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				Brève histoire du « 
				roman anti-corruption » (1995-2002) 
				par 
				Brigitte Duzan, 22 août 2015  
				  
				
				                                                                          
				
				
				« Corruption is the evil twin of reform » 
				
				                                                                           
				                            Jeffrey Kinkley 
				
				  
				
				C’est à partir du milieu des années 1990 qu’est apparu en Chine 
				ce qu’on a appelé “le roman anti-corruption” (反腐小说), 
				nouvel avatar du roman politique né du développement d’un 
				phénomène qui avait déjà en partie provoqué le mouvement pro-démocratie 
				de 1989 comme l’explique Jeffrey Kinkley dans l’introduction à 
				son ouvrage sur le sujet 
				
				: 
				
				  
				
				« Le mouvement démocratique avorté de 1989 était en partie causé 
				par la perception de la corruption dans la population, et 
				c’était avant que les réformes lancées par Deng Xiaoping en 1992 
				lui permettent de se développer, en prenant une autre envergure. 
				En entraînant d’énormes disparités de revenus, la croissance et 
				la prospérité ont accru le sentiment d’une corruption 
				généralisée, endémique et omniprésente, et liée à l’effondrement 
				des valeurs morales. […] C’est en fait l’excès de pouvoir, et de 
				pouvoir centralisé, qui est perçu comme facteur de corruption ; 
				c’est l’une des raisons majeures des appels à la démocratie. 
				S’ils restent limités et étouffés, ils n’en sont pas moins l’un 
				des éléments qui menacent la stabilité du pouvoir communiste. » 
				
				  
				
				C’est ce phénomène tentaculaire, et le malaise général qui en 
				résulte, qui ont suscité une véritable vague de romans dits 
				« anti-corruption », souvent adaptés au cinéma, et encore plus à 
				la télévision, s’attachant à le décrire et le dénoncer. Bien que 
				prenant souvent la forme de romans policiers, ces œuvres sont 
				inspirées de faits réels et ce sont toujours plus ou moins des 
				romans à clef, cherchant à déterminer la source des problèmes.
				 
				
				  
				
				En même temps, ils adoptent des modes narratifs qui renouent 
				avec des formes littéraires antérieures critiquant le pouvoir 
				des nantis et les modes de vie décadents des riches.  
				
				  
				
				
				Antécédents et précurseurs 
				
				
				  
				
				
				Antécédents littéraires 
				
				  
				
				Pour trouver dans la littérature classique le précédent qui 
				représente le modèle le plus proche 
				
				
				, 
				il suffit de remonter aux romans de la fin des Qing exposant les 
				abus et malversations des fonctionnaires corrompus de la cour : 
				les 
				guānchǎng xiǎoshuō 
				(官场小说). 
				
				  
					
						| 
						
						Le plus célèbre,
						
						
						et l’un des premiers, de ces romans satiriques est la 
						« Chronique indiscrète des mandarins » ou Rulin 
						waishi (《儒林外史》) 
						de Wu Jingzi (吴敬梓), 
						achevé vers 1750, mais publié au début du 19ème 
						siècle : ensemble assez décousu, mais très vivant, 
						offrant un tableau incisif de la société de l’époque, 
						avec des attaques contre le système des examens 
						apparaissant comme la principale cause de la décadence 
						morale des lettrés, d’abord, mais aussi de l’ensemble de 
						la société. 
						
						  
						
						La satire de Wu Jingzi reste un exercice littéraire, 
						comme les romans qui s’en sont inspirés. Par la suite, 
						l’échec du mouvement réformiste de 1898, puis la révolte 
						des Boxers et les troubles croissants  |  | 
						
						 
						Chronique indiscrète des mandarins, 
						Rulin waishi |  
				
				à partir de 1900 entraînent une perte de confiance dans la 
				capacité des gouvernants à diriger l’empire, et l’apparition 
				parallèle d’écrits cette fois violemment critiques. C’est ce que
				
				Lu Xun (魯迅) 
				a appelé « romans de dénonciation [de la société] » (谴责小说)
				
				
				
				.
				 
