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Zhou Meisen
周梅森
Présentation
par
Brigitte Duzan, 31 décembre 2017
Romancier et scénariste prolifique Zhou Meisen est
presque une légende : mineur dans une mine de
charbon dès l’âge de 14 ans, il raconte que, un
jour, en pleine Révolution culturelle, alors qu’il
sortait de la mine, étant passé chez le bouquiniste
local, il est tombé par hasard, dans une pile de
vieux papiers, sur une copie jaunie d’une biographie
de Balzac dont il manquait la couverture et les
premières pages.
Ce n’est que plus tard qu’il réalisa de qui il
s’agissait. Fasciné par l’écrivain, il décida alors
de devenir un nouveau Balzac, et comme lui un
« secrétaire de l’histoire ». Ce qu’il a fait à sa
manière, en se spécialisant dans le
roman anti-corruption.
De la mine au roman
Zhou Meisen est né en mars 1956 à Yangzhou, dans le
Jiangsu (江苏扬州),
mais il a grandi à Xuzhou (徐州),
dans |
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Zhou Meisen |
La mine de Hanqiao dans les années
1990, avec sa locomotive datant de 1987 |
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le
nord-est de la province. En 1966, au début de la
Révolution culturelle, il a dix ans et il est en
troisième année d’école primaire. En 1969, il entre
à l’Ecole des cadres des mines de charbon de Xuzhou,
tout en ramassant du charbon avec des camarades en
dehors des cours ; l’un d’eux mourra dans un
accident. En 1974, après y avoir terminé le
secondaire, il devient mineur dans la mine Hanqiao (韩桥煤矿),
à une trentaine de kilomètres au nord-est de Xuzhou
.
Il commence à écrire au lycée, et ses premiers
écrits sont des récits réalistes, sur la mine et les
mineurs, tirés de son expérience personnelle. Ses
deux premiers récits sont publiés en 1978 :
« Nouveaux propos de famille » (《家庭新话》)
dans le quotidien Xinhua (《新华日报》)
et « De l’alcool Xifeng pour le secrétaire »
(《老书记的西凤酒》)
dans la revue Lettres et arts du Jiangsu (《江苏文艺》). |
Puis, l’année suivante, il part à Nankin où il devient rédacteur
de la revue Youth (Qingchun
《青春》),
l’une des
revues littéraires
créées dans cette ville en 1979. C’est une période formatrice,
qu’il considère comme équivalant à un cursus universitaire.
C’est alors qu’il écrit « La terre submergée » (《沉沦的土地》),
une nouvelle "moyenne" initialement parue fin 1983 dans le
numéro 6 de la revue Huacheng (《花城》),
puis publiée en décembre 1986 aux éditions du peuple du Jiangsu
(江苏人民出版社).
En 1985, il devient écrivain professionnel et entre à
l’Association des écrivains du Jiangsu.
Du monde de la mine au roman anti-corruption
·
Années 1980 : réalisme et histoire
« La terre submergée » a aussitôt attiré sur
lui l’attention des critiques et constitue un
tournant dans son œuvre et sa carrière. Cette
nouvelle (ou disons court roman) est représentative
de ses écrits réalistes des années 1980, décrivant
le monde de la mine qu’il connaissait bien.
L’histoire est celle de la vie de la mine pendant la
période républicaine, mais traitée comme si elle
était contemporaine. C’est une nouvelle manière
d’aborder la fiction historique qui a des
caractéristiques que l’on retrouvera dans les œuvres
suivantes de Zhou Meisen : la critique historique
est exercée d’un point de vue social, et non
directement politique, l’histoire étant abordée en
se préoccupant des aspects concrets de l’existence
du peuple ; ensuite, cette fiction est fondée sur le
principe que, finalement, toute histoire est
histoire contemporaine. |
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La terre submergée |
Le chant de l’armée, réédition 2001 |
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Dans cette optique, pendant les années 1980, il
écrit une série de nouvelles et romans historiques,
traités de manière réaliste, c’est-à-dire en évitant
clichés et codes. C’est ainsi qu’il a traité de
l’action de l’armée nationale dans la guerre de
résistance contre le Japon de manière nouvelle : il
revendique d’avoir été le premier écrivain, en Chine
continentale, à avoir évoqué positivement l’action
de l’armée nationaliste, à un moment où c’était
encore tabou : écrit comme une sorte d’exorcisme,
avec le réalisme qui a toujours été l’un de ses
principes d’écriture.
