’il
explique son propre rapport au texte, en apportant ainsi un
autre éclairage encore sur le roman.
C’est un roman de fous, dit-il, à commencer par le héros de
l’histoire, le grand-père, héritier d’une grande famille
détruite par la Révolution, comprend-on entre les lignes. Il
représente la tradition, tradition perdue avec son âme, qu’il
tente de retrouver.
Pour lui aussi, aucun des personnages n’est sympathique. Baorun
laissé à lui-même, et sans repères, par des parents absents. Liu
Sheng retors, sauvé par l’argent familial, mais qui garde une
mauvaise conscience. La fille n’est pas plus sympathique, sous
ses différents avatars. Le monde de Su Tong est un monde brutal
« qui reflète cent ans de brutalité, et plus » : toute une
tradition de brutalité.
Quant au viol, élément central de la narration, il est, dans le
contexte de l’époque, une manifestation de frustration des
jeunes, qui se traduit par la violence.
A la fin survient ce bébé rouge, rouge de colère et de honte,
qui peut cependant être une promesse, bien qu’on ne voie pas
très bien comment le grand-père va pouvoir s’occuper de lui.
L’avenir est donc assez impénétrable.
Par ailleurs, aucune difficulté majeure de traduction. François
Sastourné dit avoir eu quelques problèmes au début, pour
traduire l’expression diūhún
“丢魂”
(traduite : perdre l’esprit),
le terme chinois hún
魂
ne recouvrant pas exactement celui d’esprit, ou âme, en
français. Un autre exemple concerne la traduction du nom du
personnage féminin, ou plutôt son surnom - Xiannü (仙女)
– qui signifie littéralement immortelle. Le choix de
Princesse est un compromis, faute de mieux.
Ce qui est resté un mystère, dit-il, c’est la danse xiaola dont
il n’a pas trouvé les sources. Il s’agit sans doute d’une danse
à la mode à l’époque où se situe l’histoire, au lendemain de la
Révolution culturelle.
Dans l’ensemble, le style est sobre, limpide et clair,
confirmant les impressions de lectures de Brigitte Guilbaud qui,
de son côté, a lu beaucoup de textes de Su Tong pendant l’été.
Pour elle, le plaisir de la lecture de ces textes n’est pas
immédiat ; il vient a posteriori. C’est une prose limpide et
précise, mais pas une langue qui fascine et enthousiasme dès
l’abord ;elle n’y trouve pas le plaisir immédiat de la belle
phrase qui enchante.
Et pour finir…
La discussion s’est terminée sur une question concernant les
adaptations cinématographiques des œuvres de Su Tong, et en
particulier l’adaptation d’« Épouses et Concubines » (Qiqie
chengqun 《妻妾成群》)
par Zhang Yimou, qui a totalement renversé la symbolique et la
thématique de l’œuvre
.
Conclusion : si vous voyez un film de Zhang Yimou, lisez aussi
l’œuvre littéraire dont il est adapté…
Prochaines séances
- La deuxième séance aura lieu le mardi 30 janvier
2018, et sera consacrée au roman de
Wang
Anyi (王安忆)
« La Coquette de Shanghai » (Taozhi yaoyao《桃之夭夭》),
en présence de la traductrice
Brigitte Guilbaud et de
l’éditeur Philippe Picquier.
Lecture proposée en complément : « Le Chant des regrets
éternels » (Chang henge《长恨歌》)
- La troisième séance est fixée au mardi 10 avril,
autour de
Bi
Feiyu (毕飞宇)
et de son roman
« Les
Aveugles » (Tuina《推拿》),
prix Mao Dun 2011.
Lecture proposée en complément :
« Don
Quichotte sur le Yangtsé » (《苏北少年“堂吉诃德”》).
Références de publication
La Coquette de Shanghai,
traduit par
Brigitte Guilbaud, Philippe
Picquier 2017
Le Chant des regrets éternels,
traduit par Yvonne André et Stéphane Lévêque, Philippe Picquier
2006
Les Aveugles,
traduit par
Emmanuelle Péchenart, Philippe
Picquier 2011
Don Quichotte
sur le Yangtsé,
traduit par Myriam Kryger, Philippe Picquier 2016
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