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Zhou Meisen 周梅森

Présentation

par Brigitte Duzan, 31 décembre 2017 

 

Romancier et scénariste prolifique Zhou Meisen est presque une légende : mineur dans une mine de charbon dès l’âge de 14 ans, il raconte que, un jour, en pleine Révolution culturelle, alors qu’il sortait de la mine, étant passé chez le bouquiniste local, il est tombé par hasard, dans une pile de vieux papiers, sur une copie jaunie d’une biographie de Balzac dont il manquait la couverture et les premières pages.

 

Ce n’est que plus tard qu’il réalisa de qui il s’agissait. Fasciné par l’écrivain, il décida alors de devenir un nouveau Balzac, et comme lui un « secrétaire de l’histoire ». Ce qu’il a fait à sa manière, en se spécialisant dans le roman anti-corruption.

 

De la mine au roman

 

Zhou Meisen est né en mars 1956 à Yangzhou, dans le Jiangsu (江苏扬州), mais il a grandi à Xuzhou (徐州), dans

 

Zhou Meisen

 

La mine de Hanqiao dans les années 1990, avec sa locomotive datant de 1987

 

le nord-est de la province. En 1966, au début de la Révolution culturelle, il a dix ans et il est en troisième année d’école primaire. En 1969, il entre à l’Ecole des cadres des mines de charbon de Xuzhou, tout en ramassant du charbon avec des camarades en dehors des cours ; l’un d’eux mourra dans un accident. En 1974, après y avoir terminé le secondaire, il devient mineur dans la mine Hanqiao (韩桥煤矿), à une trentaine de kilomètres au nord-est de Xuzhou [1].

 

Il commence à écrire au lycée, et ses premiers écrits sont des récits réalistes, sur la mine et les mineurs, tirés de son expérience personnelle. Ses deux premiers récits sont publiés en 1978 : « Nouveaux propos de famille » (《家庭新话》) dans le quotidien Xinhua (《新华日报》) et « De l’alcool Xifeng pour le secrétaire » (《老书记的西凤酒》) dans la revue Lettres et arts du Jiangsu (《江苏文艺》).

 

Puis, l’année suivante, il part à Nankin où il devient rédacteur de la revue Youth (Qingchun 《青春》), l’une des revues littéraires créées dans cette ville en 1979. C’est une période formatrice, qu’il considère comme équivalant à un cursus universitaire. C’est alors qu’il écrit « La terre submergée » (《沉沦的土地》), une nouvelle "moyenne" initialement parue fin 1983 dans le numéro 6 de la revue Huacheng (《花城》), puis publiée en décembre 1986 aux éditions du peuple du Jiangsu (江苏人民出版社).

 

En 1985, il devient écrivain professionnel et entre à l’Association des écrivains du Jiangsu.

 

Du monde de la mine au roman anti-corruption

 

·         Années 1980 : réalisme et histoire

 

« La terre submergée » a aussitôt attiré sur lui l’attention des critiques et constitue un tournant dans son œuvre et sa carrière. Cette nouvelle (ou disons court roman) est représentative de ses écrits réalistes des années 1980, décrivant le monde de la mine qu’il connaissait bien.

 

L’histoire est celle de la vie de la mine pendant la période républicaine, mais traitée comme si elle était contemporaine. C’est une nouvelle manière d’aborder la fiction historique qui a des caractéristiques que l’on retrouvera dans les œuvres suivantes de Zhou Meisen : la critique historique est exercée d’un point de vue social, et non directement politique, l’histoire étant abordée en se préoccupant des aspects concrets de l’existence du peuple ; ensuite, cette fiction est fondée sur le principe que, finalement, toute histoire est histoire contemporaine.

 

La terre submergée

 

Le chant de l’armée, réédition 2001

 

Dans cette optique, pendant les années 1980, il écrit une série de nouvelles et romans historiques, traités de manière réaliste, c’est-à-dire en évitant clichés et codes. C’est ainsi qu’il a traité de l’action de l’armée nationale dans la guerre de résistance contre le Japon de manière nouvelle : il revendique d’avoir été le premier écrivain, en Chine continentale, à avoir évoqué positivement l’action de l’armée nationaliste, à un moment où c’était encore tabou : écrit comme une sorte d’exorcisme, avec le réalisme qui a toujours été l’un de ses principes d’écriture.