Le premier de ces récits, sur la guerre de
résistance, est une autre nouvelle "moyenne" : « Le
Chant de l’armée » (《军歌》),
publiée en 1986, et adaptée à la télévision
.
Elle est aussitôt suivie d’un roman, cette fois, « La
tombe noire » (《黑坟》),
publié la même année, qui aborde une autre période :
celle des seigneurs de guerre du Beiyang |
(北洋军阀),
au début des années 1920. Le sujet mêle mine et
histoire, en commençant par une explosion de grisou
en mai 1920 qui a enseveli sous terre un millier de
mineurs et déclenché un immense incendie qui a tout
ravagé – accident qui a conduit le gouvernement du
Beiyang à fermer le puits.
Suivent sept romans et nouvelles, plus un scénario,
sur des sujets analogues, traités dans le même
esprit, et publiés pendant les dix années suivantes,
jusqu’en 1996.
On a parlé de « nouveau roman historique » (新政治小说),
mais aussi de « fiction métahistorique »,
c’est-à-dire d’une réflexion sur l’histoire, ou
d’une philosophie de l’histoire
.
·
Années 1990 : de l’histoire à la politique
En 1994, Zhou Meisen revient à Xuzhou. C’est un
tournant dans son œuvre. |
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La tombe noire, réédition décembre
1997 |
L’expérience de Xuzhou
Xuzhou est en plein boom ; Deng Xiaoping a relancé l’ouverture
deux ans plus tôt, et toute la Chine s’est jetée tête baissée
dans les affaires. La croissance décolle à toute allure, les
investissements se multiplient, en particulier dans les
infrastructures. Xuzhou s’apprête à construire un troisième
périphérique. Zhou Meisen devient adjoint au secrétaire de la
ville, puis est nommé vice-directeur de l’administration des
autoroutes de la province.
Après sa nomination, il se heurte à l’opposition de certains
officiels locaux qui pensent qu’il est impliqué dans les
conflits entre factions du gouvernement local. Il se retire vite
de cette situation périlleuse, mais il a, au passage, glané une
expérience qui nourrit les débuts d’une nouvelle phase
d’écriture, dans un genre différent : le roman politique,
ouvrant un nouveau chapitre de
l’histoire du roman anti-corruption.
Il pensait être un fonctionnaire au service du peuple, il s’est
rendu compte qu’il était en fait un maître servi par des
subalternes qui allaient jusqu’à lui ouvrir les portes et lui
servir du thé : un maître tout-puissant jouissant de privilèges
hors normes. Il a alors réalisé que le pouvoir avait un côté
magique et un côté malsain : il suffit d’un coup de téléphone,
parfois, aux personnages influents pour obtenir ce qu’ils
souhaitent. Le pouvoir devient alors comme une drogue. Son
premier roman politique est né de cette expérience.
Le droit chemin, réédition 2017 |
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Bien des gens, à Xuzhou, ne voyaient pas l’intérêt
de l’autoroute ; ils ont intenté des procès aux
principaux responsables de la ville. Son premier
roman politique, « Le droit chemin dans le monde »
(《人间正道》),
est né de là. Il expose les abus de pouvoir en
province, et les conséquences de l’introduction de
l’économie de marché suivant la politique
d’ouverture. Publié en 1996, il fait sensation, et
il est adapté deux ans plus tard en une série
télévisée éponyme de 26 épisodes. Mais il a aussi
été source d’ennuis pour Zhou Meisen car certains,
impliqués dans l’affaire, ont cherché à lui intenter
un procès collectif pour le forcer à réviser son
roman. Mais il n’a pas cédé, arguant que ce n’était
qu’un roman, pas un reportage.
Le succès de ce roman pousse Zhou Meisen à en écrire
un second qui sort l’année suivante, en 1997, et qui
traite de la Bourse et des gens qui la manipule pour
en tirer profit : « La richesse du monde » (《天下财富》).