				
				  
				
				
				Le précédent des Cent Fleurs  
				
				
				  
				
				C’est à ce genre de romans « de dénonciation » que peuvent être 
				rattachés les écrits d’un écrivain comme Liu Binyan (刘宾雁), 
				d’abord au moment de la Campagne de Cent Fleurs, puis à partir 
				de 1978.  
				
				  
				
				En 1956, « Sur le chantier du pont » (《在桥梁工地上》) 
				dénonce non tant la corruption des bureaucrates dans la Chine de 
				Mao que leur désir fondamental de rester en place, donc de ne 
				prendre aucun initiative risquée pouvant nuire à leur 
				promotion : c’est le premier roman critique du pouvoir 
				communiste après les injonctions de Mao Zedong au Forum de 
				Yan’an, en 1942, invitant les écrivains à être positifs et ne 
				pas souligner les aspects sombres de la vie et de la société. 
				 
				
				  
					
						| 
						
						 
						Le nouveau venu au service  
						de l’organisation, 1956 |  | 
						
						Liu Binyan enfonce le clou avec l’autre roman qu’il 
						publie la même année, « Nouvelles confidentielles de 
						notre journal » (《本报内部消息》), 
						où il dépeint une jeune journaliste enthousiaste qui se 
						heurte au conservatisme du bureaucrate à la tête de 
						l’agence de presse où elle est affectée : là aussi, le 
						désir le plus cher de ce bureaucrate modèle est 
						d’appliquer les directives du Parti, considérant que son 
						plus grand mérite est la dévotion qu’il lui porte ; le 
						journal qu’il dirige devient tellement ennuyeux que ses 
						ventes chutent de moitié.   
						
						Ce roman vaudra à Liu Binyan d’être déclaré droitier et 
						exclu de ce même Parti. La controverse déchaînée par son 
						second roman, bien plus vive que pour le premier, inclut 
						d’ailleurs des attaques contre la nouvelle de
						
						
						Wang Meng (王蒙) 
						publiée au même moment : « Le nouveau venu au service de 
						l’organisation » (《组织部来了个年轻人》). 
						Wang Meng sera envoyé se réformer au Xinjiang. |  
				
				  
				
				
				Les précurseurs : fin des années 1970 / années 1980 
				  
					
						| 
						
						Après la Révolution culturelle, après avoir été 
						réhabilité, Liu Binyan reprend ses écrits critiques en 
						se tournant vers la « littérature de reportage » Il fait 
						scandale car il ne dénonce plus simplement les excès du 
						système bureaucratique, mais carrément la corruption des 
						fonctionnaires, en se fondant sur des études de terrain. 
						Ainsi, en 1979, « Entre hommes et démons » (《人妖之间》) 
						est le résultat d’une enquête sur un réseau de 
						corruption locale dans la province du Heilongjiang ; 
						c’est une dénonciation des abus de pouvoir des cadres 
						locaux, en défense du petit peuple qui en a été victime.
						 
						  
						
						De cette même année 1979 date aussi le célèbre récit de 
						Jiang Zilong (蒋子龙) 
						« Directeur Qiao prend son poste » (《乔厂长上任记》), 
						qui rappelle le récit de Wang Meng de 1956. Quelques 
						romans paraissent encore dans les années 1980, comme le 
						roman de Ke Yunlu (柯云路) « Nouvelle 
						étoile » (《新星》), 
						originellement publié dans la revue Dangdai (《当代》) 
						en mars 1984,  bâti sur  |  | 
						
						 
						Entre hommes et démons, Liu Binyan 1979   |  
					
						| 
						
						 
						Le Directeur Qiao prend son poste, 1979 |  | 
						
						une trame narrative qui sera reprise de nombreuses fois 
						par la suite : un homme revient dans son village pour se 
						rendre compte que tout a changé en son absence, et que 
						son village est lui aussi atteint par l’affairisme et le 
						déclin général de la morale publique qui lui est lié.   
						