 

Le premier de ces récits, sur la guerre de résistance, est une autre nouvelle "moyenne" : « Le Chant de l’armée » (军歌), publiée en 1986, et adaptée à la télévision [2]. Elle est aussitôt suivie d’un roman, cette fois, « La tombe noire » (黑坟), publié la même année, qui aborde une autre période : celle des seigneurs de guerre du Beiyang

(北洋军阀), au début des années 1920. Le sujet mêle mine et histoire, en commençant par une explosion de grisou en mai 1920 qui a enseveli sous terre un millier de mineurs et déclenché un immense incendie qui a tout ravagé – accident qui a conduit le gouvernement du Beiyang à fermer le puits.  

 

Suivent sept romans et nouvelles, plus un scénario, sur des sujets analogues, traités dans le même esprit, et publiés pendant les dix années suivantes, jusqu’en 1996.

 

On a parlé de « nouveau roman historique » (新政治小说), mais aussi de « fiction métahistorique », c’est-à-dire d’une réflexion sur l’histoire, ou d’une philosophie de l’histoire [3].

 

·         Années 1990 : de l’histoire à la politique

 

En 1994, Zhou Meisen revient à Xuzhou. C’est un tournant dans son œuvre.

   

La tombe noire, réédition décembre 1997

 

L’expérience de Xuzhou

 

Xuzhou est en plein boom ; Deng Xiaoping a relancé l’ouverture deux ans plus tôt, et toute la Chine s’est jetée tête baissée dans les affaires. La croissance décolle à toute allure, les investissements se multiplient, en particulier dans les infrastructures. Xuzhou s’apprête à construire un troisième périphérique. Zhou Meisen devient adjoint au secrétaire de la ville, puis est nommé vice-directeur de l’administration des autoroutes de la province.

 

Après sa nomination, il se heurte à l’opposition de certains officiels locaux qui pensent qu’il est impliqué dans les conflits entre factions du gouvernement local. Il se retire vite de cette situation périlleuse, mais il a, au passage, glané une expérience qui nourrit les débuts d’une nouvelle phase d’écriture, dans un genre différent : le roman politique, ouvrant un nouveau chapitre de l’histoire du roman anti-corruption.

 

Il pensait être un fonctionnaire au service du peuple, il s’est rendu compte qu’il était en fait un maître servi par des subalternes qui allaient jusqu’à lui ouvrir les portes et lui servir du thé : un maître tout-puissant jouissant de privilèges hors normes. Il a alors réalisé que le pouvoir avait un côté magique et un côté malsain : il suffit d’un coup de téléphone, parfois, aux personnages influents pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Le pouvoir devient alors comme une drogue. Son premier roman politique est né de cette expérience.

 

Le droit chemin, réédition 2017

 

Bien des gens, à Xuzhou, ne voyaient pas l’intérêt de l’autoroute ; ils ont intenté des procès aux principaux responsables de la ville. Son premier roman politique, « Le droit chemin dans le monde » (《人间正道》), est né de là. Il expose les abus de pouvoir en province, et les conséquences de l’introduction de l’économie de marché suivant la politique d’ouverture. Publié en 1996, il fait sensation, et il est adapté deux ans plus tard en une série télévisée éponyme de 26 épisodes. Mais il a aussi été source d’ennuis pour Zhou Meisen car certains, impliqués dans l’affaire, ont cherché à lui intenter un procès collectif pour le forcer à réviser son roman. Mais il n’a pas cédé, arguant que ce n’était qu’un roman, pas un reportage.

 

Le succès de ce roman pousse Zhou Meisen à en écrire un second qui sort l’année suivante, en 1997, et qui traite de la Bourse et des gens qui la manipule pour en tirer profit : « La richesse du monde » (《天下财富》). Les titres se suivent à une cadence très rapide.

 

Après « Sang froid » (《冷血》), l’année 1998 est marquée par l’un de ses grands succès, sur les conflits entre vrais réformateurs et cadres corrompus : « Made in China » (《中国制造》), roman qui est adapté à la télévision et même traduit en français, mais quinze ans plus tard [4]. Le roman a été vendu à plus d’un million d’exemplaires, toutes versions confondues, soit plus de la totalité des ventes de ses romans historiques.

 

·         Le modèle balzacien

 

En même temps, dans la fièvre de croissance du milieu des années 1990, Zhou Meisen investit en Bourse et dans l’immobilier. Il a raconté ses premières expériences d’investisseur, pas toujours très réussies, lors d’un entretien avec la journaliste Shu Jinyu (舒晋瑜) [5].

