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Club de lecture
Lirelles
Compte rendu de la
séance du 16 septembre 2018
Consacrée à la
littérature féminine chinoise contemporaine
par Brigitte Duzan, 9 avril 2019
Créé en 2008, le groupe Lirelles
désirait combler son ignorance de la littérature chinoise. Sa
104e séance a donc été consacrée à la littérature
chinoise contemporaine, avec un programme de lecture conçu pour
l’occasion et constitué d’une liste de traductions disponibles
chez l’éditeur
.
La séance s’est déroulée en présence d’une douzaine de membres,
dont les lectures, au total, couvraient une bonne partie du
programme proposé, outre quelques lectures antérieures
différentes.
Les coups de cœur
- Les deux livres mis en exergue dans la liste de lecture -
Madame Zou et Bonsoir la rose - ont fait quasiment
l’unanimité.
Madame Zou
a étonné et séduit par sa liberté de ton autant que par son
sujet : une histoire d’amour entre femmes dans un camp de femmes
pendant la Révolution culturelle.
Bonsoir la rose
– comme d’ailleurs les nouvelles du recueil Toutes les nuits
du monde de la même auteure – a emporté l’adhésion par la
beauté et la délicatesse des portraits de femmes que tisse le
récit.
- Les romans de
Chi Li
ont également été très appréciés, surtout Le Show de
la vie, pour sa peinture de femme de caractère, énergique et
dynamique, mais aussi pour celle de la ville, et surtout de ses
étals et petites échoppes vendant des cous de canards devenus
célèbres depuis lors.
La nouvelle de
Fang
Fang Une vue splendide a séduit
plusieurs lectrices, pour le réalisme bordant la cruauté avec
lequel est contée l’histoire.
Commentaires de Brigitte Duzan
1. Madame Zou
est
effectivement un livre étonnant dans le contexte de
la littérature chinoise, contemporaine, mais même
depuis ses origines, sachant que.la littérature
féminine chinoise a fait une apparition très récente
en Chine, puisqu’elle date seulement de 1919
.
C’est une littérature qui a connu une brève
efflorescence dans les années 1920, avec des récits,
très souvent autobiographiques, d’amitiés exclusives
entre femmes ; par la suite, on peine à trouver des
histoires de ce genre, et surtout racontées avec
cette liberté de ton.
Mais il faut le replacer aussi dans le contexte
chinois, où les amours entre femmes, étant
considérées comme n’existant pas, n’ont jamais été
pointées du doigt. De toute façon, les récits
concernés, dont il existe quelques très beaux romans
et nouvelles datant des années 1990, traitent le
sujet de manière allusive et poétique (les romans de
Lin Bai et
Chen Ran,
par exemple) ; c’est ce caractère allusif d’ailleurs
qui en fait des textes littérairement très
intéressants – mais aussi peu connus, et non
traduits. |
|
Madame Zou, édition chinoise
Zou shinü, 2014 |
C’est ce caractère allusif que l’on retrouve dans la nouvelle de
Lin
Bai La Chaise dans le corridor qui a
également été appréciée par certaines lectrices du groupe.
2.
Bonsoir la rose est l’un des plus beaux
textes de
Chi Zijian,
écrivaine du Grand Nord chinois dont l’œuvre la plus
connue est le roman La rive droite de l’Argun,
couronné du prix Mao Dun en 2008, qui dépeint la
décadence et mort programmée du peuple Ewenki.
L’histoire est contée de manière poétique du point
de vue d’une vieille femme restée seule dans son
village déserté. C’est donc d’abord un très beau
portrait féminin.
C’est également le cas de Bonsoir la rose,
plus récent puisque la publication initiale, en
revue, date de 2013. S’agissant d’un texte plus
court, il est centré sur deux personnages féminins
dont le passé est dévoilé peu à peu, en levant une
part de mystère qui fait tout le charme de la
narration.
Toutes les nuits du monde,
de la même auteure, est d’une veine identique
: des portraits de femmes âgées et de petites filles
avec toujours une part d’ombre dans le passé |
|
Bonsoir, la rose (traduction
française) |
des femmes âgées d’où émanent une chaleur et une émotion
contenues.
3. Les romans de
Chi Li font
partie d’un courant de littérature dite
« néo-réaliste », en rupture avec la littérature
avant-gardiste de la fin des années 1990, qui s’est
développée surtout à partir du début des années 1990
en rencontrant la faveur des éditeurs parce qu’elle
était plus directement accessible au grand public.
Le Show de la vie
est certainement l’un des plus réussis de la série
de romans de Chi Li qui ont été traduits en
français, et ont rencontré un certain succès auprès
du public pour les mêmes raisons qu’en Chine. L’une
des caractéristiques de ces récits est un personnage
central de femme représentative de la mère chinoise
typique, avec ses traits spécifiques de mère
nourricière, soutien indéfectible de la famille au
sens élargi.
On peut
cependant avoir quelques réserves vis-à-vis de
Chi Li car
elle ne s’est pas renouvelée : le dernier de la
dizaine de titres traduits en français
est, avec quelques nuances, de la même veine et du
même format que le premier. |
|
Le Show de la vie, couverture
d’après le film adapté du récit
(2002) |
4.
Initialement publiée en 1987, Une vue splendide
a été la première nouvelle intronisant ce
mouvement de littérature néoréaliste chinoise et
faisant de
Fang Fang sa
principale représentante, aux côtés de Chi Li. Mais
l’écriture n’est pas la même : plus noire et plus
incisive, au lieu d’être narrative et descriptive.
En outre, Fang Fang a beaucoup évolué à partir de la
fin des années 1990, en s’orientant vers des
recherches historiques qui ont enrichi et approfondi
ses thèmes et sa réflexion
.