						Dans sa 
						préface à sa traduction d’un recueil de textes de Liu 
						Binyan parue chez Gallimard en 1989, Jean-Philippe Béja 
						commente : 
						
						
						
						« Sa position correspond en somme à 
						celle du censeur de la Chine ancienne, cet envoyé 
						spécial de l'Empereur qui 
						fait connaître au souverain les abus de pouvoir des 
						fonctionnaires dépravés ». La 
						différence essentielle est que Liu Binyan – comme les 
						autres - n’est pas un envoyé spécial du pouvoir, mais le 
						dénonce de l’extérieur, position intenable dans le 
						contexte de crispation croissante des années 1980, qui 
						lui vaudra d’être expulsé de Chine, et contraint à 
						l’exil aux Etats-Unis en 1988.  |    
					
						| 
						
						1989 marque une coupure : les critiques sont réduits au 
						silence. Les romans critiques reprennent au début des 
						années 1990, mais sous une autre forme, et surtout avec 
						l’aval du pouvoir qui s’en sert pour promouvoir son 
						image. C’est là que réside la différence fondamentale et 
						le sens véritable des « romans anti-corruption » qui 
						fleurissent dans les années 1995-2002.  
						
						  
						
						
						Après 1989 
						
						  
						
						Quand les romans satiriques reprennent au début des 
						années 1990, ils reviennent d’abord au style de la fin 
						des Qing. C’est le genre du
						
						
						guānchǎng
						
						
						xiǎoshuō
						
						
						qui est la référence indirecte des nouvelles et romans 
						critiques publiés au début de la décennie, 
						
						
						qui participent en même temps du « nouveau réalisme » en 
						littérature (“新写实”) 
						qui se développe alors : réalisme désabusé plus que 
						dénonciateur. |  | 
						
						 
						New Star, Ke Yunlu 1984 |  
				   
					
						| 
						
						 
						Parmi les dignitaires, Liu Zhenyun 1992 |  | 
						
						C’est du guānchǎng xiǎoshuō que se 
						
						réclame par exemple un écrivain comme
						
						
						Liu Zhenyun (刘震云), 
						avec des nouvelles qui ne traitent pas directement de 
						corruption ou de fraude, mais, sur le mode humoristique, 
						des modes de vie et de travail des fonctionnaires en 
						tant que groupe privilégié. Le choix des titres de deux 
						de ses nouvelles publiées en 1990-92 est significatif :
						
						
						guānrén 
						
						(《官人》) 
						ou « Les mandarins » et guānchǎng (《官场》) 
						ou « Parmi les dignitaires » 
						renvoient directement à la référence du genre romanesque 
						correspondant des Qing.  
						
						  
						
						Côté romans, « Le pays de l’alcool » (《酒国》) 
						de 
						
						Mo Yan (莫言), 
						initialement publié à Taiwan en 1992, est aussi un roman 
						précurseur sur le même thème, ou une variation du même 
						thème : dénonciation du népotisme de la bureaucratie
						 |  
				
				sous la forme métaphorique de pratiques cannibales renvoyant 
				directement, cette fois, à 
				Lu Xun 
				(魯迅) 
				et à sa critique du pouvoir chinois, à tous les niveaux. 
				 
				
				   
				
				Par ailleurs, la littérature de reportage se transforme en 
				littérature sur la vie des entreprises, au moment où, 
				parallèlement, la corruption se développe sous l’effet de la 
				croissance économique incontrôlée, après la relance des réformes 
				en 1992. Ce sont les conditions qui favorisent alors la 
				naissance du roman « anti-corruption », sous l’œil bienveillant 
				du Parti qui s’en sert à ses propres fins en en assurant la 
				promotion. 
				
