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Cinq lauréats sans surprise pour le 9ème prix Mao Dun

par Brigitte Duzan, 17 août 2015

  

Le prix Mao Dun (茅盾文学奖) est le prix littéraire le plus prestigieux de Chine : il récompense tous les quatre ans cinq écrivains pour leur dernier roman. Ce sont donc des romans publiés au cours des quatre années précédentes, ce qui n’est pas forcément très récent. Et ce sont toujours des romans d’écrivains reconnus, d’un certain âge et d’une certaine notoriété.

 

Comme tous les prix littéraires, il est contesté, et on lui reproche d’obéir à des critères de choix souvent plus politiques que littéraires. Chacun des prix décernés jusqu’ici a soulevé des polémiques.

 

Le 9ème prix, cette année, ne faillira pas à la coutume, la liste des cinq lauréats retenus, annoncée le 16 août, commençant par Wang Meng et continuant avec Li Peifu. Les trois autres sont moins sujets à controverse puisqu’il s’agit de Ge Fei, Jin Yucheng et Su Tong.

 

1. Wang Meng (王蒙)  « Le paysage par ici » 《这边风景》

Roman publié en avril 2013 aux éditions Huacheng (花城出版社).

 

Wang Meng a appris la nouvelle alors qu’il était en villégiature à Beidahe. Sa première réaction a été de dire que, à 81 ans, c’est la première fois qu’il reçoit le prix Mao Dun, mais en ajoutant aussitôt, un sourire en coin, qu’« une bonne chose n’arrive jamais trop tard ».

 

Son roman n’a rien de nouveau, il a été écrit il y a quarante ans. Wang Meng a expliqué qu’il l’a retrouvé en rangeant des papiers, et qu’il lui a semblé, sur le moment, totalement « inconnu » ; en fait, il l’a terminé en 1978, puis l’a mis dans un tiroir et n’y a plus

 

Le paysage par ici, Wang Meng

touché. Néanmoins, en le feuilletant après l’avoir ainsi redécouvert par hasard, il a été touché par ce qu’il avait écrit de sa vie, à l’époque, au Xinjiang. En le relisant aujourd’hui, avec l’épreuve du temps, il prenait une autre signification.

  

Alors il en a parlé à son éditeur. Le roman a été publié il y a plus de deux ans. Il a bien sûr reçu des critiques élogieuses : certains ont trouvé que le roman était un tableau saisissant de la vie du peuple ouïghour ; on l’a comparé au célèbre tableau de Zhang Zeduan (张择端) « Le jour de Qingming au bord du fleuve » (《清明上河图》), en disant que c’était une peinture semblable de la vie quotidienne des Ouïghours au Xinjiang qui se déroulait au fil des pages.

 

C’est surtout une peinture du Xinjiang des années 1960-1970 sur lequel on dispose de peu de littérature. Et c’est une vision, embellie par le souvenir, de la vie des jeunes instruits envoyés là-bas, et de leurs relations avec la population locale, comme ce fut le cas de Wang Meng qui y a même appris la langue ouïghour.

 

Dans le contexte actuel, c’est un récit qui s’intègre parfaitement dans le discours officiel, montrant les bonnes relations entretenues à l’époque par les jeunes Han avec la population locale, et impliquant en filigrane que les tensions actuelles sont bien dues à des éléments radicalisés, voire terroristes.

 

Le prix lui-même apparaît comme une récompense à un vieux serviteur du régime, comme les prix décernés dans les festivals de cinéma à des cinéastes un peu âgés « pour l’ensemble de leur carrière ».

 

2. Ge Fei (格非) « La trilogie du Jiangnan » 《江南三部曲》

Roman publié en avril 2012 aux éditions Lettres et arts de Shanghai (上海文艺出版社)

 

La trilogie du Jiangnan, Ge Fei

 

En apprenant la nouvelle, Ge Fei ne pouvait cacher sa joie. « Pour un écrivain qui veut être reconnu, le rêve le plus cher n’est pas d’obtenir un prix, mais d’écrire des œuvres de qualité. Ceci dit, pour n’importe quel écrivain, un prix n’est jamais une mauvaise chose, il a une valeur certaine : c’est un immense encouragement pour l’auteur, auquel il inspire confiance. »

 

Mais qu’il soit lauréat du prix Mao Dun en particulier, il a dit qu’il n’arrivait pas à y croire, car c’est vraiment le prix le plus

prestigieux, en Chine, pour un roman. Il était en Mongolie intérieure quand il a appris qu’il était dans les dix auteurs présélectionnés, et il s’est dit que ce n’était déjà pas mal.

 

Mais « La trilogie du Jiangnan », ou « Trilogie du sud », est une œuvre de longue haleine ; elle représente dix à vingt ans de travail, il la considère comme l’une de ses œuvres majeures. Le prix arrive à point pour la faire découvrir.

 

3. Li Peifu (李佩甫)  « Album de vie » 《生命册》

Roman publié en mars 2012 aux Editions des écrivains (作家出版社)

 

Parmi les cinq finalistes, Li Peifu est aujourd’hui certainement le moins connu. Né en 1953 dans le Henan, il n’a commencé sa carrière littéraire qu’à la fin des années 1970, écrivant surla vie dans les villages chinois des plaines centrales, entre attachement aux traditions et lutte persistante contre la pauvreté.