Les titres se suivent à une cadence très rapide. |
Après « Sang froid » (《冷血》),
l’année 1998 est marquée par l’un de ses grands
succès, sur les conflits entre vrais réformateurs et
cadres corrompus : « Made in China » (《中国制造》),
roman qui est adapté à la télévision et même traduit
en français, mais quinze ans plus tard
.
Le roman a été vendu à plus d’un million
d’exemplaires, toutes versions confondues, soit plus
de la totalité des ventes de ses romans historiques.
·
Le modèle balzacien
En même temps, dans la fièvre de croissance du
milieu des années 1990, Zhou Meisen investit en
Bourse et dans l’immobilier. Il a raconté ses
premières expériences d’investisseur, pas toujours
très réussies, lors d’un entretien avec la
journaliste Shu Jinyu (舒晋瑜)
.
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Made in China, réédition 2007 |
Il raconte qu’il s’est lancé, avec un ami, en achetant un
terrain, pour y construire un immeuble et le revendre ensuite ;
la revente a mis vingt ans avant d’être finalisée, et il a tout
juste récupéré la mise initiale. Son second investissement a été
dans un projet immobilier à Nankin ; il a vendu les appartements
juste avant le boom de l’immobilier. A l’époque, il a aussi
organisé des convois de camions pour transporter du sable et des
pierres sur des sites de construction à Canton ; il s’est
retrouvé à devoir payer des amendes pour violation de diverses
réglementations et l’argent gagné dans l’histoire a tout juste
suffi à les régler.
Finalement, dit-il, c’est avec ses productions de séries
télévisées qu’il a gagné le plus d’argent. Et, en ce sens, il
s’estime plus heureux que son idole, Balzac, tout en poursuivant
le même objectif. Balzac aussi s’est lancé dans diverses
affaires, une usine de savon, une papeterie, une imprimerie, qui
toutes ont fait faillite ; finalement, il s’est mis à écrire des
romans pour éponger ses dettes. Zhou Meisen est fier de pouvoir
dire qu’il a eu très jeune suffisamment d’argent pour être
indépendant financièrement, et ainsi pouvoir écrire sans avoir à
se préoccuper du reste. :
« … à 30 ans je pouvais sans souci m’occuper de mes affaires,
écrire ce que je désirais écrire, sans faire de la littérature
un moyen de m’en sortir. Je pouvais composer des télé-drames,
écrire des romans, en faire moi-même l’adaptation théâtrale, y
mettre des fonds, et une fois le produit sorti aller le proposer
aux chaînes de télévision. »
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Années 2000-2010 : les grands romans anti-corruption
Un roman par an
Pouvoir absolu |
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Les années 2000-2010 sont ensuite, dans l’œuvre de
Zhou Meisen, les grandes années du roman
anti-corruption, fondé sur des faits réels, tirés de
l’actualité, en commençant par « Profit maximum
» (《至高利益》)
en 2000. On parle de « série » et ces romans sont
adaptés à la télévision, généralement dans l’année
qui suit leur publication, avec de grands acteurs
dans les rôles principaux.
Le premier grand succès est « Pouvoir absolu »
(《绝对权力》),
adapté en 2003 en une série en 27 épisodes par la
Télévision du Hunan. Dans ce roman, de manière assez
caractéristique, le secrétaire du Parti de la ville
de Jingzhou (荆州),
dans le Hubei, est un fonctionnaire honnête, qui a
beaucoup fait pour développer la ville, mais sa
fille a été manipulée par un groupe de cadres
corrompus qui l’ont placée à la tête d’une société
d’investissement pour qu’elle leur permette de
tourner les lois grâce au pouvoir de son
|
père. Quand l’un des
directeurs de la société essaie de dénoncer les fraudes,
dans lesquelles est impliqué le maire adjoint, il provoque
des réactions en chaîne, les corrompus tentant de se
défendre les uns les autres
.
La
conclusion du roman est que, si le maire n’avait pas
joui de pouvoirs aussi absolus, s’il y avait un
système de contrôle pour limiter le pouvoir des
autorités locales, cette histoire n’aurait pu avoir
lieu car elle repose sur le pouvoir discrétionnaire
du maire, détourné par sa fille
.