				  
				
				
				Origine et développement 
				
				  
				
				
				Les faits : boom économique et corruption généralisée 
				
				
				  
				
				Après son « voyage dans le sud », en 1992, Deng Xiaoping relance 
				le processus de réforme et d’ouverture qui avait été enrayé par 
				le repli conservateur entraîné par les événements de 1989. C’est 
				un processus de restructuration industrielle et de privatisation 
				dans tous les domaines qui doit mettre fin à l’emprise de l’Etat 
				sur l’appareil économique, en permettant à l’initiative privée 
				de se développer. 
				
				  
				
				C’est une période où se forment des empires industriels, sur les 
				ruines des entreprises d’Etat, dans des circonstances plus ou 
				moins claires. Beaucoup des grandes fortunes chinoises 
				d’aujourd’hui se sont constituées à l’époque, en reprenant des 
				actifs dévalués, dans un climat d’affairisme incontrôlé. 
				
				  
				
				La croissance se fait aussi au prix de vagues de dégraissages 
				brutaux qui mettent à pied une bonne partie des effectifs 
				industriels, les ouvriers perdant, avec leur emploi, les 
				avantages sociaux qui y étaient liés et se retrouvant dans des 
				situations souvent sans issue. Les années 1990 sont souvent 
				décrites comme la période du boom économique chinois ; on en 
				oublie la misère humaine qui l’a accompagné. 
				
				  
				
				Or, cette misère est d’autant plus choquante qu’elle se 
				développe dans un contexte où certains s’enrichissent de façon 
				éhontée en abusant du pouvoir que leur confère leur position. 
				C’est à cela que s’attaquent les romans « anti-corruption », au 
				sens large : leurs auteurs s’attachent aux zones grises de la 
				croissance, aux pots de vin, à la concussion, aux fraudes et 
				pillages d’entreprises… autant de trafics liés à désintégration 
				de la société, de ses valeurs, de la moralité publique. On parle 
				de "corruption spirituelle".  
				
				  
				 
				
				Corruption devient un terme codé pour désigner toutes les formes 
				d’injustices sociales perçues comme étant causées par une 
				accumulation indue de pouvoir, entre les mains d’individus ou de 
				groupes,  
					
						| 
						
						permettant de s’approprier des biens et de vastes sommes 
						d’argent. Mais il y a en arrière-plan la notion maoïste 
						que la corruption est liée au gaspillage et à une 
						gestion frauduleuse, ainsi que la vieille idée que la 
						corruption mène à la chute du régime (par perte du 
						Mandat du Ciel), le déclin moral de la société menant à 
						la contestation et à la résistance populaire, et tôt ou 
						tard à l’effondrement du système.  
						
						  
						
						Le roman anti-corruption est né de la conjonction d’un 
						désir spontané de dénoncer les injustices et abus sous 
						toutes leurs formes, dans un souci de réalisme, et de la 
						nécessité pour le pouvoir de désamorcer la contestation 
						née du malaise en résultant. Les romans dénoncent en 
						bloc la corruption sous toutes ses formes et tout ce qui 
						lui est lié : l’incompétence, l’inflation, 
						l’inadéquation des infrastructures, le déclin de la 
						conduite civique, les expropriations, la manipulation 
						des marchés, autant d’éléments menant à l’instabilité 
						sociale et politique, y compris à un débat toujours 
						larvé sur la démocratie. Ils sont en fait un vecteur 
						médiatique pour prôner un retour aux valeurs morales, 
						seules garantes de stabilité. 
						
						  
						
						
						1995 : année charnière   
						
						Avec ses romans publiés à partir de 1991, comme « Le 
						réseau céleste » (《天网》) 
						ou « Le meurtrier » (《凶犯》), 
						Zhang Ping (张平) 
						fait figure de précurseur de la nouvelle vague de romans 
						critiques de la société et du régime qui va prendre une 
						ampleur sans précédent dans le reste de la décennie. 
						 
						   
						
						Mais ils ne prennent véritablement le nom de romans 
						anti-corruption qu’à partir de 1995 qui fait figure à 
						cet égard d’année charnière. D’abord il y a diminution 
						des salaires réels et pic de chômage. Mais surtout c’est 
						l’année du suicide du maire-adjoint de Pékin, Wang 
						Baosen (王宝森), 
						le 4 avril, suicide qui entraîne le premier acte du 
						scandale de corruption du maire de la capitale, Chen 
						Xitong (陈希同), 
						alors démis de ses fonctions, puis condamné en 1998 à 
						une peine de prison de seize ans.  
						  