 

Made in China, réédition 2007

 

Il raconte qu’il s’est lancé, avec un ami, en achetant un terrain, pour y construire un immeuble et le revendre ensuite ; la revente a mis vingt ans avant d’être finalisée, et il a tout juste récupéré la mise initiale. Son second investissement a été dans un projet immobilier à Nankin ; il a vendu les appartements juste avant le boom de l’immobilier. A l’époque, il a aussi organisé des convois de camions pour transporter du sable et des pierres sur des sites de construction à Canton ; il s’est retrouvé à devoir payer des amendes pour violation de diverses réglementations et l’argent gagné dans l’histoire a tout juste suffi à les régler.

 

Finalement, dit-il, c’est avec ses productions de séries télévisées qu’il a gagné le plus d’argent. Et, en ce sens, il s’estime plus heureux que son idole, Balzac, tout en poursuivant le même objectif. Balzac aussi s’est lancé dans diverses affaires, une usine de savon, une papeterie, une imprimerie, qui toutes ont fait faillite ; finalement, il s’est mis à écrire des romans pour éponger ses dettes. Zhou Meisen est fier de pouvoir dire qu’il a eu très jeune suffisamment d’argent pour être indépendant financièrement, et ainsi pouvoir écrire sans avoir à se préoccuper du reste. :

 

« … à 30 ans je pouvais sans souci m’occuper de mes affaires, écrire ce que je désirais écrire, sans faire de la littérature un moyen de m’en sortir. Je pouvais composer des télé-drames, écrire des romans, en faire moi-même l’adaptation théâtrale, y mettre des fonds, et une fois le produit sorti aller le proposer aux chaînes de télévision. » [6]

 

·         Années 2000-2010 : les grands romans anti-corruption

 

Un roman par an

  

Pouvoir absolu

 

Les années 2000-2010 sont ensuite, dans l’œuvre de Zhou Meisen, les grandes années du roman anti-corruption, fondé sur des faits réels, tirés de l’actualité, en commençant par « Profit maximum » (《至高利益》) en 2000. On parle de « série » et ces romans sont adaptés à la télévision, généralement dans l’année qui suit leur publication, avec de grands acteurs dans les rôles principaux.

 

Le premier grand succès est « Pouvoir absolu » (《绝对权力》), adapté en 2003 en une série en 27 épisodes par la Télévision du Hunan. Dans ce roman, de manière assez caractéristique, le secrétaire du Parti de la ville de Jingzhou (荆州), dans le Hubei, est un fonctionnaire honnête, qui a beaucoup fait pour développer la ville, mais sa fille a été manipulée par un groupe de cadres corrompus qui l’ont placée à la tête d’une société d’investissement pour qu’elle leur permette de tourner les lois grâce au pouvoir de son

père. Quand l’un des directeurs de la société essaie de dénoncer les fraudes, dans lesquelles est impliqué le maire adjoint, il provoque des réactions en chaîne, les corrompus tentant de se défendre les uns les autres [7].

 

La conclusion du roman est que, si le maire n’avait pas joui de pouvoirs aussi absolus, s’il y avait un système de contrôle pour limiter le pouvoir des autorités locales, cette histoire n’aurait pu avoir lieu car elle repose sur le pouvoir discrétionnaire du maire, détourné par sa fille [8]. C’est la concentration sans limite du pouvoir politique qui est ici en cause.

 

Le titre renvoie à la fameuse phrase de l’historien britannique John Dalberg-Acton, connu pour sa haine de l’absolutisme sous toutes ses formes : « Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument » [9].

 

Chacun des romans qui suit traite de la corruption

 

Pouvoir absolu, la série télévisée

dans des domaines divers, et c’est d’abord la corruption du pouvoir, sous toutes ses formes, dont il est question. 

 

Poursuites pénales

 

Ainsi, le roman qui suit « Pouvoir absolu », « Poursuites pénales » (《国家公诉》), dépeint les poursuites menées contre les responsables politiques d’un incendie catastrophique où sont impliqués l’ancien maire et l’ancien secrétaire du Parti de la ville. Ici, le procureur général est une femme, qui mène l’enquête avec détermination et courage, en résistant aux pressions. Le roman a été adapté en une série de 35 épisodes diffusée à partir du 29 décembre 2003.    

 

L’année suivante, Zhou Meisen rencontre un nouveau succès avec « Une histoire de pouvoir dominant » (《我主沉浮》), adapté en une série télévisée de 35 épisodes, diffusée à partir du 13 juin 2005. C’est encore une histoire de corruption du pouvoir, au sens d’abus de pouvoir, dénoncé pour ses conséquences économiques et financières.