C’est la concentration sans limite du pouvoir
politique qui est ici en cause.
Le titre renvoie à la fameuse phrase de l’historien
britannique John Dalberg-Acton, connu pour sa haine
de l’absolutisme sous toutes ses formes : « Le
pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu
corrompt absolument »
.
Chacun des romans qui suit traite de la corruption
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Pouvoir absolu, la série télévisée |
dans des domaines divers, et c’est d’abord la
corruption du pouvoir, sous toutes ses formes, dont il est
question.
Poursuites pénales |
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Ainsi, le roman qui suit « Pouvoir absolu », « Poursuites
pénales »
(《国家公诉》),
dépeint les poursuites menées contre les
responsables politiques d’un incendie catastrophique
où sont impliqués l’ancien maire et l’ancien
secrétaire du Parti de la ville. Ici, le procureur
général est une femme, qui mène l’enquête avec
détermination et courage, en résistant aux
pressions. Le roman a été adapté en une série de 35
épisodes diffusée à partir du 29 décembre 2003.
L’année suivante, Zhou Meisen rencontre un nouveau
succès avec « Une histoire de pouvoir dominant »
(《我主沉浮》),
adapté en une série télévisée de 35 épisodes,
diffusée à partir du 13 juin 2005. C’est encore une
histoire de corruption du pouvoir, au sens d’abus de
pouvoir, dénoncé pour ses conséquences économiques
et financières. |
Zhou Meisen décrit les dessous d’un projet de construction d’une
immense aciérie initié conjointement par le secrétaire du Parti
et le maire d’une petite ville. Tous deux arrosent abondamment
leur réseau d’amis et de soutiens, sans s’oublier au passage,
avec pour résultat un désastre économique : un gâchis de quelque
17 milliards de yuans.
Zhou Meisen atteint alors un sommet de popularité. Il est même
interviewé par le New York Times qui le présente comme un
exemple de liberté d’expression concédée par le pouvoir, avec
des limites
.
Interdiction des séries en prime time
Ces limites sont fragiles. A partir de 2004, le succès des
séries télévisées inquiète le pouvoir. S’agissant d’un sujet
aussi épineux que la lutte contre la corruption, la télévision
peut s’avérer une arme à double tranchant : la popularité du
genre finit par trop attirer l’attention sur l’étendue et la
gravité des faits dénoncés, le public passant par habitude sur
les leçons morales prodiguées.
Les téléfilms sur le sujet ont été interdits en prime time à
partir de 2004. Décret qui signait la mort du genre : les coûts,
relativement importants en raison du casting, en particulier, ne
pouvaient plus être rentabilisés. L’interdiction du prime time
valait interdiction tout court.
Zhou Meisen a continué à publier des romans, à un rythme moindre
cependant, et les précédents ont continué à être réédités. Mais
c’est l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, qui a relancé
le genre, pour médiatiser sa grande entreprise de lutte contre
la corruption, lancée dès ses débuts à la présidence.
Après un temps de latence, Zhou Meisen publie en 2017 son plus
grand succès à ce jour, doublé d’un immense succès à la
télévision : « Au nom du peuple ».
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2017 : Au nom du peuple
2012-2016 : bilan de l’action de Xi Jinping
Dès 2012, le président Xi Jinping lance une véritable chasse aux
sorcières qui aboutit en quelques années à l’arrestation,
l’inculpation et l’incarcération d’éminents membres du Parti
convaincus de corruption, dans des proportions sidérantes, qui
fait la une des journaux, avec scandales familiaux, villas de
luxe et maîtresses comme dans le bon vieux temps.
En 2015, les autorités décident de lever l’interdiction du prime
time : avec toutes ces affaires divulguées urbi et orbi, non
seulement une politique de l’autruche devient impossible, mais,
bien plus, le président veut voir son action médiatisée.
Cependant, il la veut médiatisée dans les termes qui lui
conviennent.