						
						Le roman de Fang Wen (方文) 
						« The Wrath of Heaven » ou « La colère du Ciel – le 
						Bureau anti-corruption en action » (《天怒-反贪局在行动》), 
						publié en 1996, est un récit romancé de cette affaire, 
						écrit du point de vue d’un enquêteur, mais rapidement 
						interdit.  
						
						  
						
						C’est à partir de là que les romans anti-corruption se 
						multiplient, publiés par les maisons d’édition 
						officielles et adaptés à la télévision. Ce sont des 
						affaires autant politiques que commerciales, rondement 
						menées, en capitalisant sur l’intérêt suscité par 
						l’affaire Wang Baosen. 
						  
						
						En 1996, le roman de 
						
						Lu Tianming (陆天明) 
						« Heaven Above » (《苍天在上》) 
						est adapté en feuilleton télévisé qui a un énorme 
						succès. Le roman et son scénario annoncent le genre de 
						récit qui va devenir courant dans les romans 
						anti-corruption – un bureaucrate aux prises avec la 
						corruption en revenant dans son village –comme dans le 
						roman de 1984 de Ke Yunlu (柯云路) 
						« Nouvelle étoile » (《新星》). 
						Le thème n’est pas nouveau, il est actualisé. 
						  
						
						C’est ensuite le long roman de 
						
						Zhou Meisen (周梅森), 
						publié aussi en 1996, qui fournit l’étape suivante du 
						développement du genre. « Le droit chemin en ce monde » 
						(《人间正道》) 
						traite des dysfonctionnements dans le gouvernement 
						municipal et la gestion des entreprises d’Etat, suivi 
						l’année suivante de « Richesse ici-bas » (《天下财富》). 
						Ils sont adaptés à la télévision, comme les trois romans 
						suivants du même auteur.  |  |   
						
						 
						Le meurtrier, Zhang Ping 1992   
						
						 
						La colère du Ciel, Fan Wen 1996   
						
						 
						Heaven Above, Lu Tianming 1996   
						 
						Le droit chemin en ce monde,  
						Zhou Meisen 1996 |  
				
				 
				 
					
						| 
						
						 
						Decision, Zhang Ping 1997   
						
						 
						Final Decision, le film |  | 
						
						En 1997, Zhang Ping revient sur le devant de la scène 
						avec l’un des grands classiques du genre : « Décision » 
						(《抉择》), 
						adapté au cinéma en 2000 ; produit par le studio de 
						Shanghai, le film est réalisé par Yu Benzheng (于本正) 
						et sort en juillet sous le titre « Final Decision » (《生死抉择》). 
						Malgré sa longueur (162’) et son caractère de pamphlet 
						pro-gouvernemental, le film a un énorme succès, mais 
						justement, en grande partie, parce que le Parti a 
						déployé toute une machine publicitaire pour le 
						promouvoir, avec, comme dans le passé, incitation 
						directe aux danwei à emmener leurs membres le 
						voir.   
						
						C’est le paradoxe du genre : romans, films et 
						feuilletons télévisés dénoncent les abus et la 
						corruption, y compris, dans le cas de « Final Decision » 
						au sein du Parti, et même dans la famille du héros ; en 
						échange, ils prônent ce que défend le gouvernement et le 
						Parti : le programme de réformes dont l’effet 
						revitalisant sur les vieilles entreprises d’Etat est 
						montré avec réalisme, tout en soulignant la nécessité de 
						préserver les valeurs morales.    
						