 

Zhou Meisen décrit les dessous d’un projet de construction d’une immense aciérie initié conjointement par le secrétaire du Parti et le maire d’une petite ville. Tous deux arrosent abondamment leur réseau d’amis et de soutiens, sans s’oublier au passage, avec pour résultat un désastre économique : un gâchis de quelque 17 milliards de yuans.

 

Zhou Meisen atteint alors un sommet de popularité. Il est même interviewé par le New York Times qui le présente comme un exemple de liberté d’expression concédée par le pouvoir, avec des limites [10].

 

Interdiction des séries en prime time

 

Ces limites sont fragiles. A partir de 2004, le succès des séries télévisées inquiète le pouvoir. S’agissant d’un sujet aussi épineux que la lutte contre la corruption, la télévision peut s’avérer une arme à double tranchant : la popularité du genre finit par trop attirer l’attention sur l’étendue et la gravité des faits dénoncés, le public passant par habitude sur les leçons morales prodiguées.

 

Les téléfilms sur le sujet ont été interdits en prime time à partir de 2004. Décret qui signait la mort du genre : les coûts, relativement importants en raison du casting, en particulier, ne pouvaient plus être rentabilisés. L’interdiction du prime time valait interdiction tout court.

 

Zhou Meisen a continué à publier des romans, à un rythme moindre cependant, et les précédents ont continué à être réédités. Mais c’est l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, qui a relancé le genre, pour médiatiser sa grande entreprise de lutte contre la corruption, lancée dès ses débuts à la présidence.

 

Après un temps de latence, Zhou Meisen publie en 2017 son plus grand succès à ce jour, doublé d’un immense succès à la télévision : « Au nom du peuple ».

 

·         2017 : Au nom du peuple

 

2012-2016 : bilan de l’action de Xi Jinping

 

Dès 2012, le président Xi Jinping lance une véritable chasse aux sorcières qui aboutit en quelques années à l’arrestation, l’inculpation et l’incarcération d’éminents membres du Parti convaincus de corruption, dans des proportions sidérantes, qui fait la une des journaux, avec scandales familiaux, villas de luxe et maîtresses comme dans le bon vieux temps.

 

En 2015, les autorités décident de lever l’interdiction du prime time : avec toutes ces affaires divulguées urbi et orbi, non seulement une politique de l’autruche devient impossible, mais, bien plus, le président veut voir son action médiatisée. Cependant, il la veut médiatisée dans les termes qui lui conviennent.

 

En 2016 est lancée une première initiative, avec un documentaire télévisé en huit parties, « Toujours sur la route » (《永远在路上》) diffusé en octobre, juste avant le 6ème plénum du Comité central du Parti [11]. L’objectif est de dresser un bilan de trois ans de campagne anti-corruption, de 2013 à 2016. Le documentaire fait état de 77 cas de corruption de haut vol, impliquant des dirigeants locaux et leurs subordonnés, "tigres" et "mouches".

 

Les inculpés font leur confession en public devant la caméra, larmes à l’appui. Vedette du premier épisode : Bai Enpei (白恩培), ex-numéro un de la province du Yunnan, entraîné par les goûts de luxe de son épouse (encore une fois) : elle avait une faiblesse pour les bracelets en jade et son mari négociait les permis de construction contre des bracelets…

 

Toujours sur la route, épisode 1 : https://www.youtube.com/watch?v=qbgsWn5gMDs

 

C’est un sujet classique dans les romans de Zhou Meisen, mais le traitement en documentaire larmoyant par CCTV n’a pas le succès escompté. On fait appel à l’écrivain. C’est alors qu’il écrit le roman « Au nom du peuple », aussitôt adapté en série télévisée, qui passe en prime time, pour la première fois depuis dix ans.

 

2017 :  Au nom du peuple

 

« Au nom du peuple » (《人民的名义》) part d’une expérience personnelle de Zhou Meisen, la réalité chinoise, comme il le dit lui-même, dépassant l’imagination du plus imaginatif des romanciers. A la fin des années 1990, il détenait des parts dans une banque agricole qui s’est trouvée impliquée dans un investissement frauduleux qui a entraîné un long procès, sur fond de protestations ouvrières. Les sources sont les rapports d’enquête.