En 2016 est lancée une première initiative, avec un documentaire
télévisé en huit parties, « Toujours sur la route » (《永远在路上》)
diffusé en octobre, juste avant le 6ème plénum du
Comité central du Parti
.
L’objectif est de dresser un bilan de trois ans de campagne
anti-corruption, de 2013 à 2016. Le documentaire fait état de 77
cas de corruption de haut vol, impliquant des dirigeants locaux
et leurs subordonnés, "tigres" et "mouches".
Les inculpés font leur confession en public devant la caméra,
larmes à l’appui. Vedette du premier épisode : Bai Enpei (白恩培),
ex-numéro un de la province du Yunnan, entraîné par les goûts de
luxe de son épouse (encore une fois) : elle avait une faiblesse
pour les bracelets en jade et son mari négociait les permis de
construction contre des bracelets…
Toujours sur la route, épisode 1 :
https://www.youtube.com/watch?v=qbgsWn5gMDs
C’est un sujet classique dans les romans de Zhou Meisen, mais le
traitement en documentaire larmoyant par CCTV n’a pas le succès
escompté. On fait appel à l’écrivain. C’est alors qu’il écrit le
roman « Au nom du peuple », aussitôt adapté en série
télévisée, qui passe en prime time, pour la première fois depuis
dix ans.
2017 : Au nom du peuple
« Au nom du peuple » (《人民的名义》)
part d’une expérience personnelle de Zhou Meisen, la
réalité chinoise, comme il le dit lui-même,
dépassant l’imagination du plus imaginatif des
romanciers. A la fin des années 1990, il détenait
des parts dans une banque agricole qui s’est trouvée
impliquée dans un investissement frauduleux qui a
entraîné un long procès, sur fond de protestations
ouvrières. Les sources sont les rapports d’enquête.
Son récit reprend le schéma habituel de ses romans,
mais ici le haut fonctionnaire intègre ne l’est
qu’apparemment. On retrouve ici une ville de fiction
en plein essor nommée Jingzhou. Un jeune cadre y est
nommé secrétaire du Parti, succédant à un vétéran
arrivé à l'âge de la retraite. Sa tâche n’est pas
facile au premier abord car son prédécesseur a
administré la ville avec tant de succès que personne
n'oserait mettre en doute son dévouement et sa
loyauté. Mais une |
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Au nom du peuple |
lettre anonyme révèle bientôt une grave affaire de
corruption, qui a des conséquences graves pour
l'environnement. Tous les ingrédients du roman à succès
étaient réunis.
Le roman a été un succès sans précédent. On en a imprimé un
million et demi de copies en un mois et on estime qu’il a été lu
par un milliard de lecteurs.
Au nom du peuple, la série télévisée |
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Mais
l’adaptation en série télévisée, en 52 épisodes
diffusés à partir du 28 mars 2017 sur Hunan TV, a
été un succès encore plus étonnant.
Si l’on considère les spectateurs devant leur poste
de télévision, mais aussi ceux qui ont regardé les
épisodes sur internet, le chiffre total
spectateurs/connexions
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s’élève à 30 milliards
. Et la série a
remporté un grand succès en particulier auprès des jeunes :
selon les sondages, pour les trois premiers épisodes de la
série, les 18-35 ans constituaient 32 % de l’audience, et le
chiffre est monté jusqu’à 72 % au bout de vingt épisodes.
Zhou Meisen a été aidé dans la rédaction du roman par son épouse
Sun Xinyue (孙馨岳)
qui a également été coscénariste de l’adaptation télévisée. En
outre, pour la préparation de la série télévisée, le procureur a
autorisé Zhou Meisen à interroger des prisonniers en prison et à
enquêter dans les postes de police. La série a par ailleurs
bénéficié d’un financement des plus hautes instances du Parti, à
hauteur de 120 millions de yuans (17,4 millions de $). Elle est
interprétée par des acteurs très populaires, comme Lu Yi (陆毅)
dans le rôle principal de l’enquêteur en chef Hou Liangping (侯亮平),
héros de l’histoire, Xu Yajun (许亚军)
dans celui de Qi Tongwei (祁同伟),
chef de la sécurité et vilain de l’affaire, ou encore Wu Gang (吴刚)
dans le rôle de Li Dakang (李达康),
chef du Parti obsédé par la croissance.