						Le roman de Zhang Ping est même couronné du 5ème 
						prix Mao Dun en 2000, après avoir été loué par Jiang 
						Zeming. Le prix déclencha une vague de « pseudo-romans 
						anti-corruption » (jiǎmào
						
						
						fǎnfǔ
						
						
						xiǎoshuō
						假冒反腐小说),
						
						
						souvent publiés sous le label du genre, mais traitant de 
						tout autre chose, la simple mention « anti-corruption » 
						sur la jaquette assurant de bonnes ventes.  |  
				 
				 
					
						| 
						
						Mais la censure intervient quand le roman va trop loin 
						en attaquant directement l’image du Parti. C’est le cas, 
						par exemple, du roman de 
						
						
						Li Peifu (李佩甫) 
						publié en 1999 : « La porte de moutons » (《羊的门》). 
						Le roman décrit les villageois comme des moutons bien 
						nourris, et les cadres à tous les niveaux comme des 
						loups affamés usant de leurs positions pour servir leurs 
						intérêts personnels. Le roman est interdit car, derrière 
						le « parrain » du village, se profilait l’ombre de Deng 
						Xiaoping. C’est une semonce, et une leçon qui fixe les 
						limites à ne pas dépasser. 
						
						   
						
						
						2001 : L’apogée du genre 
						
						  
						
						« En 2001, dit Jeffrey Kinkley dans son ouvrage précité, 
						on pouvait aller au rayon fiction dans n’importe quelle 
						 librairie et prendre une pile de livres dont la 
						couverture portait les caractères « pouvoir » ou 
						« noir » : on pouvait être sûr qu’il s’agissait de 
						romans sur la corruption. »  |  | 
						
						 
						La porte des moutons |  
				
				  
				
				Le genre était en pleine floraison, bien que n’étant pas reconnu 
				par la critique littéraire, et il y avait une liste croissante 
				d’auteurs considérés comme des maîtres du genre, chacun ayant sa 
				particularité. Ils apparaissaient comme des « héros 
				anti-corruption », et des écrivains comme Zhang Ping ou Lu 
				Tianming recevaient du courrier de lecteurs ayant été victimes 
				de fonctionnaires corrompus, leur demandant d’exposer 
				l’injustice subie et de les soutenir.  
				
				  
					
						| 
						
						 
						L’œillet rouge, film d’après le roman 
						 
						de 
						Chen Xinhao 2000 |  | 
						
						Des feuilletons télévisés capitalisent sur le succès des 
						romans, mais sans leur faire d’ombre. Des 17 
						best-sellers de la première moitié de 2001, six sont des 
						romans anti-corruption, et la plupart des maisons 
						d’édition avaient une demi-douzaine de titres ou plus 
						sous presse en même temps ; elles en ont fait des 
						collections spéciales.  
						
						  
						
						En même temps, 
						
						des histoires anti-corruption commencent à paraître 
						sérialisées dans des grandes revues littéraires, comme 
						Chinese Writers (中国作家), 
						Dangdai (当代), 
						ou World of Fiction (小说界). 
						
						  
						
						Le pic est atteint cette année-là avec des romans 
						utilisant d’autres thèmes pour aborder la corruption, 
						par exemple la contrebande (à cause d’un cas célèbre) ou 
						des histoires de flics ou d’extorsion de fonds. Mais des 
						thèmes nouveaux apparaissent aussi, comme la montée en 
						puissance des  |  
				
				femmes à la tête d’entreprises, ou la recapitalisation des 
				usines d’Etat en vendant des actions aux employés.  
				
				   
				
				
				Reflux à partir de 2002 
				
				  
				
				Ces romans commencent cependant àmoins bien se vendre à partir 
				de 2002. Le mouvement 
				
				est stoppé, en fait, avant la 1ère session plénière 
				du 16ème Comité central du Parti, tenue le 15 
				novembre 2002 : comme au moment des Cent Fleurs, les choses 
				allaient trop loin. Le Bureau anti-corruption du Parti commença 
				par se glorifier des victoires qu’il avait remportées, ce qui 
				signifiait clairement que, le Parti faisant son travail, toute 
				dénonciation de faits de corruption devenait un acte 
				contestataire, donc répréhensible. 
				