 

Son récit reprend le schéma habituel de ses romans, mais ici le haut fonctionnaire intègre ne l’est qu’apparemment. On retrouve ici une ville de fiction en plein essor nommée Jingzhou. Un jeune cadre y est nommé secrétaire du Parti, succédant à un vétéran arrivé à l'âge de la retraite. Sa tâche n’est pas facile au premier abord car son prédécesseur a administré la ville avec tant de succès que personne n'oserait mettre en doute son dévouement et sa loyauté. Mais une

 

Au nom du peuple

lettre anonyme révèle bientôt une grave affaire de corruption, qui a des conséquences graves pour l'environnement. Tous les ingrédients du roman à succès étaient réunis.

 

Le roman a été un succès sans précédent. On en a imprimé un million et demi de copies en un mois et on estime qu’il a été lu par un milliard de lecteurs.

 

Au nom du peuple, la série télévisée

 

Mais l’adaptation en série télévisée, en 52 épisodes diffusés à partir du 28 mars 2017 sur Hunan TV, a été un succès encore plus étonnant [12]. Si l’on considère les spectateurs devant leur poste de télévision, mais aussi ceux qui ont regardé les épisodes sur internet, le chiffre total spectateurs/connexions

s’élève à 30 milliards [13]Et la série a remporté un grand succès en particulier auprès des jeunes : selon les sondages, pour les trois premiers épisodes de la série, les 18-35 ans constituaient 32 % de l’audience, et le chiffre est monté jusqu’à 72 % au bout de vingt épisodes.

 

Zhou Meisen a été aidé dans la rédaction du roman par son épouse Sun Xinyue (孙馨岳) qui a également été coscénariste de l’adaptation télévisée. En outre, pour la préparation de la série télévisée, le procureur a autorisé Zhou Meisen à interroger des prisonniers en prison et à enquêter dans les postes de police. La série a par ailleurs bénéficié d’un financement des plus hautes instances du Parti, à hauteur de 120 millions de yuans (17,4 millions de $). Elle est interprétée par des acteurs très populaires, comme Lu Yi (陆毅) dans le rôle principal de l’enquêteur en chef Hou Liangping (侯亮平), héros de l’histoire, Xu Yajun (许亚军) dans celui de Qi Tongwei (祁同伟), chef de la sécurité et vilain de l’affaire, ou encore Wu Gang (吴刚) dans le rôle de Li Dakang (李达康), chef du Parti obsédé par la croissance.

 

Cependant, si la série a eu un tel retentissement, c’est aussi qu’elle a été rendue obligatoire dans certains bureaux du gouvernement, les cadres étant requis de soumettre des rapports de 1 500 caractères minimum décrivant leur expérience et leurs impressions en regardant les divers épisodes.

 

On ne sait trop si Zhou Meisen sort grandi de cette histoire ; il y perd une bonne partie de son image. En tout cas, les inculpations et procès se poursuivant [14], on peut au moins être sûr qu’il ne manquera pas de matériau pour continuer à « enregistrer l’histoire » et poursuivre une mission semblable à celle que s’était fixée Balzac ; grand admirateur de Napoléon, il avait dressé dans son cabinet de travail, dit-on [15], un petit autel surmonté d’une statue de l’Empereur avec cette inscription : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume. »

 


 

Note complémentaire : deux soutiens littéraires

 

Le soutien de Ba Jin

 

Au moment où l’adaptation télévisée du roman « Le droit chemin dans le monde » a été diffusée sur CCTV, Ba Jin (巴金) avait plus de 90 ans ; il récupérait d’une maladie à Hangzhou en compagnie de sa fille, Li Xiaolin, qui s’occupait de la revue Shouhuo [16]. Tous les jours, son père regardait le feuilleton à la télévision, puis demandait à sa fille de lui lire le passage correspondant du roman. Finalement il demanda pourquoi il n’avait pas été publié dans Shouhuo. Ce n’était pourtant pas du tout le style de ce que publiait la revue. Mais il demanda à Li Xiaolin de prendre contact avec l’auteur.

 

Zhou Meisen lui confia le manuscrit de « Made in China » qu’il venait de terminer, et le roman parut dans la revue, en deux parties. Par la suite, les deux romans « Une histoire de pouvoir dominant » et « Poursuites pénales » furent également publiés dans Shouhuo, chacun en deux parties également. Cette aide de Ba Jin a été très importante pour lui [17].

