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Brève histoire du
wuxia xiaoshuo
VI. Le
wuxia xiaoshuo au 20ème
siècle
VI.2 Après 1949 : la Nouvelle Ecole
新派武侠小说
par Brigitte Duzan, 13 juillet
2014
Si la littérature de wuxia qui réapparaît à Hong Kong et
Taiwan à partir de 1950 est qualifiée de « Nouvelle Ecole », ce
n’est pas pour des raisons stylistiques ou thématiques, mais
plutôt pour des considérations d’ordre géographique et
politique : il n’y a ni révolution ni rupture. Même le mode de
publication reste le même, par épisodes dans la presse.
Néanmoins, cette littérature connaît un renouveau sous des
auspices et dans un contexte différents, qui influent sur son
évolution thématique et stylistique.
Renaissance du roman de wuxia à Hong Kong et Taiwan après 1949
Raisons et facteurs de succès de ce renouveau
Si le roman de wuxia renaît à Hong Kong et Taiwan au
moment où il disparaît de Chine continentale, c’est pour des
raisons profondes qui vont en assurer le succès à long terme,
dans ces deux territoires comme dans toute la diaspora du
pourtour asiatique. Le critique Chen Mo a ainsi synthétisé les
raisons de cette apparition :
« [L’apparition de la Nouvelle Ecole du roman de wuxia à Hong
Kong et Taiwan] ne s’explique pas seulement en raison du profond
désir de perpétuer l’héritage psychologique du wuxia et du
jianghu, ainsi que l’histoire du pays ancestral ; elle
représente également un phénomène de fuite devant la
civilisation commerciale moderne, sa lutte dramatique pour
l’existence et ses conflits économiques. C’est en fait une forme
de révolte qui traduit un profondsentiment de malaise. » (6)
Il ne suffit donc pas de dire, comme souvent, que la nostalgie
pour certaines formes culturelles du passé chinois ressentie par
les Chinois émigrés à Hong Kong et Taiwan est la raison
essentielle de ce phénomène littéraire. Il faut aussi souligner
que la plupart des nouveaux migrants étaient des réfugiés,
chassés de chez eux par des forces politiques sur lesquelles ils
n’avaient aucun contrôle.
Le corollaire de ce flux migratoire est que la Nouvelle Ecole du
roman de wuxiaest née à la fois sous le régime
autoritaire du gouvernement nationaliste à Taiwan, et sous
l’autorité plus souple du gouvernement colonial britannique à
Hong Kong. On retrouve donc dans beaucoup de ces romans des
thèmes géopolitiques liés à cette situation : narration
nationaliste et patriotique, mais avec une évolution dans le
temps.
En même temps, la Nouvelle Ecole est en effet en continuation
directe des romans de la période pré-1949, BaiYu en particulier,
mais aussi Wang Dulu : même chez Jin Yong, la prédominance du
thème de loyauté nationale s’affaiblit peu à peu au profit d’une
importance essentielle donnée à la narration romantique,
et à la peinture des conflits émotionnels comme fondement du
récit et moteur de l’intrigue.
Finalement, la Nouvelle Ecole se détache de la peinture des
vicissitudes historiques vécues par la nation chinoise pour
fonder l’identité chinoise sur des fondements culturels
populaires que le wuxia représente et synthétise en
profondeur. En même temps, c’est une culture diasporique
au sens large, revendiquée par Ang Lee, par exemple, qui en fera
le fondement de son film « Tigre et dragon » qui y puise toute
sa force (7).
Point de départ : une compétition d’arts martiaux en janvier
1954
La Nouvelle Ecole a débuté dans des conditions très
concrètes : à la suite d’un match disputé à Macau, le
dimanche 17 janvier 1954, entre deux membres de deux
écoles rivales d’arts martiaux. C’est pour capitaliser
sur l’enthousiasme provoqué par ce match que le journal
New Evening Post ou Xin Wanbao (新晚报)
a commencé à publier par épisode le premier roman de
wuxia de Chen Wentong (陈文统),
plus connu sous son nom de plume de
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Le ring du match de Macau |
Liang Yusheng (梁羽生),
premier représentant éminent de la Nouvelle Ecole à Hong Kong.