 

Comme le titre le laisse penser, son roman est une nouvelle saga sur ce sujet, vue sous un angle personnel : le roman est écrit à la première personne. Il a été décrit comme « un poème épique exprimant l’âme de celui qui reste attaché à sa terre »  (一个土地背负者的心灵史诗).

 

Album de vie, Li Peifu

  

Quand il a appris la bonne nouvelle, Li Peifu était en train d’écrire, comme tous les matins, dès qu’il se lève. Pour célébrer, il a fumé deux cigarettes et mangé un bol de nouilles du Henan. Il a expliqué que son roman a eu une genèse un peu tortueuse : il a commencé à l’écrire en 2007 ; il a écrit plus de 80 000 caractères, mais sans en être très content. « Alors, dit-il, j’ai laissé tomber, et cherché une nouvelle inspiration ; quand j’écris, c’est toujours la première phrase la plus importante, elle doit être significative, c’est cela seul qui me permet de bien écrire ensuite. »…

 

Son roman reflète certainement cette exigence. Il reflète aussi la ligne idéologique actuelle, de retour vers les valeurs rurales. Mais, au début des années 2000, Li Peifu a également été l’un des auteurs de la vague de romans dits « anti-corruption » qui ont fait fureur jusqu’en 2002. Il a donc une double aura dans le contexte politique actuel, et en particulier dans celui de la campagne anti-corruption menée tambour battant par l’actuel premier ministre.

 

4. Jin Yucheng (金宇澄)  « Blossoms » 《繁花》

Roman publié en mars 2013 aux éditions Lettres et arts de Shanghai (上海文艺出版社)

 

Fanhua, Jin Yucheng

 

Jin Yucheng est la grande révélation littéraire des deux années écoulées, avec ce roman écrit en dialecte de Shanghai (adapté pour lecteurs non shanghaïens), non seulement gros succès de librairie, mais en outre en cours d’adaptation à l’écran par Wong Kar-wai. Avec lui, le prix Mao Dun prend un sens, et un sens littéraire.

 

Jin Yusheng a dit avoir été très content d’apprendre la nouvelle, mais se réjouir surtout pour Shanghai. « Le prix est une reconnaissance pour la ville. On peut dire

qu’elle a une histoire très récente, et très simple : c’est à l’origine un petit village de pêcheurs. Mais elle recèle autant de richesse qu’une forêt vierge, elle est aussi profonde qu’impénétrable. Et, comme pour une forêt vierge, quand on observe Shanghai, on n’en perçoit qu’une partie. »

 

Quant à la conception de son roman, Jin Yusheng considère qu’elle est très simple : il a voulu dire ce qu’il savait, en écrivant pour le lecteur, bien sûr, mais aussi pour lui-même. C’est un livre intérieur.

 

5. Su Tong (苏童)  « Chronique du moineau jaune »《黄雀记》

Roman publié en août 2013 aux Editions des écrivains (作家出版社)

 

« Chronique du moineau jaune » est son dernier roman, et, à l’heure actuelle, des romans qu’il a écrits, il affirme que c’est l’un de ses deux préférés, avec « Au bord du fleuve » (《河岸》). « On peut dire que c’en est une suite, une continuation de la même rue. On peut dire que je raconte toujours une rue, et que je la veux toujours plus longue, plus large, plus profonde ; elle peut changer avec le temps, mais non disparaître. »

 

Un nouveau roman de Su Tong est, de toute façon, toujours une bonne nouvelle.

 

Chronique du moineau jaune, Su Tong

 

Au-delà des polémiques, ce neuvième prix Mao Dun aura au moins l’avantage de signaler trois romans qui valent la peine d’être distingués de la masse de ceux qui font la une des statistiques de vente.

 

Pour mémoire, signalons la première pré-sélection, publiée le 12 août, des dix romans proposés au choix final du jury, dans l’ordre chronologique de publication :

 

1. Li Peifu (李佩甫)            Album de vie 《生命册》

2. Ge Fei (格非)                La trilogie du Jiangnan 《江南三部曲》

3. Lin Bai (林白)                Parti dans le nord dire au-revoir 《北去来辞》

4. Jin Yucheng (金宇澄)      Blossoms 《繁花》

5. Wang Meng (王蒙)         Le paysage par ici《这边风景》

6. Su Tong (苏童)             Chronique du moineau jaune 《黄雀记》

7. Hong Ke (红柯)             Tempête de sable à Kalabu 《喀拉布风暴》

8. Xu Zechen (徐则臣)       Jerusalem 《耶路撒冷》

9. Fan Wen (范稳)             Ma terre, mon sang 《吾血吾土》

10. Yan Zhen (阎真)          Sur les vivants 《活着之上》

 

On pourra regretter que, en 2015, Xu Zechen n’ait pas été préféré à Li Peifu.
 
Mais, en fait, le prix Mao Dun est un prix tourné vers le passé. Il donne une sorte de cachet d'authenticité à des œuvres qui peuvent désormais être considérées comme des classiques. C'est pour cela que Li Peifu a été préféré à Xu Zechen ; il est encore trop jeune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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