 

L’appréciation de Su Tong

 

Su Tong (苏童) a exprimé son appréciation de Zhou Meisen et de son œuvre :

« La beauté tragique de ses romans n’est pas fondée sur la dextérité du style, mais plutôt sur la dynamique d’ensemble du texte, qui est d’une telle splendeur qu’elle nous emporte tout du long… » [18]

 


 

A lire en complément

 

Petite histoire du roman anti-corruption

 

Chinese Arts and Letters, 2017.2

 


 

Bibliographie

- The A to Z of Modern Chinese Literature, Ying Li-hua, Rowman & Littlefield, 2010 - 466 pages, p. 286.

- Staging Corruption: Chinese Television and Politics, Ruoyun Bai, UBC Press 2014, 292 p. (sur Zhou Meisen et son opposition à l’interdiction des séries TV anti-corruption en prime time p. 82)

 


 


[1] Une ancienne mine ouverte en 1882, dans le cadre du mouvement dit d’auto-renforcement (自强运动) de la fin du 19ème siècle, fermée fin 2008, et devenue site historique.

[2] Texte chinois en ligne : http://www.99lib.net/book/8464/index.htm

La nouvelle a été parmi les lauréates du prix national de la nouvelle moyenne en 1986, avec « Le Clan du Sorgho rouge » (《红高粱家族》) de Mo Yan (莫言).

[3] Voir l’article de He Shaojun (贺绍俊) « From New Historical Fiction to New Political Fiction », CAL 2017.2, p. 44-63.

[4] Made in China, traduit et annoté par Mathilde Mathe, Gallimard/Bleu de Chine, mars 2016, 640 p.

[5] Voir « Zhou Meisen : One Step Closer to Balzac”, CAL 2017.2 p. 70.

[6] Interview Institut Ricci, Le Coin des penseurs / N° 63 / septembre 2017

[8] Ce schéma où l’intégrité d’un dirigeant est dévoyée par l’esprit de lucre de sa femme ou de sa fille, voire les deux, est assez général. On a reproché à Zhou Meisen ce qui peut apparaître comme de la misogynie. Il faut reconnaître qu’il prend ses sources dans l’actualité, mais le portrait de droiture de ses cadres dirigeants est aussi ce qui, dans ses romans, et surtout leurs adaptations télévisées, le sauve du couperet de la censure. C’est le cas en particulier de « Pouvoir absolu ».

[9] "Power tends to corrupt, and absolute power corrupts absolutely" : remarque énoncée dans une lettre à un archevêque anglican. Le pouvoir absolu qu’il critiquait était aussi celui de l’Eglise.

[10] Article de mai 2004 : A Gadfly Criticizes China's Powerful, Within Limits  [Gadfly : référence au roman irlandais de Ethel Voynich, 1897 - Une histoire de révolutionnaires italiens pendant le Risorgimiento. Gadfly est un héros romantique tragique, en lutte contre les injustices. Le roman a d’ailleurs été traduit en Chine, dès 1953, et adapté en lianhuanhua ; il a même été adapté à la télévision, par Wu Tianming (吴天明) !]. 

http://www.nytimes.com/2004/05/22/world/the-saturday-profile-a-gadfly-criticizes-china-s-

powerful-within-limits.html

[12] Les épisodes, résumés en chinois : https://www.tvmao.com/drama/ZisvHjM=

[13] On raconte que, quand la série est sortie à la télévision, les restaurants dans certains endroits ont enregistré une baisse de 30 % de leur chiffre d’affaires, car les gens voulaient être de retour chez eux avant 19h30 pour ne pas rater le feuilleton et donc évitaient de sortir dîner.

[14] Voir, dans Asialyst, les articles d’Alex Fayette sur la lutte anti-corruption menée par Xi Jinping, dont, le 22 décembre 2017, sur les arrestations dans le Hebei : https://asialyst.com/fr/2017/12/22/chine-hebei-tetes-continuent-de-tomber/ ou, le 21 décembre, sur la chute d’un « prince rouge » dans le Gansu :

https://asialyst.com/fr/2017/12/21/chine-prince-rouge-gansu-dechu-3-noyades-1-pendaison/

Autant de sources idéales pour de nouveaux romans anti-corruption.

[15] Selon Virginie Ancelot. « Les salons de Paris. Foyers éteints », Jules Tardieu éditeur 1858.

[16] Revue fondée par Ba Jin en décembre 1957, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_164.htm

[17] Selon son entretien avec Shu Jinyu déjà cité, CAL 2017.2, p. 69.

[18] Cité par Shu Jinyu, entretien CAL 2017.2, p. 71.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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