Le jeune Liang Yusheng |
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C’est le 3 janvier que les medias de Hong Kong ont
commencé à annoncer le projet d’un match entre deux
célébrités locales du monde des arts martiaux, Wu
Gongyi (吴公仪)
et Chen Kefu (陈克夫).
Agé à l’époque de 53 ans, le premier était à la tête de
la Société de taijiquan de Jianquan (鉴泉太极拳分社)
qu’avait fondée son père, arrivé du Hebei à Hong Kong en
1937, lui-même descendant d’un disciple du fondateur du
taijiquan de style Yang. Agé de 35 ans et
originaire du Guangdong, Chen Kefu, quant à lui, était
un expert de l’école de « la grue blanche » (白鹤派),
mais avait aussi une formation en judo et en boxe
occidentale.
Le sponsor du
match le présenta comme une manifestation organisée dans
un but caritatif. Le jour de Noël 1953, en effet, un
incendie dévastateur avait fait 59 000 sans-abri à
Kowloon. Les recettes du match devaient être partagées
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entre ces victimes et
un hôpital à Macau. Pour attirer un maximum de spectateurs, le
match devait être le centre d’une vaste manifestation incluant
des numéros d’arts martiaux et même des numéros de chant, par
des stars de l’opéra local. Des services de ferry
supplémentaires furent ajoutés entre Hong Kong et Macau, et on
construisit un ring, érigé au centre d’une piscine, à
l’extérieur d’un nightclub, avec des places tout autour pour
plus de dix mille personnes. Toutes sortes de rumeurs
commencèrent à courir peu de temps avant le match, qui
ajoutèrent encore à l’atmosphère d’excitation générale.
L’excitation était
d’autant plus grande que le match était le premier à être
organisé après l’interdiction de ce genre de combat par le
gouvernement nationaliste. Cependant, le match ayant pris des
allures de pugilat sanglant, les arbitres jugèrent bon d’y
mettre fin sans qu’aucun vainqueur ait pu être déclaré. La
manifestation se termina par un numéro de la star de l’opéra Xin
Mazai (新马仔)
et la question du vainqueur fut soigneusement évitée au cours
des jours suivants. Le journal Evening Standard parla de
« fiasco inachevé » et l’affaire en resta là.
Le match
http://www.youtube.com/watch?v=wXt-AZZ_ra8
Mais elle eut
des conséquences inattendues. Deux jours après le match,
le journal qui avait offert les informations les plus
complètes sur l’événement, le Xin Wanbao, publia
une annonce en première page : alors que toute la ville
bruissait encore de l’enthousiasme suscité par le match,
pour offrir un plaisir supplémentaire à ses lecteurs, le
journal commencerait dès le lendemain la publication en
feuilleton d’un roman de wuxia de
Liang Yusheng, « Combat
du tigre et du dragon dans la capitale » (《龙虎斗京华》).
Le roman était
annoncé comme le récit de la lutte d’un maître de
taijiquan contre des écoles rivales, avec une quête
de vengeance et une histoire d’amour, dans la plus
parfaite tradition. Il est évident que la source
d’inspiration était le match lui-même, dont l’intérêt
n’était pas dans le combat lui-même, mais dans les arts
martiaux, qui prenaient un aspect de symbole national
dans le contexte socio-politique de la Hong Kong de
l’époque. |
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Combat du tigre et du dragon dans
la capitale, publication illustrée dans
le xin wanbao, 20 janvier 1954 |
Ce roman est le
précurseur de la Nouvelle Ecole dont il souligne dès le
départ le lien étroit avec la presse, encore plus que dans le
passé. Il est aussi typique des récits de wuxiadepuis les
origines, partant d’une réalité factuelle pour aboutir à une
narration mythifiée où prime l’imaginaire, voire le fantastique.
La Nouvelle
Ecole de 1950 à 1980
(à suivre)
Notes
(6) Chen Mo (陈墨),
Vingt maîtres de la Nouvelle Ecole du roman de wuxia《新武侠二十家》,
Beijing 1992.
(7) Sur ce film,
adapté de Wang Dulu, et les raisons de son succès :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Ang_Lee_Wang_Dulu_Tigre_et_Dragon.htm
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