Cependant, si la série a eu un tel retentissement, c’est aussi
qu’elle a été rendue obligatoire dans certains bureaux du
gouvernement, les cadres étant requis de soumettre des rapports
de 1 500 caractères minimum décrivant leur expérience et leurs
impressions en regardant les divers épisodes.
On ne sait trop si Zhou Meisen sort grandi de cette histoire ;
il y perd une bonne partie de son image. En tout cas, les
inculpations et procès se poursuivant
,
on peut au moins être sûr qu’il ne manquera pas de matériau pour
continuer à « enregistrer l’histoire » et poursuivre une mission
semblable à celle que s’était fixée Balzac ; grand admirateur de
Napoléon, il avait dressé dans son cabinet de travail, dit-on
,
un petit autel surmonté d’une statue de l’Empereur avec cette
inscription : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai
par la plume. »
Note complémentaire : deux soutiens littéraires
Le soutien de Ba Jin
Au moment où l’adaptation télévisée du roman « Le droit chemin
dans le monde » a été diffusée sur CCTV,
Ba Jin
(巴金)
avait plus de 90 ans ; il récupérait d’une maladie à Hangzhou en
compagnie de sa fille, Li Xiaolin, qui s’occupait de la revue
Shouhuo
.
Tous les jours, son père regardait le feuilleton à la
télévision, puis demandait à sa fille de lui lire le passage
correspondant du roman. Finalement il demanda pourquoi il
n’avait pas été publié dans Shouhuo. Ce n’était pourtant
pas du tout le style de ce que publiait la revue. Mais il
demanda à Li Xiaolin de prendre contact avec l’auteur.
Zhou Meisen lui confia le manuscrit de « Made in China » qu’il
venait de terminer, et le roman parut dans la revue, en deux
parties. Par la suite, les deux romans « Une histoire de pouvoir
dominant » et « Poursuites pénales » furent également publiés
dans Shouhuo, chacun en deux parties également. Cette
aide de Ba Jin a été très importante pour lui
.
L’appréciation de Su Tong
Su
Tong (苏童)
a exprimé son appréciation de Zhou Meisen et de son œuvre :
« La beauté tragique de ses romans n’est pas fondée sur la
dextérité du style, mais plutôt sur la dynamique d’ensemble du
texte, qui est d’une telle splendeur qu’elle nous emporte tout
du long… »
A lire en complément
Petite
histoire du roman anti-corruption
Chinese Arts and Letters, 2017.2
Bibliographie
- The A to Z of Modern Chinese Literature, Ying Li-hua,
Rowman & Littlefield, 2010 - 466 pages,
p. 286.
- Staging Corruption: Chinese Television and Politics, Ruoyun
Bai, UBC Press 2014, 292 p. (sur Zhou Meisen et son opposition à
l’interdiction des séries TV anti-corruption en prime time p.
82)
Une ancienne mine ouverte en 1882, dans le cadre du
mouvement dit d’auto-renforcement (自强运动)
de la fin du 19ème siècle, fermée fin 2008,
et devenue site historique.
La nouvelle a été parmi les lauréates du prix national
de la nouvelle moyenne en 1986, avec « Le Clan du Sorgho
rouge » (《红高粱家族》)
de
Mo Yan (莫言).
Voir l’article de He Shaojun (贺绍俊)
« From New Historical Fiction to New Political Fiction
»,
CAL 2017.2,
p. 44-63.
Made in China, traduit et annoté par Mathilde Mathe,
Gallimard/Bleu de Chine, mars 2016, 640 p.
Article de mai 2004 : A Gadfly Criticizes China's
Powerful, Within Limits [Gadfly : référence au roman
irlandais de
Ethel Voynich, 1897 - Une histoire de révolutionnaires
italiens pendant le Risorgimiento. Gadfly est un héros
romantique tragique, en lutte contre les injustices. Le
roman a d’ailleurs été traduit en Chine, dès 1953, et
adapté en lianhuanhua ; il a même été adapté à la
télévision, par Wu Tianming (吴天明) !].
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