				  
				 
					
						| 
						
						Des articles dénonçant la boue soulevée par ces 
						histoires se multiplient à partir de juillet ; ils 
						s’élèvent en particulier contre les dérives des romansà 
						la limite de la pornographie, avec des intrigues 
						regorgeant de maîtresses et prostituées et des 
						descriptions de modes de vies extravagants, voire 
						absurdes (affaires sordides de cadres entretenant leur 
						secrétaire et se liguant avec elle pour assassiner leur 
						épouse, femmes et enfants offertes à des fonctionnaires 
						corrompus, et soumises à des traitements sexuels 
						violents…).    
						
						Mais le principal défaut reproché à ces romans – comme 
						auparavant - est l’atteinte à l’image du Parti, et leur 
						pessimisme excessif. Ils ne sont plus qualifiés deromans 
						anti-corruption, mais de romans à scandale (hēimù 
						xiǎoshuō 
						
						黑幕小说 – 
						littéralement : romans exposant de noirs secrets). 
						   
						
						Le déclin a cependant été graduel. Ce sont les 
						feuilletons télévisés sur ce thème qui ont continué le 
						plus longtemps à être produits : encore trois furent 
						adaptésen 2003  |  | 
						
						 
						Black Ice, adaptation télévisée du 
						 roman de Zhang Chenggong, 2001
						 
						avec Wang Zhiwen et Jiang Wenli |  
				
				de romans de 
				Zhou Meisen (周梅森), 
				qui reste l’un des grands spécialistes du genre, avec Zhang Ping 
				(张平) 
				et Lu Tianming (陆天明) : 
				ce sont eux qui ont donné leurs lettres de noblesse au genre et 
				une sorte de légitimité culturelle et politique. Ils ont été 
				aussi les principaux scénaristes des films télévisés et 
				feuilletons, conçus pour prôner une meilleure action 
				gouvernementale et des réformes (limitées). 
				
				  
				 
					
						| 
						
						 
						Les fonctionnaires chinois, feuilleton 
						 télévisé 2004 avec Wang Zhiwen |  | 
						
						Zhang Ping est l’un des plus prolixes, et celui qui a 
						publié le plus longtemps. En fait, il était
						
						
						protégé par ses fonctions, car élu en 2002 
						vice-président de l’Association des écrivains, et ses 
						romans étaient en outre une grosse source de profits 
						pour les éditions des Ecrivains (作家出版社). 
						Encore en 2004, il continue à publier des romans sous le 
						label « anti-corruption » : c’est le cas de 
						« Fonctionnaires chinois » (《国家干部》), 
						qui est aussi adapté à la télévision, en un feuilleton 
						de trente épisodes
						
						
						
						,
						
						
						avec, dans le rôle principal, l’acteur Wang Zhiwen (王志文) 
						qui a joué dans la plupart des adaptations télévisées 
						des romans anti-corruption de la période, en acquérant 
						une sorte d’image emblématique très « clean » de xia des 
						temps modernes.   
						
						Des articles contre le pire de cette littérature 
						apparaissent encore en 2004, alors que le Parti 
						renouvelle son engagement à lutter contre la corruption. 
						En ridiculisant les cadres de base, Zhou Meisen, en 
						particulier, mettait en  |  
				
				question le système et une culture politique engendrant, avec 
				l’opportunisme et le respect aveugle de l’autorité, des 
				mentalités et des attitudes absurdes. Mais c’est justement la 
				mise en cause du système politique qui posait problème. 
				
				 
				 
				
				Signe des temps et du retournement du « marché » : des romans de 
				« fiction économique » apparaissent, dont certains sur la 
				faillite des entreprises d’Etat, sans thèmes de corruption ou 
				abus de pouvoir, et moins audacieux dans leur fonction de 
				peinture de la réalité. En 2004, l’organe de contrôle de la 
				radio-télévision, le SARFT, annonce que les programmes télévisés 
				sur le thème de la criminalité ne seraient plus diffusés en 
				prime time. Dans les années 2004-2005, les thèmes désormais 
				privilégiés sont les repentirs et pénitences des fonctionnaires 
				corrompus, nouveau sous-genre littéraire à fonction didactique 
				qui a cependant du mal à prouver son authenticité et affirmer 
				ses qualités littéraires.  
				