Avis plus réservés
Les autres œuvres du programme proposé ont été moins
appréciées. En particulier, la « Trilogie de
l’amour » de
Wang Anyi n’a pas
suscité un grand intérêt, par le côté un peu désuet
de récits dont on n’arrive pas à très bien
comprendre aujourd’hui comment ils ont pu faire
scandale en leur temps. Certains détails
surprennent : dans Amour sur une colline dénudée,
par exemple, une séductrice avérée est décrite en
train de tricoter. Dans l’ensemble, il est noté que
les |
|
Fang Fang, Une vue splendide
(traduction française) |
hommes sont passifs, subjugués par leurs partenaires, et qu’ils
ne sont jamais nommés.
Amour dans une vallée enchantée
est peut-être celui des trois récits qui a le plus
séduit : un texte tout en intériorité, une
parenthèse dans la vie d’une femme, mais qui dégage
un certain ennui.
Les récits d’Eileen
Chang ont peu attiré de lectrices ; les
nouvelles du recueil Deux brûle-parfums ont
cependant retenu l’attention par leur caractère
« exotique ».
Commentaires
La Trilogie de l’amour est une œuvre de
référence dans la littérature chinoise. Elle a
marqué son époque : elle a été considérée comme très
osée, par le fait même que Wang Anyi y décrivait
directement et sans guère de fard les sentiments et
désirs de ses protagonistes féminines, à l’encontre
des règles usuelles de retenue et de pudeur
prescrites à la femme par la société confucéenne
traditionnelle. |
|
Amour sur une colline dénudée,
édition chinoise illustrée |
Wang
Anyi s’est toujours défendue d’être féministe, ou
même écrivaine, avançant l’argument que la féminisation du
terme, dans ce cas, était une forme de marginalisation. Il est
pourtant vrai que ses personnages masculins, comme cela a été
dit, sont dans l’ensemble faibles et sans beaucoup de caractère.
Elle continue à écrire, des romans centrés sur sa ville de
Shanghai dont son roman le Chant des regrets éternels est
une sorte de grande saga presque épique, centrée sur un
personnage féminin qui traverse le siècle, et finit broyé par
l’histoire.
Si Wang Anyi reste actuelle,
Eileen Chang est ancrée dans l’histoire, et
l’histoire de Shanghai. Les traductions dont on dispose sont
malheureusement insuffisantes pour permettre d’en apprécier
l’importance et la spécificité, en particulier en matière
d’écriture et de style. Il faudrait que soit réédité au moins
son roman La Cangue d’or, qui est sans doute son plus
grand chef-d’œuvre, reconnu comme tel.
Autres œuvres citées
Plusieurs lectrices ont également cité, parmi les lectures qui
les ont marquées, des œuvres qui ne figuraient pas au programme,
dont L’azalée rouge d’Anchee Min et Chinoises de
Xinran.
Il faut aussi noter deux autres coups de cœur, dans des genres
différents : Notre histoire : Pingru et Meitang, de Rao
Pingru, et Une rencontre à Pékin, de J.F. Billeter.
Commentaires
Les deux premiers titres mentionnés sont intéressants, mais ne
font pas partie de la littérature chinoise au sens strict tel
qu’il est pris ici : une littérature écrite en chinois par des
auteurs chinois. Le sujet est chinois, la langue ne l’est pas.
- Née à Shanghai en 1957, ancienne actrice des Studios de
Shanghai, Anchee Min (Min Anqi) est partie aux États-Unis en
1984 grâce à l’aide de l’actrice Joan Chen qui l’y avait
précédée. L’azalée rouge est un récit autobiographique
publié en 1994 qui vaut par le caractère exceptionnel du destin
de l’auteure. Il a été suivi de six romans historiques très
romancés dont la qualité est pour le moins inégale.
-
Xinran
écrit aussi en anglais, mais son cas est différent : d’origine
pékinoise, elle est établie à Londres depuis 1997. Ancienne
chroniqueuse à la radio, à Pékin, elle a réuni dans son premier
livre, Chinoises, les témoignages recueillis dans son
courrier des lecteurs à Pékin dans les années 1980-90, avant de
partir à Londres. Le livre a donc valeur de témoignage brut,
direct et affectif. Mais il n’est pas un document de littérature
chinoise.
- De la même manière, Une rencontre à Pékin, le court
récit de J.F. Billeter, a valeur de témoignage personnel qui
explique tout un contexte historique et relationnel pouvant
éclairer des œuvres littéraires chinoises de la même époque.
Mais c’est essentiellement un récit autobiographique français
qui illustre le parcours du grand traducteur et sinologue qu’est
J.F. Billeter.
- Quant à Notre histoire, c’est un roman graphique
étonnant, qui a commencé comme un carnet de dessins et dont le
graphisme, trait et couleurs, prime la narration. Il préfigure
toute une série de romans graphiques inspirés d’œuvres
littéraires chinoises publiés en France récemment, mais il leur
est largement supérieur, ayant au moins pour lui le cachet de
l’authenticité et la beauté du dessin. La personnalité de
l’auteur ajoute au charme du livre.
A lire en complément
L’histoire de la littérature féminine
contemporaine de Chine continentale
(Version développée de l’intervention à la librairie Violette
and Co le 10 février 2019
)
Parmi ces livres, deux d’auteures contemporaines ont été
privilégiés afin que le groupe ait une ou deux lectures
communes pour faciliter la discussion : Madame Zou
de
Zhang Yihe
(troisième volet de la trilogie consacrée aux camps de
femmes, après
Madame Liu
et Madame Yang) et
Bonsoir la rose
de
Chi Zijian.
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