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Sortie
d’un recueil de lavis et essais de Sheng Keyi : retour au
paradis de l’enfance
par Brigitte Duzan, 16 juin 2014
Sheng Keyi (盛可以)
vient de publier un recueil de sept lavis en couleur
accompagnés de cinquante-trois essais (图文集)intitulé,
symboliquement, « Pourquoi le printemps ne revient-il
pas ? » (《春天怎么还不来》) ;
le livre représente ce qu’elle a fait de plus personnel
jusqu’ici, de plus chaleureux aussi.
Il marque une rupture de ton avec ses premiers écrits,
dont le style était dur et acerbe ; en 2011 encore, la
classant parmi les vingt écrivains chinois les plus
prometteurs du moment, Littérature du peuple (人民文学)
la décrivait encore comme un auteur au style tranchant (犀利)
etféroce (凶猛),
refusant toute nuance de chaleur humaine.
Sheng Keyi a
vécu dans la douleur la sortie de son village, et du
monde de son enfance ;
c’est son
expérience brutale de la ville qu’elle a contée dans son
premier roman, « Filles du Nord » (《北妹》),
publié en 2004 : ces « filles venues du
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Pourquoi le printemps ne revient-il pas ? |
nord » étant toutes celles, comme elle, venues participer,
dans le sud, au
boom économique chinois des années 1990 et corvéables à merci.
illustration lavis SKY |
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Depuis lors, cependant, elle a beaucoup évolué. Elle est
revenue vers ses souvenirs d’enfance, dans ses nouvelles
d’abord, et opté dès lors pour un style nimbéd’une
immense tendresse, teintée de la nostalgie du temps
passé. C’est le cas de sa nouvelle
« Paroles
de pêcheur » (《捕鱼者说》),
achevée d’écrire en mai 2012 : récit à la tonalité très
douce évoquant le monde d’une enfant que l’on devine
très proche d’elle.
Son récent recueil de lavis, avec les essais qui les
accompagnent, se place dans la continuité de cette
nouvelle. On retrouve les références aux lieux où
l’auteur est née et a passé son enfance, certains
détails de sa vie passée dont la nouvelle était
parsemée, et, avec ce retour vers l’enfance, une émotion
perceptible.
On voit sur les peintures l’image récurrente d’une
petite fille en rouge, accompagnée d’un chien noir.
C’était le chien de |
son grand-père, il s’appelait Obama (奥巴马).
Il figure dans une autre nouvelle récente de Sheng Keyi : « A
l’article de la mort » (《弥留之际》),
publiée en juin 2013 (1). Mais on apprend, avec ce nouveau
recueil, que, à six mois, il a avalé du poison et en est mort.
illustration lavis SKY |
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Sur les lavis, le chien accompagne l’enfant dans ses
escapades et l’aide à retrouver le paradis perdu de son
enfance, celui auquel elle revient maintenant après sa
dure expérience de la |
ville, vécue comme une véritable sortie d’Eden ; on le comprend
mieux maintenant, et cela donne plus de recul pour mieux
apprécier la dureté de ses premiers romans et récits.
Sheng Keyi s’affirme comme l’un des écrivains chinois les plus
attachants à l’heure actuelle.
Note
(1)
La traduction en français est parue dans l’anthologie publiée
chez Gallimard/Bleu de Chine en mars 2014, « Les rubans du
cerf-volant ».
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