				  
				
				Genre populaire et commercial, le roman anti-corruption est mort 
				de ses excès et de la saturation du marché autant que des 
				nécessités politiques, celles-ci venant cependant in fine signer 
				son coup de grâce.  
				
				  
				
				Cependant, à partir du moment où le roman sur la corruption 
				n’avait plus de soutien officiel, il était condamné à repasser 
				dans la contestation et l’opposition et à être interdit, avec 
				sans doute une meilleure qualité littéraire, mais une diffusion 
				limitée surtout à l’étranger. C’est le sort réservé aux écrits 
				d’auteurs comme
				
				
				
				Murong Xuecun (慕容雪村) 
				ou 
				
				
				Li Chengpeng (李承鹏).
				 
				
				  
				
				  
				
				
				Note sur la terminologie 
				
				  
				
				Ces romans sont désignés par le terme de fǔbài 
				腐败,
				
				
				acronyme pour 
				
				fǎn fǔbài tícái 
				xiǎoshuō 
				反腐败题材小说, 
				qui recouvre tous les aspects possibles de corruption, y compris 
				au figuré. 
				
				Sous Mao, les termes utilisés désignaient les diverses formes de 
				corruption : subornation  
				
				shòuhuì 
				受贿 
				ou accepter des pots de vin - malversations 
				
				tānwū 
				贪污 
				– privilèges tequán 
				特权.
				 
				
				A la suite des réformes, de nouvelles formes sont apparues, et 
				le terme 
				
				fǔbài traduit le passage à la grande corruption, dans 
				son aspect généralisé.  
				
				Mais le terme a aussi l’avantage de permettre un grand nombre 
				d’expressions utilisant le premier caractère, utilisées dans les 
				romans : 
				腐化 
				
				fǔhuà 
				dégénéré, pourri, 
				
				腐烂 
				
				fǔlàn 
				pourri, décadent 腐蚀 
				
				
				fǔshí 
				corrodé… Et on peut faire le même exercice avec le second 
				caractère 
				败 
				
				bài qui 
				indique le déclin, la dégénérescence après une défaite : 
				败落 
				bàiluò 
				
				décliner - 
				败类 
				bàilèi 
				
				rebut, lie de la société, dont les cadres corrompus.  
				 
				
				On a là de riches possibilités métaphoriques. On a l’impression 
				que le champ lexical s’élargit au fur et à mesure que le 
				phénomène s’étend.  
				
				  
				
				
				Eléments bibliographiques  
				
				  
				
				Jeffrey Kinkley, Corruption and Realism in Late Socialist China 
				: The Return of the Political Novel, Stanford 2006. 
				
				Bai Rouyun, Staging Corruption : Chinese Television and Politics, 
				University of British Columbia Press 2014. 
					
					
 
 
						 
						 
						
						
						 
						Brève histoire du roman chinois (中国小说史略), 
						chapitre 28 : Les romans de dénonciation de la société à 
						la fin de la dynastie des Qing (第二十八篇 清末之谴责小说)
						
						
						[traduction Charles Bisotto] 
						 
						
						
						 
						Parmi les autres écrivains qui ont publié des romans 
						« anti-corruption » à succès pendant cette période, 
						citons aussi : Zhang Chenggong (张成功), 
						auteur de la trilogie « Glace noire » (《黑冰》), 
						« Trou noir » (《黑洞》), 
						« Brouillard noir » (《黑雾》), 
						etc…, Chen Xinhao (陈心豪), 
						pour « L’œillet rouge » (《红色康乃馨》) 
						adapté à la télévision en 2000, ou Zhang Hongsen (张宏森) 
						pour « Le juge en chef » (《大法官》). 
				
				
 
 
				  
				  
				  
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